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Insee Analyses · Mai 2023 · n° 84
Insee AnalysesLa transmission directe des coûts des intrants importés et de l’énergie aux prix de production : un impact très variable d’une entreprise à l’autre

Raphaël Lafrogne-Joussier (Insee et CREST - École polytechnique), Julien Martin (Université du Québec à Montréal et CEPR) et Isabelle Méjean (Sciences-Po et CEPR)

La flambée des prix de l’énergie et des importations pèse sur les coûts de production des entreprises qui les répercutent sur leurs prix de vente et alimente l’inflation. Dans l’industrie manufacturière, sur la période allant de début 2021 à mi-2022, une hausse du prix des intrants importés (hors produits énergétiques) renchérissant les coûts de production de 10 % conduit par effet de transmission directe à une hausse du prix de vente de 5 % en moyenne. Une hausse du prix de l'énergie est complètement répercutée sur le prix de vente. Entre le premier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, cette seule transmission directe rend compte d’une hausse de l’indice des prix de production de près de 14 points et de près de 10 points respectivement pour la chimie et la métallurgie, qui sont des secteurs particulièrement touchés. Cette contribution est limitée à un peu plus de 2 points pour la moitié des entreprises les moins affectées mais dépasse 20 points pour les 1 % les plus touchées.

Les prix de production ont fortement augmenté à partir de début 2021

Après plusieurs décennies d’une inflation stable et modérée, l’Europe connaît à nouveau une inflation élevée, caractérisée notamment par une hausse marquée du prix des biens. Les prix de production des biens manufacturés hors produits du raffinage ont augmenté de 17 % en France en un an et demi entre le premier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, soit une augmentation équivalente à celle des 16 années précédentes, entre janvier 2005 et décembre 2020.

La hausse récente des prix à la production est souvent expliquée par la concomitance d’une forte demande de biens à la suite de la pandémie et d’une hausse du coût des intrants, en particulier des prix de l’énergie et des prix des biens importés. De fait, en France, entre le premier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, les prix des biens intermédiaires importés ont augmenté de 32 %, ceux des trois principales sources d’énergie pour les entreprises – électricité, gaz et produits pétroliers – de 15 %, 110 % et 148 % respectivement (figure 1). Ces deux facteurs ont joué un grand rôle dans l’augmentation des prix de production des biens manufacturés en France.

Figure 1 - Évolutions des prix de production des biens manufacturés, de l’énergie et des importations de biens intermédiaires

