Insee Analyses Normandie · Janvier 2025 · n° 136

66 800 actifs immigrés en emploi en Normandie, souvent dans des métiers essentiels ou en tension

En 2021, 163 500 immigrés résident en Normandie. Ces personnes, nées étrangères à l’étranger (figure 1), représentent 4,9 % de la population régionale, une part deux fois moins élevée qu’au niveau métropolitain. La Normandie se situe ainsi au 11^e rang des régions métropolitaines devant les Pays de la Loire (4,6 %) et la Bretagne (4,1 %), mais loin derrière l’Île-de-France (20,6 %).

Un peu plus de la moitié de la population immigrée normande (87 500) est constituée de personnes actives sur le marché du travail. Leur poids dans la population active totale normande est de 5,9 %, une part également deux fois moindre qu’au niveau national. Près de la moitié des actifs immigrés résident en Seine-Maritime (et notamment dans les deux grandes agglomérations), où ils représentent 7,3 % de la population active. Ils sont moins présents dans les quatre autres départements normands (6,5 % dans l’Eure, 5,2 % dans l’Orne, 4,9 % dans le Calvados et 3,2 % dans la Manche).

Depuis 1968 (date du plus ancien recensement de la population harmonisé avec les nouveaux recensements), le nombre d’actifs immigrés âgés de 15 à 64 ans a été multiplié par trois en Normandie. Ce rythme est plus rapide qu’au niveau national (multiplication par 2,3) mais nettement moins soutenu que celui observé en Bretagne et dans les Pays de la Loire (multiplication par 13 et 11 respectivement). Plus généralement, les régions métropolitaines qui ont connu les plus fortes évolutions du nombre d’actifs immigrés sont aussi celles qui présentaient les taux d’actifs immigrés les plus bas en 1968, excepté la Corse.

Près de 60 % des actifs immigrés en Normandie sont originaires des pays d’Afrique (principalement d’Algérie et du Maroc) en 2021, contre 26 % en 1968. À l’époque, 72 % des actifs immigrés normands étaient originaires des pays d’Europe, contre 22 % en 2021. La part d’actifs immigrés provenant d’Europe a été divisée par trois en cinquante ans, tandis que le volume est resté le même (environ 20 000).

Les actifs immigrés normands se distinguent de l’ensemble de la population active normande par une proportion deux fois plus importante de personnes pas ou peu diplômées (29 % contre 15 %). Cependant, ils sont presque autant à être titulaires, au minimum, d’un bac+3, une proportion plus forte que pour l’ensemble de la population active normande (27 % contre 20 %).

La population active immigrée normande se caractérise également par une part de femmes inférieure à celle de l’ensemble des actifs du territoire (45 % contre 49 %). Les jeunes actifs immigrés normands (âgés de 15 à 24 ans) sont, en proportion moins nombreux que l’ensemble des jeunes actifs normands (respectivement 8,6 % et 11,6 %). Ces écarts sont similaires à ceux observés au niveau de la France métropolitaine hors Île-de-France. Cette différence illustre surtout le fait que les immigrés arrivent en France à des âges plus avancés (en moyenne autour de 23 ans).

Le taux d’activité des immigrés normands est comparable à celui observé pour l’ensemble des immigrés de métropole hors Île-de-France, de l’ordre de 70 %. Leur taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion de personnes en emploi, est légèrement inférieur à la moyenne des régions (53 % contre 56 % en France hors Île-de-France). En 2021, près d’un actif immigré normand sur quatre est au chômage au sens du recensement, contre 12 % pour l’ensemble des actifs normands (figure 2). Cet écart est légèrement plus marqué qu’au niveau national hors Île-de-France. De surcroît, les femmes immigrées sont davantage touchées par le chômage que leurs homologues masculins, respectivement 29 % et 21 %, alors que, dans l’ensemble de la population active normande, le taux de chômage est quasi identique pour les deux sexes (12 % pour les femmes et 11 % pour les hommes). Le chômage touche aussi plus fortement les jeunes actifs immigrés, puisque 37 % des jeunes actifs immigrés normands de moins de 25 ans sont au chômage contre 24 % de l’ensemble des jeunes actifs normands du même âge.

Enfin, même si le taux de chômage des actifs immigrés normands baisse à mesure que le niveau de diplômes augmente (de 30 % pour les non-diplômés à 19 % pour les titulaires d’un bac +3 ou plus), il ne diminue pas autant que pour l’ensemble des actifs normands (21 % à 6,5 %).

La répartition socio-professionnelle des actifs immigrés normands est relativement cohérente avec les niveaux de diplômes observés. Les actifs immigrés normands sont, en proportion, davantage ouvriers que l’ensemble des actifs normands, respectivement 30 % et 25 %. Cette part est cependant un peu plus faible que celle des actifs immigrés de France hors Île-de-France (32 %), dans une région pourtant très industrielle. Les actifs immigrés normands occupent un peu plus souvent des emplois de cadres et professions intellectuelles supérieures que l’ensemble des actifs normands, respectivement 16 % et 14 %. Cette part est également supérieure à celle des actifs immigrés de France hors Île-de-France (14 %). A contrario, les actifs immigrés normands sont moins représentés parmi les actifs occupant des professions dites intermédiaires, seulement 18 % contre 26 % pour l’ensemble des actifs normands, des proportions que l’on retrouve à l’échelle de la France métropolitaine hors Île-de-France.

