Refroidissement Note de conjoncture - décembre 2022
Vue d'ensemble
L’économie mondiale fait face à des difficultés persistantes, qui se déclinent différemment selon les pays
Depuis plusieurs trimestres, l’activité mondiale a ralenti et l’inflation s’est généralisée, conduisant les principales banques centrales à resserrer leurs politiques monétaires, tandis que la plupart des gouvernements ont pris des mesures budgétaires visant à limiter les hausses de prix ou à soutenir les revenus. Les cours mondiaux des matières premières et de l’énergie ont globalement reculé au second semestre 2022 mais ils restent élevés, reflétant tout à la fois la baisse des perspectives de croissance d’une part et la persistance de tensions sur l’offre d’autre part.
Tous les pays ne sont pas exposés de la même façon à ces vents contraires. L’économie chinoise est la seule dont les fluctuations récentes ont été directement liées aux vagues épidémiques de Covid-19. Elle rebondirait modérément au cours des prochains trimestres, sous réserve d’allègement effectif des restrictions sanitaires. Aux États-Unis, l’inflation reflue depuis plusieurs mois mais sa composante sous-jacente reste élevée, en lien avec le dynamisme du marché du travail. L’activité américaine, après avoir résisté au second semestre 2022, pourrait fléchir au premier semestre 2023. Malgré un net rebond en octobre, l’économie britannique resterait quant à elle en récession, sur fond de très forte inflation aggravée par les contraintes d’offre issues du Brexit.
Au sein de la zone euro, malgré les soutiens budgétaires et les effets résiduels de rattrapage post-crise sanitaire, l’activité pourrait fléchir au cours de l’hiver, de manière un peu plus marquée en Allemagne et en Italie qu’en France, selon, entre autres, le degré d’exposition sectorielle de chaque pays à la crise énergétique européenne. Les écarts d’inflation entre les principaux pays restent importants : le glissement annuel des prix à la consommation est ainsi beaucoup plus élevé en Allemagne et en Italie qu’en France et maintenant qu’en Espagne. Une large partie de ces écarts continue de s’expliquer par des modalités et des calendriers différents de fixation (et de limitation) des prix de l’énergie. D’ici la mi-2023, le glissement annuel des prix pourrait commencer à diminuer dans la plupart des pays, en partie mécaniquement du fait de forts « effets de base », même si le niveau des prix continuerait quant à lui de progresser.
La crise énergétique affecte notamment certaines branches industrielles qui font face à de fortes hausses de prix de l’électricité et du gaz
Même si elles tendent à se stabiliser, les difficultés d’offre restent importantes en France selon les réponses des chefs d’entreprise aux enquêtes de conjoncture. Ces contraintes n’affectent pas de la même manière les différentes branches d’activité. En particulier, l’industrie est la plus exposée au choc actuel de prix de l’énergie. Au sein du secteur manufacturier, certaines branches utilisent beaucoup d’énergie dans leurs processus de production (chimie, papier-carton, métallurgie, fabrication d’autres produits minéraux non métalliques). Par ailleurs, au niveau de chaque entreprise, l’exposition au choc dépend non seulement de la consommation d’énergie mais aussi des modalités des contrats d’approvisionnement.
Afin d’évaluer les conséquences de la hausse des prix de l’électricité et du gaz pour les entreprises, un questionnement spécifique a été introduit dans nos enquêtes de conjoncture. Plus de la moitié des entreprises industrielles françaises interrogées en novembre 2022 apparaissent ainsi particulièrement exposées à la hausse du prix de l’électricité, parce qu’elles dépendent soit d’un contrat à prix fixe sur une durée contractuelle arrivant à échéance fin 2022 ou courant 2023, soit d’un contrat directement indexé sur le prix de marché. Les hausses de prix unitaire facturé (avant éventuel recours au guichet d’aides) qui sont anticipées pour 2023 par les entreprises industrielles sont très hétérogènes, avec une moyenne qui dépasse 100 %, après +75 % estimé pour 2022.
Dans ce contexte, la majorité des entreprises manufacturières déclarent avoir l’intention de répercuter au moins une partie de la hausse des prix énergétiques sur leurs propres prix de vente et une part non négligeable d’entre elles anticipent de diminuer leurs marges. La proportion d’entreprises déclarant envisager de baisser leur production est plus faible : les réponses à l’enquête suggèrent une baisse agrégée de production manufacturière de l’ordre de 1 ½ % en lien direct avec la hausse des prix de l’énergie. Par ailleurs, plus de la moitié des entreprises envisagent d’engager des investissements pour réduire de manière pérenne leurs coûts énergétiques.
