Emploi et revenus des indépendants Édition 2025

Insee Références
Paru le :Paru le21/05/2025
Nathan Rémila (Insee)
Emplois et revenus des indépendants- Mai 2025
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En moyenne entre 2021 et 2023, l’activité de 12 % des indépendants est de fait dépendante d’un seul partenaire économique

Nathan Rémila (Insee)

Un quart des indépendants déclarent qu’au moins la moitié de leur activité provient d’un de leurs partenaires économiques : ils sont dits économiquement dominés par un client, un fournisseur, une plateforme numérique ou un autre partenaire. Cette situation touche même un tiers des micro‑entrepreneurs. Ces indépendants dominés par un partenaire économique sont surreprésentés dans les secteurs de l’agriculture et des services aux entreprises et services mixtes. Ils sont plus souvent insatisfaits de leur emploi. Les immigrés sont surreprésentés parmi les indépendants économiquement dominés.

Plus de la moitié des indépendants économiquement dominés sont dépendants du partenaire économique dominant, au sens où la perte de cette relation mettrait en péril la survie de leur entreprise. Au total, en moyenne entre 2021 et 2023, 12 % des indépendants sont économiquement dépendants. Les indépendants économiquement dépendants sont notamment surreprésentés dans le secteur des transports, où 42 % des indépendants sont dominés par une plateforme numérique leur permettant d’accéder à des clients. Les micro‑entrepreneurs, les immigrés et les résidents dans un quartier prioritaire de la politique de la ville sont nettement surreprésentés parmi les indépendants dépendants d’une plateforme ; à l’inverse, les plus diplômés sont sous représentés. Les deux tiers des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire sont contraints par ce partenaire dans leur travail, économiquement ou sur l’organisation du travail ; notamment la moitié d’entre eux sont contraints dans la fixation de leurs prix.

Insee Références

Paru le :21/05/2025

En moyenne entre 2021 et 2023, l’activité de 12 % des indépendants est de fait dépendante d’un seul partenaire économique

Un indépendant sur quatre est économiquement dominé par un partenaire

À la différence des salariés qui exercent leur travail sous l’autorité d’un employeur, les indépendants sont exempts de toute subordination juridique. Cependant, en moyenne entre 2021 et 2023, un quart des travailleurs dont l’emploi principal est un emploi d’indépendant déclarent qu’au moins 50 % de leur activité des 12 derniers mois provient d’un seul de leurs partenaires économiques, par exemple d’un client, d’un fournisseur ou d’un intermédiaire permettant d’accéder à des clients (sources) (figure 1). Ils sont dits . La domination économique est plus fréquente parmi les  : un tiers d’entre eux sont concernés. Leur statut limite leur chiffre d’affaires, conduisant plus souvent à une activité auprès d’un nombre restreint de clients : 41 % d’entre eux en ont entre un et neuf, contre 28 % parmi l’ensemble des indépendants. En conséquence, la domination économique exercée par le client principal est un peu plus fréquente parmi les micro‑entrepreneurs (23 %) que parmi l’ensemble des indépendants (18 %). La domination par un autre partenaire économique (qui se cumule parfois à celle exercée par le client principal) est plus rare : 4 % des indépendants sont économiquement dominés par un fournisseur, 3 % sont dominés par une plateforme numérique et 3 % par un autre intermédiaire qui permet d’accéder à des clients (hors plateforme numérique) (encadré 1).

Figure 1 – Part d’indépendants économiquement dominés par un partenaire, selon le type de partenaire

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Figure 1 – Part d’indépendants économiquement dominés par un partenaire, selon le type de partenaire (en %) - Lecture : 16 % des indépendants qui exercent leur activité dans le cadre d’une société ont un client qui représente 50 % ou plus de leur activité.
Type d’indépendant Client Fournisseur Plateforme numérique Autre intermédiaire donnant accès à des clients Relation de location gérance, licence ou franchise Autre relation Au moins une relation de domination
Société 16 5 1 3 1 2 23
Micro-entrepreneur 23 2 5 5 1 4 33
Entrepreneur individuel (hors micro-entrepreneur) 17 3 3 3 1 2 24
Ensemble des indépendants 18 4 3 3 1 2 25
  • Lecture : 16 % des indépendants qui exercent leur activité dans le cadre d’une société ont un client qui représente 50 % ou plus de leur activité.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

