Insee Analyses Hauts-de-France ·
Septembre 2023 · n° 158Ségrégation résidentielle marquée à Lille, les autres pôles urbains du Nord plus mixtes
L’histoire socio-économique et la structure de l’habitat contribuent à rassembler les populations les plus aisées dans certains territoires et au contraire à concentrer les groupes plus pauvres dans d’autres quartiers. L’ampleur de cette ségrégation résidentielle est très variable d’un pôle urbain à l’autre dans le département du Nord.
Le pôle de Lille est l’un des plus ségrégés de France. Les ménages les plus aisés résident plutôt dans les communes au nord de Lille et les plus modestes, plus souvent dans des quartiers denses concentrant les difficultés, notamment à Roubaix, Tourcoing et Lille-Sud. Les autres pôles urbains du département sont plus mixtes. Dans les pôles de Douai, Valenciennes et Dunkerque, l’histoire industrielle a conduit à une spécialisation de l’habitat et les ménages aux bas revenus se concentrent souvent dans les anciennes cités minières ou ouvrières où le déclin industriel a paupérisé une large frange de la population. L’apparente mixité du pôle de Maubeuge cache une pauvreté diffuse. Dans le pôle de Cambrai, moins industriel, l’habitat est plus homogène dans la plupart des quartiers, et la mixité sociale très élevée.
- Dans les pôles du Nord comme ailleurs, structure de l’habitat et inégalités favorisent la ségrégation résidentielle
- Lille, l’un des pôles urbains les plus ségrégés de France
- Plus de mixité sociale à Dunkerque, Valenciennes et Douai
- Dans le pôle de Maubeuge, derrière la mixité, une concentration de la pauvreté
- Cambrai, le pôle urbain le plus mixte du département
- Encadré 1 - Une mesure de la ségrégation résidentielle par les revenus
Dans les pôles du Nord comme ailleurs, structure de l’habitat et inégalités favorisent la ségrégation résidentielle
Dans de nombreux pôles urbains de France, les plus aisés (les 20 % de ménages aux revenus les plus élevés du pôle) ont tendance à se rassembler au sein des mêmes zones, tandis que les plus modestes (les 20 % aux revenus les plus faibles) résident souvent dans d’autres quartiers. Ce phénomène de ségrégation résidentielle (encadré 1) s’oppose à la notion plus répandue de mixité sociale.
À l’échelle nationale, la ségrégation n’est pas l’apanage des pôles urbains les plus grands, les plus riches ou les plus inégalitaires (pour en savoir plus). Toutefois, force est de constater que les inégalités de revenu sont en moyenne 1,3 fois plus marquées dans les dix pôles les plus ségrégés que dans les dix les plus mixtes.
L’histoire locale, la structure et le coût de l’habitat, l’emploi, l’offre de transports ou le cadre de vie expliquent en partie la ségrégation résidentielle. En particulier, la concentration de populations pauvres dans certains territoires peut être liée à un habitat dense, qu’il s’agisse de grands ensembles ou de logements ouvriers, plus fréquents dans le Nord. La politique de la ville, qui cible ces poches de pauvreté, définit notamment les contours des quartiers prioritaires de la ville (QPV) et le Programme National de Renouvellement Urbain (PNRU), potentiellement vecteurs de mixité.
En 2019, 1,4 million d’habitants vivent dans l’un des six pôles urbains les plus peuplés du Nord (Lille, Dunkerque, Valenciennes, Douai, Maubeuge et Cambrai), soit 54 % de la population du département. Ils font face à des réalités sociales diverses en matière d’inégalités, de pauvreté et de mixité sociale (figure 1).
tableauFigure 1 – Répartition de la population selon le niveau de mixité et de revenu au carreau dans les six plus grands pôles urbains du Nord en 2019
Zonage | Modeste | Modeste mixte | Mixte | Aisé mixte | Aisé |
---|---|---|---|---|---|
Lille | 26,7 | 12,2 | 18,9 | 14,4 | 27,7 |
Valenciennes | 23,9 | 13,0 | 25,4 | 14,1 | 23,6 |
Douai | 20,8 | 16,1 | 25,6 | 13,9 | 23,6 |
Dunkerque | 24,6 | 11,6 | 24,2 | 16,8 | 22,7 |
Maubeuge | 21,7 | 13,2 | 28,4 | 16,9 | 19,8 |
Cambrai | 19,3 | 11,0 | 37,7 | 15,9 | 16,1 |
- Lecture : dans le pôle de Lille, 27 % de la population vit dans un carreau de 200 m de côté où les ménages modestes sont surreprésentés par rapport à l’ensemble du pôle.
