Insee
Insee Analyses Grand Est · Décembre 2021 · n° 139
Insee Analyses Grand EstLes territoires en déprise démographique du Grand Est ont perdu un cinquième de leurs emplois en un demi-siècle

Laura Horodenciuc, Vincent Monchâtre (Insee)

En 2017, l’emploi est plus concentré géographiquement qu’en 1968 et les navettes domicile-travail sont plus fréquentes et plus longues. Les territoires en déprise démographique du Grand Est ont perdu un emploi sur cinq et un habitant en emploi sur dix en près d’un demi-siècle. La baisse d’emploi a été particulièrement marquée dans les secteurs agricole et industriel. La désindustrialisation est plus importante dans ces territoires dont les spécificités, en matière d’emploi, sont de moins en moins fortes. Le chômage y est également plus élevé qu’ailleurs.

Insee Analyses Grand Est
No 139
Paru le :Paru le17/12/2021

Entre 1968 et 2017, l’emploi dans l’ensemble du Grand Est a augmenté de 11,7 %, soit 28 points de moins qu’en France de province (France métropolitaine hors Île-de-France). Cela représente environ 219 000 emplois supplémentaires. Malgré cette hausse globale, la majeure partie du territoire régional a cependant perdu des emplois, en particulier les territoires en déprise démographique (figure 1). Celui-ci est donc plus concentré qu’avant : les départements alsaciens regroupent ainsi 36 % des emplois de la région en 2017, contre 29 % en 1968.

Dans le même temps, les territoires en déprise démographique de la région ont perdu plus de 134 000 emplois, soit 21,4 % de ceux qu’ils avaient en 1968 (- 15,6 % parmi les territoires en déprise de France de province). Ces territoires regroupent 492 000 emplois, soit 23,5 % de ceux de la région. Depuis 1968, la population en emploi y a diminué de 9,5 %, une baisse moitié moins forte que l’emploi (- 11,4 % dans les territoires en déprise démographique de France de province).

Les évolutions d’emploi suivent souvent celles de la population

Les dynamiques démographique et économique vont de pair dans les marchés locaux du travail, soit comme cercle vertueux de croissance, ou cercle vicieux pour les territoires en déprise : les emplois attirent de la population qui, par son pouvoir d’achat, crée de la demande adressée aux entreprises de la zone où ils s’installent, d’où un effet bénéfique sur les environs. Le phénomène inverse peut se produire en cas de perte de population ou d’emploi. Le besoin en main-d’œuvre peut évoluer plus fortement que l’offre et affecter les territoires de manière hétérogène, notamment lors de chocs économiques de grande ampleur. Les marchés locaux tendent alors à s’équilibrer par le biais des mouvements migratoires résidentiels ou pendulaires : les navettes domicile-travail ont plus que triplé en 49 ans et les distances parcourues se sont accrues. Ce phénomène laisse apparaître des territoires où évolution de population et d’emploi sont déconnectées. Ils correspondent notamment aux espaces périurbains de certains pôles d’emploi (comme Chaumont, Verdun ou Bar-le-Duc) ou encore à certains territoires situés entre les grands espaces métropolitains (croissance d’emploi et de population) et l’écharpe de déprise (ensemble des territoires éloignés des grands espaces métropolitains de la région), comme à l’est de Nancy et Épinal ou à l’ouest de Troyes.

Évolutions d’emploi lissées entre 1968 et 2017

  • Note : Les données étant lissées, elles ne peuvent pas être diffusées.
  • Lecture : la quasi-totalité du territoire alsacien a gagné de l’emploi entre 1968 et 2017.
  • Source : Insee, Saphir (1968-2017).

À l’exception de la période 1968-1975, les trajectoires de l’emploi se rapprochent de celles de la population : en perdant près de la moitié de leurs emplois, les territoires en déprise régulière marquée présentent les plus fortes baisses de l’emploi sur 49 ans (figure 2). La baisse est moindre pour les territoires en déprise régulière modérée. L’emploi est quasiment stable pour les territoires en déprise en bosse, qui correspondent aux villes de taille intermédiaire localisées dans l’écharpe de déprise, y compris pendant les périodes où la population diminue. Les territoires ayant des profils en creux, qu’ils soient en déprise démographique ou non, ne retrouvent que peu d’emploi sur les périodes récentes alors même que leur population augmente. Les territoires en croissance en bosse ou en croissance régulière gagnent quant à eux plus d’un tiers d’emplois en 49 ans.

