Courrier des statistiques N14 - 2025
Présentation du numéro
En décembre 2018, dans l’éditorial du N1, Jean-Luc Tavernier écrivait :
« Le Courrier des statistiques est […] notre bien commun. Sa pérennité repose sur la bonne volonté de tous. »
Cette bonne volonté ne faiblit pas : avec ce numéro N14, le Courrier des statistiques « nouvelle formule » franchit le cap des cent articles publiés !
Dans cette nouvelle édition, nous vous proposons trois papiers éclairant l’histoire de la statistique publique et trois articles plus contemporains. Commençons donc par plonger dans le passé…
Nous sommes en 1951. Les six pays fondateurs de l’Union européenne viennent de signer le traité de Rome, instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Pour piloter sa mise en œuvre, des statistiques « harmonisées », comparables entre les six pays, sont indispensables. Comment les mettre en place alors que chaque pays a sa propre organisation statistique ? Ce qui peut paraître évident aujourd’hui est le fruit d’une longue histoire, marquée par des ralentissements et des accélérations au gré des crises et avancées de la construction européenne. Pierre Bischoff et Hervé Piffeteau nous en racontent les cinquante premières années. De 1952 à 2003, une succession d’élans ont permis de poser les fondements du système statistique européen (SSE), avec notamment : la création de l’Office statistique des Communautés européennes (qui adoptera en 1973 son surnom Eurostat), la mise en place d’un programme statistique pluriannuel, la création de comités structurant les échanges entre les partenaires nationaux et communautaires, et les fondements juridiques du futur SSE. Ce « grand élan », comme l’appellent les auteurs, sera coupé net par la révélation en 2004 de la falsification des comptes nationaux grecs… Une histoire que les auteurs vous réservent pour un prochain numéro…
Remontons encore plus loin dans le passé. Nous sommes cette fois en 1853. Le premier Congrès international de statistique se tient à Bruxelles. Des statisticiens publics de différents pays se réunissent à la fois pour échanger sur leurs méthodes scientifiques et pour réaliser (déjà) des travaux de comparaison internationale. À une époque où Internet n’existe pas, les publications statistiques « papier » sont un bien précieux pour ces discussions et travaux, et les bibliothèques statistiques sont au cœur de l’univers de la donnée. Camille Beaurepaire et Thierry Boucher nous racontent l’histoire des échanges de publications statistiques entre les pays au XIXᵉ siècle et pendant la première moitié du XXᵉ siècle. Les questions sont alors celle de l’organisation matérielle des échanges de publications (par voie postale !), mais aussi celle de leur classement. Les statisticiens publics tentent de résoudre ce problème, central pour les bibliothèques, pour le cas particulier du « savoir statistique ». Grâce en particulier au fond ancien étranger de la bibliothèque Alain Desrosières de l’Insee (environ 75 000 documents, soit près d’un kilomètre linéaire), les auteurs nous font revivre cette période passionnante… tout en nous initiant à l’histoire de la bibliothéconomie.
Nous voici à présent au début des années 1970, pour voir naître le Service statistique ministériel de la fonction publique (SSM FP). Gaël de Peretti, son responsable actuel, a fouillé les archives (et notamment celles du « premier » Courrier des statistiques) pour nous raconter l’histoire de ce service. Depuis son origine, celui-ci fait partie de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), un ancrage qui lui permet d’être au cœur de l’organisation où se conçoivent les politiques des ressources humaines de la fonction publique. Ce positionnement lui permet aussi de discuter de son programme dans des instances de concertation spécifiques. Les grands travaux du SSM FP démarrent avec la production de statistiques sur les effectifs et les rémunérations des agents de la fonction publique de l’État, à l’appui de remontées des fichiers de paie. Ils s’étoffent progressivement, pour aborder d’autres thématiques et couvrir également les fonctions publiques territoriale et hospitalière. L’évolution du rapport annuel sur l’état de la fonction publique, publication phare du SSM FP, témoigne de tous les enrichissements réalisés. Ce rapport, originellement « politique », adopte aujourd’hui tous les critères d’une publication « statistique ».