- Source : Insee, Fichier localisé social et fiscal (FiLosoFi) 2019.
graphiqueFigure 1 – Répartition de la population selon le niveau de mixité et de revenu au carreau dans les six plus grands pôles urbains du Nord en 2019
Lille, l’un des pôles urbains les plus ségrégés de France
En 2019, 960 000 personnes vivent dans l’une des 37 communes du pôle urbain de Lille, dont la moitié à Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Ascq. Ce pôle se caractérise par d’importantes inégalités de revenus. En effet, plus souvent cadres, les 20 % les plus aisés déclarent des revenus plus élevés que ceux des autres pôles du Nord. A contrario, plus de quatre Roubaisiens sur dix vivent sous le seuil de pauvreté.
Le pôle de Lille est ainsi l’un des plus ségrégés de France aux côtés de Limoges, Rouen et Avignon. Ses habitants vivent plus souvent dans des espaces socialement marqués que dans les autres pôles du département : 28 % résident dans des quartiers aisés et 27 % dans des quartiers modestes. Si ces derniers comportent davantage de logements individuels (cités ouvrières, maisons de courée notamment), ils sont parfois aussi denses que les grands ensembles.
Les populations les plus aisées se concentrent surtout dans quelques communes au nord de Lille (figure 2) où un habitat bourgeois s’est développé dès le XIXe siècle (de Lambersart à Mouvaux), et où l’habitat social est peu développé. Leurs logements, plus spacieux, se situent souvent près de sites remarquables (parc de la citadelle à Lille, château de la Fontaine à Croix, golf de Brigode à Villeneuve-d’Ascq…). Les prix de l’immobilier dans ces quartiers limitent fortement les possibilités d’installation des ménages à revenus moyens ou modestes.
graphiqueFigure 2 – Mixité et revenus dans le pôle de Lille en 2019
Ailleurs, les plus modestes représentent une part importante de la population, notamment à Roubaix et Tourcoing, particulièrement affectés par l’effondrement de l’industrie textile, ainsi qu’à Lille-Sud et dans d’autres zones se superposant aux contours de la géographie prioritaire (Pont-de-Bois et Hôtel de Ville à Villeneuve-d’Ascq, Fort à Mons-en-Barœul…). Roubaix se distingue à l’échelle nationale par une très forte concentration de la pauvreté. Plus de trois Roubaisiens sur quatre vivent dans un QPV. Ainsi, 120 000 personnes résident dans le quartier Roubaix – Tourcoing – Blanc Seau – Croix Bas Saint-Pierre ou dans le QPV Lille – Secteur sud, qui figurent parmi les plus peuplés de France. Cela représente 13 % de la population du pôle. Dans ces zones où les plus bas revenus du pôle sont surreprésentés, les habitants bénéficient plus qu’ailleurs d’un logement social et sont plus exposés aux fragilités économiques et sociales (chômage, monoparentalité, suroccupation du logement…).
Seuls 19 % des habitants du pôle lillois vivent dans des quartiers mixtes, où la diversité de revenus reflète celle du pôle dans son ensemble. Ces derniers se situent au nord de Tourcoing, au sud d’Hellemmes, à Haubourdin, à Faches-Thumesnil, au sud de Wattrelos, à Lomme (entre Bourg et Maison des enfants), à La Madeleine… Comme dans une majorité de grands pôles urbains français, la population des quartiers mixtes a diminué en 15 ans, de même que leur étendue, du fait d’une gentrification de certains territoires (Noir Bonnet à Wasquehal) ou au contraire d’un appauvrissement pour d’autres (Wattrelos-centre par exemple).
