La mortalité stagne à l’âge adulte pour les générations nées entre 1941 et 1955
Depuis la fin du XIXᵉ siècle, la mortalité a tendance à baisser de génération en génération, mais pour celles nées entre 1941 et 1955, elle stagne à l’âge adulte. Au début de leur vie adulte, cela s’explique principalement par une augmentation des accidents de la route, des suicides et, pour les personnes nées vers 1955, par l’apparition du sida. Tout au long de leur vie adulte, l’évolution de la mortalité est moins favorable que pour les générations précédentes ou suivantes, et ce, pour quasiment toutes les causes de décès. Selon les causes, la mortalité baisse moins pour les générations nées entre 1941 et 1955 que pour les générations précédentes et suivantes, ou bien elle augmente alors qu’elle diminue pour les autres générations. C’est le cas notamment pour les tumeurs, les maladies cardiovasculaires et les décès fortement liés à la consommation d’alcool ou de tabac. Les femmes de ces générations se sont mises massivement à fumer dans leur jeunesse, tandis que les hommes sont ceux qui ont le plus fumé au cours de leur vie. Ces générations pourraient aussi présenter une fragilité physique ou mentale plus importante. En mars et avril 2020, elles ont connu un excès de décès important, lié principalement à l’épidémie de Covid-19.
- À l’âge adulte, la mortalité de la génération née en 1955 est proche de celle de la génération née en 1941
- Enfants nés entre 1941 et 1955 : de la guerre aux progrès sanitaires
- Accidents de la route, suicides et sida : principales causes de la hausse de la mortalité des jeunes adultes des générations « palier »
- Une évolution de la mortalité moins favorable pour quasiment toutes les causes de décès
- Le tabac et l’alcool expliquent en partie la stagnation de la mortalité
- De mars à avril 2020, un excès de décès pour les générations nées entre 1941 et 1955 et les « précédentes »
À l’âge adulte, la mortalité de la génération née en 1955 est proche de celle de la génération née en 1941
L’espérance de vie a progressé continûment depuis la fin du XIXᵉ siècle, hormis pendant les deux guerres mondiales et lors d’événements particuliers (grippe espagnole de 1918, grippe de 1949, grippe de Hong-Kong de 1969, etc.). De 1900 à 1995, les femmes et les hommes ont ainsi gagné en moyenne quatre mois d’espérance de vie par an. De 1995 à 2019, la hausse se poursuit à un rythme un peu moins rapide (deux mois par an pour les femmes et trois mois pour les hommes). Les progrès d’espérance de vie reflètent la tendance à la baisse des quotients de mortalité par âge selon l’année de naissance. Par exemple, à 85 ans, la probabilité de mourir dans l’année était de 14 % pour les hommes nés en 1900, contre 7 % pour ceux nés en 1934.
Toutefois, ce schéma général a des exceptions. Ainsi, la mortalité ne baisse pas ou peu à la plupart des âges pour les générations nées de 1941 à 1955, appelées ici générations « palier ». Par exemple, à 50 ans, pour les hommes nés en 1941, la probabilité de mourir dans l’année était de 5,9 pour 1 000, quasiment comme pour ceux nés en 1955 (5,6 pour 1 000, soit – 4 %). Elle a en revanche nettement baissé pour les générations « précédentes » et les générations « suivantes » : – 29 % entre les générations 1931 et 1941, – 33 % entre les générations 1955 et 1965.
Cette évolution moins favorable de la mortalité pour les générations « palier » s’observe à quasiment tous les âges à partir de 15 ans. Chez les hommes, la probabilité de mourir entre 15 et 55 ans ne baisse quasiment pas pour ces générations nées de 1941 à 1955 (– 1 % en 14 ans), mais diminue rapidement pour les générations « précédentes » (– 23 % en 10 ans) et « suivantes » (– 24 % en 10 ans, figure 1). Cet effet de génération est un peu moins prononcé chez les femmes : entre 15 et 55 ans, la baisse de la mortalité des femmes des générations « palier » est un peu plus forte que celle des hommes (– 6 %) et celle des femmes des générations « suivantes » l’est un peu moins (– 17 %).
