Insee Première · Janvier 2025 · n° 2036

Le revenu des pharmaciens redynamisé pendant les années de crise sanitaire

En 2022, le secteur du commerce de détail de produits pharmaceutiques réalise un chiffre d’affaires de 47 milliards d’euros, soit 8,6 % de celui du commerce de détail. Cette activité commerciale est fortement réglementée. Seules les officines de pharmacie sont autorisées à commercialiser les médicaments et leur implantation géographique est soumise à autorisation des agences régionales de santé. Les titulaires d’officine doivent être détenteurs d’un diplôme de docteur en pharmacie. Chaque diplômé n’est autorisé à exploiter qu’un seul établissement ; en revanche, plusieurs pharmaciens titulaires peuvent être associés dans une même officine.

Les officines exercent de plus en plus souvent sous forme de société, 83 % en 2022 (figure 1). Celles-ci sont très majoritaires parmi les créations d’entreprises, mais aussi les reprises, et remplacent progressivement les entreprises individuelles. Les sociétés d’exercice libéral et celles à responsabilité limitée couvrent 78 % des officines de pharmacie en 2022, contre 55 % en 2015. Au contraire, les sociétés en nom collectif sont de moins en moins présentes (5 % en 2022 contre 13 % en 2015) et l’exercice en entreprise individuelle se replie nettement. Seuls 16 % des officines sont des entreprises individuelles en 2022, contre 32 % en 2015.

Le développement des sociétés permet un partage de l’apport initial, par exemple avec une prise de participation de la part des pharmaciens adjoints (depuis 2017) ou entre plusieurs pharmaciens titulaires, ou avec une prise de participation de la part d’une société de participations financières de professions libérales (depuis 2013). Le prix de cession d’une officine s’élève en effet à plus d’un million d’euros pour la moitié des officines rachetées en 2022.

Ces formes juridiques ne sont pas soumises au même régime fiscal : les entreprises individuelles sont exclusivement soumises à l’impôt sur le revenu tandis que les sociétés d’exercice libéral sont à 95 % soumises à l’impôt sur les sociétés. Quant aux sociétés en nom collectif, SARL et EURL, elles peuvent choisir entre imposition sur le revenu ou imposition sur les sociétés (éventuellement sous certaines conditions). Ainsi, l’essor des sociétés d’exercice libéral et le recul des entreprises individuelles ont entraîné une augmentation de la part des officines soumises à l’impôt sur les sociétés, qui atteint 78 % en 2022 contre 49 % en 2015.

Le nombre d’officines est en légère baisse : en 2022, on en dénombre 22 700, contre 23 400 en 2015, soit une baisse de 3 %. Cependant, leur taille s’accroît en matière d’effectif salarié et de chiffre d’affaires. Tous personnels confondus, les pharmacies emploient 4,9 salariés en équivalent temps plein en moyenne en 2022, contre 4,2 en 2015. Une sur trois emploie au plus 3 salariés en équivalent temps plein mais une sur dix en emploie au moins 9.

Près de la moitié des officines réalisent plus de 2 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2022, contre un quart en 2015. Un peu plus d’une pharmacie sur dix réalise plus de 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, ces 10 % de pharmacies les plus importantes représentent près de 30 % du chiffre d’affaires total du secteur.

Sur l’ensemble des officines, le nombre moyen de pharmaciens titulaires par officine est stable, malgré l’augmentation de la taille moyenne des officines et la hausse de la part des sociétés qui permettent d’associer plusieurs titulaires. En effet, les cas de titulaires multiples se sont réduits au sein des sociétés : 27 % des pharmacies sous forme de société ont plusieurs pharmaciens titulaires en 2022, contre 33 % en 2015. À l’inverse, le nombre moyen de pharmaciens adjoints par officine augmente avec le développement des sociétés, car celles-ci emploient plus d’adjoints que les entreprises individuelles. Au total, les officines emploient en moyenne 1,5 adjoint personne physique, soit 1,2 adjoint en équivalent temps plein, les pharmaciens adjoints exerçant fréquemment à temps partiel ou sur une partie de l’année.

Le chiffre d’affaires des officines de pharmacie augmente modérément de 2015 à 2020 (moins de 2 % par an en euros courants en moyenne), puis accélère nettement en 2021 et 2022 (figure 2). Sa croissance s’élève à plus de 8 % sur chacune de ces deux années, avant de ralentir à moins de 3 % en 2023.

L’évolution des dépenses de santé dépend de nombreux facteurs : l’accroissement et le vieillissement de la population, l’évolution des prix des médicaments, les comportements des assurés et des professionnels de santé, les avancées techniques et innovations, l’évolution de la réglementation, etc. Les médicaments remboursables, dont les prix sont pour une large part administrés, représentent la majorité du chiffre d’affaires des officines. Entre 2015 et 2020, l’évolution du chiffre d’affaires des officines est donc modérée par la baisse tendancielle des prix des médicaments remboursables, malgré une augmentation de la consommation de médicaments et l’essor de produits récents et onéreux [Ouvrir dans un nouvel ongletDrees, 2021]. En 2021 et 2022, l’activité est favorisée par une régulation des prix des médicaments moins forte que les années précédentes [Ouvrir dans un nouvel ongletDrees, 2022], la poursuite de la progression des produits innovants et l’élargissement des missions des pharmaciens liée à la pandémie de Covid-19 (tests, vaccination, etc.). Le chiffre d’affaires ralentit nettement en 2023, en lien avec la réduction de l’activité liée à la pandémie.

