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Insee Analyses · Octobre 2022 · n° 77
Insee AnalysesEn 2020, une mesure de la pauvreté compliquée par la crise sanitaire

Marguerite Garnero, Jorick Guillaneuf (Insee)

L’Insee a publié en novembre 2021 une estimation provisoire de la pauvreté qui concluait à une stabilité de la pauvreté en 2020. L’institut maintient aujourd’hui ce diagnostic et s’écarte ainsi des résultats de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, qui établit habituellement les chiffres définitifs sur l’évolution des inégalités de revenus et de la pauvreté.

Selon l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, le taux de pauvreté monétaire, c’est-à-dire la part de personnes pauvres dans la population, est de 13,9 % en 2020, soit une baisse de 0,7 point par rapport à l’année précédente. L’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie conclut quant à elle à une quasi-stabilité du taux de pauvreté, évalué selon cette source à 14,3 % en 2020.

Il est arrivé par le passé que les messages délivrés par ces deux sources diffèrent ; dans ce cas, ce sont les résultats de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, considérée comme source de référence au niveau national, qui font foi. En 2020 toutefois, la crise sanitaire a fragilisé les résultats des enquêtes : les conditions de collecte ont été dégradées par les restrictions de déplacement et la multiplicité des dispositifs financiers de soutien a compliqué la mesure des revenus.

Malgré ces divergences, les enquêtes s’accordent sur le fait que la pauvreté n’a pas augmenté en 2020 en dépit de l’ampleur de la crise et que les mesures de soutien aux ménages ont fortement contribué à contenir la hausse de la pauvreté. Elles convergent également sur la hausse du niveau de vie médian et sur un léger recul des inégalités de niveau de vie en 2020.

En France, plusieurs dispositifs permettent de mesurer la pauvreté et des inégalités

Une personne est considérée en situation de monétaire lorsqu’elle vit dans un ménage dont le est inférieur au . En France et en Europe, ce seuil est le plus souvent fixé à 60 % du niveau de vie médian. Le niveau de vie médian est le montant partageant la population en deux, la première moitié ayant un niveau de vie inférieur et la seconde un niveau de vie supérieur. Pour le déterminer, il est donc nécessaire de connaître la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population.

Trois sources complémentaires de données sur les revenus et la pauvreté sont produites chaque année par l’Insee.

L’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) s’appuie sur les données de l’enquête Emploi en continu du quatrième trimestre de chaque année. L’enquête Emploi est réalisée en continu chaque semaine de l’année ; ses résultats sont publiés par trimestre. Les enquêtés sont interrogés six fois, chaque fois à un trimestre d’intervalle ; hors période de crise sanitaire, jusqu’en 2020, les première et sixième interrogations étaient réalisées en face-à-face, tandis que les interrogations intermédiaires étaient réalisées par téléphone. L’enquête bénéficiait ainsi d’un grand échantillon, de plus de 50 000 ménages et 110 000 individus répondant chaque trimestre jusqu’en 2019. En 2020, l’échantillon était composé de 88 000 individus regroupés en 40 000 ménages, du fait de plusieurs effets combinés décrits plus bas. Les données d’enquête, une fois collectées, sont rapprochées individuellement de données administratives comme les revenus déclarés à l’administration fiscale, les impôts payés et les prestations sociales perçues.

L’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV) est la partie française d’une enquête menée chaque année dans toute l’Union européenne (EU-SILC). Elle sert de référence pour faire des comparaisons entre les États membres sur les conditions de vie et les inégalités. Son questionnaire vise à la fois à mesurer la pauvreté monétaire, mais également d’autres dimensions de la pauvreté et de l’exclusion, comme la privation matérielle et sociale et les situations de faible intensité de travail du ménage. En 2021, 14 000 des 22 000 ménages interrogés ont répondu à l’enquête SRCV, regroupant 25 000 individus de 16 ans ou plus.

Peu de montants de revenus sont demandés dans le questionnaire : en effet, comme pour ERFS, les données de l’enquête sont enrichies après la collecte avec des données administratives de revenus, de manière à limiter la charge de collecte et améliorer la précision des résultats.

Le dispositif Filosofi (Fichier localisé social et fiscal), enfin, est issu d’un rapprochement de fichiers administratifs exhaustifs d’origine fiscale (comme la déclaration d’impôt sur le revenu et la déclaration de taxe d’habitation) et sociale (comme les fichiers détaillant les versements de prestations sociales effectués par la Caisse nationale des allocations familiales - CNAF - et d’autres organismes. Ce rapprochement permet de reconstituer des ménages fiscaux, en regroupant les individus des foyers fiscaux rattachés à un même logement, et de calculer leur revenu déclaré et leur .

Filosofi décrit ainsi les revenus de plus de 28 millions de ménages fiscaux, et est par conséquent la source mobilisée pour mesurer les inégalités à un niveau géographique fin, à une maille qui peut aller jusqu’à l’infracommunal.

Néanmoins, deux limites du dispositif Filosofi justifient le fait que l’usage de cette source est surtout axé sur les comparaisons entre territoires. Premièrement, le revenu disponible tel que défini dans Filosofi est incomplet : certains revenus, notamment ceux exonérés d’impôts (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, prime Covid versée aux personnels soignants, etc.), ne sont pas présents dans les sources administratives et faute d’informations sociodémographiques, comme la catégorie socioprofessionnelle ou le secteur d’activité des habitants des logements, ils ne peuvent pas être imputés dans Filosofi. Deuxièmement, de manière plus technique, le dispositif est quasi exhaustif, mais le degré de couverture de la population peut varier d’une année sur l’autre. Ces variations de couverture peuvent venir perturber la mesure des évolutions annuelles des distributions de revenu.

