L’épargne des ménages au sommet Note de conjoncture - juin 2025
Vue d'ensemble
Un « effet Trump » sur l’économie mondiale dès le premier trimestre 2025
L’arrivée de la nouvelle administration américaine a chamboulé l’économie mondiale
dès le début d’année 2025. Anticipant un
relèvement massif des droits de douane, les industriels du monde entier se sont
hâtés d’expédier des marchandises : le commerce mondial
a bondi de 1,7 %, tiré par l’impressionnante envolée des importations outre-Atlantique
(+9,3 %), qui a entraîné une contraction comptable
de l’économie américaine (-0,1 %). À l’inverse, l’Europe a connu un regain d’activité,
en particulier au Royaume-Uni (+0,7 %), en
Allemagne (+0,4 %) et en Italie (+0,3 %), tout comme la Chine, où la croissance
repose à présent à moitié sur le commerce extérieur.
Les annonces américaines ont également amplifié la divergence de politique monétaire :
d’un côté, les craintes d’une reprise de l’inflation
conduisent la Fed à mettre son assouplissement en pause, de l’autre, la BCE a
baissé ses taux à sept reprises sur les neuf derniers mois,
le recul du cours du pétrole et l’appréciation de l’euro limitant la hausse des
prix dans
la zone.
Au printemps, le commerce mondial se retourne, avec des droits de douane américains à un niveau inédit
L’embellie du commerce mondial ne serait évidemment que temporaire. Malgré la mise
en pause des « tarifs réciproques »
annoncés le 2 avril, et même s’il est encore difficile de prévoir les décisions
à venir, les droits de douane américains ont d’ores et
déjà augmenté depuis le 1er avril, à un niveau inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premières données
confirment un effondrement des importations américaines au printemps : le commerce
mondial se replierait au deuxième trimestre (-0,7 %),
puis resterait freiné au second semestre (+0,4 % par trimestre). La demande intérieure
américaine commencerait par ailleurs à ralentir :
la confiance des consommateurs vacille, les dépenses publiques marquent le pas
et les entreprises, interrogées dans les enquêtes de conjoncture,
voient leurs perspectives s’assombrir. Au total, l’économie américaine ralentirait
en 2025 (+1,8 % après +2,8 % en 2024). La baisse des
ventes contaminerait l’activité dans les pays les plus exportateurs vers les États-Unis,
à commencer par la Chine : la croissance y tomberait
sous les 5 % en 2025.
Lentement, l’investissement se réveille sur le Vieux Continent
Lentement, la zone euro sort de sa torpeur, malgré le retournement des échanges mondiaux.
La dynamique intérieure s’affermit,
faiblement mais sûrement. Dans toute la zone, et en particulier en Allemagne,
les industriels sont un peu moins pessimistes sur leurs
perspectives d’activité et l’investissement s’ébroue, profitant des baisses de
taux d’intérêt. Dans la construction, les financements européens
du plan de relance initié en 2021 continuent par ailleurs d’alimenter les chantiers
italiens et espagnols. En outre, les ménages consomment
un peu les gains de pouvoir d’achat permis par le recul de l’inflation : après
avoir été porté en 2024 par l’indexation de certains revenus
sur l’inflation passée, le pouvoir d’achat ralentirait nettement en 2025 mais
les ménages baisseraient un peu leur taux d’épargne. Au final,
l’activité de la zone euro marquerait le pas par contrecoup au deuxième trimestre
(+0,1 % après +0,6 %) puis progresserait encore
faiblement au second semestre (+0,2 % par trimestre). Sur l’ensemble de l’année,
l’activité accélèrerait (+1,3 % après +0,8 %). Les
disparités entre pays restent fortes mais s’atténuent : en glissement annuel en
fin d’année, la croissance allemande (+0,7 %) dépasserait
celle de l’Italie (+0,5 %), tout en restant nettement en deçà de celle de l’Espagne
(+2,1 %). Le réveil de l’investissement européen
réactive les échanges commerciaux intra-zone : malgré la politique américaine,
la demande mondiale adressée à la France accélèrerait nettement
en 2025 (+2,7 % après +1,5 % en 2024) et progresserait plus vite que le commerce
mondial.