Le ralentissement de la baisse de la mortalité pour certaines générations n’est pas propre à la France [Blanpain, 2020]. Il s’observe dans de nombreux pays pour les mêmes générations « palier » (Belgique, Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suisse, États-Unis pour les hommes, etc.) ou pour des générations nées entre 1945 (ou 1950) et 1960 (Espagne, Portugal, Italie pour les hommes, Australie, Canada, États-Unis pour les femmes, etc.).
tableauFigure 1a - Probabilité de mourir entre 15 et 55 ans pour les femmes selon l'année de naissance
1930 | 6,84 |
---|---|
1931 | 6,59 |
1932 | 6,33 |
1933 | 6,11 |
1934 | 5,90 |
1935 | 5,72 |
1936 | 5,58 |
1937 | 5,40 |
1938 | 5,35 |
1939 | 5,27 |
1940 | 5,09 |
1941 | 4,99 |
1942 | 5,05 |
1943 | 5,03 |
1944 | 5,04 |
1945 | 4,99 |
1946 | 4,79 |
1947 | 4,69 |
1948 | 4,70 |
1949 | 4,68 |
1950 | 4,72 |
1951 | 4,70 |
1952 | 4,68 |
1953 | 4,64 |
1954 | 4,58 |
1955 | 4,68 |
1956 | 4,61 |
1957 | 4,56 |
1958 | 4,46 |
1959 | 4,39 |
1960 | 4,31 |
1961 | 4,22 |
1962 | 4,15 |
1963 | 4,05 |
1964 | 3,95 |
1965 | 3,86 |
- Lecture : parmi les femmes nées en 1965 en vie à 15 ans, la probabilité de mourir entre 15 et 55 ans est de 4 %.
- Champ : France métropolitaine pour les années d'observation jusqu’en 1993, France hors Mayotte de 1994 à 2013, puis France.
- Source : Insee, estimations de population, statistiques de l'état civil.
graphiqueFigure 1a - Probabilité de mourir entre 15 et 55 ans pour les femmes selon l'année de naissance
Enfants nés entre 1941 et 1955 : de la guerre aux progrès sanitaires
Le ralentissement de la baisse de la mortalité peut s’expliquer soit par des événements conjoncturels (comme une hausse des accidents de la route au moment où les générations « palier » atteignent un âge où ils sont fréquents), soit par des facteurs propres à ces générations (consommation d’alcool, de tabac, alimentation, fragilité tout au long de la vie en raison d’événements survenus dans l’enfance, etc.).
De 1941 à 1945, les générations nées au début du « palier » sont tout d’abord confrontées à une hausse de la mortalité durant leur petite enfance (figure 2). La Seconde Guerre mondiale et les conditions de vie difficiles durant cette période (rationnement alimentaire, hivers plus froids, etc.) entraînent une hausse des morts violentes et des décès à la suite d’une infection ou d’une malnutrition [Ouvrir dans un nouvel ongletMeslé, Vallin, 1988].
En revanche, de 1945 à 1960, toutes les générations « palier » bénéficient d’une forte baisse de la mortalité durant leur enfance. Cette période est marquée par la fin de la Seconde Guerre mondiale, la généralisation des antibiotiques qui fait reculer les décès consécutifs à une infection, et par la généralisation de l’accouchement hospitalier. Cette période est ainsi une exception à la tendance de stagnation de la mortalité pour ces générations « palier ».
tableauFigure 2 - Évolution annuelle des quotients de mortalité par âge de 1900 à 2019
Les données sont disponibles dans le fichier en téléchargement. |
graphiqueFigure 2 - Évolution annuelle des quotients de mortalité par âge de 1900 à 2019
Accidents de la route, suicides et sida : principales causes de la hausse de la mortalité des jeunes adultes des générations « palier »
De 1960 à 2019, l’évolution de la mortalité des générations nées de 1941 à 1955 est quasiment toujours moins favorable que celle des générations « précédentes » ou « suivantes ». De 1960 à 1972, les générations « palier » font face à une augmentation de la mortalité plus marquée chez les hommes, principalement en raison des accidents de transport. Cette évolution découle de l’usage croissant de la voiture, la part des ménages disposant d’un véhicule passant de 30 % en 1960 à 58 % en 1970.
De 1972 à 1979, les décès par accident de la route reculent nettement, grâce aux mesures de prévention (ceinture de sécurité, limitation de vitesse, etc.). En revanche, les suicides sont de plus en plus nombreux aussi bien pour les femmes que pour les hommes du « palier ». De 1979 à 1983, la hausse des suicides se poursuit et les décès par accident de la route repartent en légère hausse.
De 1983 à 1995, l’abaissement du taux délictuel d’alcoolémie au volant en début de période contribue au recul des décès par accident de la route. Cette période est surtout marquée par le sida, qui explique principalement la hausse de la mortalité des hommes nés à la fin du « palier » et des générations « suivantes ». Les femmes sont nettement moins touchées par cette épidémie.