SRCV et ERFS : deux enquêtes cousines qui se distinguent sur certains points

Issus de sources administratives, les revenus individuels calculés à partir d’ERFS, comme ceux à partir de SRCV, sont habituellement très fiables. Le processus dit d’appariement, qui consiste à rapprocher les données d’enquête et les données administratives, fournit de très bons résultats : pour les revenus 2020, pour ERFS comme pour SRCV, 96 % des individus de 15 ans ou plus appartenant à des ménages répondant à l’enquête ont été retrouvés dans les sources fiscales. La part des individus appariés avec les sources sociales est nettement plus faible (22 % pour SRCV pour les revenus 2020) parce que tous les ménages ne bénéficient pas de prestations sociales et qu’une seule personne par ménage est généralement allocataire.

Dans les deux enquêtes, lorsqu’un ménage n’est pas retrouvé dans les sources administratives, les revenus et prestations manquantes sont alors imputés pour corriger ce défaut d’appariement, dont l’ampleur est limitée dans ERFS comme dans SRCV.

Si les deux enquêtes sont proches dans leur méthodologie de mesure des revenus, elles diffèrent en partie par leur champ et leur définition du revenu disponible utilisée pour calculer le niveau de vie, et donc le .

Dans ERFS, le champ de diffusion des résultats exclut les ménages dont la personne de référence est étudiante et ceux dont le revenu déclaré à l’administration fiscale est négatif (le plus souvent en cas de pertes liées à une activité de travailleur indépendant). En revanche, dans SRCV, tous les ménages enquêtés sont retenus dans le champ de diffusion.

Par ailleurs, les contours du revenu disponible sont plus larges dans SRCV que dans ERFS. Dans les deux sources, il inclut les revenus déclarés à l’administration fiscale et les prestations sociales. Il inclut également certains revenus non déclarés car exonérés d’impôt sur le revenu, comme les heures supplémentaires ou certains revenus financiers, qui sont par conséquent imputés. En plus de ce socle commun, certains montants de revenus absents des sources administratives sont collectés dans SRCV par voie d’enquête, comme ceux des bourses d’études ou des versements à un étudiant par ses parents. Toutefois, pour établir des comparaisons, la définition du revenu disponible et le champ de diffusion de SRCV sont ramenés à ceux d’ERFS.

Des écarts de résultats fréquents entre les deux sources

SRCV et ERFS sont des dispositifs qui existent depuis de nombreuses années : le dispositif européen EU-SILC, dont SRCV est le volet français, a débuté en 2004. En 2005, ERFS a remplacé l’enquête Revenus fiscaux réalisée depuis 1970. Au cours des années passées, il est arrivé à plusieurs reprises que l’évolution des indicateurs de pauvreté et d’inégalités diffère entre SRCV et ERFS.

Les figure 1 et figure 2 présentent l’évolution comparée du taux de pauvreté d’une part et de l’ d’autre part, calculés à partir des deux sources. La période présentée s’arrête aux revenus 2018, car il y a une rupture de série entre SRCV 2019 (revenus 2018) et SRCV 2020 (revenus 2019) causée par une refonte de l’enquête. Si les évolutions annuelles suivent généralement la même tendance dans les deux sources, il arrive fréquemment qu’elles ne soient pas de même ampleur : par exemple en 2018, à la suite de la baisse des allocations logement induite par la réforme de la réduction du loyer de solidarité, le taux de pauvreté augmente de 0,7 point dans ERFS et de 0,2 point dans SRCV.

Figure 1 - Taux de pauvreté dans ERFS et SRCV de 2008 à 2018

en %
Figure 1 - Taux de pauvreté dans ERFS et SRCV de 2008 à 2018 (en % ) - Lecture : en 2018, le taux de pauvreté est de 14,8 % dans l'ERFS et 13,6 % dans l'enquête SRCV.
2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
SRCV 12,9 13,3 14,0 14,1 13,7 13,3 13,6 13,6 13,2 13,4 13,6
ERFS 13,0 13,5 14,0 14,3 14,2 13,8 14,0 14,2 14,0 14,1 14,8
  • Lecture : en 2018, le taux de pauvreté est de 14,8 % dans l'ERFS et 13,6 % dans l'enquête SRCV.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de 2008 à 2018, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) de 2009 à 2019.

Figure 1 - Taux de pauvreté dans ERFS et SRCV de 2008 à 2018

  • Lecture : en 2018, le taux de pauvreté est de 14,8 % dans l'ERFS et 13,6 % dans l'enquête SRCV.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de 2008 à 2018, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) de 2009 à 2019.

Figure 2 - Indice de Gini dans ERFS et SRCV de 2011 à 2018

Figure 2 - Indice de Gini dans ERFS et SRCV de 2011 à 2018 - Lecture : en 2018, l'indice de Gini est de 0,298 dans l'ERFS et de 0,292 dans l'enquête SRCV.
2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
SRCV 0,305 0,301 0,292 0,292 0,293 0,288 0,285 0,292
ERFS 0,305 0,302 0,288 0,289 0,292 0,288 0,289 0,298
  • Lecture : en 2018, l'indice de Gini est de 0,298 dans l'ERFS et de 0,292 dans l'enquête SRCV.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de 2011 à 2018, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) de 2012 à 2019.

