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Insee Analyses · Février 2024 · n° 94
Insee AnalysesLes approvisionnements à l’étranger représentent au moins 9,5 % des ventes de tabac en France

Mélina Hillion, Vincent Monchâtre (Insee)

La France présente l’un des taux de tabagisme les plus élevés d’Europe, alors que les ventes de tabac par habitant y sont parmi les plus faibles. Ce paradoxe peut s’expliquer par un prix du tabac plus élevé en France que dans les pays voisins, incitant certains fumeurs à s’approvisionner à l'étranger. Lors du premier confinement en 2020, la fermeture des frontières a contraint une partie de ces fumeurs à s’approvisionner en France. Pendant cette période, les ventes de tabac sur le territoire métropolitain ont augmenté de 9,5 %. Ce surplus constitue toutefois une sous-estimation des achats de tabac faits habituellement à l’étranger, les frontières étant restées partiellement ouvertes, notamment aux travailleurs frontaliers. Si les fumeurs résidant près des frontières avaient acheté autant de tabac dans le réseau officiel que ceux vivant loin des frontières, les ventes de tabac en France au printemps 2020 auraient été supérieures de 13,5 % à leur niveau habituel.

En 2019, près d’une personne de 15 ans ou plus sur cinq fume tous les jours

La prévalence du tabagisme a notablement diminué en France depuis le début des années 2000. En 2019, selon le baromètre de Santé Publique France, 24 % des 18-75 ans fument tous les jours, contre 28 % en 2014. Selon le Tobacco control scale, un classement international des pays selon l’ampleur de leur politique anti-tabac, la France dispose d’une législation particulièrement stricte : en 2018, elle se classait au deuxième rang en Europe en matière de contrôle du tabagisme et au troisième rang en matière de prix du tabac (en parités de pouvoir d’achat). En particulier, le prix moyen d’une a augmenté de 65 % entre 2012 et 2020, tandis que le volume de tabac vendu a diminué de 26 % sur la même période (figure 1). Néanmoins, la proportion de fumeurs quotidiens reste plus élevée en France que dans la plupart des pays de l'OCDE (16,5 % en moyenne en 2019).

Figure 1 – Évolution des ventes annuelles de tabac et de la valeur unitaire moyenne, de 2012 à 2020

indice base 100 en 2012
Figure 1 – Évolution des ventes annuelles de tabac et de la valeur unitaire moyenne, de 2012 à 2020 (indice base 100 en 2012) - Lecture : Entre 2012 et 2020, les ventes de tabac en France ont diminué de 26 % en volume (indice 74, base 100 en 2012), tandis que la valeur moyenne d’une unité de tabac a augmenté de 65 % (indice 165, base 100 en 2012).
Année Volume Valeur Valeur
unitaire moyenne
2012 100,0 100,0 100,0
2013 93,8 100,0 106,6
2014 89,2 100,1 112,2
2015 90,7 101,8 112,3
2016 89,7 100,8 112,4
2017 87,8 101,2 115,3
2018 80,1 106,2 132,6
2019 74,6 108,9 146,1
2020 74,1 122,6 165,4
  • Lecture : Entre 2012 et 2020, les ventes de tabac en France ont diminué de 26 % en volume (indice 74, base 100 en 2012), tandis que la valeur moyenne d’une unité de tabac a augmenté de 65 % (indice 165, base 100 en 2012).
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : DGDDI, Logista.

Figure 1 – Évolution des ventes annuelles de tabac et de la valeur unitaire moyenne, de 2012 à 2020

  • Lecture : Entre 2012 et 2020, les ventes de tabac en France ont diminué de 26 % en volume (indice 74, base 100 en 2012), tandis que la valeur moyenne d’une unité de tabac a augmenté de 65 % (indice 165, base 100 en 2012).
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : DGDDI, Logista.

Les ventes de tabac par habitant diminuent aux abords des frontières

Les ventes officielles de tabac par habitant en France sont parmi les plus faibles d’Europe. En 2019, elles représentent en moyenne 30 euros par mois et par habitant de 15 ans ou plus, et ce montant tend à diminuer en s’approchant des frontières. Dans les zones situées à plus de trois heures de route des frontières, cette valeur est de 33 euros (figure 2), alors qu’elle est de 20 euros à moins d’une heure de route et de 11 euros à moins de 10 minutes, soit 63 % de moins que la moyenne nationale.