Nous voici maintenant « au présent » avec le récit d’une expérimentation menée en 2024 par le service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire. De plus en plus d’agriculteurs s’équipent de « logiciels de gestion parcellaire » pour piloter leur exploitation et simplifier leurs démarches administratives, y consignant notamment les traitements phytosanitaires (pesticides) appliqués sur leurs cultures. Afin de moderniser la collecte de ces informations et réduire la charge d’interrogation statistique, le SSP a imaginé que les agriculteurs puissent transmettre directement les données issues de ces logiciels. C’est de cette idée qu’est né le projet « Prophyl ». Pauline Cazaban, François Chevalier et Vincent Marcus en racontent la genèse et les suites envisagées. La première étape a été la mise en place d’un cadre de dialogue et de coopération entre acteurs publics et privés. Il a fallu penser tous les aspects organisationnels, juridiques, informatiques, avec une attention particulière aux questions de confidentialité, puis mettre en place des actions de communication auprès des agriculteurs. Au total, des informations ont été recueillies sur près de 5 000 traitements phytosanitaires. Le projet Prophyl constitue un premier pas vers une collecte de données phytosanitaires plus moderne, sécurisée et simplifiée. Il préfigure l’enquête Phyto 2026, qui intégrera ce dispositif à grande échelle.
Dans l’article suivant, Pierre Lamarche et Pascal Rivière s’intéressent au temps de production des statistiques publiques, pour répondre notamment à ceux qui le trouveraient trop long. Ils proposent une grille qui permet d’analyser en parallèle les processus fondés sur des enquêtes (auprès de ménages ou d’entreprises), sur des sources administratives (par exemple les fichiers fiscaux) ou sur des sources privées (par exemple les données collectées par les enseignes de la grande distribution sur les achats des ménages). Tous ces processus peuvent se décomposer en trois phases : préparation, construction des données, traitement statistique et diffusion. Pour chaque phase, les auteurs analysent les facteurs principaux qui jouent sur le temps. C’est sur la dernière phase qu’il semble y avoir le plus de marge pour gagner du temps en automatisant. Mais même là, une intervention humaine est souvent nécessaire, celle du statisticien, pour vérifier par exemple la cohérence interne ou externe des données, comprendre l’origine des éventuelles incohérences, décider des traitements correctifs à appliquer. À travers l’identification des facteurs influents, les auteurs mettent en avant où peuvent se faire d’éventuels « compromis » pour gagner du temps, quand cet enjeu est crucial, ce qui implique alors de réduire l’ambition sur d’autres aspects.
Pour clôturer ce numéro, Pierrette Briant et Élodie Kranklader nous expliquent le principe et les enjeux des « démarches qualité » menées par l’Insee pour sécuriser et optimiser la production de statistiques publiques. Par exemple, le processus d’élaboration de l’indice des prix à la consommation a fait l’objet d’une telle démarche. S’inscrivant dans les standards internationaux, au premier rang desquels le code de bonnes pratiques de la statistique européenne, l’approche est celle des petits pas, de l’amélioration continue. Une première démarche permet ainsi de cerner des axes d’amélioration et de décider d’actions ciblées à mettre en œuvre, une démarche ultérieure (une « revue ») permet de faire le point et de définir d’éventuelles nouvelles actions, etc. La démarche, en elle-même, se déroule en trois temps : description globale du processus, analyse des risques à surveiller, plan d’actions à mettre en œuvre. Elle est pilotée par des agents de l’unité Qualité de l’Insee, appelés « experts qualité ». La démarche est néanmoins collective, menée en interaction étroite avec les équipes en charge des processus. C’est d’ailleurs la force de ces démarches : les experts qualité aident les équipes à échanger sur le fonctionnement de leur processus et les difficultés de chacun pour établir ensemble un plan d’actions consensuel.
Bonne lecture !
Paru le :15/12/2025