Plus d’un indépendant économiquement dominé sur cinq est agriculteur

Le secteur des est le plus représenté parmi les indépendants dominés économiquement : 31 % d’entre eux y exercent, contre 23 % de l’ensemble des indépendants (figure 2). Ce secteur regroupe des situations très diverses : des experts libéraux en études techniques (par exemple des consultants informatiques ou des développeurs informatiques) dont 63 % sont économiquement dominés par un partenaire ; des agents commerciaux immobiliers dont 35 % sont économiquement dominés ou bien encore des avocats, plus rarement économiquement dominés (18 %). Le secteur de l’agriculture est aussi surreprésenté parmi les dominés économiquement : alors que 12 % de l’ensemble des indépendants y exercent, 21 % des indépendants en situation de domination économique travaillent dans le secteur de l’agriculture. 87 % d’entre eux sont dominés par leur client principal (contre 71 % parmi l’ensemble des indépendants dominés par un partenaire économique) et un tiers d’entre eux ont même un client unique. Ils sont aussi plus souvent économiquement dominés par un fournisseur (22 % contre 14 %). Par ailleurs, 4 % des indépendants économiquement dominés exercent dans les services de transports ; ils sont par exemple conducteurs de taxis ou de voiture de transport avec chauffeur (VTC), transporteurs indépendants ou coursiers. Dans ce secteur en particulier, 42 % des indépendants dominés économiquement le sont par une plateforme numérique leur permettant d’accéder à des clients comme G7, Uber, Freenow, Deliveroo ou Just Eat, contre 11 % parmi l’ensemble des indépendants dominés (encadré 2).

Figure 2 – Répartition des indépendants, indépendants économiquement dominés et indépendants économiquement dépendants, selon le secteur d’activité

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Figure 2 – Répartition des indépendants, indépendants économiquement dominés et indépendants économiquement dépendants, selon le secteur d’activité (en %) - Lecture : 21 % des indépendants économiquement dominés par un partenaire sont agriculteurs.
Secteur d’activité Ensemble des indépendants Dominés économiquement par un partenaire Dominés et dépendants économiquement d’un partenaire
Agriculture 12 21 24
Industrie 5 4 5
Construction 12 10 7
Commerce 14 9 11
Transports 3 4 7
Service aux entreprises et services mixtes 23 31 27
Services aux particuliers 18 14 16
Santé 13 5 4
Autre 1 1 1
  • Lecture : 21 % des indépendants économiquement dominés par un partenaire sont agriculteurs.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

Figure 2 – Répartition des indépendants, indépendants économiquement dominés et indépendants économiquement dépendants, selon le secteur d’activité

  • Lecture : 21 % des indépendants économiquement dominés par un partenaire sont agriculteurs.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

À l’inverse, les indépendants du secteur de la santé sont sous‑représentés parmi les indépendants économiquement dominés (5 % contre 13 % parmi l’ensemble des indépendants). Malgré l’usage répandu des plateformes numériques comme Doctolib, Maiia ou Keldoc pour accéder à des patients parmi les personnels de santé indépendants, ceux‑ci ne déclarent pas spontanément que 50 % de leur activité dépend d’une plateforme. Les indépendants du secteur du commerce sont, eux aussi, sous‑représentés parmi les indépendants économiquement dominés (9 % contre 14 %) tout comme ceux des services aux particuliers (14 % contre 18 %). En effet, la multiplicité des clients pour un indépendant dans ces secteurs entraîne rarement une situation de domination.

Plus d’un indépendant économiquement dominé sur cinq souhaite travailler davantage

27 % des indépendants économiquement dominés par un partenaire travaillent moins de 35 heures par semaine, contre 22 % des indépendants dans leur ensemble. La situation de domination économique semble souvent subie, puisque 21 % des indépendants concernés, et même 25 % hors agriculteurs, souhaitent travailler davantage avec une hausse de revenu correspondante contre 16 % parmi l’ensemble des indépendants (figure 3). D’ailleurs, 11 % des indépendants économiquement dominés souhaitent un autre emploi en complément ou en remplacement, contre 8 % parmi l’ensemble des indépendants.