Figure 2 – Ventes de tabac dans le réseau officiel en 2019 en fonction du temps d'accès par la route à la frontière terrestre la plus proche

Figure 2 – Ventes de tabac dans le réseau officiel en 2019 en fonction du temps d'accès par la route à la frontière terrestre la plus proche - Lecture : En 2019, les personnes de 15 ans ou plus dépensent en moyenne 11 euros par mois en tabac dans le réseau officiel français lorsqu’elles habitent à moins de 10 minutes d’une frontière terrestre, contre 33,5 euros lorsqu’elles en sont éloignées de plus de 3 heures.
Temps d’accès à l’étranger
(en minutes)
Population
de 15 ans ou plus
Ventes de tabac en euros par mois
et par habitant de 15 ans ou plus
(en euros par habitant)
0 697 254 13,3
7 1 050 294 10,0
12 679 759 11,5
14 534 057 16,7
16 295 452 17,0
18 705 052 18,5
21 350 506 22,4
23 433 187 17,9
25 406 542 23,3
27 369 121 20,0
29 296 222 28,7
31 561 851 18,8
33 427 618 20,2
36 570 895 21,3
41 1 050 640 27,3
48 554 238 26,5
54 877 209 28,4
59 409 904 32,7
64 409 766 25,6
66 381 455 26,9
67 306 445 28,2
70 553 313 27,3
75 697 882 28,4
78 620 658 33,7
82 664 265 28,9
85 646 470 29,9
87 558 166 35,7
90 883 874 32,8
95 1 013 168 29,6
99 832 221 26,3
103 468 325 30,2
106 455 111 30,9
109 508 417 36,8
111 362 535 32,0
112 683 147 32,5
114 345 726 27,4
116 417 157 29,3
117 736 541 33,3
119 492 503 32,8
121 331 710 31,3
122 415 505 31,0
123 396 925 31,4
124 480 654 31,9
125 584 612 31,1
126 368 681 30,8
127 320 050 32,5
128 445 593 29,4
129 471 101 28,5
130 728 885 35,3
131 504 096 29,0
133 2 170 065 43,6
134 523 309 34,6
135 451 605 29,5
136 616 680 32,8
138 391 046 33,1
139 589 050 26,3
141 301 313 28,1
143 809 045 33,6
145 385 783 32,0
146 1 219 533 34,3
148 588 189 30,8
150 347 576 28,9
155 936 956 34,5
158 323 392 35,2
162 789 833 35,5
166 368 866 34,7
171 896 436 37,5
174 313 780 33,1
180 678 545 36,4
187 603 499 34,6
194 910 438 33,7
200 827 636 36,1
205 318 966 31,9
210 543 303 35,0
218 499 578 38,1
223 291 705 36,2
229 509 706 31,3
236 374 661 30,9
241 703 000 35,6
249 617 211 31,8
254 368 654 32,3
260 305 134 31,1
267 605 056 31,4
274 462 663 32,7
285 960 278 29,5
295 471 855 31,9
298 427 558 29,0
301 348 920 31,0
310 891 887 28,9
333 358 487 37,3
355 616 112 37,4
384 455 218 38,7
412 296 806 34,5
431 398 384 37,3
  • Lecture : En 2019, les personnes de 15 ans ou plus dépensent en moyenne 11 euros par mois en tabac dans le réseau officiel français lorsqu’elles habitent à moins de 10 minutes d’une frontière terrestre, contre 33,5 euros lorsqu’elles en sont éloignées de plus de 3 heures.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse et communes insulaires non desservies par la route.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensement de la population 2019.

Figure 2 – Ventes de tabac dans le réseau officiel en 2019 en fonction du temps d'accès par la route à la frontière terrestre la plus proche

  • Note : La taille des cercles est proportionnelle au nombre d'habitants âgés de 15 ans ou plus résidant à la même distance d'une frontière. La courbe noire est une approximation linéaire locale pondérée par un noyau gaussien (fenêtre de lissage de 30 minutes).
  • Lecture : En 2019, les personnes de 15 ans ou plus dépensent en moyenne 11 euros par mois en tabac dans le réseau officiel français lorsqu’elles habitent à moins de 10 minutes d’une frontière terrestre, contre 33,5 euros (ligne horizontale en pointillés) lorsqu’elles en sont éloignées de plus de 3 heures.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse et communes insulaires non desservies par la route.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensement de la population 2019.

