Après l’épreuve, une reprise rapide mais déjà sous tensions Note de conjoncture - octobre 2021
Vue d'ensemble
Sur le plan économique, et en particulier sur le marché du travail, l’onde de choc a été largement amortie
Après avoir, depuis un an et demi, reflété le profil des courbes épidémiologiques, l’activité économique française s’en est détachée cet été, à la faveur de la campagne de vaccination. Le caractère totalement exogène de cette crise, conjugué à l’ampleur des mesures d’urgence et de soutien, a contribué à sa singularité : une récession d’une intensité certes inédite, mais au cours de laquelle les revenus et le tissu productif ont été largement protégés, préservant le potentiel de rebond de l’économie.
L’onde de choc a, notamment, été très amortie s’agissant du marché du travail. L’emploi salarié a ainsi dépassé son niveau d’avant-crise dès le deuxième trimestre 2021. Le rythme des créations ralentirait quelque peu d’ici la fin de l’année, mais au total environ 500 000 créations nettes d’emplois salariés succéderaient aux quelque 300 000 destructions nettes enregistrées en 2020. Fin 2021, la population active retrouverait sa trajectoire tendancielle et le taux de chômage baisserait fortement dès le troisième trimestre, à 7,6 %, soit quasiment un point de moins que deux ans plus tôt.
Dans le même temps, l’activité économique retrouverait globalement – mais sans le dépasser, contrairement à l’emploi – son niveau d’avant-crise d’ici la fin de l’année. La productivité apparente du travail resterait donc fin 2021 inférieure à son niveau de fin 2019, et ce malgré le retour de l’activité partielle à son étiage normal. Il est difficile à ce stade de déterminer le caractère durable ou non de cet affaissement, tout en sachant que les réallocations sectorielles ou l’adoption accrue de technologies numériques sont susceptibles de le contrebalancer.
La bonne tenue de l’emploi contribuerait à soutenir le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages. Mesuré par unité de consommation, celui-ci marquerait toutefois le pas au troisième trimestre sous l’effet de l’inflation et malgré le dynamisme des revenus d’activité, avant de rebondir en fin d’année. En moyenne annuelle, le pouvoir d’achat par unité de consommation progresserait de 1,5 % en 2021 (après une stabilité en 2020).
Du côté des entreprises, le taux de marge s’est établi début 2021 à un niveau particulièrement élevé, sous l’effet combiné des dispositifs de soutien face à la crise, et de la baisse des impôts de production. Il refluerait au second semestre, mais se situerait tout de même fin 2021 un peu au-dessus de son niveau moyen de 2018 (2019 ayant été quant à elle marquée par la bascule du CICE en baisse de cotisations, entraînant comptablement un « double versement » cette année-là).
Fin 2021, la consommation retrouverait tout juste son niveau de deux ans auparavant, l’investissement le dépasserait, les exportations resteraient en retrait
Comme depuis le début de la crise, la granularité des observations revêt une importance particulière. Au mois le mois, c’est en mai-juin que l’accélération de l’activité économique a été la plus marquée, sous l’effet des réouvertures. Mais en moyenne trimestrielle, cette accélération apparaîtra facialement au troisième trimestre (+ 2,7 % prévu), avant un ralentissement en fin d’année (+ 0,5 % prévu au quatrième trimestre). De même, la nette baisse du taux de chômage (lequel est mesuré en moyenne trimestrielle) attendue pour le troisième trimestre 2021 doit beaucoup à l’accélération de l’emploi mesurée entre mars et juin.
En moyenne annuelle, la prévision de croissance pour 2021 (de l’ordre de + 6 ¼ %, après – 8,0 % en 2020) est donc inchangée par rapport au précédent Point de conjoncture. Néanmoins, la photographie probable de l’économie en fin d’année 2021 se précise, grâce aux derniers indicateurs conjoncturels disponibles (données en « dur », enquêtes de conjoncture, données à haute fréquence). Nous continuons, à ce stade, de comparer la situation prévue fin 2021 à celle mesurée avant-crise deux ans plus tôt, tout en sachant que cette métrique, si la reprise se poursuit, perdra progressivement de sa pertinence. Au moment où l’économie retrouve globalement son niveau d’avant-crise, il convient du reste de rappeler que le quatrième trimestre 2019, pris comme référence pour les comparaisons, avait lui-même quelques singularités, et qu’en l’absence de crise l’économie aurait sans doute progressé à son rythme tendanciel pendant ces deux années.