base 100 en janvier 2018
Figure 1 - Évolutions des prix de production des biens manufacturés, de l’énergie et des importations de biens intermédiaires (base 100 en janvier 2018) - Lecture : en septembre 2021, l’indice des prix de production était 10,0 % au-dessus de son niveau de janvier 2018.
Date Indice de prix de production Importations de biens intermédiaires Électricité Gaz Produits pétroliers
2018 janv. 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
fév. 100,0 100,0 98,7 99,0 94,3
mars 100,2 100,2 96,1 97,9 95,8
avril 99,4 100,6 97,9 102,5 104,4
mai 100,1 101,0 105,9 105,8 113,7
juin 100,1 101,7 109,1 107,2 112,4
juil. 100,7 101,6 108,1 106,9 113,3
août 101,1 101,7 107,7 104,0 114,8
sept. 101,6 101,8 108,4 111,2 117,6
oct. 101,9 102,3 110,1 105,5 122,4
nov. 102,4 102,3 112,8 107,9 107,9
déc. 101,4 101,5 108,8 105,6 93,8
2019 janv. 101,7 101,2 106,9 103,2 94,1
fév. 102,2 101,6 110,6 101,7 102,3
mars 102,1 101,9 110,3 103,1 106,0
avril 101,2 102,1 111,3 102,4 112,3
mai 100,7 102,0 111,1 94,9 112,8
juin 100,1 101,8 115,5 96,9 101,5
juil. 100,5 101,4 115,6 96,1 105,3
août 100,6 101,3 116,2 96,1 99,9
sept. 100,7 101,4 116,9 92,3 104,5
oct. 100,5 101,2 120,0 91,6 101,6
nov. 101,9 100,7 125,3 94,8 101,2
déc. 102,0 100,4 122,4 93,2 103,2
2020 janv. 101,8 100,2 121,5 91,8 101,6
fév. 101,1 100,5 118,8 85,5 92,5
mars 99,5 99,6 113,9 81,1 61,5
avril 96,8 98,7 116,1 83,1 40,3
mai 96,8 97,9 117,6 82,2 48,6
juin 97,5 97,9 119,6 82,6 60,9
juil. 97,9 97,8 117,6 81,1 66,9
août 98,0 97,6 117,8 80,3 65,2
sept. 98,3 97,7 118,5 82,5 60,6
oct. 98,3 97,8 120,8 82,2 61,0
nov. 99,9 98,4 123,6 85,3 63,1
déc. 101,1 98,9 125,4 88,4 71,4
2021 janv. 102,2 100,9 125,2 90,1 78,9
fév. 103,2 102,8 124,9 89,0 86,9
mars 104,2 104,7 121,0 90,0 92,1
avril 103,4 106,9 122,7 88,6 91,5
mai 103,8 109,2 123,2 90,9 94,7
juin 105,2 111,2 123,3 93,8 101,7
juil. 106,9 113,4 123,4 101,7 106,6
août 108,1 114,8 121,0 106,1 107,2
sept. 110,0 115,5 121,5 109,9 111,4
oct. 113,3 117,2 124,2 129,0 127,2
nov. 117,7 119,0 128,3 145,8 125,5
déc. 119,6 120,4 139,0 153,2 118,4
2022 janv. 125,5 124,1 146,0 177,7 135,8
fév. 126,5 126,0 146,5 174,1 150,5
mars 132,4 130,5 158,4 169,9 194,0
avril 132,4 135,4 151,6 203,8 192,1
mai 132,0 136,8 141,8 184,9 210,4
juin 133,8 135,3 132,1 176,4 236,5
  • Note : indices de prix de l’électricité et du gaz vendus aux entreprises consommatrices finales. Le prix de l’électricité est désaisonnalisé.
  • Lecture : en septembre 2021, l’indice des prix de production était 10,0 % au-dessus de son niveau de janvier 2018.
  • Champ : France. Séries 010534442, 010535822, 010534769, 010534775, 010536078.
  • Source : Insee, Indices de prix à l’importation et à la production.

Figure 1 - Évolutions des prix de production des biens manufacturés, de l’énergie et des importations de biens intermédiaires

  • Note : indices de prix de l’électricité et du gaz vendus aux entreprises consommatrices finales. Le prix de l’électricité est désaisonnalisé.
  • Lecture : en septembre 2021, l’indice des prix de production était 10,0 % au-dessus de son niveau de janvier 2018.
  • Champ : France. Séries 010534442, 010535822, 010534769, 010534775, 010536078.
  • Source : Insee, Indices de prix à l’importation et à la production.

Derrière cette inflation récente, des ajustements plus fréquents et de plus grande ampleur

La hausse des prix à la production des biens manufacturés depuis janvier 2021 provient d’ajustements de prix à la fois plus fréquents et de plus grande ampleur. Avant 2021, les prix connaissent une revue à la hausse en moyenne tous les trois mois. Depuis, la fréquence s’est accélérée. La part des produits dont le prix augmente passe ainsi en moyenne de 28 % par mois entre janvier 2018 et décembre 2020 à 39 % entre janvier 2021 et juin 2022 (figure 2).