Selon l’enquête International Tobacco Control in Europe, la France est l’un des pays où la proportion de fumeurs déclarant acheter fréquemment du tabac à l’étranger est la plus élevée. Le fait que le prix public du tabac soit inférieur dans tous les pays frontaliers à celui de la France en 2020 est susceptible d’encourager ce type de comportement.

La fermeture des frontières a provoqué un surplus de ventes de tabac en France de 9,5 %

La fermeture des frontières lors du premier confinement a fortement limité la possibilité de se procurer du tabac hors de France. Cette « expérience naturelle » permet de quantifier la part des achats transfrontaliers dans la consommation française de tabac. En avril et mai 2020, les ventes de tabac en France dépassent largement le niveau habituel, notamment à proximité des frontières (figure 3). Les ventes sont supérieures de près de 90 % dans les communes situées à moins de 10 minutes d’une frontière et de 65 % dans celles situées entre 10 et 20 minutes ; elles ne diffèrent pas significativement au‑delà de 200 minutes. L’effet est moins prononcé près de la Suisse, où le prix du tabac en 2020 est proche de celui de la France, et à proximité du nord de l’Italie, où l’accès aux frontières est rendu plus difficile par les nombreux cols de montagne et tunnels à péage (figure 4). Sur l’ensemble du territoire métropolitain (hors Corse), le surplus de ventes de tabac est estimé à 9,5 %. Cette valeur constitue une estimation basse des achats transfrontaliers. En effet, une partie de la consommation de tabac en provenance de l’étranger a pu persister durant le premier confinement, les frontières n’étant pas complètement fermées, notamment pour certains travailleurs frontaliers. En extrapolant la consommation observée dans le reste du pays aux régions frontalières (à caractéristiques individuelles identiques), l’augmentation du niveau de consommation qui prévaudrait dans le pays s’il n’existait pas d’alternatives moins chères à l’étranger est estimée à 13,5 % (méthodes).

Figure 3 – Effet estimé de la fermeture des frontières sur les ventes de tabac dans le réseau officiel en avril-mai 2020 en fonction du temps d’accès par la route à la frontière terrestre la plus proche

Figure 3 – Effet estimé de la fermeture des frontières sur les ventes de tabac dans le réseau officiel en avril-mai 2020 en fonction du temps d’accès par la route à la frontière terrestre la plus proche - Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné une hausse d’environ 90 % des achats de tabac dans les zones de chalandise situées à moins de 10 minutes par la route d’une frontière.
Temps d’accès
à l’étranger
(en minutes)
Effet estimé
(en %)
Borne inférieure intervalle
de confiance à 95 %
Borne supérieure intervalle
de confiance à 95 %
4 87,0 67,1 109,2
16 64,2 51,4 78,0
26 38,5 28,1 49,7
36 35,4 28,1 43,1
45 27,8 20,7 35,3
55 16,5 7,4 26,4
66 19,8 14,9 24,9
76 10,6 5,0 16,5
86 3,9 -6,1 15,0
96 15,1 11,6 18,8
106 10,8 7,5 14,3
115 4,0 0,7 7,4
126 4,2 1,0 7,6
134 -5,5 -15,5 5,7
145 2,1 -3,1 7,5
156 9,2 6,7 11,7
165 4,7 1,5 7,9
174 4,8 2,0 7,6
186 5,1 2,3 7,9
195 1,5 -1,9 5,1
205 -1,7 -4,8 1,4
218 -2,0 -5,5 1,6
235 -1,5 -3,9 1,0
248 -1,7 -4,5 1,2
263 0,9 -1,2 3,1
278 1,2 -2,0 4,5
294 -4,5 -8,2 -0,6
310 -0,1 -4,5 4,5
344 -4,1 -6,6 -1,5
401 -4,8 -6,6 -2,9
  • Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné une hausse d’environ 90 % des achats de tabac dans les zones de chalandise situées à moins de 10 minutes par la route d’une frontière.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse et communes insulaires non desservies par la route.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensements de la population 2010 à 2020.