Figure 3 – Part d’indépendants, indépendants économiquement dominés et indépendants économiquement dépendants, selon les conditions de travail et le souhait d’évolution

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Figure 3 – Part d’indépendants, indépendants économiquement dominés et indépendants économiquement dépendants, selon les conditions de travail et le souhait d’évolution (en %) - Lecture : 30 % des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire travaillent exclusivement depuis leur domicile.
Condition de travail ou souhait d’évolution Ensemble des indépendants Dominés économiquement par un partenaire Dominés et dépendants économiquement d'un partenaire
Travaille uniquement à domicile 21 31 30
Travaille le dimanche 40 45 50
Travaille le soir 48 52 55
Travaille la nuit 12 15 16
Souhaite travailler plus 16 21 24
Souhaite un autre emploi 8 11 14
  • Lecture : 30 % des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire travaillent exclusivement depuis leur domicile.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

Figure 3 – Part d’indépendants, indépendants économiquement dominés et indépendants économiquement dépendants, selon les conditions de travail et le souhait d’évolution

  • Lecture : 30 % des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire travaillent exclusivement depuis leur domicile.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

De plus, les indépendants économiquement dominés travaillent un peu plus souvent le soir (52 % contre 48 % de l’ensemble des indépendants) ou la nuit (15 % contre 12 %). 45 % travaillent le dimanche contre 40 % des indépendants en moyenne : cet écart s’explique par la surreprésentation des agriculteurs parmi les économiquement dominés, dont les trois quarts travaillent le dimanche ; en revanche, l’écart sur le travail le soir ou la nuit est peu lié à la surreprésentation des agriculteurs. Autre particularité des indépendants économiquement dominés, environ un tiers (31 % et même 34 % hors agriculteurs) travaillent exclusivement depuis leur domicile, soit 10 points de plus que l’ensemble des indépendants (21 %).

Les indépendants économiquement dominés : plus jeunes et plus souvent immigrés

Parmi les indépendants économiquement dominés, les plus jeunes sont légèrement surreprésentés : 22 % d’entre eux ont moins de 35 ans, et même 25 % hors exploitants agricoles, contre 20 % de l’ensemble des indépendants. Les hommes sont également surreprésentés (66 % des indépendants économiquement dominés, contre 63 % de l’ensemble des indépendants). Les indépendants économiquement dominés sont également plus souvent immigrés : 15 % au total, 19 % hors exploitants agricoles, soit nettement plus que leur poids dans l’ensemble des indépendants (12 %). Certains métiers, exercés plus souvent par certains profils sociodémographiques, sont structurellement sujets à des situations de domination économique. Toutefois, à caractéristiques identiques, certaines variables sociodémographiques restent liées à la situation de domination (méthodes). Ainsi, les indépendants de moins de 35 ans et les immigrés ont une probabilité significativement plus forte d’être économiquement dominés par un partenaire économique, à autres caractéristiques identiques.

12 % des indépendants sont dépendants d’un partenaire économique

Plus de la moitié (53 %) des indépendants qui sont économiquement dominés indiquent que la perte de cette relation mettrait en péril la survie de leur entreprise : ils sont dits de leur partenaire économique dominant (ou de l’un d’entre eux s’il y en a plusieurs). Au total, 12 % de l’ensemble des indépendants, soit un sur huit, sont dans cette situation.

Les micro‑entrepreneurs sont surreprésentés parmi les indépendants économiquement dépendants : ils sont 32 % contre 25 % parmi l’ensemble des indépendants. Par secteur d’activité, les indépendants des services aux entreprises et services mixtes (27 %) et ceux de l’agriculture (24 %) représentent à eux seuls plus de la moitié des indépendants économiquement dépendants alors que seuls 35 % de l’ensemble des indépendants exercent dans l’un de ces deux secteurs. Ceux qui exercent dans le secteur des transports sont nettement surreprésentés parmi les indépendants économiquement dépendants : 7 % contre 3 % parmi l’ensemble des indépendants. En revanche, les indépendants du secteur de la construction ou de la santé, déjà sous‑représentés parmi les indépendants économiquement dominés par un partenaire, le sont davantage parmi les indépendants économiquement dépendants : 11 % d’entre eux travaillent dans un de ces deux secteurs, contre plus du double de l’ensemble des indépendants.