Figure 2 - Fréquence et ampleur des ajustements des prix à la hausse

en %
Figure 2 - Fréquence et ampleur des ajustements des prix à la hausse (en %) - Lecture : en juin 2022, le prix a augmenté pour 40,6 % des produits enquêtés, de 1,71 % en moyenne. L’indice de prix de production a augmenté de 1,32 %.
Date Part des changements de prix positifs Taille des changements de prix positifs Variation mensuelle de l’indice de prix de production
2018 fév. 26,5 0,64 0,07
mars 29,2 0,77 0,16
avril 29,9 0,73 0,10
mai 28,2 0,72 0,21
juin 26,5 0,58 -0,09
juil. 28,4 0,71 0,10
août 28,8 0,69 0,13
sept. 26,7 0,73 0,00
oct. 30,1 0,76 0,02
nov. 27,6 0,63 0,08
déc. 26,8 0,73 -0,02
2019 janv. 37,1 1,07 0,01
fév. 28,0 0,66 0,02
mars 26,8 0,72 0,10
avril 26,2 0,75 -0,01
mai 26,8 0,61 0,08
juin 27,5 0,65 0,00
juil. 26,6 0,70 -0,08
août 27,6 0,65 0,04
sept. 26,9 0,76 -0,07
oct. 26,6 0,75 0,02
nov. 26,6 0,71 0,03
déc. 25,5 0,68 0,15
2020 janv. 32,5 1,00 -0,16
fév. 28,4 0,69 0,01
mars 29,1 0,75 -0,10
avril 31,0 0,85 -0,15
mai 24,8 0,74 -0,28
juin 25,0 0,69 0,10
juil. 24,2 0,78 0,01
août 26,0 0,60 -0,05
sept. 29,0 0,74 0,02
oct. 30,1 0,82 0,21
nov. 25,8 0,60 0,06
déc. 30,6 0,83 0,31
2021 janv. 36,1 1,01 0,11
fév. 31,1 0,94 0,48
mars 34,9 1,08 0,57
avril 37,0 1,36 0,76
mai 34,1 1,05 0,66
juin 34,4 1,14 0,49
juil. 42,3 1,46 0,96
août 32,4 0,96 0,45
sept. 35,8 1,19 0,56
oct. 39,8 1,43 1,01
nov. 35,9 1,25 0,93
déc. 35,3 1,11 0,44
2022 janv. 53,9 3,03 2,47
fév. 42,0 1,50 1,15
mars 43,3 1,89 2,06
avril 49,6 2,70 2,88
mai 43,8 1,97 1,58
juin 40,6 1,71 1,32
  • Lecture : en juin 2022, le prix a augmenté pour 40,6 % des produits enquêtés, de 1,71 % en moyenne. L’indice de prix de production a augmenté de 1,32 %.
  • Champ : produits de l’enquête Opise dans l’industrie, hormis les catégories suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, produits énergétiques, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets.
  • Source : Insee, enquête Opise, calculs des auteurs.

Figure 2 - Fréquence et ampleur des ajustements des prix à la hausse

  • Lecture : en juin 2022, le prix a augmenté pour 40,6 % des produits enquêtés, de 1,71 % en moyenne. L’indice de prix de production a augmenté de 1,32 %.
  • Champ : produits de l’enquête Opise dans l’industrie, hormis les catégories suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, produits énergétiques, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets.
  • Source : Insee, enquête Opise, calculs des auteurs.

Plus une entreprise est exposée au renchérissement de ses coûts variables de production (ses salaires et ses consommations intermédiaires), plus la probabilité qu’elle augmente ses prix de vente augmente. Une hausse de 10 % des coûts un mois donné due à la hausse des prix des intrants importés (hors énergie) augmente la probabilité d’augmenter ses prix de vente ce mois-là de 16 points de pourcentage, tandis qu’une hausse de 10 % due au renchérissement de l’énergie augmente la fréquence d’ajustement de 18 points (méthodes). Autrement dit, une hausse des coûts de 10 % réduit de 60 % à 70 % la durée entre deux changements de prix à la hausse. Ainsi, dans une période de forte augmentation des coûts, les entreprises reconsidèrent leurs prix plus fréquemment, ce qui explique en partie pourquoi la fréquence d’ajustement des prix à la hausse a augmenté entre 2021 et 2022.

De plus, quand les coûts de production augmentent fortement, non seulement les prix de vente sont plus souvent modifiés, et plus souvent à la hausse, mais l’ampleur moyenne des hausses de prix augmente aussi. Celle-ci passe de 0,7 % de mars 2018 à décembre 2020 à 1,5 % entre janvier 2021 et juin 2022, soit un doublement.

Sur la période étudiée, une transmission aux prix de vente de la moitié des hausses de coûts importés hors énergie mais une répercussion complète, voire un peu au-delà, des hausses des coûts de l’énergie

En moyenne, quand une entreprise modifie ses prix de vente, elle répercute 30 % des changements de coûts provenant d’intrants importés qui ont eu lieu depuis la dernière modification de prix (figure 3, méthodes). Toutefois, les prix de vente sont ajustés différemment selon que les coûts évoluent à la hausse ou à la baisse. Lorsque les coûts des intrants importés augmentent, les entreprises répercutent près de la moitié de la hausse sur le prix de leurs produits. En revanche, sur la période étudiée, les entreprises n’ajustent pas les prix de vente à la baisse lorsque le prix des intrants importés diminue. La période est caractérisée par une tendance à la hausse des coûts, et des hausses fortes plus fréquentes que des baisses fortes, ce qui peut expliquer une transmission plus grande des hausses que des baisses.