La France ralentit en 2025, à contre-courant du mouvement européen
L’économie française ne semble pas évoluer au diapason du continent. Au premier trimestre,
elle n’a pas bénéficié de la ruée
commerciale : l’activité a à peine progressé (+0,1 %) et les exportations, dépendantes
des à-coups des secteurs aéronautiques et navals,
ont plongé (-1,8 %). Alors qu’en 2023 et 2024, l’activité française avait plutôt
mieux résisté (+1,6 % puis +1,1 %) que dans
les autres pays européens, les moteurs tricolores s’essoufflent désormais : les
dépenses publiques ralentissent et les exportations déçoivent
malgré le retour de la demande adressée. L’investissement repart moins franchement
qu’ailleurs en Europe : lestées par leur dette, les
entreprises françaises ont pâti de la hausse des coûts de financement entre 2022
et 2024 qui a rogné leurs marges de manœuvre. Côté consommation,
bien que leur pouvoir d’achat ait été mieux préservé qu’ailleurs, les ménages
français dépensent au compte-gouttes : hors crise sanitaire,
leur taux d’épargne a atteint, au premier trimestre, un niveau inédit depuis 45 ans.
L’activité resterait fébrile jusqu’à la fin de l’année,
sans décrocher (+0,2 % par trimestre) : les entreprises interrogées dans les enquêtes
de conjoncture jugent toujours majoritairement leurs
carnets de commandes inférieurs à la normale et le climat des affaires campe significativement
en deçà de sa moyenne de long terme. Contrairement
à ses voisins, la France entame juste sa consolidation budgétaire en 2025, ce
qui pèse sur l’activité : sur l’ensemble de l’année, la
croissance atteindrait +0,6 %, en net ralentissement par rapport à 2024 (+1,1 %),
un peu à rebours du mouvement
européen.
L’inflation est faible, la consommation n’accélère pas
Les ménages français continueraient de bénéficier d’une inflation durablement plus faible que dans le reste du continent : tombée à +0,7 % en mai, elle s’établirait autour de +1 % en fin d’année. La France se distingue par une transmission plus tardive qu’ailleurs de la baisse des prix de l’électricité et par une forte concurrence par les tarifs dans les télécommunications. Cette inflation faible n’empêcherait pas un net coup de frein sur le pouvoir d’achat (+0,7 % après +2,5 % en 2024). En 2024, le pouvoir d’achat des ménages français a connu une embellie, porté par les indexations sur l’inflation passée, en particulier des retraites, mais la consommation n’a pas suivi (+1,0 %) et le taux d’épargne a de nouveau augmenté. Plusieurs facteurs expliquent cet attentisme : outre des facteurs d’incertitude sur la politique économique, l’inflation perçue est encore élevée, le marché automobile est en transition et la part des revenus du patrimoine dans le revenu total a fortement augmenté à la faveur des hausses de taux. Un autre phénomène apparaît en 2024, où les prestations ont progressé deux fois plus vite que les revenus d’activité, sans que la consommation des retraités ne réagisse à la forte stimulation de leur revenu : l’effet de la revalorisation massive des pensions de début 2024 (de l’ordre de 5 %) sur l’activité aurait ainsi été stérilisé.
Le taux d’épargne des ménages semble toutefois avoir atteint un sommet en ce début
d’année 2025 : il amorcerait une décrue d’ici
la fin de l’année. En effet, les ménages lissent les fluctuations de leur revenu :
or, celui-ci reculerait au second semestre car le solde de
l’impôt sur le revenu rebondirait fortement, et les revenus du patrimoine s’effriteraient
avec la baisse des taux. En moyenne sur l’année, la
consommation progresserait seulement au même rythme que le pouvoir d’achat (+0,7 %)
et le taux d’épargne serait stable alors qu’il baisserait
ailleurs en Europe.
L’investissement peine à redémarrer, cerné par une situation financière des entreprises difficile
Côté entreprises, les signaux sont contrastés : les achats de biens d’équipement semblent
avoir atteint un plancher mais la
résilience des dépenses en services, en particulier informatiques, faiblirait
nettement. En 2025, les marges des entreprises se dégraderaient
dans les branches de l’énergie et des services de transport, du fait du recul
des cours de l’électricité et du fret maritime, mais seraient
plutôt stables pour le reste des entreprises grâce à la baisse du prix du pétrole.
Malgré ces bons résultats d’exploitation, la situation
financière des entreprises françaises continuerait de se dégrader en 2025 : elles
pâtissent en effet de taux d’intérêt plus élevés pour les
nouveaux crédits que ceux arrivant à échéance, et les plus grandes d’entre elles
subiraient en outre en fin d’année le prélèvement fiscal
exceptionnel de la loi de finances pour 2025.