Figure 3 – Effet estimé de la fermeture des frontières sur les ventes de tabac dans le réseau officiel en avril-mai 2020 en fonction du temps d’accès par la route à la frontière terrestre la plus proche

  • Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné une hausse d’environ 90 % des achats de tabac dans les zones de chalandise situées à moins de 10 minutes par la route d’une frontière.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse et communes insulaires non desservies par la route.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensements de la population 2010 à 2020.

Figure 4 – Effet estimé localisé de la fermeture des frontières sur les achats de tabac dans le réseau officiel français en avril-mai 2020

  • Notes : Les estimations sont lissées dans un rayon de 20 km. En 2020, le prix moyen du paquet de 20 cigarettes le plus vendu était d'environ 9,5 euros en France (ainsi qu'à Monaco), 8,0 euros en Suisse, 6,7 euros en Belgique, 6,5 euros en Allemagne, 5,3 euros au Luxembourg, 5,0 euros en Italie et en Espagne, et 3,8 euros en Andorre.
  • Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné une hausse de plus de 75 % des achats de tabac à proximité des frontières avec l’Espagne, l’Andorre, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et du sud de la frontière avec l'Italie.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse et communes insulaires non desservies par la route.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensements de la population 2010 à 2020.

Le surplus de ventes a été plus prononcé pour le tabac à rouler que pour les cigarettes manufacturées

Les cigarettes manufacturées et le tabac à rouler représentent, en valeur, respectivement 82 % et 14 % des ventes de tabac dans le réseau officiel français. En 2020, le prix moyen d’une cigarette manufacturée (0,43 euro) est supérieur au prix moyen d’une cigarette de tabac à rouler de même poids (0,30 euro). Au cours du premier confinement, le surcroît de ventes en avril-mai 2020 a été beaucoup plus prononcé pour le tabac à rouler que pour les cigarettes manufacturées.

Dans les départements situés en moyenne à moins de 40 minutes d’une frontière, le surplus de ventes de cigarettes est de 35 %, contre 120 % pour le tabac à rouler (figure 5). L’effet est négligeable au-delà de 120 minutes d’une frontière. Ce résultat suggère qu’une partie des fumeurs, qui s’approvisionnent habituellement à l’étranger, a pu opter pour un type de tabac moins onéreux pendant le confinement, afin de compenser partiellement le coût supplémentaire de l’achat en France. Toutefois, l’usage du tabac à rouler reste minoritaire par rapport à l’achat de cigarettes manufacturées.

Figure 5a – Effet estimé de la fermeture des frontières sur les ventes de cigarettes en avril-mai 2020 en fonction du temps d’accès par la route à la frontière terrestre la plus proche

Figure 5a – Effet estimé de la fermeture des frontières sur les ventes de cigarettes en avril-mai 2020 en fonction du temps d’accès par la route à la frontière terrestre la plus proche - Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné un surplus d’environ 35 % des ventes de cigarettes dans les départements où la population réside en moyenne à moins de 40 minutes d’une frontière.
Temps d’accès
à l’étranger
(en minutes)
Effet estimé
(en %)
Borne inférieure intervalle
de confiance à 95 %
Borne supérieure intervalle
de confiance à 95 %
25 33,69 19,71 49,30
56 13,36 6,86 20,25
84 2,16 -6,43 11,53
111 3,92 -3,50 11,90
133 -6,63 -16,37 4,26
148 0,22 -3,78 4,38
183 -0,52 -3,66 2,72
210 -5,92 -8,55 -3,22
254 -4,76 -6,23 -3,27
326 -7,08 -8,61 -5,53
  • Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné un surplus d’environ 35 % des ventes de cigarettes dans les départements où la population réside en moyenne à moins de 40 minutes d’une frontière.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensements de la population 2010 à 2020.

Figure 5a – Effet estimé de la fermeture des frontières sur les ventes de cigarettes en avril-mai 2020 en fonction du temps d’accès par la route à la frontière terrestre la plus proche

  • Lecture : La fermeture des frontières en avril-mai 2020 a entraîné un surplus d’environ 35 % des ventes de cigarettes dans les départements où la population réside en moyenne à moins de 40 minutes d’une frontière.
  • Champ : France métropolitaine hors Corse.
  • Sources : DGDDI, GIMT ; Insee, recensements de la population 2010 à 2020.