Figure 3 - Taux de transmission au prix de vente des variations du coût de production liées aux coûts importés et aux prix de l’énergie

en %
Figure 3 - Taux de transmission au prix de vente des variations du coût de production liées aux coûts importés et aux prix de l’énergie (en %) - Lecture : si les évolutions du prix de l'énergie augmentent les coûts de production de 1 %, le prix de vente augmente de 1,07 %, avec un intervalle de confiance à 95 % entre 0,79 % et 1,36 %.
Intrants importés Énergie
Taux de transmission Borne inférieure Borne supérieure Taux de transmission Borne inférieure Borne supérieure
Transmission moyenne des variations de coûts 0,30 0,17 0,44 1,07 0,79 1,36
Transmission des hausses de coûts 0,47 0,26 0,68 1,27 0,93 1,61
Transmission des baisses de coûts 0,06 -0,08 0,20 0,58 0,14 1,02
  • Note : intervalles de confiance à 95 %.
  • Lecture : si les évolutions du prix de l'énergie augmentent les coûts de production de 1 %, le prix de vente augmente de 1,07 %, avec un intervalle de confiance à 95 % entre 0,79 % et 1,36 %.
  • Champ : entreprises de l’enquête Opise entre 2018 et 2022, enquêtées sur leurs prix de ventes domestiques, et sur leurs prix d’importations ou présentes dans l’EACEI. Hors produits des catégories suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, produits énergétiques, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets.
  • Source : Insee, enquête Opise, EACEI, Indices de prix à l’importation et à la production, calculs des auteurs.

Figure 3 - Taux de transmission au prix de vente des variations du coût de production liées aux coûts importés et aux prix de l’énergie

  • Note : intervalles de confiance à 95 %.
  • Lecture : si les évolutions du prix de l'énergie augmentent les coûts de production de 1 %, le prix de vente augmente de 1,07 %, avec un intervalle de confiance à 95 % entre 0,79 % et 1,36 %.
  • Champ : entreprises de l’enquête Opise entre 2018 et 2022, enquêtées sur leurs prix de ventes domestiques, et sur leurs prix d’importations ou présentes dans l’EACEI. Hors produits des catégories suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, produits énergétiques, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets.
  • Source : Insee, enquête Opise, EACEI, Indices de prix à l’importation et à la production, calculs des auteurs.

Les marges absorberaient à court terme jusqu’à 50 % de la hausse du coût marginal due à une montée des coûts importés. Une telle absorption des hausses de coûts de production via les marges de l’entreprise peut s’expliquer par un arbitrage entre préservation des marges et compétitivité : la structure des intrants importés est en effet très différente d’une entreprise à l’autre, y compris au sein d’une même branche. Confrontées à une hausse des coûts de production, les entreprises les plus affectées peuvent choisir de réduire leurs marges plutôt que de perdre en compétitivité face à des concurrents moins touchés. Une autre possibilité est que des phénomènes de lissage temporel interviennent lorsque les hausses de coûts sont perçues comme pouvant comporter une composante temporaire, ou en présence de stocks.

Par ailleurs, les prix s’ajustent plus fortement lorsque la hausse des coûts concerne les prix de l’énergie. Les évolutions des prix de l’énergie affectent en effet toutes les entreprises, même si l’exposition des entreprises à ces fluctuations est, elle, hétérogène. Le taux de transmission des coûts de l’énergie est intégrale mais, là aussi, elle est asymétrique. Sur la période de 2018 à mi-2022, les entreprises répercutent seulement 58 % des baisses. Elles répercutent en revanche complètement, voire un peu au-delà (127 %), des hausses de coûts énergétiques (il n’est cependant pas possible d’exclure statistiquement que la transmission soit limitée à 100 %). Une hausse des coûts de l’énergie suivie d’une baisse de même ampleur ne ramènerait donc pas les prix de vente à leur niveau initial.

Une transmission supérieure à 100 % des hausses des coûts de l’énergie peut traduire un phénomène d’anticipation : si les hausses de coûts sont perçues comme pouvant s’intensifier dans les mois à venir, les entreprises peuvent choisir d’en répercuter une partie en avance. Une autre possibilité est que ce taux de transmission reflète non seulement l’augmentation des coûts de l’énergie directement payés, mais aussi la hausse des coûts des autres intrants de production induite par l’augmentation des prix de l’énergie.