Le logement neuf repart, l’entretien-amélioration et le marché de l’ancien patinent
Après deux années de fort repli, la construction de logements neufs semble avoir atteint
un plancher et les signes de reprise se
multiplient : les mises en chantier et permis de construire se redressent et les
promoteurs mettent à l’étude de nouveaux projets. À
l’inverse, la composante de l’entretien-amélioration, qui maintenait à flot l’activité,
semble fragilisée, d’autant plus depuis la suspension
du principal dispositif de soutien public à la rénovation (MaPrimeRenov’). Dans
l’ancien, les transactions immobilières ont vivement repris
depuis deux trimestres, encouragées par la baisse des taux d’intérêt et temporairement
dopées par l’anticipation de la hausse des droits de
mutation décidée en loi de finances pour 2025 et mise en œuvre à partir du printemps.
Elles fléchiraient nettement par contrecoup d’ici la fin
de l’année, d’autant plus que les ménages sont nettement moins nombreux à déclarer
envisager l’achat d’un logement dans les enquêtes de
conjoncture. Au total, l’investissement des ménages se replierait de nouveau en
2025 (-0,6 %), moins fortement tout de même qu’en 2024
(-5,6 %) et 2023 (-7,7 %).
Le commerce extérieur ne soutient plus la croissance
La déception française sur l’ensemble de l’année proviendrait du commerce extérieur.
Les aléas climatiques entraîneraient un repli
en 2025 du solde des échanges en électricité et en produits agricoles, ces deux
segments ayant nettement contribué à la performance française
l’an passé. De même, les échanges de services pâtiraient du contrecoup des Jeux
Olympiques et Paralympiques de Paris. Les exportations de produits
manufacturés, hors secteur aéronautique et naval, resteraient étales (-0,2 % après
+0,3 % en 2024), matérialisant de nouvelles pertes de
parts de marché des industriels français. Les livraisons prévues d’avions et de
bateaux, très concentrées sur les trois derniers trimestres,
compenseraient en partie cet affaiblissement mais, sur l’ensemble de l’année 2025,
le commerce extérieur ôterait 0,7 point de croissance
alors qu’il y avait contribué positivement les deux années précédentes. En contrepartie,
les entreprises reconstituent pour le moment leurs
stocks, ce qui sauvegarde la croissance (contribution de +0,8 point après -0,8 point
en 2024 et -0,3 point
en 2023).
Le marché du travail se retourne, le chômage augmente
Sur le marché du travail, l’emploi salarié s’est nettement retourné depuis deux trimestres,
l’économie française détruisant plus de
120 000 postes salariés. Dans les enquêtes de conjoncture, l’optimisme qui prévalait
depuis la crise sanitaire a fini par disparaître :
le climat de l’emploi est inférieur à sa moyenne de longue période depuis l’été 2024
et s’est de nouveau dégradé depuis le début de
l’année 2025, les entreprises rétablissant leur productivité. Dans le même temps,
les subventions liées aux politiques de l’emploi se
compriment, qu’il s’agisse des aides à l’apprentissage ou des enveloppes d’emplois
aidés. L’emploi salarié baisserait ainsi de
90 000 postes supplémentaires d’ici la fin de l’année, aux deux tiers d’alternants.
Au total, environ 210 000 emplois salariés
seraient perdus en cinq trimestres. Conjuguée à l’augmentation de la population
active engendrée par la montée en charge de la réforme des
retraites, cette baisse de l’emploi pousserait le taux de chômage à la hausse
à 7,7 % fin 2025.
Aléas : imprévisibilité dans le bureau ovale, tensions au Proche-Orient, confiance des ménages et des entreprises en France
Plusieurs aléas entourent cette prévision. Au premier chef, la situation internationale
reste très incertaine. Cette
Note de conjoncture suppose que les droits de douane américains se stabilisent globalement à leur niveau
actuel sur l’horizon de prévision, mais les revirements de l’administration américaine
sur le sujet ont été nombreux depuis début avril et
constituent un aléa important, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. En outre,
le prix du pétrole a bondi le 13 juin avec les tensions
au Proche-Orient : conventionnellement, cette Note de conjoncture, finalisée quelques jours avant, a
supposé un prix constant autour de 65 $. S’il se stabilisait environ 10 $ plus
haut, l’inflation serait plus élevée (d’environ
0,1 point en fin d‘année), les marges plus faibles et cela freinerait davantage
l’activité. En Europe, le rythme de la reprise
allemande est un facteur d’incertitude : par le passé, elle a pu surprendre par
sa vigueur mais les facteurs structurels d’atonie
(concurrence chinoise, coût de l’énergie notamment) incitent à la prudence. En
France, la trajectoire de consolidation budgétaire des années
futures reste inconnue, projetant les acteurs privés dans un potentiel inconfort.
En particulier, les annonces attendues début juillet
pourraient modifier les comportements des agents, entraînant un regain de confiance
ou, à l’inverse, une atonie
renforcée.