Les grands cycles économiques de ces 50 dernières années ont affecté tous les territoires du Grand Est, mais à des degrés variés. Ainsi, le ralentissement dû aux chocs pétroliers s’est traduit par une baisse de plus d’un tiers de l’emploi dans les territoires en déprise régulière (marquée et modérée) et en creux entre 1975 et 1990. Dans le même temps, la croissance de l’emploi ne s’est que légèrement infléchie dans les territoires en croissance régulière. Le constat est similaire suite à la crise de 2008-2009, avec des écarts moins marqués entre territoires en déprise et en croissance.

Figure 2Évolutions d’emploi entre 1968 et 2017 par type de territoire dans le Grand Est

(base 100 en 1968)
Évolutions d’emploi entre 1968 et 2017 par type de territoire dans le Grand Est ((base 100 en 1968)) - Lecture : les territoires en déprise régulière marquée de la région ont perdu près de 50 % de leur emploi en 49 ans.
1968 1975 1982 1990 1999 2007 2012 2017
Déprise Bosse 100 101,9 107,8 101,0 100,4 105,1 101,3 96,5
Creux 100 79,0 63,2 53,2 60,1 61,1 61,2 57,0
Régulière modérée 100 145,9 131,8 89,2 84,9 86,0 81,7 79,9
Régulière marquée 100 120,5 113,2 74,8 66,1 64,4 56,9 53,3
Discontinue 100 100,1 98,0 93,0 96,9 99,8 95,7 91,0
Croissance Bosse 100 115,7 122,7 124,3 128,9 136,6 132,9 128,9
Creux 100 86,8 88,7 79,5 83,8 87,0 87,6 88,8
Régulière 100 107,0 112,6 115,5 122,3 133,7 132,8 131,9
Discontinue 100 106,9 101,1 93,3 94,6 100,8 98,2 103,6
Grand Est 100 114,4 114,5 105,3 108,4 115,6 113,2 111,7
  • Lecture : les territoires en déprise régulière marquée de la région ont perdu près de 50 % de leur emploi en 49 ans.
  • Source : Insee, Saphir (1968-2017).

Figure 2Évolutions d’emploi entre 1968 et 2017 par type de territoire dans le Grand Est

  • Lecture : les territoires en déprise régulière marquée de la région ont perdu près de 50 % de leur emploi en 49 ans.
  • Source : Insee, Saphir (1968-2017).

Les territoires en déprise sont plus agricoles et industriels

En 49 ans, le tissu économique du Grand Est s’est profondément transformé, suivant les grandes évolutions nationales de tertiarisation de l’économie. En 1968, l’industrie et l’agriculture représentaient la moitié des emplois. Entre 1968 et 2017, la part de l’industrie dans l’emploi régional a baissé de plus de moitié, alors que celle de l’agriculture a été divisée par quatre (figure 3). Les territoires en déprise du Grand Est ont suivi ces grandes transformations : en 2017, l’emploi y est majoritairement tertiaire (69 %), mais nettement moins que l’ensemble de la région (75 %). En 1968, le Grand Est se caractérisait par une part plus importante du secteur industriel et une part plus faible de l’agriculture par rapport à la moyenne de France de province. Ces spécificités, sont très peu marquées en 2017. Pour les territoires en déprise, la part de l’emploi industriel était plus élevée de 10 points dans la région en 1968 ; l’écart n’est plus que de 2 points en 2017.

Figure 3Répartition de l’emploi en 1968 et 2017 selon le secteur d’activité

en %
Répartition de l’emploi en 1968 et 2017 selon le secteur d’activité (en %) - Lecture : en 2017, 75 % de l’emploi du Grand Est est dans le secteur tertiaire, 6 points de plus que dans les territoires en déprise de la région.
Année Agriculture Industrie Construction Tertiaire
Grand Est Ensemble 1968 12 37 10 41
2017 3 16 6 75
Déprise 1968 14 43 9 34
2017 6 19 6 69
France de province Ensemble 1968 20 28 11 41
2017 4 14 7 76
Déprise 1968 26 33 9 33
2017 7 17 7 69
  • Lecture : en 2017, 75 % de l’emploi du Grand Est est dans le secteur tertiaire, 6 points de plus que dans les territoires en déprise de la région.
  • Source : Insee, Saphir (1968-2017).

Figure 3Répartition de l’emploi en 1968 et 2017 selon le secteur d’activité

  • Lecture : en 2017, 75 % de l’emploi du Grand Est est dans le secteur tertiaire, 6 points de plus que dans les territoires en déprise de la région.
  • Source : Insee, Saphir (1968-2017).