Figure 2 - Indice de Gini dans ERFS et SRCV de 2011 à 2018

  • Lecture : en 2018, l'indice de Gini est de 0,298 dans l'ERFS et de 0,292 dans l'enquête SRCV.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de 2011 à 2018, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) de 2012 à 2019.

Lorsque les messages délivrés par les deux sources diffèrent, ce sont les résultats d’ERFS qui font foi, du fait de son statut de source de référence pour l’observation du revenu disponible, des inégalités de niveaux de vie et de la pauvreté. ERFS présente en effet l’avantage à la fois de disposer, via l’enquête Emploi, de nombreuses informations sur les ménages enquêtés et les personnes qui les composent, et de bénéficier d’un échantillon près de quatre fois plus grand que celui de SRCV conférant une précision plus grande aux indicateurs de référence.

Calculé sur les données de 2019, l’ à 95 % du taux de pauvreté d’ERFS est de 0,35 point. L’intervalle de confiance est un peu plus large sur les revenus 2020, du fait d’une baisse de la taille de l’échantillon de l’enquête Emploi, qui s’explique par plusieurs facteurs.

Des conditions de collecte et de production perturbées par la crise sanitaire

ERFS est construite à partir de l’échantillon de répondants à l’enquête Emploi en continu du quatrième trimestre de l’année de revenus étudiée. En 2020, cet échantillon était composé de 88 000 individus regroupés dans 40 000 ménages, alors qu’il était composé de 110 000 individus et 50 000 ménages en 2019. Cette baisse d’effectifs est le fruit de trois effets combinés.

D’abord, en 2020, la méthode de tirage de l’échantillon de l’enquête Emploi a évolué. La base de sondage utilisée, Fideli (Fichiers démographiques sur les logements et les individus), d'origine fiscale, est plus riche en information que les fichiers fiscaux dans lesquels avait été tiré le précédent échantillon, ce qui permet d’obtenir un niveau de précision du taux de chômage équivalent tout en réduisant la taille de l’échantillon. Cette évolution méthodologique a conduit à diminuer d’environ 15 % le nombre de logements enquêtés.

Ensuite, en 2020, l’enquête Emploi a fait l’objet d’une enquête pilote destinée à mesurer l’impact de la refonte de l’enquête qui entrait en vigueur un an plus tard. Un quart de l’échantillon de l’enquête Emploi en cours de collecte a été utilisé pour alimenter l’échantillon de l’enquête pilote. Cette ponction n’a été que partiellement compensée par le tirage d’un sur-échantillon interrogé avec l’ancienne enquête.

Enfin, le quatrième trimestre 2020 a été marqué par une période de confinement en France métropolitaine (29 octobre - 15 décembre) qui a affecté la collecte sur le terrain. Du 30 octobre au 10 novembre, le repérage sur le terrain des adresses des enquêtés et les entretiens en face-à-face ont été complètement suspendus dans tous les établissements métropolitains de l’Insee. Le repérage, qui permet à l’enquêteur de se rendre sur le terrain, de trouver le logement à enquêter et de prendre contact avec ses habitants, a ensuite en grande partie repris, mais pas totalement, les enquêtes continuant à se dérouler entièrement par téléphone. Lors des différentes périodes de la crise sanitaire, l’abandon du repérage est la modification du protocole de l’enquête qui a pesé le plus sur le taux de collecte (figure 3).

Figure 3 - Taux de collecte de l'enquête Emploi selon les semaines de référence des années 2019 et 2020

en %
Figure 3 - Taux de collecte de l'enquête Emploi selon les semaines de référence des années 2019 et 2020 (en %) - Lecture : la première semaine du confinement de mars 2020, le taux de collecte (ratio entre le nombre de personnes tirées au sort dans l'échantillon et le nombre de personnes ayant effectivement répondu à l'enquête) de l'EEC a atteint 52,7 %.
Semaines 2019 2020
1er trimestre
1 63,0 64,8
2 64,1 65,8
3 64,9 65,4
4 63,1 64,2
5 60,7 64,8
6 63,8 65,9
7 62,8 65,2
8 63,2 65,2
9 63,9 63,5
10 62,4 56,9
11 63,7 55,2
12 64,8 52,7
13 61,9 53,8
2e trimestre
14 62,7 53,6
15 63,7 54,3
16 64,5 56,0
17 64,2 56,1
18 62,0 51,9
19 64,3 56,1
20 64,8 58,3
21 62,6 60,1
22 62,5 61,0
23 63,5 58,8
24 60,6 59,1
25 62,9 57,2
26 60,7 59,0
3e trimestre
27 61,9 60,4
28 58,0 57,8
29 59,9 59,5
30 59,0 58,8
31 56,0 56,3
32 59,5 57,9
33 62,7 61,6
34 63,2 62,5
35 63,4 60,6
36 64,5 61,5
37 64,7 60,9
38 66,1 61,0
39 63,8 62,6
4e trimestre
40 65,2 61,2
41 62,6 61,0
42 63,7 60,5
43 63,1 57,2
44 61,6 55,4
45 64,8 57,7
46 64,8 58,8
47 64,3 60,2
48 62,9 58,5
49 60,2 58,5
50 59,3 56,6
51 62,0 57,0
52 62,4 61,9
53 62,2
  • Lecture : la première semaine du confinement de mars 2020, le taux de collecte (ratio entre le nombre de personnes tirées au sort dans l'échantillon et le nombre de personnes ayant effectivement répondu à l'enquête) de l'EEC a atteint 52,7 %.
  • Champ : France, personnes interrogées pour la première fois ou personnes ayant déjà été interrogées précédemment.
  • Source : Insee, enquêtes Emploi en continu (EEC) de 2019 et 2020.