Par ailleurs, toutes catégories confondues, les actifs immigrés normands occupent plus couramment un emploi précaire (figure 3). Ainsi, ils occupent deux fois plus fréquemment un emploi à durée limitée : 14 % des actifs immigrés normands ont signé un CDD contre 8 % pour l’ensemble des actifs normands, et 5 % sont intérimaires contre 2 % pour l’ensemble des actifs normands. De plus, un actif immigré normand sur cinq travaille à temps partiel, contre un sur six pour l’ensemble des actifs normands. Les actifs immigrés normands exercent également plus souvent des professions non salariées, en tant qu’indépendants ou employeurs (15 % contre 10 % pour l’ensemble des actifs normands).

En 2021, 66 800 actifs immigrés sont en emploi en Normandie et représentent 5,1 % des actifs occupés de la région. Ils sont nombreux à exercer des métiers peu qualifiés, aux conditions de travail contraignantes et intégrant souvent une forte pénibilité (aides à domicile, ouvriers du bâtiment, etc. ; figure 4a). Ce sont aussi pour la plupart des métiers dits « essentiels » de service à la population (aides-soignants, nettoyeurs, etc. ; pour en savoir plus). Ils sont aussi très présents dans les métiers du bâtiment et de l’hôtellerie où leur proportion dépasse parfois 15 %. Les travailleurs immigrés représentent une part importante de la main d’œuvre dans certaines professions très qualifiées, que ce soit dans le domaine de la médecine, de l’enseignement, de la recherche ou de l’ingénierie (figure 4b). Cette proportion est de 10 % dans plusieurs spécialités d’ingénierie, tout comme parmi les médecins généralistes libéraux, et atteint même 20 % dans le cas des médecins hospitaliers sans activité libérale et des enseignants du supérieur.

Les métiers à forte main d’œuvre immigrée sont plus ou moins les mêmes en Normandie qu’au niveau national. Il s’agit pour la majorité d’entre eux de métiers dits « en tension » car d’ores et déjà soumis à de fortes difficultés d’embauche et de renouvellement de la main d’œuvre (pour en savoir plus). Signe de cette fragilité, la part d’actifs en emploi de plus de 55 ans dépasse les 25 % pour bon nombre des professions les plus exercées par les immigrés (28 % des aides à domicile par exemple).

La part des immigrés parmi les actifs en emploi a doublé au cours des cinquante dernières années, passant de 2,5 % en 1968 à 5,1 % en 2021. La répartition de cette main d’œuvre selon les secteurs d’activité et les métiers a également évolué. En 1968, près des deux tiers d’entre eux travaillaient dans les secteurs de l’industrie et du bâtiment, contre deux cinquièmes des travailleurs normands. Ils étaient alors surreprésentés dans des métiers tels que « bétonneurs, ferrailleurs, coffreurs-boiseurs » (assurant 19 % de la main d’œuvre de cette profession), « carreleurs, mosaïstes, faïenciers » (14 %), ou « ouvriers de la production des métaux » (13 %). En 1982, ils étaient toujours très présents dans les métiers ouvriers et ceux de la construction, mais leur part avait progressé dans des métiers nécessitant une plus grande qualification, tels que les enseignants de l’enseignement supérieur (8 %). Cette proportion s’est accrue encore en 1999 pour atteindre 12 %. Les métiers exercés par les immigrés étaient alors plus diversifiés et ils comptaient aussi pour 13 % des médecins hospitaliers et 7 % des patrons de restaurants et des employés de l’hôtellerie. La part des travailleurs immigrés dans les métiers plus qualifiés a continué de progresser jusqu’en 2021. À cette date, la part des actifs immigrés travaillant dans l’industrie et le bâtiment n’est plus que de 17 % (contre 63 % en 1968) en lien avec la tertiarisation du travail qui prévaut sur le territoire français depuis plusieurs décennies.

En Normandie, en 2021, 23 % des salariés sont en situation de déclassement (pour en savoir plus). Pour les immigrés normands, cette part atteint 27 %, tout comme pour les immigrés de France métropolitaine hors Île-de-France. L’écart entre les salariés immigrés normands et l’ensemble des salariés normands s’accroît si l’on ne prend en compte que les diplômés de niveau bac au minimum. À ce niveau de diplôme, la moitié des salariés immigrés normands sont déclassés, contre 40 % pour l’ensemble des salariés normands. En revanche, les hauts-diplômés (bac+5 ou plus) sont moins touchés par le déclassement : deux tiers d’entre eux sont employés dans une profession en adéquation avec leur niveau de diplôme, qu’ils soient immigrés ou non. La situation de déclassement est aussi plus fréquente pour les salariés immigrés normands dans presque toutes les catégories socioprofessionnelles.