Les territoires en déprise démographique de la région se caractérisent par une plus forte part des activités agricoles et de l’industrie, notamment l’agroalimentaire et la métallurgie. En 2017, ces trois secteurs y représentent 13,8 % de l’emploi, plus du double des territoires en croissance (6,6 %). Malgré cette forte spécialisation, les territoires en déprise ne comptent que 66 000 emplois dans ces secteurs (170 000 dans la région). L’emploi tertiaire y relève moins souvent du secteur marchand : celui-ci représente 49 % de l’emploi tertiaire, soit 5 points de moins que la moyenne régionale. Par exemple, les activités tertiaires les plus tournées vers les entreprises et les nouvelles technologies sont nettement moins présentes (10,4 % de l’emploi contre 16,2 % dans les territoires en croissance).

Les territoires en déprise régulière marquée, souvent localisées dans les espaces ruraux éloignés des centralités, présentent une part des activités agricoles beaucoup plus importante (14,8 % de leur emploi), mais également des activités industrielles très présentes contrairement au tertiaire. Cette spécialisation est moins forte pour les territoires en déprise régulière modérée et discontinue, avec une moindre présence de l’agriculture et l’est encore moins pour les territoires en déprise en creux et en bosse. Là, l’économie est plus qu’ailleurs tournée vers des activités présentielles, en particulier l’emploi public (36,8 % et 39,9 % contre 34,0 % en moyenne dans la région).

La désindustrialisation continue de peser sur le dynamisme économique des territoires en déprise

La baisse de l’emploi dans l’industrie se poursuit, sous l’effet de l’externalisation de certaines activités, auparavant réalisées en interne, des entreprises industrielles vers les services, mais aussi des gains de productivité et de l’impact de la concurrence étrangère. Entre 2007 et 2017, l’emploi industriel dans le Grand Est diminue de 87 000 emplois, soit plus de 85 % de la baisse d’emploi dans la région sur la période. Si la crise économique de 2008-2009 a accentué les pertes d’emplois industriels (- 2,7 % par an entre 2007 et 2012), la baisse demeure conséquente sur la période 2012-2017 (- 2,0 % par an).

Au sein de la région, les territoires en déprise démographique connaissent des pertes d’emplois de 1,0 % par an en moyenne entre 2007 et 2017. C’est deux fois plus qu’en moyenne régionale et trois fois plus que pour les territoires en croissance (respectivement - 0,5 % et - 0,3 %). La désindustrialisation continue de peser sur le dynamisme économique des territoires en déprise démographique par rapport à ceux en croissance : l’industrie y est plus présente et la perte d’emploi dans le secteur y est plus marquée (- 2,7 % par an sur 2007-2017 contre - 2,2 %). La spécialisation dans des activités exposées à la concurrence étrangère comme la métallurgie y constitue un facteur aggravant.

Cependant, les activités industrielles à elles seules expliquent moins de la moitié de l’écart d’évolution d’emploi entre les territoires en déprise et en croissance. L’autre moitié est due aux activités tertiaires marchandes : ces activités, dont la dynamique est plus favorable, sont nettement moins présentes dans les territoires en déprise (34,3 %, 8,6 points de moins). De plus, l’emploi dans ce secteur diminue de 0,7 % par an dans les territoires en déprise démographique, alors qu’il est stable dans les territoires en croissance.

Les territoires en déprise régulière marquée se distinguent par une désindustrialisation plus intense : - 3,5 % d’emploi industriel par an entre 2007 et 2017 (- 2,7 % en moyenne sur l’ensemble des territoires en déprise démographique). Les territoires de déprise en bosse et en creux affichent une croissance de l’emploi tertiaire non marchand (respectivement + 0,2 % et + 0,5 %), qui contribue à la situation économique moins défavorable dans ces territoires.

Encadré - L’évolution des moyens de production dans l’agriculture et l’industrie a accru le chômage dans les territoires en déprise

L’emploi agricole et industriel a changé depuis 1968 : on peut produire autant, voire plus, avec moins de personnel. En effet, en France, la productivité apparente du travail a plus que triplé dans le secteur agricole et presque doublé dans le secteur industriel entre 1980 et 2000. En conséquence, le chômage est plus fort dans les zones où ces secteurs étaient très présents. Le Grand Est compte plus de chômeurs (au sens du recensement) : 13,7 % de la population en âge de travailler n’a pas d’emploi, 0,8 point de plus qu’en France de province (figure encadré).

Les territoires en déprise sont davantage touchés par le chômage que la moyenne de la région : près de 15 % de la population en âge de travailler n’a pas d’emploi, proportion similaire à celle des territoires en déprise démographique de France de province.

Les territoires les plus touchés par le chômage sont ceux présentant des évolutions en bosse (croissance ou déprise), en lien avec leur statut de pôle.

Les territoires en déprise régulière marquée de la région ont un taux de chômage supérieur de près de 3 points à ceux de France de province. Les territoires en déprise régulière modérée du Grand Est sont moins touchés par le chômage que ceux de France de province.

