Économie sociale et solidaire : un soutien à l’emploi dans les territoires ruraux fragiles

L’économie sociale et solidaire (ESS), reconnue comme un mode d’entreprendre innovant et durable, regroupe les entreprises cherchant à concilier solidarité, équilibre économique et utilité sociale. L’ESS répond notamment aux besoins de la population locale grâce à des services spécifiques à destination des personnes âgées ou handicapées, de la petite enfance ou des services de santé. Les entreprises de l’ESS se retrouvent dans tous les domaines d’activité, offrant des emplois pérennes et non délocalisables. L’ESS permet de développer une plus grande cohésion sociale notamment à travers l’éducation pour tous ou l’accompagnement des personnes vulnérables. Elle permet aussi de répondre aux territoires ruraux et peut constituer un levier pour faire face aux besoins souvent inégaux des territoires.

En Auvergne-Rhône-Alpes, 29 000 établissements employeurs relèvent de cette économie, soit 10,1 % de ceux de la région. L’ESS emploie 304 000 salariés en fin d’année 2015, ce qui place la région au deuxième rang derrière l’Île-de-France. Elle constitue un acteur économique important sur le territoire régional, ses salariés étant bien plus nombreux que ceux, par exemple, des secteurs de la construction ou des transports (respectivement 175 000 et 159 000 salariés). Le poids de l’ESS régional en nombre de salariés est comparable à celui de la France métropolitaine (respectivement 11,1 % et 10,5 %). Toutefois, il est inférieur à huit régions, dont la Bretagne (14,3 %) et les Pays de la Loire (13,1 %). Dans ces régions, la forte implantation de l’enseignement associatif (souvent catholique), ainsi que des coopératives agricoles en Bretagne, explique cette part plus élevée.

L’économie sociale et solidaire se compose de quatre familles non homogènes. Les associations, qui représentent 79 % des salariés de l’ESS, les coopératives, les mutuelles et les fondations (figure 1).

Les associations et fondations sont centrées principalement sur les services à la population (action sociale, éducation, santé). Une grande partie du monde associatif fonctionne sur la base du bénévolat et n’est donc pas prise en compte dans la suite de cette étude. Les coopératives sont davantage présentes dans les domaines agricoles, agroalimentaires mais aussi financiers. Les mutuelles couvrent la prévoyance, la santé et les assurances.

Parmi les secteurs d’activité de l’ESS, l’action sociale est le plus gros pourvoyeur d’emplois salariés avec 125 700 personnes en Auvergne- Rhône-Alpes (figure 2), soit 41 % des effectifs salariés de l’ESS (part proche du niveau national). L’ESS trouve pleinement sa place dans l’accueil des personnes handicapées, l’aide à domicile, l’aide par le travail, l’accueil des personnes âgées et les crèches.

La prise en charge des personnes handicapées est ainsi le secteur de l’action sociale qui emploie le plus de salariés (30 600) dans la région, comme au niveau national. L’aide à domicile et l’aide par le travail emploient respectivement 22 000 et 20 800 salariés. Au global, l’ESS représente 62 % de l’emploi total privé et public de ce secteur.

Le secteur de l’éducation est le deuxième employeur de l’ESS avec 48 200 salariés, travaillant essentiellement dans des établissements d’enseignement privé sous statut associatif. Toutefois, son poids dans l’emploi total du secteur n’est que de 21 % car l’enseignement relève principalement du secteur public. Les activités financières et d’assurances emploient 32 600 salariés de l’ESS, principalement dans les coopératives de crédit et les mutuelles. Elles représentent 40 % de l’emploi total du secteur. Près de 26 000 salariés de l’ESS travaillent dans le domaine de la santé. Pour les mêmes raisons que l’enseignement, son poids dans l’emploi total du secteur est assez faible (14 %). Les arts, spectacles et activités récréatives emploient plus de 15 000 salariés dans l’ESS, qui représentent environ la moitié des emplois du secteur. Enfin, à l’exception des activités financières et d’assurance, l’ESS est très peu engagée dans les activités soumises à la concurrence, comme l’industrie (0,6 %) et la construction (0,5 %).

L’économie sociale et solidaire est présente dans l’ensemble des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la région, mais se répartit inégalement sur le territoire (figure 3). La taille des établissements employeurs et le poids respectif des secteurs d’activité peuvent influer sur cette répartition. En Auvergne-Rhône-Alpes comme au niveau national, l’ESS est caractérisée à la fois par une multitude de petits établissements et par de grosses structures.

