Insee Première · Octobre 2025 · n° 2075

En 2024, les achats de l’autre côté de la frontière représentent jusqu’à 14 % des dépenses physiques des résidents frontaliers

Les achats physiques par carte bancaire (paiements par carte bancaire directement dans un point de vente) dans les pays limitrophes de la France métropolitaine sont plus fréquents pour les résidents des départements frontaliers. Mesurés dans le cadre d’un partenariat avec le groupe Crédit Mutuel (sources), ils représentent ainsi 14 % du montant total des dépenses physiques par carte des ménages de Moselle (à proximité du Luxembourg et de l’Allemagne) et 12 % de celui des ménages des Pyrénées‑Orientales (à proximité de l’Espagne et d’Andorre) (figure 1). Le poids de ces achats dans les dépenses des ménages est nettement plus faible dans la majorité des départements non-frontaliers (moins de 3 %). Certains départements font exception dans le Sud-Ouest, l’Espagne attirant des acheteurs venant de plus loin de la frontière, ainsi qu’en Île-de-France (Paris et Hauts‑de‑Seine).

La suite de l’étude se concentre sur les achats physiques réalisés par les résidents frontaliers dans les pays limitrophes.

L’Allemagne, la Belgique et l’Espagne sont les trois pays voisins où les résidents frontaliers font le plus de dépenses en 2024 : ils représentent chacun un cinquième (20 % pour l’Allemagne et la Belgique, 19 % pour l’Espagne) du montant global des dépenses dans les pays voisins. La forte concentration de population à proximité de certaines frontières, notamment près de la Belgique, facilite les achats transfrontaliers. La Suisse et le Luxembourg représentent respectivement 16 % et 15 % des dépenses dans les pays voisins. Le travail frontalier très développé vers ces deux pays contribue aux achats à l’étranger. La part des achats est plus faible en Italie (7 %), à Monaco (2 %) ou à Andorre (1 %). Ce classement n’est pas le même que celui pour l’ensemble de la France métropolitaine hors Corse (encadré). Cela peut s’expliquer en partie par le fait que l’Espagne et l’Italie, les deux premiers pays de destination pour le tourisme depuis la France, attirent des touristes qui proviennent de tout le territoire.

Dans les départements frontaliers, plus d’un ménage sur deux traverse la frontière et réalise des achats dans un pays voisin en 2024. Dans les Pyrénées-Orientales, 8 ménages sur 10 ont réalisé au moins un achat en Espagne au cours de l’année 2024. C’est également le cas d’environ 7 ménages sur 10 dans les Pyrénées-Atlantiques. Une proportion équivalente d’habitants du Nord et du Bas-Rhin ont réalisé au moins un achat respectivement en Belgique et en Allemagne. Les ménages de Haute‑Savoie (à proximité de la Suisse), de Meurthe-et-Moselle et de Moselle (à proximité du Luxembourg) sont un peu moins nombreux à consommer dans le pays voisin (5 à 6 sur 10).

Si la part de ménages consommateurs est plus faible dans les départements frontaliers du Luxembourg et de la Suisse, le montant total moyen de dépense par ménage est en revanche un peu plus élevé : 1 600 euros en moyenne sur l’année, contre 1 300 euros en Espagne (figure 2). Les achats en Espagne, en Italie et en Andorre sont un peu plus saisonniers que dans les autres pays voisins, avec davantage de dépenses effectuées en juillet ou en août. Dans ces trois pays, mais aussi en Belgique, les dépenses ont en outre plus souvent lieu le week-end que dans les autres pays.

La répartition par type de point de vente est très différente pour les achats des résidents frontaliers dans les pays voisins par rapport à ceux effectués en France. Les stations-services et magasins de tabac représentent 31 % du montant des dépenses de l’autre côté de la frontière, contre 10 % des dépenses en France (figure 3). Le tabac coûte moins cher dans les pays voisins, ce qui incite certains fumeurs à s’approvisionner à l’étranger [Hillion, Monchâtre, 2024]. Dans certains pays, le tabac peut être acheté en station-service ou même en supermarché. Le montant moyen par achat dans les magasins de tabac est particulièrement élevé en Italie (108 euros) et en Espagne (91 euros), signe d’achats en grande quantité. Le prix de l’essence est également plus attractif dans la plupart des pays voisins, notamment au Luxembourg et en Espagne mais aussi, dans une moindre mesure, en Belgique et en Allemagne [Bonnet et al., 2024]. Le poids des achats en stations-services et magasins de tabac est particulièrement fort au Luxembourg (59 % des dépenses), en Belgique (36 %), en Espagne (31 %) et en Allemagne (27 %).

