Insee Analyses Grand Est · Décembre 2022 · n° 154

Une personne sur six en difficulté face au numérique

Le développement rapide d’internet et de la dématérialisation a multiplié les usages des outils numériques : de plus en plus de démarches de la vie courante se font sur internet. La maîtrise de ces outils pour pouvoir réaliser des démarches administratives, accéder à certains services publics ou encore effectuer des achats en ligne est donc devenue aussi indispensable que de savoir lire, écrire ou compter. La crise du Covid-19, et notamment les confinements successifs ont par ailleurs intensifié les usages et la nécessité du recours au numérique (télétravail, classes virtuelles, télémédecine…). Les personnes n’ayant pas accédé à internet dans l’année ou qui sont en difficulté avec les usages du numérique, qui sont ainsi considérées en situation d’illectronisme (encadré 1), sont donc marginalisées. Cela peut accentuer la vulnérabilité sociale de celles d’entre elles déjà fragiles.

La lutte contre ce phénomène est, au même titre que la lutte contre l’illettrisme, un enjeu d’égalité sociale et d’accès aux droits. Identifier les populations touchées et estimer leur répartition géographique peut aider à orienter la mise en place de politiques publiques visant à réduire la fracture numérique.

En 2019, un peu moins de 800 000 habitants du Grand Est âgés de 15 ans ou plus étaient potentiellement en situation d’illectronisme. Cela signifie que 17 % des 15 ans ou plus de la région n’ont pas utilisé internet au cours des 12 derniers mois, ou s’en sont servis, mais ne possèdent pas les compétences numériques de base. Ce taux est similaire à celui de la France de province. En comparaison, il est le plus faible en Île-de-France (12 %) et le plus élevé en Corse (26 %).

En 2019, près de neuf personnes en situation d’illectronisme sur dix n’ont pas utilisé internet depuis au moins un an, soit 15 % des habitants de 15 ans ou plus de la région. À l’inverse, 70 % de ces derniers y ont recours tous les jours (figure 1). Un habitant sur sept ne dispose pas d’équipement internet à domicile, ce qui l’éloigne de l’usage et de la maîtrise du numérique.

Sans être en très grande difficulté, trois habitants sur dix âgés de 15 ans ou plus ont une maîtrise faible du numérique. À l’inverse, un quart de la population est doté de compétences numériques fortes, à savoir des compétences plus que basiques dans chacun de ces domaines.

Les usages du numérique, et plus particulièrement d’internet, révèlent une fracture générationnelle importante. En effet, plus l’âge est élevé, plus la probabilité d’être en situation d’illectronisme est forte : 3 % des personnes de moins de 30 ans sont dans ce cas, contre 41 % des personnes âgées de 60 ans ou plus.

Aux âges élevés, le recours aux outils du numérique est limité, leur apparition étant relativement récente. Ainsi, en 2019, 38 % des personnes d’au moins 60 ans n’ont pas utilisé internet dans l’année. Cette proportion s’élève à 74 % pour les personnes de 80 ans ou plus. La proportion de personnes âgées de 60 ans ou plus ne disposant pas d’un accès internet à domicile est dix fois plus élevée que celle des moins de 30 ans (respectivement 30 % contre 3 %).

Chez les plus jeunes, l’usage quotidien d’internet est beaucoup plus répandu : neuf personnes de moins de 30 ans sur dix utilisent internet tous les jours. Leur taux d’illectronisme est ainsi très faible (3 %). Un jeune de moins de 30 ans sur deux maîtrise les quatre domaines de compétence, contre moins d’une personne de 60 ans ou plus sur dix. Néanmoins, une partie des plus jeunes rencontrent aussi des difficultés dans leur recours aux outils du numérique, notamment pour des usages plus complexes ou moins courants. En France, 19,2 % des jeunes de moins de 30 ans déclarent au moins une incapacité dans l’usage du numérique.

Le niveau de diplôme influence également le taux d’illectronisme. Ainsi, si 35 % des personnes non diplômées sont concernées en 2019 (figure 2), cette proportion est divisée par deux pour les détenteurs d’un BEP ou d’un CAP et diminue encore chez les bacheliers (6 %) et les diplômés du supérieur (4 %).

La hausse du niveau de diplôme réduit l’effet de l’âge, toutes choses égales par ailleurs. Le taux d’illectronisme des personnes âgées d’au moins 60 ans détentrices d’un diplôme du supérieur est trois fois moins élevé que celui de l’ensemble de cette catégorie d’âge. À l’inverse, les jeunes qui n’ont aucun diplôme sont deux fois plus souvent en difficulté que l’ensemble des moins de 30 ans, tous niveaux de diplôme confondus.

Un tiers des personnes en emploi possèdent des compétences numériques fortes contre seulement un quart des chômeurs. En revanche, leurs taux d’illectronisme sont proches (respectivement 5 % et 7 %) ; les personnes au chômage utilisant internet dans les mêmes proportions que celles en emploi : plus de quatre personnes sur cinq l’utilisent tous les jours.

La catégorie socioprofessionnelle a également une influence sur le taux d’illectronisme. Parmi les actifs, les ouvriers et les agriculteurs ont le taux d’illectronisme le plus élevé : 11 %, contre 5 % pour les artisans et les employés, et 2 % pour les cadres et les professions intermédiaires. De plus, près de trois cadres sur cinq ont des compétences numériques fortes, contre un peu moins d’un ouvrier et d’un agriculteur sur cinq.