Après la réouverture des frontières, les ventes de tabac ont retrouvé un niveau proche du début de l’année 2020

Le confinement a modifié les modes de vie, notamment en augmentant le recours au télétravail, et aurait donc pu avoir un effet durable sur la consommation et les ventes de tabac. Or les ventes réalisées dans les mois qui ont suivi la réouverture des frontières se sont très peu distinguées des ventes passées (après ajustement des variations de prix sur la période). En particulier, elles ont été très peu affectées par le deuxième confinement (en novembre 2020), durant lequel la circulation était moins restreinte et où les frontières sont restées ouvertes.

Publication rédigée par :Mélina Hillion, Vincent Monchâtre (Insee)

Sources

Cette étude porte sur les ventes de tabac réalisées dans le réseau officiel en France métropolitaine entre 2010 et 2020 (à l’exclusion des communes non accessibles par la route depuis le continent, notamment la Corse, et, plus généralement, les communes insulaires non reliées par la route). Les cigarettes électroniques et les substituts nicotiniques ne sont pas pris en compte dans cette étude.

Cette étude mobilise les données administratives (GIMT et Logista) de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) qui renseignent sur le montant mensuel (en euros) des achats effectués par chaque débit de tabac situé en France métropolitaine auprès des fournisseurs de tabac agréés sur la période 2010-2020. Ces montants incluent les taxes et ainsi que la rémunération du point de vente (fixée par l’État), ce qui signifie qu’ils correspondent, en négligeant les effets de stocks, au chiffre d’affaires mensuel (prix de vente au public x quantités vendues) réalisé par chaque débit de tabac situé en France métropolitaine.

Le temps de trajet moyen par la route est calculé entre la commune du débit de tabac et la commune frontalière française (c’est-à-dire ayant un accès routier direct à un pays frontalier) la plus proche.

Méthodes

L’impact du premier confinement et de la fermeture des frontières consécutive est estimé en excluant de l’analyse les mois de mars et de juin 2020, partiellement concernés par ces mesures d’exception. Pour rappel, la France a fermé ses frontières entre le 18 mars et le 15 juin 2020, l’Allemagne et l’Espagne entre le 16 mars et le 15 juin 2020, et la Belgique entre le 20 mars et le 15 juin 2020. L’Italie n’a pas officiellement fermé ses frontières, mais la mise en place de mesures de quarantaine a interdit le passage des frontaliers français jusqu’au 3 juin. La frontière avec Andorre, fermée le 16 mars, a été officiellement rouverte le 1er juin 2020.

Les estimations présentées dans cette étude reposent sur une double différence. La première différence consiste à comparer, pour chaque commune et pour chaque année d’observation, les ventes de tabac effectuées pendant les mois d’avril et de mai (concernés par la fermeture des frontières et le premier confinement de la population en 2020) avec celles réalisées les autres mois de l’année (à l’exception des mois de mars et de juin exclus de l’analyse). La seconde différence consiste à comparer les ventes de tabac effectuées l’année où les frontières sont fermées (2020) avec celles réalisées au cours des années précédentes (de 2010 à 2019). Cette double différence permet, sous certaines hypothèses, de neutraliser les effets de saisonnalité (spécifiques aux mois d’avril et de mai notamment), ainsi que les effets de tendance annuelle, résultant notamment de l’augmentation des prix du tabac sur la période étudiée. Les résultats obtenus à l’échelle nationale (France continentale) sont également robustes à l’inclusion d’une troisième différence, consistant à comparer les ventes effectuées dans les communes situées à proximité des frontières avec celles qui en sont éloignées.

La méthode d’estimation repose sur une hypothèse fondamentale, dite de « tendance commune », selon laquelle les ventes de tabac en avril et mai 2020 auraient évolué de la même manière que celles réalisées les autres mois de l’année (janvier-février et juillet-décembre) en l’absence de fermeture des frontières. Cela suppose notamment que les restrictions de mobilité et les autres mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire n’ont pas eu de conséquences sur les habitudes de consommation de tabac, ce que confirment plusieurs tests de robustesse.