Plus de mixité sociale à Dunkerque, Valenciennes et Douai
Dans les pôles de Dunkerque (142 000 habitants en 2019), Valenciennes (127 000) et Douai (85 000), des ménages aux revenus différents cohabitent plus souvent au sein des mêmes quartiers que dans le pôle de Lille et que dans la plupart des grands pôles français (figure 3). Toutefois, ils sont globalement plus exposés aux difficultés économiques, en particulier dans les pôles de Valenciennes et de Douai, territoires fragilisés par la fin de l’exploitation des mines de charbon et par le déclin de l’industrie sidérurgique. Ils déclarent ainsi un revenu médian inférieur de 12 % à celui de leurs homologues lillois et plus de 22 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté (soit 3 points de plus que les ménages du pôle de Lille).
graphiqueFigure 3 – Mixité et revenus dans les pôles de Dunkerque, Valenciennes et Douai en 2019
Le développement urbain, l’essor de l’industrie et les frontières naturelles ont façonné la géographie sociale des villes. Les ménages aux revenus les plus faibles vivent plus souvent près des zones industrielles ou portuaires, des infrastructures autoroutières, ferroviaires ou fluviales.
Ainsi, dans le pôle valenciennois, les habitants les plus modestes demeurent plus fréquemment sur la rive gauche de l’Escaut où se sont implantées les activités sidérurgiques, les coopératives agricoles et d’autres activités économiques jusqu’aux années 1960. Ils vivent au cœur des anciennes cités minières ou dans des logements ouvriers : de la Cité Thiers-Cité du rivage (Bruay-sur-l’Escaut) jusqu’à Brunehaut (Escautpont). Les plus aisés privilégient quant à eux la rive droite du canal (Le Vignoble, Saint-Michel-le-Rôleur).
À Douai, l’axe ferroviaire Arras-Lille sépare quartiers pauvres à l’est (Asturies-Belleforières) et aisés à l’ouest (du sud-est de la gare de Douai jusqu’à Lambres-lez-Douai). Dans le Dunkerquois, les ménages à bas revenus sont concentrés près du port, des industries sidérurgiques et de la raffinerie à l’ouest (QPV Saint-Pol-sur-Mer quartiers Ouest, Banc Vert) ; les plus aisés, à Malo-les-Bains.
Dans ces pôles, un habitant sur quatre vit dans un quartier mixte où la diversité de l’habitat favorise la cohabitation des différents groupes sociaux : au nord-est du centre hospitalier et autour du Château Dampierre à Valenciennes, dans le centre-ville de Sin-le-Noble, dans le quartier Casernes – Caux – Corbineau à Douai ou dans le centre de Dunkerque…
Dans le pôle de Maubeuge, derrière la mixité, une concentration de la pauvreté
Le pôle de Maubeuge se caractérise par une apparente mixité (figure 4), liée à sa situation économique et sociale. La population fait face à des difficultés bien plus importantes que les autres pôles urbains du Nord de sorte que la pauvreté est très diffuse sur l’ensemble du territoire. En effet, un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Dans la seule commune de Maubeuge, un tiers de la population est au chômage (au sens du recensement de la population), plus qu’à Roubaix. Le pôle, éloigné de la métropole lilloise, attire peu de cadres. Les 20 % les plus aisés déclarent un revenu supérieur à 36 000 €, soit 30 % de moins qu’à Lille. Les inégalités de revenus sont de fait plus faibles.
Cependant, il existe des poches de pauvreté, ciblées par la politique de la ville comme le QPV intercommunal Sous-le-Bois – Montplaisir – rue d’Haumont, historiquement ouvrier (fonderies et forges, faïenceries, usines sidérurgiques). Les grands ensembles de Provinces françaises et de l’Épinette, parmi les plus pauvres de France, ont été érigés dans les années 1960 pour maîtriser la poussée démographique d’une ville industrielle. À l’inverse, les plus aisés du pôle résident plus souvent au nord-est de Maubeuge (Pont-Allant) et dans le centre d’Hautmont.
graphiqueFigure 4 – Mixité et revenus dans le pôle de Maubeuge en 2019
Cambrai, le pôle urbain le plus mixte du département
Dans le pôle de Cambrai (39 000 habitants en 2019), quatre habitants sur dix vivent dans un quartier mixte, deux fois plus qu’en moyenne dans les six pôles du département. Ces quartiers sont répartis uniformément sur le territoire (figure 5). Cette mixité s’explique notamment par l’histoire économique de Cambrai, ville à vocation plus administrative où l’habitat ne s’est pas développé en fonction de grands espaces industriels alentours comme dans les autres pôles urbains.