Une exposition aux prix de l’énergie et aux coûts importés hors énergie très variable entre entreprises

Les augmentations de prix de production sont très variables d’une entreprise à l’autre du fait de la forte hétérogénéité des expositions à ces deux types de choc. Par exemple, pour les 5 % d’entreprises dont la production est la plus intensive en énergie, celle-ci représente plus de 10 % des coûts tandis que pour les 5 % les moins intensives, la dépendance énergétique est trente fois moindre (0,3 % en moyenne). En outre, le mix énergétique varie fortement selon les entreprises, ce qui affecte leur exposition aux variations de prix des différentes sources d’énergie, électricité, gaz ou pétrole. Ces disparités sont encore plus marquées dans l’utilisation d’intrants importés. En effet, certaines entreprises n’en utilisent pas directement, alors qu’ils représentent plus de 62 % des coûts pour les entreprises les plus exposées. De plus, chaque entreprise utilise des intrants différents achetés auprès de fournisseurs variés. L’exposition aux chocs de prix des intrants importés est par conséquent très variable.

Ainsi entre le premier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, pour le centième des entreprises les plus affectées, les variations cumulées de prix de l’énergie et des intrants importés augmentent en moyenne les prix de vente de plus de 21 points de pourcentage. En revanche, pour la moitié des entreprises les moins touchées, cette hausse des prix de vente est de moins de 2,2 points.

En moyenne, entre le premier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, les taux de transmission estimés permettent de rendre compte de 3,5 points de pourcentage d’augmentation de l’indice de prix de production au sein des industries manufacturières, hors industries de l’énergie. Ce chiffre ne reflète cependant que la transmission directe des hausses aux prix de vente et ne peut donc être assimilé à l’effet total des hausses de coût considérées. En effet, d’une part, les entreprises peuvent continuer de répercuter ces hausses lors des changements de prix de vente ultérieurs. D’autre part, cette modélisation n’inclut que l’impact des variations de coûts sur les prix de production des entreprises directement exposées. Elle ne tient pas compte des effets de second tour transitant par la répercussion le long de la chaîne de valeur ainsi que par les coûts salariaux [Bourgeois et Lafrogne-Joussier, 2022]. Toutefois, la modélisation rend compte de la forte hétérogénéité d’exposition des industries au renchérissement des coûts.

Une forte disparité d’exposition entre branches d’activité, mais aussi au sein des branches

Dans la majorité des secteurs, la hausse des prix induite par l’évolution des prix des intrants importés hors énergie est inférieure à 1 point de pourcentage. Certaines industries sont cependant plus touchées que d’autres, car plus exposées à ces hausses. Le textile et les produits chimiques, dont les coûts de production sont composés en moyenne respectivement à 56 % et à 50 % d’intrants importés, sont plus touchés : la hausse des prix d’intrants importés hors énergie conduit à une augmentation des prix de vente respectivement de 3,0 points et 8,2 points (figure 4a). L’industrie métallurgique et l’industrie du papier, également assez fortement exposées en moyenne aux intrants importés (à hauteur respectivement de 38 % et de 41 % de leurs coûts de production), connaissent aussi de fortes hausses induites des prix de vente, de respectivement +6,2 et de +2,8 points.

Comme pour les intrants importés, le renchérissement de l’énergie n’a qu’un impact modéré, inférieur à 1 point de pourcentage, dans la majorité des secteurs dont la consommation énergétique est faible, comme les industries du cuir ou de l’habillement (figure 4b). Certaines industries, les industries du papier (hausse de 2,5 points), de la métallurgie (+3,3 points), des produits minéraux (+5,4 points) et des produits chimiques (+5,7 points), ont néanmoins connu une hausse des prix plus marquée en réponse à la hausse des coûts de l’énergie. L’impact un peu plus fort sur ces industries s’explique par leur exposition plus grande que la moyenne aux variations des prix de l’énergie : par exemple, dans l’industrie chimique, l’énergie représente 5 % des coûts variables de production. De plus, les entreprises sont très diversement exposées au sein d’une même industrie : la dispersion des hausses de prix de vente est en effet plus élevée au sein d’une industrie qu’entre industries.