14 % des indépendants économiquement dépendants souhaitent un autre emploi

Les indépendants économiquement dépendants ont un profil relativement similaire à celui de l’ensemble des indépendants dominés. Ils semblent cependant encore moins satisfaits de leur emploi : 24 % d’entre eux souhaitent travailler plus avec une hausse de revenu correspondante et 14 % souhaitent un autre emploi, que ce soit en remplacement de leur emploi actuel ou en complément (contre respectivement 21 % et 11 % parmi l’ensemble des indépendants dominés par un partenaire). Ces insatisfactions sont plus fréquentes parmi les indépendants économiquement dépendants qui ne sont pas agriculteurs : 31 % souhaitent travailler plus et 17 % changer d’emploi.

Les indépendants économiquement dépendants sont 30 % à exercer l’intégralité de leur travail depuis leur domicile, c’est un niveau comparable à celui de l’ensemble des indépendants dominés. En revanche, ils sont légèrement plus nombreux qu’eux à avoir des horaires atypiques : au total, 55 % travaillent le soir, 50 % le dimanche et 73 % le samedi.

Un indépendant économiquement dépendant sur deux est contraint dans la fixation de ses prix

La dépendance économique à un partenaire crée une relation asymétrique entre l’indépendant et le partenaire dont il dépend. Ainsi, plus de la moitié (51 %) des indépendants dont la survie de l’activité dépend d’un seul partenaire économique déclarent que ce dernier les contraint dans la détermination de leurs prix ou tarifs (figure 4). Cette proportion est de 30 % parmi les indépendants économiquement dominés mais non dépendants. La contrainte sur la fixation du prix est particulièrement forte pour les agriculteurs : elle concerne 76 % de ceux qui sont économiquement dépendants et 56 % de ceux qui sont dominés sans être pour autant dépendants.

Figure 4 – Type de contrainte subie par les indépendants économiquement dominés par un partenaire, qu’ils en soient dépendants ou non

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Figure 4 – Type de contrainte subie par les indépendants économiquement dominés par un partenaire, qu’ils en soient dépendants ou non (en %) - Lecture : 51 % des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire sont contraints par ce partenaire dans la fixation de leurs prix.
Contrainte subie Dominés et dépendants Dominés et non dépendants
Prix 51 30
Organisation 28 19
Choix des clients 15 9
Choix des fournisseurs 10 5
Choix des produits 28 16
Autre 8 4
Au moins une contrainte 68 46
  • Lecture : 51 % des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire sont contraints par ce partenaire dans la fixation de leurs prix.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

Figure 4 – Type de contrainte subie par les indépendants économiquement dominés par un partenaire, qu’ils en soient dépendants ou non

  • Lecture : 51 % des indépendants économiquement dépendants d’un partenaire sont contraints par ce partenaire dans la fixation de leurs prix.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

La dépendance économique a aussi un impact sur les conditions de travail : 28 % des indépendants économiquement dépendants sont contraints dans l’organisation de leur travail ou de leurs horaires par le partenaire économique dont ils dépendent. C’est particulièrement le cas dans le secteur des transports où 48 % des indépendants économiquement dépendants sont contraints dans leur organisation. Par ailleurs, 28 % des économiquement dépendants sont contraints dans le choix des produits ou services qu’ils proposent, une proportion qui s’élève à 40 % dans le secteur du commerce. Les intermédiaires du commerce (vendeurs à domicile, courtiers de prêts immobiliers) sont particulièrement concernés.

Lorsqu’ils sont économiquement dépendants, les indépendants sont aussi plus fréquemment contraints dans le choix de leurs clients (15 %), notamment dans le secteur des transports (35 %) ; ils sont aussi davantage contraints dans le choix de leurs fournisseurs (10 %), en particulier dans la construction (18 %).

Au total, 68 % des indépendants économiquement dépendants sont contraints dans au moins une dimension de leur activité par le partenaire économique dont ils dépendent. Cette part est plus faible parmi les indépendants économiquement dominés par un partenaire sans pour autant en être dépendant (46 %). Ces contraintes exercées sur les indépendants économiquement dépendants sont plus fréquentes dans les secteurs de l’agriculture (85 % font face à au moins une de ces contraintes) et des transports (82 %) et moins présentes dans le secteur de la santé (47 %). La corrélation forte entre contraintes exercées par un partenaire économique dominant et dépendance économique (en particulier la contrainte de fixation des prix) ne suffit donc pas pour définir statistiquement la dépendance économique, notamment pour certains secteurs, comme ceux de la santé, des services aux particuliers ou aux entreprises ou encore de la construction.

