Insee Analyses Nouvelle-AquitaineÀ la recherche de la qualité de vie en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes

Gérard Moreau, André Pagès (Insee)

En Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (ALPC), les habitants vivent souvent dans le type de qualité de vie emblématique de l’Ouest de la France. Abritant près de quatre résidents sur dix, il s’agit des territoires «autour de villes moyennes offrant des emplois et des conditions de vie plutôt favorables» selon la nouvelle typologie. Quant aux acteurs publics et privés intéressés par l’attractivité de leur territoire, améliorer la qualité de vie de leurs concitoyens constitue un enjeu. De leur côté, les observateurs de la société, que sont les instituts statistiques, les universitaires, les CESER, etc..., tentent d’identifier «ce qui compte vraiment aux yeux des citoyens» au-delà des seules ressources monétaires. Dans ce but, les débats scientifiques et démocratiques sont essentiels au niveau national comme dans les territoires. Le séminaire co-organisé par l’Insee et l’Université de Poitiers le 28 mai 2015, s’inscrit dans cette démarche, à la recherche de la qualité de vie en ALPC.

Insee Analyses Nouvelle-Aquitaine
No 26
Paru le :Paru le07/06/2016
Gérard Moreau, André Pagès (Insee)
Insee Analyses Nouvelle-Aquitaine No 26- Juin 2016

À l’heure où la nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (ALPC) se forge une identité, les indicateurs et palmarès sont convoqués dans tous les domaines : géographie, démographie, économie, finances locales, culture, développement durable… À côté de visions partielles, certaines démarches visent à caractériser synthétiquement les territoires et leurs populations afin de mieux guider l’action publique. Ainsi pour dépasser le Produit Intérieur Brut (PIB), la mesure de la qualité de vie suscite un intérêt croissant.

Au-delà du PIB

Le PIB tient une place centrale parmi les indicateurs synthétiques, même s’il est décrié. Essentiel pour mesurer la dynamique économique d’un pays et asseoir les prévisions budgétaires, il ne rend pas compte des inégalités sociales, de l’état écologique, de la qualité de vie des habitants, etc... Dès lors qu’on vise à saisir «ce qui compte vraiment aux yeux des habitants», le concept de qualité de vie est séduisant même si sa mesure est délicate (« comment mesurer la qualité de vie ? »).

Si les individus recherchent la qualité de vie et les décideurs souhaitent rendre attractifs leurs territoires, la définition et la mesure de cette notion constituent un enjeu du débat public ( un séminaire sur la qualité de vie dans les territoires à l’Université de Poitiers le 28 mai 2015).

La qualité de vie en ALPC entre diversité et spécificités régionales

La plus vaste région de France (84 000 km²) et la quatrième plus peuplée (5,8 millions d’habitants) affiche une grande variabilité de types de qualité de vie. Mais, derrière une apparente mosaïque territoriale, apparaissent des structures qui révèlent des types de qualité de vie dominants, le rôle de la proximité des villes et des traits spécifiques des anciennes régions.

Six types de qualité de vie sont présents en ALPC (la qualité de vie dans les territoires en France et en ALPC). sur les huit identifiés en France métropolitaine. Le type le plus courant, avec 2,2 millions d’habitants et 38 % de la superficie d’ALPC, regroupe des territoires «autour de villes moyennes offrant des emplois et des conditions de vie plutôt favorables». Ces espaces, à proximité des principaux pôles régionaux, sont dynamisés par une attractivité migratoire marquée sur les plus de 35 ans, dont les couples avec enfants. Très présents en ALPC comme au Nord-Ouest de la France, ils sont aussi emblématiques de Poitou-Charentes, particulièrement des Deux-Sèvres, et de son réseau homogène de villes moyennes. L’emprise démographique de ces territoires en ALPC reflète celle des classes d’âge nombreuses, les baby-boomers ayant désormais entre 40 ans et 70 ans, qui privilégient ce type de qualité de vie.

Ces territoires partagent les atouts suivants : un taux d’emploi important, de bonnes conditions de logement, et une participation électorale élevée. Les faiblesses détectées sont une plus faible accessibilité aux médecins généralistes et une moindre proportion de jeunes diplômés.