Figure 3 - Taux de collecte de l'enquête Emploi selon les semaines de référence des années 2019 et 2020

  • Lecture : la première semaine du confinement de mars 2020, le taux de collecte (ratio entre le nombre de personnes tirées au sort dans l'échantillon et le nombre de personnes ayant effectivement répondu à l'enquête) de l'EEC a atteint 52,7 %.
  • Champ : France, personnes interrogées pour la première fois ou personnes ayant déjà été interrogées précédemment.
  • Source : Insee, enquêtes Emploi en continu (EEC) de 2019 et 2020.

Le taux de collecte a ainsi diminué entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020 de 2 points en réinterrogation (de 62 % à 60 %) et de presque 8 points en première interrogation (de 61,5 % à 54 %). Certaines semaines du quatrième trimestre, l’écart de taux de collecte entre les années 2019 et 2020 a pu aller jusqu’à 15 points de pourcentage. Or la correction de la non-réponse totale des ménages est faite sur la base d’informations limitées, issues de la base de sondage. Il est possible que certaines variables explicatives de la non-réponse en cette période particulière n’aient pas entièrement été prises en compte avec les variables disponibles. Ces changements des conditions de collecte ont eu un impact limité sur la mesure des indicateurs du marché du travail, mais il est possible qu’ils aient eu un impact plus élevé sur celle des revenus, par ailleurs très sensible, notamment dans le bas de la distribution : une faible variation de revenus peut par exemple faire basculer au-dessus ou au-dessous du seuil de pauvreté. En effet, la non-réponse a été un peu plus fréquente parmi les ménages percevant de faibles revenus d’activité, ce qui pourrait avoir fragilisé les résultats concernant le bas de la distribution de revenus des ménages, même après repondération.

L’enquête SRCV relative aux revenus 2020 a, quant à elle, été collectée de début février à mi-avril 2021. La collecte, réalisée en face-à-face en temps normal (soit hors période de crise sanitaire), a entièrement été menée par téléphone ; le repérage terrain des logements à enquêter a toutefois été possible la plupart du temps. De façon assez inattendue, le taux de collecte de SRCV 2021 a été le plus élevé de ces dernières années : 64 % en première interrogation et 89 % en réinterrogation. À titre de comparaison, en 2019, le taux de collecte était de 58 % en première interrogation et de 85 % en réinterrogation obligatoire. Deux pistes ont été avancées pour expliquer la réussite de la collecte : premièrement, le questionnaire de SRCV 2021 a été raccourci pour faciliter son passage par téléphone, ce qui a dû limiter les abandons en cours de collecte. Deuxièmement, les ménages étaient vraisemblablement plus facilement joignables qu’à l’accoutumée, car une mesure de couvre-feu (à 18 h, puis à 19 h) était en vigueur pendant toute la durée de la collecte. Une mesure de confinement, avec restriction des déplacements à plus de 10 km de son domicile, a également été mise en œuvre pendant les deux dernières semaines de collecte.

Pour SRCV comme pour ERFS, il est possible que, du fait des conditions de collecte atypiques, le profil des ménages répondants se soit écarté du profil des ménages répondant habituellement, et que le calage réalisé pour corriger la non-réponse totale n’ait pas suffi à corriger cette différence de profil.

Une mesure du revenu disponible altérée par l’introduction de plusieurs mesures exceptionnelles

En temps normal, tous les revenus mobilisés pour calculer le revenu disponible dans ERFS (revenus d’activité et de remplacement, revenus financiers et fonciers, aides et allocations, impôts), à l’exception des revenus financiers exonérés d’impôt sur le revenu, sont issus des sources fiscales et sociales. Depuis 2019 et la crise sociale dite des « gilets jaunes », des revenus exonérés d’impôt sur le revenu (et donc absents de la déclaration d’impôt sur les revenus) ont été introduits (encadré). Ces revenus ont dû être imputés dans les deux enquêtes. L’aide exceptionnelle de solidarité a également été imputée pour 2020, l’Insee ne disposant pas de ces données : le caractère exceptionnel de l’aide a en effet impliqué des circuits de versement et de remontée des données différents de ceux des prestations usuellement versées aux ménages.

Au total, cinq types de revenus, absents des sources administratives, ont été imputés dans SRCV et ERFS :
- la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ;
- les rémunérations pour heures supplémentaires exonérées d’impôt ;
- les primes versées dans le secteur de la santé aux personnels soignants ;
- le fonds de solidarité des entreprises ;
- l’aide exceptionnelle de solidarité.

Les revenus imputés sont par nature moins fiables que ceux issus des sources administratives. Leur plus grande importance en 2020 fragilise le calcul du revenu disponible, et les indicateurs qui en découlent perdent en précision.

Des sources qui divergent sur l’évolution du taux de pauvreté monétaire en 2020

ERFS et SRCV établissent des constats différents sur l’évolution de la pauvreté en 2020. Dans le contexte de fragilité accrue de ces enquêtes du fait de la crise sanitaire, l’Insee a décidé de ne pas valider le chiffre sur l’évolution de la pauvreté monétaire en 2020 issu de ERFS. L’Insee maintient son diagnostic de stabilité de la pauvreté en 2020 issue de son estimation provisoire publiée en novembre 2021 [Buresi, Cornuet, 2021]. En conséquence, le taux de pauvreté s'établit à 14,6 % en 2020 en France métropolitaine. Les principaux résultats issus de SRCV et ERFS sont néanmoins présentés ici, ce qui permet de souligner leurs points de rencontre et leurs divergences.