Un indépendant dominé par un partenaire économique sur quatre n’aurait pas de difficulté notable à la perte de cette relation

Si la domination économique implique dans 53 % des cas une dépendance au partenaire dominant, 23 % des indépendants économiquement dominés par un partenaire déclarent que la perte de cette relation entraînerait des difficultés mais sans mise en péril de leur entreprise ; à l’opposé, 25 % jugent que cette perte n’entraînerait pas de difficulté notable. Pour ces derniers, soit le partenaire économique, même s’il est dominant, peut être remplacé facilement ; soit l’emploi indépendant est un élément secondaire du revenu total de la personne, par exemple un complément à une pension de retraite. Ainsi 12 % de ces indépendants déclarent percevoir une pension de retraite, contre 5 % des dominés dépendants. Logiquement, ces indépendants sont plus âgés que les autres : 21 % ont plus de 60 ans (contre 14 % parmi l’ensemble des indépendants dominés). Les hommes y sont légèrement surreprésentés (69 % contre 66 %).

La situation professionnelle de ces indépendants dominés sans aucune dépendance économique au partenaire dominant leur convient mieux que pour l’ensemble des dominés par un partenaire économique : 15 % souhaitent travailler plus (contre 21 %), et seuls 7 % d’entre eux souhaitent un autre emploi (contre 11 %). Ils sont nettement moins contraints dans leur activité : 28 % sont contraints par leur partenaire économique dominant dans la détermination de leurs prix ou tarifs et 16 % dans l’organisation de leur travail ou de leurs horaires. Au total, 39 % déclarent au moins une contrainte dans leur activité professionnelle (contre 56 %). Ils ont aussi plus souvent un statut d’entrepreneur individuel hors micro‑entrepreneur (34 % contre 30 %). Ils travaillent plus souvent dans le secteur de la construction (15 % contre 10 % de l’ensemble des indépendants dominés) ainsi que parmi les (17 % contre 13 %).

Encadré 1 – Mesure et définition du travail de plateforme

L’émergence des plateformes numériques, comme Uber, Airbnb, Deliveroo, LeBonCoin ou Doctolib, nécessite d’adapter le système d’information statistique pour mesurer l’impact de ces nouveaux acteurs économiques sur la situation des personnes sur le marché du travail. L’Insee participe ainsi à des travaux internationaux sur le sujet, en particulier sous l’égide d’Eurostat. Eurostat définit une plateforme numérique comme un site internet ou une application numérique qui fait le lien entre une multiplicité de travailleurs (qui se font concurrence pour accéder à un marché) et une multiplicité de demandeurs (qui se font concurrence pour que leurs offres soient pourvues par un travailleur). Ainsi défini, un travailleur exerçant via une plateforme peut ne pas avoir de statut professionnel déclaré, par exemple dans le cas d’un hôte Airbnb. En outre, contrairement aux chiffres présentés dans cette étude, cette définition ne limite pas le travail de plateforme aux indépendants. Enfin, cette définition ne pose aucun critère de domination ou de dépendance économique des travailleurs concernés si bien que conceptuellement la définition de « travailleurs de plateforme » englobe des travailleurs qui utilisent les plateformes pour organiser la mise en relation avec les demandeurs, sans qu’ils n’en soient dépendants.

Les données disponibles pour mesurer le travail de plateforme, rares et encore en cours d’expertise et de consolidation, sont soit issues d’enquêtes, soit des données administratives. En matière de données d’enquêtes, l’enquête Emploi intègre depuis 2021 des questions sur l’existence d’une relation de domination avec une plateforme numérique. Ces questions ne sont posées qu’aux travailleurs dont l’emploi principal est exercé en tant qu’indépendant. Pour une évaluation plus générale, un module complémentaire sous règlement européen sera mis en œuvre dans le questionnaire en 2026. En matière de données administratives, depuis 2020, les opérateurs de plateforme d’économie collaborative qui ont une activité en France doivent adresser à la direction générale des finances publiques (DGFiP) les données d’activité dont ils ont connaissance concernant les travailleurs avec lesquels ils sont en relation. À ce jour, ces données ne sont pas suffisamment complètes pour permettre une évaluation robuste.