Les évolutions récentes des taux de marge présentent également un caractère sectoriel marqué : les gains récents se concentrent précisément dans les branches de l’énergie et des services de transport, en lien avec la très forte progression des prix du fret maritime à la sortie de la crise sanitaire, ainsi qu’à la hausse des prix de vente de l’électricité, eux-mêmes tirés par les cours du gaz. La mise en place du bouclier tarifaire a permis aux prix de vente de l’électricité de suivre leurs déterminants usuels sans que cette hausse soit totalement répercutée sur les prix de consommation finale et intermédiaire en électricité. En sens inverse néanmoins, la hausse des prix de vente des énergéticiens a été limitée par l’élargissement du dispositif Arenh et par le mécanisme de récupération par l’État de la rente dite infra-marginale.
En France, les signaux conjoncturels, contrastés, laissent augurer un recul industriel et donc un repli modéré de l’activité économique fin 2022, avant un rebond progressif, surtout au printemps 2023
En France, l’indicateur synthétique de climat des affaires s’est effrité au printemps et à l’été avant de se stabiliser cet automne légèrement au-dessus de sa moyenne de longue période, même s’il reste mal orienté dans les branches industrielles les plus énergivores. Le calcul de cet indicateur s’appuie notamment sur les réponses aux questions qualitatives des enquêtes de conjoncture sur l’évolution anticipée de l’activité. Les éventuelles baisses d’activité anticipées par les entreprises sont ainsi toutes considérées de la même manière, quelle que soit leur ampleur : cela contribue peut-être à minorer l’impact sur le climat global des affaires de fortes réductions d’activité dans certaines entreprises.
De fait, les statistiques d’activité disponibles pour le mois d’octobre sont en recul, qu’il s’agisse de la production industrielle ou de la consommation des ménages en biens. Ce recul va au-delà des effets a priori ponctuels des grèves dans les raffineries et du manque de disponibilité du parc nucléaire, lequel pèse sur la production d’électricité. Il semble confirmé par certaines données à haute fréquence disponibles pour le mois de novembre (consommation d’électricité des grandes entreprises industrielles directement raccordées à RTE, montants agrégés des transactions par carte bancaire CB).
Le PIB français pourrait donc légèrement fléchir au quatrième trimestre 2022 (-0,2 % prévu, après +0,2 au trimestre précédent), sous l’effet d’une production industrielle en recul et d’une activité atone dans les services. La consommation des ménages se contracterait nettement, en raison notamment d’un fort recul de la consommation d’énergie (en lien avec les conditions météorologiques clémentes d’octobre-novembre mais aussi du fait de comportements de sobriété, en partie spontanés, en partie liés à la hausse des prix) et d’un repli des dépenses en hébergement-restauration. Après un fort rattrapage cet été sur les achats de véhicules, l’investissement marquerait le pas. Les échanges extérieurs soutiendraient quant à eux l’évolution de l’activité en fin d’année, avec notamment d’importantes livraisons aéronautiques et navales.
Le début d’année 2023 resterait marqué par la hausse des prix de l’électricité et du gaz, pour les entreprises comme pour les ménages. L’activité rebondirait néanmoins très légèrement au premier trimestre (+0,1 % prévu), à la faveur du rebond attendu dans la cokéfaction-raffinage après les grèves de l’automne, et du redémarrage programmé de plusieurs réacteurs nucléaires actuellement en maintenance. Le rebond serait plus franc au deuxième trimestre (+0,3 % prévu) avec une accélération de l’activité dans les services.
Au total, la croissance annuelle atteindrait +2,5 % en 2022 (après +6,8 % en 2021). Pour 2023, l’acquis de croissance du PIB à mi-année (c’est-à-dire la croissance qui serait obtenue dans l’hypothèse où l’activité des troisième et quatrième trimestres resterait au même niveau que celui prévu pour le deuxième) serait positif mais modeste (+0,4 %). Pour les autres principaux pays de la zone euro, cet acquis à mi-année pour 2023 s’échelonnerait de -0,2 % pour l’Allemagne à +1,1 % pour l’Espagne, en passant par +0,3 % pour l’Italie.