Tout comme l’emploi, l’investissement des entreprises témoigne de la singularité de la crise, dépassant dès le printemps 2021 son niveau de fin 2019, après avoir moins baissé que ce que laissaient attendre ses déterminants usuels. Le caractère exogène de la crise, les conditions financières favorables, les mesures de soutien ainsi que des effets de composition sont susceptibles d’expliquer cette résistance. Au second semestre, l’investissement ralentirait mais se situerait tout de même plus de 3 % au-dessus de son niveau d’avant-crise.
La consommation des ménages s’est nettement redressée en mai-juin, avec la levée graduelle des restrictions sanitaires. L’analyse des montants agrégés de transactions par carte bancaire CB suggère qu’elle s’est relativement bien maintenue pendant l’été (à 2 % sous son niveau d’avant-crise), sans néanmoins s’envoler. La consommation retrouverait tout juste, en fin d’année, son niveau de deux ans auparavant. Le taux d’épargne, après avoir vivement augmenté au plus fort de la crise, reculerait nettement. Au quatrième trimestre 2021, il resterait toutefois encore au-dessus de son niveau de 2019.
La contribution des échanges extérieurs à l’évolution du PIB demeurerait négative tout au long de l’année 2021. Les importations suivraient la dynamique de la consommation, retrouvant en fin d’année un niveau très proche de celui de la fin 2019. Mais dans le même temps, malgré leur rebond, les exportations resteraient en retrait (à 7 % sous leur niveau d’avant-crise), encore affectées par le tourisme international et l’aéronautique.
Les contrastes sectoriels persisteraient en effet au second semestre. L’industrie ne croîtrait que lentement : certaines branches, en particulier l’automobile, resteraient pénalisées par des difficultés aiguës d’approvisionnement. Au sein des services, l’activité suivrait un rythme de progression tendanciel dans les branches ayant déjà dépassé leur niveau d’avant-crise (information-communication, services aux entreprises). Mais elle resterait en deçà de ce niveau dans l’hébergement-restauration, les loisirs ou les transports, certains facteurs pesant de façon plus pérenne sur la demande (reprise inégale du tourisme international et des voyages d’affaires, recours plus fréquent au télétravail, etc.).
Au niveau mondial, une reprise sous tensions, engendrant difficultés d’approvisionnement et inflation
Au début de l’automne, l’environnement international apparaît plus incertain que cet été. En particulier, les économies chinoises et américaines, qui avaient rebondi en avance de phase par rapport à l’Europe, ralentiraient désormais. La rapidité de la reprise, stimulée entre autres par le soutien budgétaire massif aux États-Unis, a provoqué de fortes tensions sur l’approvisionnement, si bien qu’il apparaît difficile de démêler les effets d’entraînement mondiaux de ce stimulus et, en sens inverse, sa contribution aux tensions. La Chine est par ailleurs confrontée à la recrudescence de foyers épidémiques et à des pénuries d’électricité qui entravent sa production industrielle et renforcent les risques sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Dans ce contexte, les cours de l’énergie et des matières premières se sont envolés au premier semestre. Les prix de l’énergie se sont rapidement répercutés sur l’inflation, qui, en France, a atteint en septembre 2,1 % sur un an : l’enquête de conjoncture menée auprès des ménages suggère d’ailleurs que les habitants des zones rurales, davantage dépendants de la voiture pour leurs trajets, ressentiraient depuis quelques mois un peu plus nettement la progression de l’inflation que ceux des zones urbaines. Pour l’instant, les cours des autres matières premières se répercutent quant à eux surtout sur les prix de production, dont la hausse sur un an est désormais à deux chiffres : de l’ordre de + 10 % pour les prix de production dans l’industrie tout comme dans le secteur agricole.
Sous l’hypothèse de stabilité des cours d’ici la fin de l’année, l’inflation en France resterait un peu supérieure à 2 % jusqu’en décembre. Il s’agirait essentiellement d’une inflation importée : s’il devait y avoir d’éventuels effets de « second tour » via les salaires, ceux-ci ne se matérialiseraient qu’au-delà de notre horizon de prévision. Ces effets ne peuvent être exclus a priori, même si à ce stade les signaux disponibles dans les données d’enquête restent modérés.
Les prévisions présentées dans cette Note sont réalisées en faisant l’hypothèse d’absence de nouvelles restrictions sanitaires, mais aussi de nouvelle aggravation des tensions sur l’offre. Les difficultés d’approvisionnement (particulièrement élevées en Allemagne), et, dans une moindre mesure à court terme, celles liées au manque de main-d’œuvre (aggravées au Royaume-Uni sous l’effet entre autres du Brexit) font donc partie des aléas susceptibles de peser sur ce scénario. Inversement, la poursuite voire l’amplification du rebond de la consommation pourraient conduire à une reprise plus vive que prévue, surtout si elle s’accompagnait d’une résorption rapide des difficultés d’approvisionnement.