À partir des questionnaires de l’enquête Emploi 2021 à 2023, environ 100 000 indépendants ont au moins 50 % de leur activité qui provient d’une plateforme numérique donnant accès à des clients. À partir de l’enquête Tracov 2 réalisée début 2023, la Dares identifie 600 000 indépendants qui déclarent « accéder à leur clientèle par l’intermédiaire d’au moins une application mobile ou site internet de mise en relation ». La moitié d’entre eux précisent qu’ils l’utilisent « pour la plus grande part de leur activité », soit environ 300 000 travailleurs intensifs de plateforme. Plusieurs éléments peuvent être avancés pour expliquer l’écart entre les deux sources.

Tout d’abord, une question spécifique sur le travail de plateforme est posée dans l’enquête Tracov 2 alors que l’identification dans l’enquête Emploi se fait à partir de la sélection de la modalité correspondante en réponse à une question qui comporte cinq modalités de réponse non exclusives.

De plus, la formulation des questions diffère entre les deux enquêtes. Les indépendants sont interrogés dans l’enquête Emploi sur le fait qu’un partenaire économique représente 50 % ou plus de leur activité. Un travailleur de plateforme qui utilise plusieurs plateformes pour accéder à ses clients (chauffeur VTC par exemple) peut ainsi répondre « non » si aucune des plateformes utilisées ne représente la moitié de son activité et ne pas être considéré comme travailleur de plateforme dans cette étude, alors qu’il le serait dans Tracov 2.

En outre, la question posée dans l’enquête Tracov 2 porte sur « l’accès à la clientèle par l’intermédiaire d’au moins une application mobile ou site internet de mise en relation » alors que la formulation proposée dans l’enquête Emploi porte sur « une plateforme numérique vous donnant accès à vos clients ». La question présente dans Tracov 2 peut conduire des indépendants qui vendent leurs produits sur un site internet dédié à répondre « oui » et être considérés à tort comme des travailleurs de plateforme. À l’inverse, la question de l’enquête Emploi, plus restrictive, peut conduire certains travailleurs de plateformes qui réalisent leur mission en contact physique avec leurs clients (travaux de bricolage, de garde d’enfant, de soin médical) à répondre « non » à tort. C’est par exemple le cas des médecins, nombreux à utiliser des plateformes telles que Doctolib, KelDoc ou Maiia mais qui déclarent rarement être travailleurs de plateforme dans l’enquête Emploi.

Encadré 2 – 29 % des indépendants dépendants d’une plateforme numérique sont immigrés

Les indépendants dominés par une plateforme numérique se distinguent de l’ensemble des indépendants économiquement dominés par un partenaire. Ils sont nettement plus jeunes : 37 % ont moins de 35 ans (contre 26 % parmi l’ensemble des dominés hors agriculteurs) (figure). 44 % résident dans une ville‑centre (contre 38 %), signe de la pénétration plus forte des activités de plateforme dans les zones les plus urbanisées. Les indépendants économiquement dominés par une plateforme sont majoritairement des hommes (58 %) mais ceux‑ci sont sous‑représentés par rapport à l’ensemble des indépendants dominés par un partenaire économique hors agriculteurs (62 %).

Figure – Caractéristiques sociodémographiques ou d’emploi des indépendants selon qu’ils sont dominés ou dépendants d’un partenaire économique ou d’une plateforme numérique

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Figure – Caractéristiques sociodémographiques ou d’emploi des indépendants selon qu’ils sont dominés ou dépendants d’un partenaire économique ou d’une plateforme numérique (en %) - Lecture : 35,4 % des indépendants économiquement dépendants d’une plateforme numérique ont moins de 35 ans.
Caractéristique Ensemble des indépendants Dominés par un partenaire économique Dépendants d’un partenaire économique Dominés par une plateforme numérique
Ensemble Non dépendant de cette plateforme Dépendant de cette plateforme
Moins de 35 ans 19,8 22,4 23,4 36,6 38,2 35,4
Immigré 11,5 15,1 15,5 23,0 14,5 29,2
Diplômé du supérieur 51,0 51,3 47,8 55,1 65,8 47,3
Réside dans une ville-centre 30,6 30,6 29,6 43,9 39,7 47,0
Micro-entrepreneur 24,8 32,3 32,4 47,5 32,7 58,3
Souhaite travailler plus 15,5 21,0 24,3 29,7 21,9 35,5
A travaillé le soir au moins une fois au cours des 4 dernières semaines 48,2 51,7 55,2 59,1 47,6 67,5
Proportion parmi les indépendants 100,0 25,5 12,4 2,8 1,2 1,6
  • Lecture : 35,4 % des indépendants économiquement dépendants d’une plateforme numérique ont moins de 35 ans.
  • Champ : France hors Mayotte, personnes vivant dans un logement ordinaire, en emploi indépendant.
  • Source : Enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