Ce scénario de prévision fait l’hypothèse d’absence de délestages électriques cet hiver, et d’un rebond progressif de la disponibilité du parc nucléaire français. À côté des autres aléas, pouvant affecter l’activité économique à la hausse ou à la baisse (développements géopolitiques à l’est de l’Europe, situation sanitaire en Chine, efficacité des soutiens budgétaires, impact du resserrement monétaire en cours, etc.), s’ajoute en effet un aléa technique lié au redémarrage des réacteurs nucléaires français : leur manque de disponibilité aurait ôté environ 0,4 point de PIB en 2022.
L’inflation (au sens de l’indice des prix à la consommation) atteindrait environ 7 % cet hiver, puis refluerait au printemps par « effet de base »
Depuis la mi-2021, l’inflation a vivement progressé et s’est élargie à un grand nombre de biens et services. Cet élargissement ne laisse pas augurer de repli à très court terme, même si l’on observe une relative détente des cours de l’énergie et de certaines matières premières et un ralentissement de certains prix de production. Les anticipations d’évolution des prix de vente restent en effet élevées, selon les enquêtes de conjoncture.
L’évolution de l’inflation au cours des tous prochains mois dépend, entre autres, de celle des mesures de limitation de prix énergétiques et des fluctuations des cours du pétrole. La hausse programmée des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, ainsi que la fin de la remise à la pompe, contribueraient à augmenter l’inflation d’ensemble, qui atteindrait +7 % sur un an en début d’année 2023. Le glissement annuel des prix de l’alimentation atteindrait quant à lui environ 13 %. À partir du printemps, l’inflation d’ensemble pourrait néanmoins refluer par « effet de base » (+5,5 % prévu en juin), les prix continuant à augmenter au mois le mois mais moins vivement qu’un an plus tôt. L’inflation sous-jacente resterait quant à elle supérieure à 5 %, compte tenu notamment de la poursuite du renchérissement des intrants.
Dans ce contexte, les salaires seraient assez dynamiques en termes nominaux, sous l’effet, entre autres, des hausses du Smic, des négociations salariales et de la prime de partage de la valeur, mais les salaires réels continueraient de reculer. Le pouvoir d’achat du revenu disponible brut serait soutenu en fin d’année 2022 (+0,7 % prévu par unité de consommation, après +0,8 % au trimestre précédent), bénéficiant de plusieurs mesures (suppression de la redevance TV, poursuite de la réduction de la taxe d’habitation, chèque énergie exceptionnel). Il fléchirait au premier semestre 2023 (-1,2 % prévu au premier trimestre, -0,5 % au deuxième) en raison du dynamisme des prix ainsi que du ralentissement attendu de l’emploi.
Emploi : à la recherche de la productivité perdue
Depuis 2021, trimestre après trimestre, l’emploi ne laisse pas d’étonner par sa vigueur, plus soutenue que celle de l’activité. La bonne tenue du climat de l’emploi calculé à partir des enquêtes de conjoncture reflète d’ailleurs ce dynamisme. Au troisième trimestre 2022, l’emploi salarié se situe ainsi 3,6 % au-dessus de son niveau de la fin 2019, quand le PIB excède le sien de 1,1 %.
En la matière, la situation est contrastée au sein de la zone euro : la productivité par tête a retrouvé peu ou prou son niveau d’avant la crise sanitaire en Allemagne, elle l’a dépassé en Italie, tandis qu’elle reste nettement en retrait en France et en Espagne. Ce recul de productivité s’explique sans doute par plusieurs facteurs. L’un, spécifique à la France sur la période récente, expliquerait environ la moitié de la baisse : il s’agit de l’essor massif de l’apprentissage qui a contribué directement à environ un tiers de la croissance de l’emploi salarié depuis 2019. Par ailleurs, certains secteurs, comme la production d’énergie, et notamment d’électricité, ont pu pâtir de difficultés spécifiques en France, sans incidence sur l’emploi. Enfin, d’autres facteurs (diminution par rapport à l’avant-crise sanitaire de la durée effective du travail en lien avec la hausse des arrêts maladie, rétention de main-d’œuvre dans un contexte de tensions sur les recrutements, y compris dans des secteurs dont la production a baissé comme l’automobile, etc.) pourraient concerner également les autres pays européens.
Compte tenu du scénario envisagé pour l’activité, l’emploi ralentirait au cours des prochains trimestres (+0,2 % prévu au quatrième trimestre 2022, puis +0,1 % au premier comme au deuxième trimestre 2023). À l’horizon de la prévision, le taux de chômage resterait stable (à 7,3 % de la population active), car la population active et l’emploi évolueraient au même rythme.