Les officines réalisent l’essentiel de leurs marges commerciales sur les ventes de médicaments remboursables. Contrairement aux marges sur les produits non pharmaceutiques tels que la parapharmacie par exemple et sur les médicaments non remboursables, les marges réalisées sur les médicaments remboursables sont régulées. Depuis 1990, cette régulation repose sur le système de la marge dégressive lissée : plus le prix d’un médicament est élevé et plus le taux de marge accordé au pharmacien diminue. Ce système vise à tempérer l’effet structurel de la croissance des prescriptions de médicaments récents et onéreux. La régulation des marges des pharmaciens connaît plusieurs évolutions entre 2015 et 2022. Les paramètres de la marge dégressive lissée sont modifiés et de nouveaux honoraires sont créés venant en substitution partielle de la marge réglementée assise sur le prix des produits. Ces honoraires, appelés honoraires de dispensation, visent à rémunérer le conseil et l’accompagnement dans la délivrance de médicaments [Ouvrir dans un nouvel ongletCommission des comptes de la sécurité sociale, 2020].

Malgré une modeste progression du chiffre d’affaires, la marge commerciale des officines diminue légèrement de 2015 à 2020 et augmente sensiblement en 2021 et 2022. Les marges réglementées sur les médicaments et les honoraires à la dispensation augmentent modérément sur la période. Notamment, leur hausse est de 375 millions d’euros entre 2018 et 2022 [Ouvrir dans un nouvel ongletAssurance maladie, 2023], soit moins de 2 % par an en moyenne, en euros courants. En effet, la croissance des ventes de produits onéreux ne se répercute que partiellement sur la marge du fait du système de marge dégressive lissée. À l’inverse, en 2021 et 2022, la rémunération des pharmacies d’officine connaît une croissance exceptionnelle du fait des rémunérations en lien avec la pandémie de Covid-19 qui représentent plus de 3 milliards d’euros sur ces deux années. Les marges réglementées et honoraires à la dispensation accélèrent aussi un peu sur 2022.

Finalement, le taux de marge commerciale s’établit à 27,6 % en 2022, soit un niveau proche de l’ensemble du commerce de détail (29,2 %). En dépit des tarifs administrés sur les médicaments remboursables, il existe une certaine disparité des taux de marge entre les officines, qui découle de la structure des ventes entre médicaments remboursables, de la part des produits non remboursables et des remises obtenues auprès des fabricants de médicaments. Un dixième des officines ont un taux de marge commerciale de moins de 18 % et un dixième de plus de 34 % en 2022, soit 1,9 fois plus.

L’excédent brut d’exploitation (EBE) diminue nettement jusqu’en 2018 puis se stabilise avant d’augmenter très fortement en 2021. Il reste toutefois stable en 2022 alors que la marge poursuit sa progression.

Pour l’ensemble des pharmaciens titulaires non salariés, le revenu moyen en euros constants mesuré dans les données comptables diminue nettement entre 2015 et 2020 (-3,1 % par an en moyenne). Mais plusieurs effets mécaniques expliquent cette baisse. D’abord, le renouvellement régulier de la population des pharmaciens tend à faire baisser le revenu moyen, les revenus étant croissants avec l’âge jusqu’à 50 ans [Pla, Trevien, 2017]. En outre le développement de l’exploitation sous forme de société entraîne une baisse mécanique du revenu comptable, sans que cela ne reflète une diminution réelle de la rémunération. En effet, les revenus d’activité soumis à cotisations sociales des titulaires d’officine sont structurellement plus bas pour les officines soumises à l’impôt sur les sociétés que pour les officines soumises à l’impôt sur le revenu, du fait de différences de règles comptables, liées au régime fiscal choisi pour l’officine (encadré).

Pour neutraliser ces effets mécaniques, on peut mesurer l’évolution du revenu pour les pharmaciens titulaires non salariés présents deux années de suite dans le même régime fiscal. Le revenu moyen évolue alors peu de 2016 à 2020 (-0,3 % par an en moyenne sur les années 2016-2017 et +0,2 % sur 2019-2020), excepté en 2018 où le revenu moyen augmente nettement (figure 3). D’une part, des mesures législatives contribuent à accroître le revenu de certains non-salariés [Salembier, Théron, 2020] en 2018, telles que la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, qui pourrait expliquer une hausse des dividendes. On observe en effet que le revenu croît très fortement à cette date pour les pharmaciens exerçant en société soumise à l’impôt sur les sociétés et dont l’officine verse des dividendes, le montant moyen de ces derniers augmentant. D’autre part, le revenu croît en 2018 également pour les sociétés ne versant pas de dividendes : le passage au prélèvement à la source de l’impôt sur les revenus aurait pu inciter à maximiser le revenu déclaré à cette date, au détriment de celui déclaré en 2019.

Les années 2021 et 2022 sont marquées par une forte hausse des revenus, pour l’ensemble des pharmaciens titulaires et de façon encore plus marquée pour ceux présents deux années de suite dans le même régime fiscal (respectivement +6,6 % et +10,5 % par an en moyenne entre 2020 et 2022), en lien avec l’accélération de l’activité et le redressement de la marge commerciale.