58 % des indépendants économiquement dominés par une plateforme numérique en sont dépendants. Ils exercent majoritairement en tant que micro‑entrepreneurs (58 %) et rarement dans le cadre d’une société (15 %). Les indépendants dépendants d’une plateforme numérique sont moins fréquemment diplômés du supérieur (47 %) que les indépendants dominés par une plateforme numérique sans en être dépendants (66 %) ou que l’ensemble des indépendants (51 %). De plus, 29 % sont immigrés, contre 15 % parmi ceux qui sont dominés par une plateforme sans en être dépendants et 12 % parmi l’ensemble des indépendants. De même, 8 % résident dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (contre 2 % des dominés par une plateforme sans en être dépendants) et plus généralement 47 % résident dans une ville‑centre (contre 40 %). Les indépendants dépendants d’une plateforme numérique ont plus souvent des horaires de travail atypiques : 68 % travaillent le soir (contre 48 % des indépendants économiquement dominés par une plateforme sans en être dépendants), 83 % travaillent le samedi (contre 65 %) et 61 % le dimanche (contre 32 %). Les secteurs d’activité concernés expliquent cette prépondérance d’horaires atypiques : 25 % des indépendants dépendants d’une plateforme numérique exercent dans le secteur des transports (conducteurs de taxis ou de VTC, coursiers, livreurs, etc.), 22 % dans les services aux particuliers (par exemple exploitants d’hôtels, esthéticiennes et autres artisans des soins corporels) et 21 % dans le commerce. De surcroît, 42 % travaillent exclusivement depuis leur domicile (commerçants de biens pour la personne, artisans d’art, exploitants d’hôtels, graphistes).

En ce qui concerne les indépendants économiquement dominés par une plateforme sans en être dépendants, 24 % sont des professionnels de santé et 24 % exercent dans le secteur des services aux entreprises et services mixtes. Les deux tiers d’entre eux sont diplômés du supérieur, contre 47 % parmi ceux qui sont dépendants d’une plateforme, et 38 % exercent sous le statut d’entrepreneur individuel (hors micro‑entrepreneurs) contre 26 %.

Les indépendants dépendants d’une plateforme sont moins nombreux à travailler moins de 35 heures par semaine que les dominés non dépendants (25 % contre 35 %). Malgré cela, 36 % des indépendants dépendants d’une plateforme souhaitent travailler plus avec une hausse de revenu correspondante contre 22 % parmi les non‑dépendants. En outre, 26 % sont inscrits à France Travail contre 19 % parmi les non‑dépendants et 12 % parmi l’ensemble des indépendants, traduisant sans doute une situation actuelle d’emploi souhaitée comme temporaire.

Sources

L’enquête Emploi est la seule source permettant de mesurer le chômage et l’activité au sens du Bureau international du travail (BIT). Elle est menée en continu, sur l’ensemble des semaines de l’année, en France hors Mayotte, auprès des personnes de 15 ans ou plus vivant dans un logement ordinaire (c’est‑à‑dire hors foyers, hôpitaux, prisons, etc.). Les personnes décrivent leur situation vis‑à‑vis du marché du travail au cours d’une semaine donnée, dite « de référence ».

Depuis 2021, des questions sont intégrées pour identifier les relations entre les travailleurs dont l’emploi principal est un emploi d’indépendant et leurs partenaires économiques. Ces questions s’inspirent d’un module complémentaire de l’enquête Emploi, qui a été associé à l’enquête en 2017. Cependant, la façon de poser les questions a évolué entre 2017 et 2021 ce qui empêche de décrire l’évolution de la dépendance économique des indépendants depuis 2017. Pour disposer de suffisamment de répondants, cette étude cumule les données des enquêtes Emploi 2021, 2022 et 2023.