Le pôle de Cambrai n’est toutefois pas exempt de quartiers où un groupe social est surreprésenté. Comme ailleurs, les QPV concentrent les situations de pauvreté : au nord de Cambrai (Quartier Saint-Roch), au sud (Résidence d’Esne), à l’est (Quartier Amérique), dans le Vieux centre-ville, où de nombreux hôtels particuliers et maisons du XVIIIe siècle ont été divisés en appartements. En dehors de la géographie prioritaire, les plus modestes vivent notamment dans le secteur Martin-Martine Séranvillers-Forenville à Cambrai. À l’inverse, les abords de la coulée verte de Cambrai et Proville attirent les plus aisés.
graphiqueFigure 5 – Mixité et revenus dans le pôle de Cambrai en 2019
Encadré 1 - Une mesure de la ségrégation résidentielle par les revenus
Dans cette étude, la ségrégation résidentielle des pôles urbains est décrite par une typologie des carreaux de 200 m de côté (avec cinq catégories : aisés, mixtes aisés, mixtes, mixtes modestes, modestes). La population de chaque pôle est divisée en cinq groupes sociaux de taille identique (quintiles de revenu). Chaque carreau où vivent plus de 20 ménages est classé selon la surreprésentation, parmi ses habitants, des plus modestes ou des plus aisés. Ainsi, dans les carreaux « modestes », soit les ménages du premier quintile représentent au moins 35 % de la population du carreau, soit ceux des deux premiers quintiles sont surreprésentés (plus de 60 % de la population). La même démarche est appliquée pour les carreaux « aisés ». Les situations intermédiaires (mixtes modestes et mixtes aisés) sont distinguées les unes des autres par une éventuelle sous-représentation des 40 % des ménages les plus aisés ou les plus modestes (moins de 30 % de la population).
Par ailleurs, la comparaison du niveau de ségrégation global entre deux pôles repose sur un indice synthétique (indice de Theil) fondé lui aussi sur les écarts de répartition des quintiles de revenu du pôle et des carreaux qui le constituent.
Définitions
Les pôles urbains sont ici les pôles des aires d’attraction des villes (AAV). Une AAV est l’ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué d’un pôle de population et d’emploi, et d’une couronne qui regroupe les communes dont au moins 15 % des actifs travaillent dans le pôle.
Les quartiers prioritaires de la ville (QPV) sont des territoires de la compétence du ministère chargé de la Ville et du Logement, définis par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014. Ils sont situés dans des unités urbaines d’au moins 10 000 habitants en 2011 et comptaient lors de leur découpage au moins 1 000 habitants. Ils se caractérisent par un écart de développement économique et social par rapport au territoire national d’une part, et, d’autre part, à l’unité urbaine dans laquelle ils se situent. Les QPV sont aussi des territoires d’intervention des partenaires signataires du Contrat de Ville (intercommunalités, État, collectivités territoriales…).
Une personne est considérée comme pauvre si son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian (soit 1 102 euros par mois pour une personne vivant seule et 2 314 euros pour un couple avec deux enfants âgés de moins de 14 ans en France métropolitaine en 2019).
Le revenu médian déclaré est le revenu avant impôt et redistribution tel que la moitié de la population touche moins et que l’autre moitié gagne plus. Ces données sont issues du fichier sur les revenus localisés sociaux et fiscaux (FiLoSofi 2019).
Pour en savoir plus
(1) « Mixité sociale et ségrégation dans la métropole du Grand Paris : état des lieux et tendances sur 15 ans », Insee Analyses Île-de-France no 165, février 2023.
(2) « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », Insee Analyses no 79, janvier 2023.
(3) « Ségrégation résidentielle dans les pôles d’Annecy, Chambéry et Valence : populations aisées et modestes n’ont pas les mêmes adresses », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes no 152, décembre 2022.
(4) « Nantes Métropole : concentration accrue de personnes aux revenus élevés », Insee Analyses Pays-de-la-Loire no 105, juillet 2022.
(5) « Ouvrir dans un nouvel ongletVivre ensemble dans la métropole lilloise. Ségrégation socio-spatiale et migrations résidentielles dans le territoire du Scot de Lille Métropole », Agence d’Urbanisme de Lille Métropole, septembre 2021.