Selon ERFS, 8,9 millions de personnes vivant dans un ménage ordinaire de France métropolitaine ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté monétaire en 2020 (1 128 euros par mois), fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian (figure 4). Le taux de pauvreté monétaire selon cette source est de 13,9 % en 2020 ; il diminue de 0,7 point par rapport à 2019. Cette baisse s’écarte nettement de l’estimation avancée fondée sur la microsimulation, publiée à l’automne 2021, qui anticipait une stabilité du taux de pauvreté en 2020.

Figure 4 - Indicateurs de pauvreté selon ERFS, SRCV et Filosofi en 2019 et 2020

Figure 4 - Indicateurs de pauvreté selon ERFS, SRCV et Filosofi en 2019 et 2020 - Lecture : en 2020, le taux de pauvreté est de 13,9 % dans l'ERFS, de 14,3 % dans SRCV et de 14,5 % dans Filosofi.
Seuil à 60 % de la médiane ERFS SRCV Filosofi
2019 2020 2019 2020 2019 2020
Nombre de personnes pauvres (en milliers) 9 244 8 884 8 902 9 009 9 177 9 129
Taux de pauvreté (en %) 14,6 13,9 14,2 14,3 14,6 14,5
Seuil de pauvreté (en euros 2020/mois) 1 107 1 128 1 112 1 132 1 102 1 120
Niveau de vie médian des personnes pauvres (en euros 2020/mois) 889 921 878 913 875 894
Intensité de la pauvreté (en %) 19,7 18,4 21,0 19,4 20,6 20,2
  • Note : le 26 octobre 2022, les données Filosofi ont été modifiées pour le nombre de personnes et l’intensité de la pauvreté en 2020, pour le seuil de pauvreté et le niveau de vie médian des personnes pauvres en 2019 et 2020. Le champ a également été précisé.
  • Lecture : en 2020, le taux de pauvreté est de 13,9 % dans l'ERFS, de 14,3 % dans SRCV et de 14,5 % dans Filosofi.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant en logement ordinaire pour SRCV. Pour ERFS et Filosofi, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et pour ERFS uniquement, hors ménages dont la personne de référence est étudiante.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2019 et 2020, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) 2020 et 2021, Fichier localisé social et fiscal (Filosofi) 2019 et 2020.

En outre, l’ampleur de la baisse du taux de pauvreté n’est pas confirmée par les autres sources pouvant être mobilisées par l’Insee pour l’analyse de la pauvreté monétaire : le taux de pauvreté mesuré par l’enquête SRCV est quasi stable (+ 0,1 point) : 9,0 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, qui est de 1 132 euros par mois pour cette source. Ces évolutions sont inchangées une fois les écarts de champ entre ERFS et SRCV neutralisés.

Les divergences entre sources sur l’évolution de la pauvreté monétaire en 2020 trouvent principalement leur origine dans l’évolution des niveaux de vie des plus modestes. Le niveau de vie plafond des 10 % les plus modestes est de 12 240 euros par an d’après ERFS 2020, sa valeur la plus élevée depuis que la série existe (figure 5). Dans ERFS, le premier de niveau de vie augmente de 4,4 % en euros constants, c’est-à-dire en corrigeant de l’évolution de l’indice des prix à la consommation. Cette hausse est nettement plus importante que celle mesurée dans SRCV (+ 2,6 %). L’écart de diagnostic porte sur l’évolution du  : le niveau de vie plafond avant redistribution des 10 % les plus modestes progresse de 2,5 % en euros constants dans ERFS et diminue de 0,6 % dans SRCV.

Figure 5 - Principaux déciles de niveau de vie selon ERFS, SRCV et Filosofi en 2019 et 2020

montants annuels, en euros 2020
Figure 5 - Principaux déciles de niveau de vie selon ERFS, SRCV et Filosofi en 2019 et 2020 (montants annuels, en euros 2020) - Lecture : en 2020, le niveau de vie médian est de 22 570 euros dans l'ERFS, de 22 780 euros dans SRCV et de 22 390 euros dans Filosofi.
ERFS SRCV Filosofi
2019 2020 2019 2020 2019 2020
Niveau de vie (après redistribution)
1er décile 11 720 12 240 11 980 12 290 11 640 11 880
Médiane 22 150 22 570 22 390 22 780 22 030 22 390
9e décile 40 130 40 180 40 330 40 800 39 780 39 910
Niveau de vie avant redistribution
1er décile 8 120 8 320 8 330 8 280 7 990 7 940
Médiane 23 910 24 100 24 120 24 180 23 730 23 830
9e décile 48 940 49 030 48 990 49 170 48 420 48 520
  • Note : le 26 octobre 2022, le champ a été précisé.
  • Lecture : en 2020, le niveau de vie médian est de 22 570 euros dans l'ERFS, de 22 780 euros dans SRCV et de 22 390 euros dans Filosofi.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul ; hors ménages dont la personne de référence est étudiante pour ERFS et SRCV.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2019 et 2020, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) de 2020 et 2021, Fichier localisé social et fiscal 2019 et 2020.