Une évolution de la mortalité moins favorable pour quasiment toutes les causes de décès
De 1968 à 2019, l’évolution de la mortalité est moins favorable chez les générations « palier » que chez les générations « suivantes » ou « précédentes », pour quasiment toutes les causes de décès : tumeur, maladie cardiovasculaire, maladie de l’appareil respiratoire, mort violente, trouble mental et du comportement, maladie de l’appareil digestif, etc. (figure 3). Selon les causes de décès, la mortalité baisse moins pour les générations « palier » que pour les générations « précédentes » et « suivantes », ou bien elle augmente alors qu’elle diminue pour les autres générations. Cette évolution moins favorable s’observe même pour les suicides, où la hausse de la mortalité se poursuit pour les hommes [Blanpain, 2020]. Le suicide peut être la conséquence d’une santé physique ou mentale dégradée, notamment pour les personnes qui se savent en fin de vie. Or, puisque la mortalité des générations « palier » évolue moins favorablement, c’est vraisemblablement aussi le cas pour leur santé et donc pour leur probabilité de se suicider. Par ailleurs, les générations nées à la fin du « palier » ont commencé leur vie active à la fin des années 1970, au moment de la forte montée du chômage, ce qui a probablement eu un impact sur leur taux de suicide [Ouvrir dans un nouvel ongletBlakely et al., 2003].
tableauFigure 3a - Évolution de la probabilité de mourir entre 37 et 51 ans pour les femmes par cause de décès selon les générations
Femmes par générations | |||
---|---|---|---|
1931-1941 | 1941-1955 | 1955-1965 | |
Tumeur | –1,0 | –0,2 | –2,2 |
Maladie cardiovasculaire | –4,6 | –1,0 | –2,5 |
Maladie de l'appareil respiratoire | –5,4 | –0,4 | –3,8 |
Mort violente | 0,3 | –1,8 | –3,1 |
Maladie du système nerveux et des organes des sens | –1,7 | 1,2 | 0,5 |
Trouble mental et du comportement | –4,3 | 1,5 | –2,4 |
Maladie de l'appareil digestif | –6,5 | –3,8 | –5,7 |
Maladie endocrinienne, nutritionnelle et métabolique | –6,6 | 1,5 | –0,4 |
Maladie infectieuse et parasitaire | –9,2 | 5,0 | –2,4 |
Autres ou mal définies | –3,6 | 0,0 | 1,3 |
Ensemble | –2,4 | –0,7 | –2,4 |
- Lecture : parmi les femmes en vie à 37 ans, la probabilité de mourir d'une tumeur entre 37 et 51 ans a baissé en moyenne de 2 % par année de naissance entre la génération née en 1955 et celle née en 1965.
- Champ : France métropolitaine jusqu'en 1999, puis France hors Mayotte.
- Source : CepiDc, Causes médicales de décès de 1968 à 2015.
graphiqueFigure 3a - Évolution de la probabilité de mourir entre 37 et 51 ans pour les femmes par cause de décès selon les générations
Le tabac et l’alcool expliquent en partie la stagnation de la mortalité
La consommation de tabac et d’alcool explique en partie l’évolution moins favorable de la mortalité pour les générations « palier », pour chaque groupe de cause de décès. Ces deux produits sont en effet impliqués dans de multiples maladies ou traumatismes : tumeur, maladie cardiovasculaire, accident de la route, etc. Chez les femmes nées entre 1941 et 1955, qui se sont mises massivement à fumer dans leur jeunesse, les décès par cancer du poumon, du larynx ou des bronches sont en très nette augmentation par rapport aux générations « précédentes ». Chez les hommes, les générations « palier » sont celles qui ont le plus fumé au cours de leur vie, tandis que les « suivantes » ont fortement diminué leur consommation de tabac, réduisant les décès par cancer du poumon, du larynx ou des bronches. L’alcool joue aussi probablement un rôle important, en particulier pour les hommes. Les décès fortement liés à la consommation d’alcool augmentent pour les hommes nés entre 1941 et 1955 et baissent pour ceux des générations « suivantes » et « précédentes ».
L’obésité ou le surpoids ne semblent pas en revanche avoir joué de rôle. L’indice de masse corporelle a augmenté régulièrement pour les générations « palier », mais aussi pour les générations « précédentes » ou « suivantes ».
Les générations nées de 1941 à 1955 pourraient aussi présenter une fragilité physique ou mentale plus importante que les autres générations. Par rapport aux générations « précédentes », les personnes nées entre 1945 et 1955 ont davantage survécu aux problèmes liés à la naissance ou à la petite enfance (prématurité, maladie infectieuse, etc.). Ces « survivants », de plus en plus nombreux, pourraient être de santé plus fragile que ceux des générations « précédentes » et plus sensibles aux maladies à l’âge adulte. L’observation de l’effet de génération dans d’autres pays (Canada, Suisse, États-Unis, etc.) semble en revanche écarter l’hypothèse d’une fragilité acquise à la suite d’une naissance pendant la Seconde Guerre mondiale et du rationnement pour les générations du début du « palier ».