Figure 4a - Évolutions des prix de production induites par les changements de coûts importés, par industrie

en points de pourcentage
Figure 4a - Évolutions des prix de production induites par les changements de coûts importés, par industrie (en points de pourcentage) - Lecture : l’évolution des coûts importés pour l’industrie métallurgique a augmenté les prix de production de l’industrie métallurgique de 6,2 points de pourcentage. Pour les 10 % des entreprises les moins touchées de ce secteur, cette augmentation est inférieure à 0,95 point. Pour les 10 % les plus touchées, cette augmentation est supérieure à 13,1 points.
Produits Hausse induite par le prix des intrants importés
Premier décile Moyenne sectorielle Dernier décile
Chimie 1,00 8,20 15,00
Métallurgie 0,95 6,20 13,00
Textiles 0,42 3,00 5,00
Papier, carton 0,61 2,80 7,80
Produits métalliques 0,31 2,10 4,50
Bois 0,32 1,80 4,90
Meubles 0,70 1,80 2,70
Alimentation 0,09 1,50 6,10
Plastique, caoutchouc 0,27 1,30 2,80
Minéraux 0,13 1,10 3,90
Équipements électriques 0,17 0,88 2,30
Cuir 0,53 0,79 2,40
Autres 0,02 0,75 1,60
Machines et équipements 0,10 0,70 1,50
Boissons 0,05 0,62 1,70
Automobile 0,08 0,50 1,20
Habillement 0,08 0,46 0,86
Matériels de transport 0,02 0,32 0,99
Informatique, électronique 0,05 0,27 0,60
Pharmaceutique 0,07 0,11 0,17
  • Note : la moyenne est pondérée par le poids des entreprises dans l’indice de prix de production. Elle représente l’augmentation moyenne du prix de vente des entreprises dans l’industrie concernée.
  • Lecture : l’évolution des coûts importés pour l’industrie métallurgique a augmenté les prix de production de l’industrie métallurgique de 6,2 points de pourcentage. Pour les 10 % des entreprises les moins touchées de ce secteur, cette augmentation est inférieure à 0,95 point. Pour les 10 % les plus touchées, cette augmentation est supérieure à 13,1 points.
  • Champ : entreprises de l’enquête Opise entre 2018 et 2022, enquêtées sur leurs prix de ventes domestiques, et sur leurs prix de d’importations ou présentes dans l’EACEI. Hors produits des catégories suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, produits énergétiques, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets.
  • Source : Insee, enquête Opise, EACEI, Indices de prix à l’importation et à la production, calculs des auteurs.

Figure 4a - Évolutions des prix de production induites par les changements de coûts importés, par industrie

  • Note : la moyenne est pondérée par le poids des entreprises dans l’indice de prix de production. Elle représente l’augmentation moyenne du prix de vente des entreprises dans l’industrie concernée.
  • Lecture : l’évolution des coûts importés pour l’industrie métallurgique a augmenté les prix de production de l’industrie métallurgique de 6,2 points de pourcentage. Pour les 10 % des entreprises les moins touchées de ce secteur, cette augmentation est inférieure à 0,95 point. Pour les 10 % les plus touchées, cette augmentation est supérieure à 13,1 points.
  • Champ : entreprises de l’enquête Opise entre 2018 et 2022, enquêtées sur leurs prix de ventes domestiques, et sur leurs prix de d’importations ou présentes dans l’EACEI. Hors produits des catégories suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, produits énergétiques, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets.
  • Source : Insee, enquête Opise, EACEI, Indices de prix à l’importation et à la production, calculs des auteurs.

Ainsi, malgré une hausse des prix de vente induite par le renchérissement des intrants importés restée limitée à 1,5 point de pourcentage en moyenne dans l’industrie alimentaire, pour un dixième des entreprises de cette industrie, cette hausse dépasse 6,1 points. Vu sous un autre angle, si certains secteurs d’activités apparaissent plus touchés, c’est en partie parce qu’une fraction d’entreprises y sont fortement exposées au renchérissement des coûts de production. Par exemple, les 10 % des entreprises les plus exposées de l’industrie chimique ou de la métallurgie augmentent leur prix de plus de 13 points, alors que les 10 % les plus exposées de l’industrie pharmaceutique ne génèrent une hausse que de 0,2 point. L’exposition aux coûts énergétiques est elle aussi hétérogène. Un dixième des entreprises dans l’industrie chimique connaissent des hausses de prix de vente de plus de 15 points, soit cinquante fois plus que les 10 % les moins touchées.