Une vingtaine d’entre elles comptent au moins 500 salariés et exercent le plus souvent des activités hospitalières, comme le centre hospitalier Saint Joseph Saint Luc de Lyon ou l’association hospitalière Sainte-Marie de Privas. De même, l’association d’aide à domicile « Agir Innover Mieux Vivre » de Saint-Étienne et les activités d’enseignement de la Croix Rouge Française de Saint-Étienne et de Lyon font aussi partie des employeurs les plus importants. Ces grosses structures sont plutôt localisées dans les métropoles. Les quatre métropoles d’Auvergne-Rhône-Alpes emploient, à elles seules, quatre salariés sur dix de l’ESS, soit 122 400 salariés. En ajoutant les communautés d’agglomération (CA) d’Annemasse, d’Annecy, de Valence, et de Chambéry, les huit EPCI les plus denses, comptabilisent près de la moitié des salariés de l’ESS. Ce phénomène de concentration des emplois en milieu urbain est toutefois un peu moindre que pour les secteurs public (53 %) et privé hors ESS (50 %). Leur répartition géographique varie selon les secteurs d’activité. Ainsi, la culture se retrouve dans les EPCI les plus denses en population, alors que l’action sociale est présente sur l’ensemble du territoire.

Dans les EPCI peu denses, la part de l’ESS dans l’économie est supérieure à 13 %, contre 11 % en moyenne régionale. Les EPCI du sud de la région, ceux d’Ardèche, de la Drôme et de la Haute-Loire, souvent peu denses, présentent une part d’ESS dans l’emploi total plus élevée. L’économie sociale et solidaire est particulièrement implantée en zone rurale où l’industrie et les activités de services sont souvent peu présentes. Ainsi, l’ESS a un rôle majeur dans le maintien ou la création d’emplois. Dans les EPCI peu denses des Alpes, l’économie touristique laisse moins de place à l’ESS.

L’ESS permet de maintenir un tissu économique et social dans certaines zones rurales où les activités industrielles et tertiaires sont moins diversifiées et davantage axées sur les services à la population.

Par conséquent, les dix EPCI où la part de l’ESS est la plus élevée (supérieure à 25 %) sont tous peu denses. Plusieurs communautés de communes (CC) comptent même près de quatre salariés sur dix dans l’ESS (Dieulefit-Bourdeaux, Val de Ligne, Pays de Cayres et de Pradelles, et Royans-Vercors). L’implantation d’un grand établissement peut parfois suffire à expliquer le fort poids de l’ESS dans l’emploi total, comme c’est par exemple le cas avec un centre de réadaptation à Dieulefit ou un foyer de vie mutualiste à Saint-Thomas-en-Royans. Ces dix EPCI ne représentent toutefois que 1,5 % de l’ensemble des salariés de l’ESS de la région.

De plus, dans les EPCI où la part des personnes âgées de 65 ans et plus est supérieure à la moyenne régionale, le poids de l’ESS dans l’emploi total s’élève à 13 %, contre 10 % dans ceux où cette part est inférieure à la moyenne.

Par ailleurs, un taux d’emploi faible coïncide avec un poids de l’ESS élevé. Pour les EPCI aux taux d’emplois les plus faibles (inférieur à 36 % contre 42 % en moyenne), la part de l’ESS dans l’emploi total est de 14 %, contre 11 % en moyenne. L’ESS demeure dans les territoires où l’emploi se raréfie et, de ce fait, joue un rôle certain dans l’économie locale.

Enfin, l’ESS est également plus présente dans les territoires où le taux de pauvreté est élevé. Dans les EPCI où il est supérieur à 16 % (contre 13 % en moyenne), le poids de l’ESS dans l’emploi total est plus élevé que la moyenne.

La répartition des emplois de l’ESS dans la région est fortement liée à l’implantation des activités (figure 4).

Les coopératives agricoles sont particulièrement représentées dans une trentaine d’EPCI de la région, principalement dans les communautés de communes de l’Allier, du Puy-de-Dôme, du Cantal, du sud Drôme et du Beaujolais. L’action sociale, secteur prépondérant de l’ESS, est plus souvent présente dans les EPCI de l’ex-Auvergne, en partie en lien avec sa population plus âgée. Le secteur de l’hébergement-restauration se concentre dans les EPCI de Savoie et Haute-Savoie, territoires touristiques. La santé avec ses activités hospitalières est plus fréquemment présente dans les métropoles de Lyon et Clermont-Ferrand et dans les communautés d’agglomération de Bourg-en-Bresse, de Nantua, de Privas et du Puy-en-Velay. C’est le cas de l’éducation en Haute-Loire et dans le nord de l’Ardèche, du fait de l’implantation de nombreux établissements d’enseignement privé catholique dans ces territoires. Par ailleurs, les élus locaux, par leurs politiques d’aménagement du territoire, ont pu appuyer les dynamiques associatives et favoriser l’implantation d’établissements relevant de l’ESS quel que soit le secteur d’activité.