De mars à avril 2020, un excès de décès pour les générations nées entre 1941 et 1955 et les « précédentes »
En mars et en avril 2020, les générations « précédentes » et les générations « palier » ont connu un excès de décès toutes causes confondues important, en raison principalement de l’épidémie de Covid-19 qui a davantage touché les personnes âgées (figure 4).
En mars-avril 2020, toutes générations confondues, 130 000 décès sont survenus, soient 27 200 de plus qu’au cours de la même période en 2019 (+ 26 %). Si les conditions de mortalité par âge (méthode) avaient été les mêmes que celles de mars-avril 2019, il y aurait eu 105 100 décès en 2020. Par rapport à cette situation, qui permet de tenir compte du vieillissement et de l’augmentation de la population entre 2019 et 2020, le supplément de décès est un peu moindre, de 24 900 (soit + 24 %).
Pour les générations « palier » (âgées de 65 à 79 ans en 2020), il y aurait eu 24 900 décès si les conditions de mortalité par âge avaient été les mêmes que celles de mars-avril 2019. Or, 30 500 décès ont eu lieu, soit un excès de 22 %. De même, l’excès de décès observé par rapport aux décès attendus a été de 30 % pour les générations « précédentes », plus âgées (de 79 à 89 ans), contre 13 % pour les générations « suivantes », plus jeunes (de 55 à 65 ans).
Cet excès de décès durant la première vague de l’épidémie de Covid-19 des générations « palier » peut être dû soit à un effet de génération comme pour les autres causes de décès, soit à leur âge (de 65 à 79 ans).
tableauFigure 4 - Décès mensuels observés et attendus entre janvier 2016 et août 2020 selon les générations
Les données sont disponibles dans le fichier en téléchargement. |
graphiqueFigure 4 - Décès mensuels observés et attendus entre janvier 2016 et août 2020 selon les générations
Sources
Les populations sont comptabilisées par le recensement de la population jusqu’en 2017, puis par les estimations de population, qui actualisent la population du recensement de 2017 grâce à une estimation des naissances, des décès et du solde migratoire.
Le certificat de décès, rempli par un médecin, contient un volet administratif et un volet médical. L’Insee reçoit le volet administratif afin d’établir les statistiques d’état civil. Le CepiDc (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) reçoit le volet médical afin d’établir la base des causes médicales de décès. Cette étude retient la cause initiale, à l’origine du processus ayant provoqué le décès.
Méthode
Pour calculer l’évolution annuelle des quotients de mortalité par sexe et âge, les quotients de mortalité sont lissés par la méthode des splines. Cette méthode permet un lissage des quotients selon deux dimensions, ici l’âge et l’année d’observation. Puis, on calcule l’évolution annuelle des quotients de mortalité lissés par âge :
Pour calculer le nombre de décès attendus par mois une année donnée dans les conditions de mortalité de 2019, on applique les quotients de mortalité par âge et par mois observés en 2019 à la population par âge au 1ᵉʳ janvier de chaque année. 2019 a été retenue comme période de référence car la répartition des décès par mois cette année-là est proche de celle observée en moyenne de 2015 à 2019 et cette année permet de prendre en compte les progrès récents d’espérance de vie [Blanpain, 2020].
Définitions
Les générations nées de 1941 à 1955 sont appelées les générations « palier », celles nées de 1931 à 1941 les générations « précédentes » et celles nées de 1955 à 1965 les générations « suivantes ». Les années 1941 et 1955, où se situent les points de rupture d’évolution de la mortalité, sont communes à deux groupes de générations (« palier » et « précédentes », « palier » et « suivantes »).
Pour en savoir plus
Nombre de décès quotidiens : France, régions et départements, Insee.
Blanpain N., « La mortalité stagne à l’âge adulte pour les générations nées entre 1941 et 1955, Méthodes et Résultats », Documents de travail n°F2020-04, Insee, novembre 2020.
Ouvrir dans un nouvel ongletÉquipe de surveillance de la grippe, surveillance de la grippe en France, saison 2019-2020, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2019 (28), 552-563.
Blakely T.A., Collings S.C.D., Atkinson J., “Ouvrir dans un nouvel ongletUnemployment and suicide. Evidence for a causal association?”, Journal of Epidemiology & Community Health ; 57:594-600, août 2003.
Meslé F., Vallin J., « Ouvrir dans un nouvel ongletLes causes de décès en France de 1925 à 1978 », Ined travaux et documents, cahier n° 115, 1988.