Les dépenses d’hébergement et de restauration ont globalement un poids plus élevé dans les achats dans les pays frontaliers que pour les achats en France : 16 % contre 11 %. Ces dépenses pèsent le plus en Italie (26 %) et en Espagne (20 %), en lien avec le tourisme, mais aussi en Suisse (25 %) et à Monaco (19 %). Au contraire, au Luxembourg, en Andorre et en Allemagne, ces dépenses ont un poids plus faible qu’en France. Les ménages des départements frontaliers consomment aussi dans les pays voisins pour l’habillement et les chaussures, particulièrement en Andorre, à Monaco, en Italie, en Allemagne et en Espagne. Parmi les autres types de points de vente, plusieurs pèsent davantage dans les dépenses qu’en France, notamment les magasins de produits de beauté (Espagne et Andorre), les drugstores et pharmacies (Allemagne) et les magasins de meubles et d’équipement de la maison (Allemagne, Belgique, Suisse). Certaines entreprises commerciales implantent des magasins à proximité des frontières pour attirer des clients étrangers, comme la chaîne allemande Dm-drogerie markt spécialisée dans la vente de produits d’hygiène et d’entretien, qui a ouvert de nombreuses enseignes à proximité de la frontière française [Ouvrir dans un nouvel ongletBelkacem et al., 2022].

Les achats en Suisse, au Luxembourg et à Monaco sont souvent le fait de consommateurs très réguliers, qui effectuent des dépenses de l’autre côté de la frontière la plupart des semaines. Les consommateurs très réguliers effectuent plus souvent leurs achats en semaine que les autres ménages. Ils effectuent en moyenne 170 opérations par carte dans le pays voisin en 2024, pour un montant total moyen d’un peu plus de 6 000 euros (figure 4). Les ménages consommateurs très réguliers contribuent à près de 60 % du montant total dépensé en Suisse par les résidents frontaliers, et à près de 50 % au Luxembourg et à Monaco, alors qu’ils sont relativement peu nombreux parmi les ménages avec des achats à l’étranger (ils représentent un peu moins de 15 % des ménages des départements à proximité de la Suisse et du Luxembourg, et seulement 4 % près de Monaco). Sur les frontières belge et allemande, les consommateurs très réguliers représentent 6 % des ménages avec des achats à l’étranger et pèsent moins dans les dépenses (respectivement 30 % et 27 %).

Les consommateurs très réguliers incluent notamment des travailleurs frontaliers, qui résident en France et traversent la frontière pour aller travailler. En 2022, ces travailleurs sont particulièrement nombreux en Suisse (238 000) et au Luxembourg (110 000). Ils sont un peu moins nombreux en Allemagne (52 000), en Belgique (50 000) et à Monaco (34 000), tandis que les flux vers l’Espagne, l’Italie et Andorre sont faibles [Ast et al., 2024].

Les achats en Allemagne, Espagne et Belgique sont principalement effectués par des consommateurs réguliers, qui dépensent de l’autre côté de la frontière au moins un mois sur deux. Ces ménages réalisent en moyenne 37 achats dans le pays voisin au cours de l’année, pour un montant moyen de près de 2 000 euros.

Les achats en Italie et en Andorre sont quant à eux majoritairement le fait de consommateurs occasionnels (respectivement 50 % et 63 % du montant total dépensé), qui font des achats moins d’un mois sur deux. Les consommateurs occasionnels incluent notamment des touristes en séjour à l’étranger. Ces ménages ont plus souvent des dépenses le week-end (39 % de leurs dépenses), et en juillet ou en août (24 % de leurs dépenses). Ils effectuent en moyenne 7 opérations par carte dans le pays voisin en 2024, pour un montant total moyen d’un peu moins de 400 euros.

Les dépenses des ménages des départements frontaliers de l’autre côté de la frontière sont en hausse en Italie entre 2023 et 2024 (+6 % d’opérations d’achats et de dépenses en valeur). En Italie, en Espagne et en Allemagne, les dépenses ont augmenté dans les magasins de tabac (+26 % pour l’Italie et +12 % pour l’Espagne et l’Allemagne). Cette hausse peut s’expliquer notamment par une augmentation plus forte du prix du tabac en France que dans ces pays en 2024. Le décret de mars 2024 supprimant la quantité maximale de tabac qu’il est autorisé de rapporter depuis un autre pays de l’Union européenne a pu contribuer aussi à cette hausse. Entre 2023 et 2024, le montant moyen par achat en magasin de tabac a augmenté en Italie (de 95 euros en 2023 à 108 euros en 2024) et en Espagne (de 85 euros à 91 euros).

À l’inverse, les dépenses ont diminué en Belgique (-5 % en valeur), notamment du fait d’une diminution des dépenses en stations-services et magasins de tabac (-14 %). Le prix du tabac a augmenté en Belgique entre 2023 et 2024, plus qu’en France, dans le cadre d’un plan national contre le tabac lancé par le gouvernement belge.