Les mutuelles sont très présentes dans l’ensemble des EPCI où sont localisées les douze préfectures de département, avec plus des trois quarts des effectifs salariés de la région. Ainsi, dans l’ESS, 71 % des salariés des activités financières et d’assurance de la région (soit 23 500 personnes) travaillent dans un de ces douze EPCI. Les autres secteurs de l’ESS très présents dans ces territoires sont les activités scientifiques et techniques, les services administratifs et de soutien ainsi que l’information et la communication. Enfin, les salariés des activités immobilières relevant de l’ESS sont 88 % à travailler dans ces EPCI. Cette présence accrue de l’ESS dans les EPCI des préfectures s’observe également dans la répartition territoriale de l’emploi public, qui est lui aussi très présent.

L’ESS, largement tournée vers les services, est caractérisée par un taux de féminisation particulièrement élevé en Auvergne-Rhône-Alpes comme en France métropolitaine.

Deux tiers des postes sont occupés par des femmes contre moins de la moitié dans le reste de l’économie. Toutefois, la féminisation de l’emploi dans l’ESS est caractéristique de certains secteurs (action sociale, santé et enseignement primaire). Les emplois d’aides à domicile, aides ménagères et travailleuses familiales sont occupés à 97 % par des femmes. En revanche, les hommes sont majoritaires chez les moniteurs et éducateurs sportifs (72 %).

Comme dans les autres régions, les salariés de l’ESS d’Auvergne-Rhône-Alpes sont en moyenne plus âgés que ceux du reste de l’économie : 51 % d’entre eux ont plus de 40 ans, contre 47 %. Assurer le renouvellement de ces salariés constitue un enjeu pour l’économie des territoires rendu souvent complexe par les difficultés de recrutement en zone rurale ou dans certains secteurs peu rémunérateurs.

Par ailleurs, la structure de l’ESS par catégorie socio-professionnelle est spécifique. Les professions intermédiaires et les employés y sont surreprésentés : 40 % des salariés sont des employés contre 33 % pour le reste de l’économie. Compte tenu de ses activités, l’ESS emploie moins d’ouvriers (13 % contre 30 %). Les postes de cadres, un peu moins fréquents (13 % contre 16 %), sont majoritairement occupés par des femmes (56 %), en lien avec la surreprésentation des femmes dans l’ESS. Mais le poids des femmes dans l’encadrement reste inférieur à leur poids dans l’ensemble de l’ESS.

Les 304 000 salariés de l’ESS représentent 259 000 emplois en équivalent temps plein (ETP). Le temps partiel y est nettement plus présent que dans le reste de l’économie (40 % contre 22 %) et il est plus fréquemment exercé par les femmes (46 % contre 29 % pour les hommes). Les associations ont plus souvent recours au temps partiel que les coopératives (44 % contre 17 %). L’action sociale est particulièrement concernée par le temps partiel.

En Auvergne-Rhône-Alpes, les rémunérations sont plus faibles dans l’ESS que dans le reste de l’économie, avec un salaire horaire net médian de 12,20 euros contre 14,10 euros. Il existe toutefois des disparités importantes entre familles de l’ESS. Ainsi, le milieu associatif tire les salaires de l’ESS vers le bas avec un salaire horaire médian de 11,30 euros contre 15,50 euros pour les coopératives et 14,90 euros pour les mutuelles. Les femmes ont des rémunérations plus faibles que les hommes (11,60 euros contre 13,30 euros), mais les inégalités femmes-hommes sont moindres que dans le reste de l’économie, en lien avec le faible niveau de rémunérations de l’ESS.

Entre 2008 et 2015, l’emploi a progressé fortement dans l’ESS (+ 8,2 %, contre + 0,8 % pour l’ensemble de l’économie). Cette hausse, malgré la crise économique de 2008, s’observe surtout dans les mutuelles (+ 16,9 %) et les associations et fondations (+ 8,3 % pour l’ensemble de ces deux familles). Les coopératives affichent un emploi en augmentation de 2,5 %. Économie de services et de proximité, l’ESS a été moins exposée aux pertes d’emplois que le secteur industriel qui avait été fortement impacté par la crise.

Le secteur de l’action sociale est particulièrement dynamique, avec des effectifs salariés qui augmentent de 15,2 % entre 2008 et 2015. Cette croissance est nettement supérieure à celle observée dans les services non marchands sur cette même période, avec notamment l’hébergement social et médico-social en progression de 20 %. Les effectifs de l’action sociale hors ESS augmentent encore plus (+ 29,9 %). Cela s’explique, d’une part, par les effets de la loi Borloo de 2005, qui élargit les avantages fiscaux dans le domaine des services à la personne, notamment aux acteurs du secteur privé et non plus aux seules associations, et, d’autre part, par la diminution des financements associatifs sur cette période. Comme l’ensemble de l’économie, la croissance de l’emploi de l’ESS est plus soutenue en Auvergne-Rhône-Alpes (+ 8,2 %) qu’en province ou qu’en France (+ 5,5 %).