Publication rédigée par :Raphaël Lafrogne-Joussier (Insee et CREST - École polytechnique), Julien Martin (Université du Québec à Montréal et CEPR) et Isabelle Méjean (Sciences-Po et CEPR)
Publication rédigée par :Raphaël Lafrogne-Joussier (Insee et CREST - École polytechnique), Julien Martin (Université du Québec à Montréal et CEPR) et Isabelle Méjean (Sciences-Po et CEPR)

Sources

Les prix de production des biens manufacturés et les prix à l’importation proviennent de l’enquête Observation des prix de l'industrie et des services (Opise) de l’Insee. L’étude est réalisée sur les entreprises couvertes par l’enquête Opise, hormis celles des industries suivantes : industries extractives, tabac, cokéfaction-raffinage, production et commerce de gaz et d’électricité, eau et traitement des eaux usées et collecte des déchets. Les prix à l’importation excluent les prix de l’énergie. Les données comptables (coûts variables de production) des entreprises sont issues du dispositif d’élaboration des statistiques annuelles d’entreprises (Ésane) de l’Insee. Les données sur le montant des intrants importés par entreprise proviennent de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Les intrants importés achetés à un intermédiaire en France ne sont pas comptabilisés. Les données sur la consommation d’énergie (facture et consommation réelle par type d’énergie) sont issues de l’Enquête annuelle de consommation d’énergie dans l’industrie (EACEI) de l’Insee. Les indices de prix (production, énergie, et produits importés) sont des indices de prix à la production et à l’importation dans l’industrie, produits par l’Insee.

Méthodes

Le taux de transmission des coûts importés et de l’énergie est estimé à l’aide de la méthodologie standard décrite notamment dans l’article de Ouvrir dans un nouvel ongletBurstein, Gopinath (2014) : elle fournit l’évolution des prix à la production suite à un choc de coût de production, quand une entreprise modifie effectivement ses prix de vente. Si par exemple une entreprise change le prix de vente d’un produit en janvier 2022 et à nouveau en juillet 2022, la variation de prix de juillet 2022 est reliée à la variation cumulée du coût des intrants entre janvier et juillet 2022. Au niveau d’une entreprise, la hausse du coût de production provenant de l’énergie est calculée en multipliant le renchérissement de l’énergie par la part que représente l’énergie dans ses coûts de production variables (salaires et consommations intermédiaires), et, de manière analogue, pour les coûts importés. Le modèle prend aussi en compte le rôle des facteurs macroéconomiques suivants : la variation de la production totale de l’industrie (code NAF à 2 chiffres) et le changement de coût du travail. L’effet des chocs de coût des intrants importés et de l’énergie sur la probabilité d’ajuster le prix de vente est estimé à partir d’un modèle probit ordonné, à la manière de Ouvrir dans un nouvel ongletLoupias, Sevestre (2013).

La hausse des prix de production consécutive à l’évolution des prix de l’énergie et du coût des intrants importés entre le premier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022 est calculée en utilisant l’estimation des taux de transmission qui différencie les hausses et les baisses des coûts. Cette contribution est estimée en utilisant les variations cumulées sur la période du prix de l’énergie et des intrants importés.

Lafrogne-Joussier R., Martin J., Mejean I., “Cost pass-through and the rise of inflation”, Documents de travail n° 2023-13, Insee, Mai 2023.

Bourgeois A., Lafrogne-Joussier R.,  « La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le « bouclier tarifaire » », Insee Analyses n° 75, septembre 2022.

Burstein A., Gopinath, G., “Ouvrir dans un nouvel ongletInternational prices and exchange rates”, Handbook of international economics Vol. 4, Elsevier, 2014.

Loupias C., Sevestre P., “Ouvrir dans un nouvel ongletCosts, Demand, and Producer Price Changes”, The Review of Economics and Statistics, Vol 95 (n° 1), pp. 315-327, 2013

Publication rédigée par :Raphaël Lafrogne-Joussier (Insee et CREST - École polytechnique), Julien Martin (Université du Québec à Montréal et CEPR) et Isabelle Méjean (Sciences-Po et CEPR)