La méthode utilisée dans cette étude permet d’estimer l’effet de la fermeture des frontières sur les ventes de tabac dans le réseau officiel français. Cet effet sous-estime probablement la part des achats transfrontaliers en France. D’une part, la méthode suppose que tous les consommateurs ont dû s’approvisionner en France pendant le premier confinement, c’est-à-dire que les frontières ont été complètement fermées entre le 18 mars et le 15 juin, et qu’ils ne disposaient pas de stocks de plus de 14 jours. Cependant, certains points de passage sont restés ouverts, notamment aux travailleurs transfrontaliers qui ne pouvaient pas télétravailler et qui ont donc pu continuer à s’approvisionner à l’étranger. D’autre part, cette extrapolation suppose que les quantités de tabac achetées sont restées inchangées lorsque les consommateurs ont été contraints de s’approvisionner en France au printemps 2020. Or, le prix du tabac étant plus élevé dans le réseau de distribution français, certains fumeurs se fournissant habituellement à l’étranger pourraient avoir ajusté leur consommation à la baisse.

Une approche alternative consiste à supposer que les achats de tabac sont uniformes sur le territoire, à caractéristiques sociodémographiques similaires, quelle que soit la distance à l’étranger. Sous cette hypothèse, les pertes dans le réseau officiel français correspondent à la différence entre les ventes prédites (sur la base des caractéristiques sociodémographiques) et les ventes effectivement enregistrées dans le réseau de distribution français. Cette approche conclut que les achats de tabac seraient supérieurs de 13,5 % aux ventes officielles en 2020 (frontières ouvertes) en l’absence d’achats transfrontaliers. Cette estimation donne une indication de l’ampleur des ventes qui pourraient être recouvrées dans le réseau officiel français si les prix du tabac dans les pays limitrophes étaient identiques à ceux pratiqués en France.

En réalité, le volume des achats effectués à l’étranger est, en période normale, quand les frontières sont ouvertes, sans doute encore plus élevé : la possibilité de se procurer des cigarettes meilleur marché à l’étranger entraîne probablement une augmentation de la consommation de tabac à proximité des frontières. Cette hypothèse semble confirmée par les résultats de l’enquête santé européenne menée en 2019, qui montre qu’à caractéristiques identiques, la prévalence du tabagisme quotidien est plus élevée chez les résidents des zones frontalières françaises que la moyenne nationale.

Enfin, il convient de souligner que les méthodes présentées ici ne permettent pas d'estimer les achats transfrontaliers effectués loin des frontières, par exemple à l’occasion de voyages à l’étranger, ce qui pourrait constituer un facteur supplémentaire de sous-estimation.

Définitions

Le volume de tabac vendu est mesuré en unités de tabac. Pour les produits manufacturés, une unité de tabac correspond à une cigarette, un cigarillo ou un cigare. Pour le tabac à rouler, une unité correspond à un gramme de tabac, soit approximativement la quantité de tabac d’une cigarette manufacturée (0,8 gramme).

Le droit d’accise est un impôt indirect qui dépend de la quantité plutôt que de la valeur des produits consommés. Il s’applique généralement aux produits considérés comme nocifs pour la santé ou l'environnement, tels que le tabac, l’alcool ou les produits pétroliers.

Pour en savoir plus

Bagein G. et al., « Ouvrir dans un nouvel ongletL’état de santé de la population en France », Les dossiers de la DREES n° 102, septembre 2022.

OCDE, « Ouvrir dans un nouvel ongletLe Panorama de la santé 2021 − Les indicateurs de l’OCDE », décembre 2021.

Pasquereau A. et al., « Ouvrir dans un nouvel ongletConsommation de tabac parmi les adultes en 2020 : résultats du Baromètre de Santé publique France », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 8, Santé publique France, mai 2021.

Joossens L., Feliu A., Fernandez E., Ouvrir dans un nouvel ongletThe tobacco control scale 2019 in Europe, Brussels : Association of the European Cancer Leagues, Catalan Institute of Oncology, 2020.

Lermenier-Jeannet A., « Ouvrir dans un nouvel ongletConsommations, ventes et prix du tabac : une perspective européenne », Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Tendances n° 126, juillet 2018.

Nagelhout G. E. et al., Ouvrir dans un nouvel ongletSocioeconomic and country variations in cross-border cigarette purchasing as tobacco tax avoidance strategy. Findings from the ITC Europe surveys, Tobacco Control, vol. 23, n° 2, mars 2014.

Joossens L., Raw M., Ouvrir dans un nouvel ongletThe Tobacco Control Scale: a new scale to measure country activity, Tobacco Control, 15(3) pages 247–253, juin 2006.