L’Insee est traditionnellement réservé quant à l’utilisation du dispositif Filosofi pour mesurer les évolutions de niveau de vie en raison de variations du degré de couverture de la population par ce dispositif. Cependant, en 2020, ce taux de couverture est presque inchangé. Par ailleurs, comme vu supra, le revenu mesuré dans Filosofi est incomplet car certains revenus, imputés dans les enquêtes, ne peuvent pas l’être dans Filosofi. Avec une définition du revenu comparable, l’évolution du niveau de vie des plus modestes mesurée dans Filosofi est plus proche de celle de SRCV : le niveau de vie plafond des 10 % les plus modestes progresse de 2,1 % en euros constants dans Filosofi, contre respectivement 3,6 % et 1,5 % dans ERFS et SRCV. Le taux de pauvreté dans Filosofi est quasi stable (– 0,1 point) entre 2019 et 2020, une évolution très proche de celle de l’estimation avancée.

Si les sources ne permettent pas d’établir un diagnostic convergent sur l’évolution de la pauvreté monétaire et des niveaux de vie des plus modestes, elles s’accordent sur plusieurs constats. Tout d'abord, aucune source ne mesure de hausse significative du taux de pauvreté en 2020. À cet égard, les sources soulignent l’importance des dispositifs financiers de soutien mis en place ou renforcés cette année-là. Si les données ne permettent pas d’isoler l’impact de l’activité partielle, elles permettent de mesurer en revanche le rôle significatif de l’aide exceptionnelle de solidarité versée aux ménages modestes sur la réduction de la pauvreté. En l’absence de cette aide, toutes choses égales par ailleurs, le taux de pauvreté monétaire serait rehaussé de 0,5 point dans ERFS et de 0,3 point dans SRCV. En outre, le fonds de solidarité des entreprises, qui a permis de limiter les pertes de revenu des indépendants les plus touchés par la crise sanitaire, a également contribué à réduire le taux de pauvreté (– 0,1 point) dans ERFS et SRCV.

Les niveaux de vie des ménages intermédiaires augmentent, ceux des plus aisés progressent de façon plus limitée

Les deux enquêtes SRCV et ERFS délivrent des messages cohérents sur l’évolution des niveaux de vie des ménages du milieu et du haut de la distribution en 2020.

Le niveau de vie annuel médian est de 22 570 euros en 2020 d’après ERFS. Ce montant partage la population en deux, la première moitié ayant un niveau de vie inférieur et la seconde un niveau de vie supérieur. Il correspond à un revenu disponible de 1 882 euros par mois pour une personne seule et de 3 952 euros par mois pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans.

En 2020, le niveau de vie médian augmente de 1,9 % en euros constants. Il augmente dans des proportions similaires dans SRCV (+ 1,7 %). La progression du niveau de vie médian est moins soutenue qu’en 2019 (+ 2,6 % dans ERFS), mais dépasse la moyenne des vingt dernières années (+ 0,8 % en moyenne par an).

Dans un contexte de crise sanitaire marqué par deux périodes de confinement et la forte diminution du produit intérieur brut (PIB ; – 7,9 %), la hausse du niveau de vie médian en 2020 résulte principalement des aides ponctuelles qui ont contribué à limiter les pertes de revenus d’activité (salaires, revenus des indépendants et allocations chômage), et de la baisse des prélèvements directs. Les revenus d’activité ont bénéficié en 2020 de plusieurs mesures de soutien. L’indemnisation de l’activité partielle, qui a concerné jusqu’à un quart des personnes en emploi en avril 2020, a limité les destructions d’emplois et largement compensé les pertes de salaires [Sanchez Gonzalez, Sueur, 2022]. Par ailleurs, les mesures de soutien des salaires mises en place en 2019 ont été reconduites en 2020, en particulier l’exonération fiscale des heures supplémentaires et la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat.

Les indépendants ont bénéficié des mesures destinées aux entreprises en difficulté financière, notamment le fonds de solidarité des entreprises. Enfin, les chômeurs arrivant en fin de droits durant les périodes de confinement ont vu leurs droits au chômage prolongés. Ce soutien aux revenus des ménages permet au niveau de vie médian avant redistribution d’augmenter légèrement (+ 0,8 % dans ERFS, + 0,2 % dans SRCV). Le niveau de vie médian est également rehaussé par la baisse des prélèvements directs dont ont bénéficié les ménages du milieu de la distribution, notamment la suppression de la taxe d’habitation (pour 80 % des foyers fiscaux) et la réforme du barème de l’impôt sur le revenu.

En 2020, le niveau de vie des 10 % des ménages les plus aisés est d’au moins 40 180 euros dans ERFS : il est quasi stable (+ 0,1 %) après avoir progressé de 1,0 % en 2019. Le niveau de vie des plus aisés augmente dans SRCV (+ 1,2 %). Les ménages les plus aisés ont en partie bénéficié des mécanismes de soutien des revenus d’activité, mais leur niveau de vie a été pénalisé en 2020 par la baisse des revenus financiers, en particulier de l’assurance-vie.

Les inégalités de niveau de vie se réduisent légèrement malgré la crise sanitaire

En 2020, les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie sont en baisse dans ERFS et Filosofi, et sont stables dans SRCV.