Dans le Grand Est comme dans les autres régions, les territoires en déprise régulière modérée et ceux en déprise régulière marquée présentent des taux de chômage proches. Toutefois, le chômage est plus prononcé dans les Hauts-de-France, région qui regroupe une part importante des territoires en déprise régulière modérée. La déprise régulière marquée est quant à elle davantage présente en Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes, régions moins touchées par le chômage que la moyenne de France de province. De fait, à l’échelle de la France de province, le taux de chômage est plus important dans les territoires en déprise régulière modérée que dans ceux en déprise régulière marquée.

Figure encadréPart des actifs sans emploi selon le type de territoire en déprise

en %
Part des actifs sans emploi selon le type de territoire en déprise (en %) - Lecture : en 2017, dans les territoires en déprise du Grand Est, 14,9 % de la population active n’a pas d’emploi, 0,2 point de plus que dans ceux de France de province.
Grand Est France de province
Bosse 16,5 17,1
Creux 13,9 13,5
Régulière
modérée
14,7 15,7
Régulière
marquée
14,8 12,0
Discontinue 14,8 12,9
Déprise 14,9 14,7
Ensemble 13,7 12,9
  • Lecture : en 2017, dans les territoires en déprise du Grand Est, 14,9 % de la population active n’a pas d’emploi, 0,2 point de plus que dans ceux de France de province.
  • Source : Insee, recensement de la population 2017 (exploitation principale).

Figure encadréPart des actifs sans emploi selon le type de territoire en déprise

  • Lecture : en 2017, dans les territoires en déprise du Grand Est, 14,9 % de la population active n’a pas d’emploi, 0,2 point de plus que dans ceux de France de province.
  • Source : Insee, recensement de la population 2017 (exploitation principale).

Encadré partenariat

L’étude a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre la Direction régionale de l’Insee Grand Est et la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement du Grand Est. Cette étude fait suite aux travaux présentés dans l’Insee Analyse Grand Est n° 121 « La déprise démographique touche la moitié du territoire du Grand Est ».

Publication rédigée par :Laura Horodenciuc, Vincent Monchâtre (Insee)

Pour comprendre

Les territoires en déprise démographique sont les zones qui comptent moins de population en 2015 qu’en 1968. Ils sont divisés en 5 classes (les territoires en croissance sont également scindés en 4 classes) :

  • Évolutions en creux : le territoire a perdu de la population sur les périodes 1968-1975 et 1975-1982, puis en a regagné sur les périodes 1999-2010 et 2010-2015.
  • Évolutions en bosse : hausse de population sur les périodes 1968-1975 et 1975-1982, puis baisse sur les périodes 1999-2010 et 2010-2015.
  • Déprise régulière modérée : la population a diminué entre 1968 et 2015 avec des évolutions régulières. La baisse globale est inférieure à 20 %.
  • Déprise régulière marquée : la population a diminué entre 1968 et 2015 avec des évolutions régulières. La baisse globale est supérieure à 20 %.
  • Évolutions discontinues : le territoire a alterné des périodes de hausse et de baisse démographique.

Le taux de chômage au sens du recensement de la population est la proportion du nombre de chômeurs au sens du recensement dans la population active. Est chômeur toute personne qui s’est déclarée “chômeur” (indépendamment d’une éventuelle inscription à Pôle Emploi), sauf si elle a déclaré explicitement par ailleurs ne pas rechercher de travail. La définition du chômage au sens du recensement diffère de celles du Bureau international du travail (BIT) et de Pôle Emploi.

Profils d’évolution de la population

  • Note : Les données étant lissées, elles ne peuvent pas être diffusées.
  • Source : Insee, Saphir (1968-2017).

Pour en savoir plus

Batto V., Manné I., « Les migrations résidentielles renforcent la concentration d’actifs de même profil dans les territoires du Grand Est », Insee Analyses Grand Est n° 134, août 2021.

Isel F., Villaume S., « Le Grand Est, contrasté entre territoires très ruraux et urbains », Insee Analyses Grand Est n° 131, avril 2021.

Horodenciuc L., Monchâtre V. (Insee), Meyour P., Lu A.-V. (Dreal), « La déprise démographique touche la moitié du territoire du Grand Est », Insee Analyses Grand Est n° 121, octobre 2020.

Manné I., Vuillier-Devillers F., « Une orientation industrielle encore marquée dans les zones d’emploi du Grand Est », Insee Analyses Grand Est n° 120, septembre 2020.

Schreiber A., Vicard A., « La tertiarisation de l’économie française et le ralentissement de la productivité entre 1978 et 2008 », Document de travail n° G2011/10, juillet 2011.