Les différences d’âge et de niveau de diplôme entre les différentes catégories socioprofessionnelles ne suffisent pas à expliquer ces écarts. À niveau de diplôme égal, les cadres sont quatre fois moins souvent en difficulté que les agriculteurs. De plus, ces écarts entre catégories socioprofessionnelles s’accentuent avec l’âge. Entre 15 et 45 ans, le taux d’illectronisme des agriculteurs et des ouvriers est relativement bas, proche de celui des cadres et des professions intermédiaires. Cependant, entre 45 et 59 ans, il augmente fortement, pour atteindre 10 % chez les agriculteurs et 14 % chez les ouvriers, tandis qu’il reste bas pour les cadres et professions intermédiaires (respectivement 1 % et 3 %).

Les personnes vivant seules ou en couple sans enfant sont plus fréquemment en situation d’illectronisme que les autres : cette situation concerne 31 % des personnes seules et 23 % des couples sans enfant. De même, elles disposent moins souvent d’un accès internet à domicile que les couples avec enfants et les familles monoparentales, et ont moins souvent recours à internet quotidiennement. À l’inverse, les couples avec enfant sont plus fréquemment dotés de compétences fortes et utilisent plus souvent internet au quotidien. Les personnes vivant sans enfant sont souvent plus âgées, et légèrement moins diplômées, ce qui peut expliquer qu’elles soient plus souvent en situation d’illectronisme que les personnes vivant avec enfants. En particulier, trois personnes vivant seules sur dix ont 70 ans ou plus ; il s’agit majoritairement de femmes.

Or, à partir de 70 ans, les femmes sont plus souvent en difficulté que les hommes, notamment parce qu’elles ont moins eu recours à internet dans les douze derniers mois. Elles disposent aussi moins souvent d’un équipement internet à domicile. En revanche, les femmes de moins de 45 ans, ont davantage de fortes compétences numériques que les hommes du même âge.

À partir de leur composition socio-démographique, il est possible d’estimer, pour chacun des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), le nombre de personnes susceptibles d’être en situation d’illectronisme (figure 3). Du fait de la structure de leur population, la part de personnes en difficulté varie du simple au double entre la communauté de communes du Haut Chemin - Pays de Pange en Moselle, où elle est minimale (12 %), et celle des Savoir-Faire (pour sa partie située en Haute-Marne) où elle est maximale (26 %).

De manière générale, elle est relativement faible dans les EPCI les plus urbains, tels que les métropoles de Metz (12 %), de Nancy (12 %) et de Strasbourg (13 %) et dans une moindre mesure dans la communauté urbaine du Grand Reims (15 %). Ces EPCI constituent des pôles économiques et universitaires importants, ce qui peut expliquer que l’illectronisme y soit moins fréquent. Les EPCI du sillon lorrain, ainsi qu’une grande partie des EPCI mosellans et certains EPCI autour de la communauté d’agglomération du Grand Verdun sont aussi dans ce cas, bien que la population y soit un peu moins jeune et moins diplômée.

À l’inverse, dans les EPCI où la population est plus âgée et moins diplômée, l’illectronisme est plus répandu, et touche même un habitant sur cinq. En particulier, trois communautés d’agglomération sont dans ce cas : celle de Saint-Dié-des-Vosges, celle de Saint-Dizier, Der et Blaise, et celle d’Épernay, Coteaux et Plaine de Champagne, soit 30 000 personnes susceptibles de ne pas maîtriser les outils numériques. Ceci étant, les EPCI les moins touchés relativement, sont aussi plus peuplés, si bien que le nombre de personnes concernées y est plus important.

Les EPCI où le taux d’illectronisme est le plus élevé sont aussi ceux où la part de personnes équipées d’internet à domicile est la plus faible. Ainsi, dans la communauté de communes des Portes de Romilly-sur-Seine, où le taux d’illectronisme est supérieur à 20 %, près d’un cinquième de la population ne dispose pas d’accès à internet à domicile, contre moins d’une personne sur dix dans l’Eurométropole de Strasbourg (figure 4).

Une méthode de scoring a été mise en œuvre pour estimer les compétences et les usages du numérique à un niveau régional et infrarégional. Elle consiste à expliquer, à l’aide d’une régression logistique pondérée, chaque variable d’intérêt par les caractéristiques des répondants de France de province à l’enquête TIC 2019 auprès des ménages. Ces caractéristiques sont essentiellement individuelles (sexe, âge, diplôme, situation professionnelle, catégorie sociale, situation familiale) mais également contextuelles (catégorie d’aire d’attraction des villes, quintile de revenu, taux de couverture en Très Haut Débit (THD) fixe de la commune de résidence du répondant). Une indicatrice régionale a également été intégrée, tout comme les effets régionaux significatifs. Cette méthode permet d’obtenir des résultats « toutes caractéristiques mesurées égales par ailleurs ». Les probabilités pour chaque croisement de caractéristiques sont déduites de ces résultats. Elles sont ensuite appliquées aux populations des différents EPCI à partir de la population estimée par le recensement de la population 2018. Les taux par EPCI sont ainsi des taux estimés et non des taux réels. Par ailleurs, pour comparer les taux régionaux aux taux nationaux, la méthode du calage sur marges a été privilégiée.

L’enquête sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) auprès des ménages collecte des informations décrivant l’équipement et les usages des ménages dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (informatique, internet fixe et mobile). L’édition de 2019 permet en outre de mesurer les compétences numériques.

Le recensement de la population (RP) fournit des statistiques sur le nombre d’habitants et sur leurs caractéristiques : répartition par sexe et âge, profession, logement, etc.