L’indice de Gini est de 0,284 dans ERFS 2020, sa valeur la plus basse depuis 2004 (figure 6). Il diminue de 0,005 point par rapport à 2019, une baisse proche de celle de Filosofi (– 0,004 point), tandis qu’il est stable dans SRCV. En 2020, le D9/D1, rapport entre le niveau de vie plancher des 10 % les plus aisés et le niveau de vie plafond des 10 % les plus modestes, baisse nettement dans ERFS à 3,28    (– 0,14 point sur un an) du fait du fort différentiel de progression (4,3 points) de ces niveaux de vie en 2020. De façon logique compte tenu des écarts observés entre sources, cet indicateur diminue plus légèrement dans Filosofi (– 0,06 point) et dans SRCV (– 0,05 point). Enfin, le ratio entre les masses de niveau de vie des 20 % les plus aisés et celles des 20 % les plus modestes («  ») baisse de 0,15 point dans ERFS : en 2020, les 20 % de personnes les plus aisées (37,5 % de la masse totale des niveaux de vie) ont en moyenne un niveau de vie 4,21 fois plus important que les 20 % les plus modestes (8,9 % de la masse des niveaux de vie). Ce ratio diminue de 0,05 point dans Filosofi et est stable dans SRCV.

Figure 6 - Principaux indicateurs d'inégalités de niveau de vie selon ERFS, SRCV et Filosofi en 2019 et 2020

Figure 6 - Principaux indicateurs d'inégalités de niveau de vie selon ERFS, SRCV et Filosofi en 2019 et 2020 - Lecture : en 2020, l'indice de Gini est de 0,284 dans l'ERFS, de 0,285 dans SRCV et de 0,292 dans Filosofi.
ERFS SRCV Filosofi
2019 2020 2019 2020 2019 2020
Rapport interdécile D9/D1 3,42 3,28 3,37 3,32 3,42 3,36
Ratio (100-S80)/S20 4,36 4,21 4,22 4,22 4,56 4,51
Indice de Gini 0,289 0,284 0,285 0,285 0,296 0,292
  • Note : le 26 octobre 2022, le champ a été précisé.
  • Lecture : en 2020, l'indice de Gini est de 0,284 dans l'ERFS, de 0,285 dans SRCV et de 0,292 dans Filosofi.
  • Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul ; hors ménages dont la personne de référence est étudiante pour ERFS et SRCV.
  • Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2019 et 2020, enquêtes Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV-SILC) de 2020 et 2021, Fichier localisé social et fiscal 2019 et 2020.

Les évolutions d’ERFS diffèrent de celles de l’estimation avancée réalisée à l’automne 2021, qui anticipait une stabilité de ces indicateurs. La progression des niveaux de vie des plus modestes a été plus forte qu’attendue dans ERFS. À l’inverse, la baisse des revenus financiers, notamment de l’assurance-vie, a été plus importante qu’anticipée.

Les inégalités de niveau de vie avaient fortement augmenté après la crise économique de 2008 qui avait touché en premier lieu les ménages les plus modestes. Après un repli en 2012 et 2013 dû à la baisse plus tardive des plus hauts niveaux de vie, elles se sont stabilisées jusqu’en 2017 avant d’augmenter en 2018 avec une fiscalité favorable aux revenus financiers des ménages les plus aisés. Les inégalités de niveau de vie diminuent alors en 2019 et retrouvent leur niveau de 2017 en raison d’un recul des revenus financiers, de l’amélioration de la conjoncture sur le marché du travail et de réformes socio-fiscales favorisant davantage les ménages intermédiaires et les plus modestes. Cette baisse des inégalités n’est pas interrompue en 2020 malgré la crise sanitaire en raison du recul des revenus financiers, et de la mise en place des dispositifs de soutien des revenus d’activité, des mesures fiscales favorables aux ménages de niveaux de vie intermédiaires et modestes et des aides exceptionnelles en direction des ménages les plus modestes.

Encadré - Les mesures d’aides exceptionnelles mises en place en 2020

Les mesures mises en place pour lutter contre les effets de la crise sanitaire, et particulièrement les aides exceptionnelles aux ménages à bas revenus, ont fortement contribué à diminuer le taux de pauvreté et les inégalités de niveau de vie en 2020.

Les baisses de revenus des salariés ont été limitées par l’indemnisation de l’activité partielle, qui est imposable et donc couverte par les déclarations fiscales sur lesquelles s’appuie le calcul du revenu disponible des ménages. Les revenus des salariés ont également été rehaussés par des dispositifs exonérés, en particulier par la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, l’exonération fiscale des heures supplémentaires et, dans le secteur de la santé, les primes versées aux personnels soignants. Leurs montants ont été imputés en s’appuyant sur des cibles issues des déclarations sociales nominatives (DSN) réalisées par les employeurs, par secteur d’activité ou catégorie socioprofessionnelle. En 2020, environ 31 % des salariés ont bénéficié d’une exonération de leurs heures supplémentaires, 21 % de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et 7 % de la prime aux personnels soignants (40 % dans le secteur de la santé et de l’action sociale). Le salaire annuel des personnes bénéficiant de ces mesures est en moyenne rehaussé de 1 150 euros pour les heures supplémentaires exonérées, de 410 euros pour la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et de 950 euros pour la prime aux soignants.

