Désordre mondial, croissance en berne Note de conjoncture - mars 2025
Vue d'ensemble
L’année 2024 a terminé comme elle avait commencé. L’activité aux États-Unis est restée soutenue (+0,6 % au quatrième trimestre) portant la croissance annuelle à +2,8 %, tandis qu’elle est restée médiocre dans la zone euro (+0,2 %), confirmant l’absence de réelle reprise en 2024 (+0,8 % au total en 2024, après +0,5 % en 2023). Pourtant, en 2024, le commerce mondial a bien rebondi et le pouvoir d’achat des ménages européens a fortement accéléré à la faveur de la désinflation. Mais les exportateurs du Vieux Continent ont continué de perdre des parts de marché, englués dans des coûts de l’énergie prohibitifs et face à une concurrence chinoise exacerbée, tandis que les ménages européens ont préféré épargner leur surcroît de revenu, étouffant les espoirs d’une reprise rapide par la consommation.
Depuis le début de l’année 2025, la nouvelle orientation de l’administration américaine, les changements géopolitiques et les perspectives de guerre commerciale qu’elle entraîne, hypothèquent un peu plus l’éventualité d’un redémarrage européen à court terme. Aux États-Unis, l’imprévisibilité de la politique économique a fait vaciller la confiance : les consommateurs craignent un regain d’inflation et la croissance flageolerait au premier semestre (+0,4 % au premier trimestre puis +0,3 % au deuxième). L’instauration de droits de douane par la nouvelle administration américaine, ou même la simple menace de ceux-ci, mettrait un coup de frein au commerce mondial et frapperait les économies européennes dépendantes de la demande américaine, en particulier l’Allemagne et l’Italie. Le retournement géopolitique et le réveil annoncé des Européens en matière de défense ont, de surcroît, provoqué une hausse des taux souverains allemands, et partant de l’ensemble du continent. Ce raidissement obligataire vient contrarier l’assouplissement monétaire en cours de la Banque centrale européenne, dont la transmission à l’économie réelle était déjà incomplète. Seule conséquence positive pour les ménages et les entreprises européens : le cours du pétrole a baissé, tombant à 70 $ et leur apportant un peu d’air. Dans ce contexte, la zone euro resterait embourbée dans une croissance faible d’ici juin 2025 (+0,2 % puis +0,1 % aux deux premiers trimestres de l’année) et les divergences des économies resteraient fortes, entre l’échappée espagnole et le surplace allemand.
En France, l’activité a marqué le pas en fin d’année (-0,1 %) par contrecoup des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris qui l’avaient soutenue à l’été (+0,4 %). Sur l’ensemble de l’année, la croissance a plutôt bien résisté : +1,1 %, comme en 2023. L’économie française a bénéficié d’un positionnement sectoriel plus favorable que ses voisins européens et, par ailleurs, le retournement de l’investissement a été compensé par l’accélération des dépenses publiques. Toutefois, ce facteur de soutien s’inverserait en 2025 : contrairement à ses voisins, qui ont largement entamé leur consolidation budgétaire, la France prévoit un effort significatif de réduction du déficit public cette année. Les ménages seraient largement épargnés et ils bénéficieraient en outre d’une inflation tombée à +0,8 % en février et qui resterait faible d’ici juin (+1,1 %), alors même que leurs revenus (salaires et surtout retraites) sont indexés sur la hausse des prix passée. Le pouvoir d’achat continuerait ainsi de croître, engrangeant déjà +0,9 % d’acquis à mi-année, après +2,5 % en 2024. La consommation lui emboîterait le pas, malgré des intentions d’épargne qui se maintiennent à haut niveau. À l’inverse, les entreprises sont plus sollicitées par les mesures de redressement budgétaire, qui représentent un prélèvement de 0,9 point de leur valeur ajoutée, et leur situation financière reste pénalisée par la hausse passée des taux d’emprunt. De fait, dans un contexte international incertain, les entreprises interrogées dans les enquêtes de conjoncture sont peu nombreuses à envisager une hausse de leurs investissements. Enfin, la loi spéciale, restée en vigueur six semaines en début d’année avant l’adoption du budget 2025, a réduit les dépenses de l’État au minimum durant cette période : le coup d’arrêt de la consommation publique affecterait l’activité au premier trimestre.
Au final, l’économie française tournerait au ralenti au premier semestre (+0,1 % au premier trimestre puis +0,2 % au deuxième) et l’acquis de croissance pour 2025 atteindrait seulement +0,4 % à mi-année. Ce rythme est cohérent avec les réponses des entreprises aux enquêtes de conjoncture : le climat des affaires s’établit à 96 en février, en deçà de sa moyenne de longue période. La morosité est patente dans les industries intensives en énergie (comme dans la chimie et la métallurgie).
Sur le marché du travail, l’emploi salarié s’est nettement retourné en fin d’année, l’économie française détruisant 90 000 postes sur les trois derniers mois de 2024. Dans les enquêtes de conjoncture, l’optimisme qui prévalait depuis la crise sanitaire a fait long feu : le climat de l’emploi est inférieur à sa moyenne de longue période et s’est dégradé en février 2025, atteignant son plus bas niveau depuis dix ans (hors crise sanitaire). Les entreprises continueraient de réduire leurs effectifs de 50 000 postes salariés au premier semestre, en partie compensés par des créations d’emplois non salariés. Conjuguée à une augmentation de la population active favorisée par la montée en charge de la réforme des retraites, cette baisse de l’emploi pousserait le taux de chômage à la hausse à 7,6 % mi-2025.
Plusieurs aléas entourent cette prévision. Au premier chef, la situation internationale reste très mouvante. Cette Note de conjoncture suppose le relèvement des droits de douane par les États-Unis à partir du printemps pour la plupart de ses grands partenaires commerciaux, ce qui provoquerait un coup de frein sur le commerce mondial. Les oscillations de l’administration américaine sur le sujet constituent toutefois un aléa important, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. En outre, les mesures éventuelles de rétorsion seraient susceptibles de pousser l’inflation au-delà de ce qui est anticipé. Les cours du pétrole et les taux longs ont connu, par ailleurs, de brusques variations ces dernières semaines au gré de l’évolution de la situation géopolitique, rendant encore plus fragiles que de coutume les hypothèses conventionnelles de stabilisation retenues pour l’exercice de prévision. En France, si la situation politique intérieure s’est, pour l’instant, stabilisée, la réaction des agents privés à la consolidation budgétaire reste difficile à évaluer. Le taux d’épargne des ménages constitue un réservoir de croissance évident si la confiance se restaurait mais, à l’inverse, la dégradation du marché du travail pourrait les inciter à étoffer encore davantage leur épargne de précaution.