Méthodes

La nomenclature utilisée pour décrire les secteurs d’activité des indépendants est décrite dans les annexes Regroupements sectoriels. Les professionnels de santé ayant déclaré comme activité indépendante une société civile de moyens (SCM) ont été reclassés du secteur « services aux entreprises et services mixtes » vers le secteur « santé et action sociale ».

La part d’indépendants économiquement dépendants (53 %) est calculée au sein des répondants à la question. Parmi l’ensemble des indépendants économiquement dominés, 49 % indiquent qu’ils sont dépendants d’un partenaire économique dominant, 44 % qu’ils ne sont pas dépendants et 8 % ne répondent pas à la question. Sur les seuls répondants à la question, la part des indépendants économiquement dépendants est donc de 53 %.

Le raisonnement à caractéristiques identiques intègre les caractéristiques suivantes : statut (exerce dans le cadre d’une société, comme entrepreneur individuel ou comme micro‑entrepreneur), fait d’être employeur, secteur d’activité, catégorie socioprofessionnelle, nombre d’heures habituellement travaillées, souhait de travailler plus ou moins, inscrit à France Travail, souhait d’un autre emploi, sous‑emploi, travail à domicile, le soir, la nuit, le samedi ou le dimanche, nombre d’emplois occupés la semaine de référence, âge, sexe, lien à la migration, nombre d’enfants dans le logement, âge de fin d’étude, niveau de diplôme, tranche de taille de l’unité urbaine, statut de la commune, réside en QPV, en DOM, état de santé général.

Définitions

Un indépendant est économiquement dominé si au moins la moitié de son activité dépend d’un de ses partenaires économiques (client, fournisseur, relation de location‑gérance, de licence ou de franchise, plateforme numérique donnant accès à des clients ou autre relation).

Un micro‑entrepreneur bénéficie du régime de même nom (appelé auto‑entrepreneur jusqu’en 2014), qui offre des formalités de création d’entreprise allégées et un mode de calcul et de paiement simplifié des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu. Il s’applique aux entrepreneurs individuels qui en font la demande, sous certaines conditions.

Le secteur des services aux entreprises et services mixtes rassemble des services s’adressant principalement aux entreprises (codes M et N de la NAF), et des services dits « mixtes », qui s’adressent aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers (codes J, K, L). Ils regroupent les activités spécialisées, scientifiques et techniques (activités juridiques, comptables, conseil de gestion, architecture, ingénierie et autres activités spécialisées telles que publicité, design, photographie, traduction, etc.), les services administratifs et de soutien (nettoyage, sécurité, location de véhicules et équipements divers, photocopie et autres services de bureau), l’information et la communication (activités de programmation et conseil en informatique notamment, activités audiovisuelles, édition, services d’information), les activités financières et d’assurance et les activités immobilières (voir Regroupements sectoriels).

Un indépendant est économiquement dépendant s’il est économiquement dominé par un partenaire économique et qu’il déclare que la perte de cette relation économique dominante mettrait en péril la survie de son entreprise.

Les professions libérales sont définies par l’article 29 de la loi 2012‑387 selon lequel « les professions libérales regroupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins ». Certaines de ces professions sont réglementées, notamment dans la santé et le domaine juridique ; d’autres sont simplement soumises à autorisation d’exercice, voire complètement libres (consultants par exemple).

Pour en savoir plus

Beatriz M., « Ouvrir dans un nouvel ongletLes travailleurs de plateforme : quels profils et quelles conditions de travail ? », Dares Analyses no 69, novembre 2024.

Célérier S., Le Minez S., « Les indépendants, témoins des transformations du travail ? », in Emploi et revenus des indépendants, coll. « Insee Références », édition 2020.

Babet D., « Un travailleur indépendant sur cinq dépend économiquement d’une autre entité », Insee Première no 1748, avril 2019.

Babet D., « Le marché du travail en 2017 : l’emploi accélère et le chômage baisse davantage – Moins de 200 000 indépendants déclarent accéder à leurs clients via une plateforme numérique », in Emploi, chômage, revenus du travail, coll. « Insee Références », édition 2018.