Les revenus d’activité des indépendants ont également été fortement pénalisés par les périodes de confinement et d’interdiction d’accueil du public dans certains commerces et services. Le fonds de solidarité des entreprises (FSE) visait à soutenir les indépendants ayant connu de fortes baisses de chiffre d’affaires. Les revenus associés à cette aide ont été imputés aux individus ayant déclaré des baisses de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux à l’administration fiscale en 2020, et pour les secteurs les plus touchés par les restrictions administratives (commerce, hébergement et restauration, etc.), aux indépendants ayant déclaré des baisses de salaire. Le montant imputé visait à compenser en partie ou en totalité la baisse de revenu, sans dépasser six fois le plafond mensuel légal. Au total, le FSE a été imputé à 26 % des indépendants et 0,5 % des salariés pour un montant annuel moyen de 7 000 euros. Les indépendants ont également pu bénéficier d’un report du paiement de leurs cotisations ainsi que d’aides versées par le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) qui n’ont pas été imputées.

Enfin, les ménages les plus modestes ont été les principaux bénéficiaires de l’aide exceptionnelle de solidarité, versée en mai et novembre 2020 aux bénéficiaires de certaines prestations sociales, principalement du revenu de solidarité active (RSA) et des aides personnalisées au logement (APL). Le montant de l’aide comprenait une base forfaitaire, augmentée en fonction du nombre d’enfants à charge dans le logement. En 2020, 10 % de l’ensemble des ménages, et 40 % de ceux faisant partie des 10 % de ménages les plus pauvres, ont bénéficié de cette aide, dont le montant moyen sur l’année est de 520 euros.

Publication rédigée par :Marguerite Garnero, Jorick Guillaneuf (Insee)

Définitions

Un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. En France et en Europe, le seuil est le plus souvent fixé à 60 % du niveau de vie médian. C’est le seuil retenu dans cette publication.

Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d'unités de consommation (UC). Le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d'un même ménage. Les unités de consommation (UC) sont généralement (et dans cette publication) calculées selon l'échelle d'équivalence dite de l'OCDE modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.

Le seuil de pauvreté est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population. Eurostat et les pays européens utilisent en général un seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie. La France privilégie également ce seuil, mais publie des taux de pauvreté selon d'autres seuils (40 %, 50 % ou 70 %).
L'intensité de la pauvreté permet d'apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. Comme Eurostat, l'Insee mesure cet indicateur comme l'écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté. Plus cet indicateur est élevé et plus la pauvreté est dite intense, au sens où le niveau de vie des plus pauvres est très inférieur au seuil de pauvreté. Formellement, il est calculé de la manière suivante : (seuil de pauvreté - niveau de vie médian de la population pauvre) / seuil de pauvreté.

Le revenu disponible est le revenu à la disposition du ménage pour consommer et épargner. Il comprend le revenu avant redistribution et les autres prestations sociales perçues (y compris l’aide exceptionnelle de solidarité), nets des impôts directs. Ces derniers incluent l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) et les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine.

Le taux de pauvreté monétaire correspond à la proportion d'individus (ou de ménages) étant en situation de pauvreté monétaire.

L' indice de Gini (ou coefficient) est un indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité pour une variable et sur une population donnée. Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que l'indice de Gini est élevé.
Il est égal à 0 dans une situation d'égalité parfaite où la variable prend une valeur identique sur l’ensemble de la population. À l'autre extrême, il est égal à 1 dans la situation la plus inégalitaire possible, où la variable vaut 0 sur toute la population à l’exception d’un seul individu. Les inégalités ainsi mesurées peuvent porter sur des variables de revenus, de salaires, de niveau de vie, etc.

Les estimations que fournit une enquête par sondage s'écartent légèrement des résultats qu'aurait donnés une interrogation exhaustive. Si le sondage est aléatoire, la notion d'intervalle de confiance permet de donner une idée de cet écart. Lorsqu'un intervalle de confiance à 95 % est fourni pour une grandeur, cela signifie que cet intervalle a 95 % de chances de contenir la valeur qu'aurait donnée une interrogation exhaustive.

L'intervalle de confiance ne prend en compte que le fait que les résultats proviennent d'une enquête par sondage aléatoire, et non les autres sources d'erreurs : réponses inexactes ou mal interprétées, biais des non-réponses, etc.

Si on ordonne une distribution de salaires, de revenus, de chiffres d'affaires, etc., les déciles sont les valeurs qui partagent cette distribution en dix parties d’effectifs égaux.

Ainsi, pour une distribution de salaires :
- le premier décile (noté généralement D1) est le salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires ;
- le neuvième décile (noté généralement D9) est le salaire au-dessous duquel se situent 90 % des salaires.

Le revenu avant redistribution d’un ménage est ici l’ensemble de ses revenus avant paiement des impôts directs (mais nets de cotisations sociales) et perception des prestations sociales. Il comprend l’ensemble des revenus imposables (les revenus d’activité y compris indemnisation de l’activité partielle, les indemnités de chômage, les pensions et retraites et les revenus du patrimoine) et des revenus exonérés issus des dispositifs exceptionnels de soutien aux salariés (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, exonération des heures supplémentaires, prime aux personnels soignants) et aux indépendants (fonds de solidarité des entreprises).

Les rapports interdéciles permettent de mesurer les inégalités d’une distribution. Le rapport des déciles D9/D1 met en évidence l'écart entre le haut (9e décile) et le bas de la distribution (1er décile).

Le ratio (100-S80)/S20 mesure la disparité relative de la distribution d'une grandeur donnée (salaire, revenu, niveau de vie,etc.). Ainsi, pour une distribution de revenus, S80/S20 rapporte la masse des revenus détenue par les 20 % d'individus les plus riches à celle détenue par les 20 % des personnes les plus pauvres.

Pour en savoir plus