Le second type, abrite un tiers de la population d’ALPC (1,9 million d’habitants) sur 7 % de la superficie, et correspond à des territoires plus urbains, «plutôt favorisés, à l’accès aux équipements rapide mais avec des difficultés socio-économiques». Plus denses et touristiques, ils concentrent à la fois l’emploi, les réseaux de transports en commun et l’ensemble des services et équipements nécessaires à la vie quotidienne. Mais leurs habitants cumulent aussi des difficultés, en particulier dans les quartiers de la politique de la ville. Les fragilités sociales transparaissent par exemple à travers le poids des personnes âgées vivant seules, celui des familles monoparentales ou des chômeurs. Toutefois, l’accès à la santé et à la culture est meilleur. Ce second type de qualité de vie concerne davantage les populations des départements des Pyrénées-Atlantiques, de la Gironde et de la Charente-Maritime.

Figure 1La qualité de vie dans les territoires en France et en ALPC

En s’éloignant des villes

En s’éloignant des villes, l’espace se structure autour des territoires du troisième type, «des bourgs et petites villes en situation intermédiaire», abritant 11 % de la population d’ALPC (0,6 million d’habitants) sur 21 % de sa superficie. En position intermédiaire en termes de qualité de vie, les facteurs favorables ou défavorables sont peu nombreux. Ces territoires accueillent moins de population en difficulté sociale comme des familles monoparentales ou des familles dans des logements sur-occupés. Mais les habitants sont plus éloignés des lieux de travail et l’accès à certains services, comme les équipements culturels, est plus difficile.

Encore plus loin, les territoires du quatrième type, «isolés, peu urbanisés, hors de l’influence des grands pôles», sont habités par 7 % de la population (0,4 million d’habitants) sur près du quart de la superficie régionale. Ces territoires cumulent les difficultés de la faible densité. Le nombre de décès l’emporte sur celui des naissances du fait du vieillissement. Les populations, parfois âgées et isolées, disposent des revenus parmi les plus faibles. L’accès aux équipements et services, dont ceux liés à la santé, demeure souvent plus compliqué dans ces territoires. Ces territoires sont emblématiques de l’Est du Limousin.

Deux types de qualité de vie moins spécifiques à ALPC

Un cinquième type de qualité de vie correspond à des territoires «plutôt denses en situation peu favorable» (6 % de la population d’ALPC) qui cumulent des handicaps. Structurés autour de petits pôles urbains, où l’industrie, la forêt et la viticulture comptent, ils présentent une population peu diplômée, des jeunes relativement moins insérés, un chômage de longue durée important et des différences entre les femmes et les hommes marquées en matière d’emploi. Ces types de qualité de vie sont assez caractéristiques du Nord et du Sud-Est de la France.

Le sixième et dernier type rencontré en ALPC, correspond à des territoires «plutôt aisés, éloignés de l’emploi, situés surtout dans le périurbain». Ils se distinguent par des qualifications, des salaires et des revenus élevés et se situent en périphérie des métropoles françaises, surtout autour de Bordeaux puis Pau et plus marginalement La Rochelle en ALPC.

Mesurer la qualité de vie : pour quoi faire ?

Dans chaque territoire, la qualité de vie est souvent assimilée à un patrimoine par les acteurs publics et privés, à l’instar de sa diversité géographique, de ses richesses architecturales, de son outil productif ou des compétences de ses citoyens. Ces éléments qui constituent l’identité d’un territoire font l’objet des attentions des politiques publiques. Dès lors, la mesure des évolutions de la qualité de vie peut contribuer au suivi et au pilotage des politiques publiques à différents niveaux territoriaux.

Si l’amélioration de la qualité de vie constitue un objectif des politiques publiques, il faut s’interroger sur les liens qui unissent la qualité de vie avec l’économie des territoires et leur attractivité démographique (encadré : des travaux expérimentaux). Par exemple, le manque d’emplois et la faiblesse des revenus pèsent sur la qualité de vie. Mais globalement le lien entre le modèle économique territorial et le type de qualité de vie attribué à un territoire est-il marqué ? En dynamique, la qualité de vie des habitants risque-t-elle de se dégrader lorsque l’économie traverse des difficultés ? Au contraire, alors qu’une croissance élevée et le plein emploi semblent hors de portée, est-il possible de préserver la qualité de vie ?

Quant aux choix résidentiels, ils sont en partie déterminés par les caractéristiques du lieu d’installation. Mais dans quelle mesure l’attractivité des territoires s’explique-t-elle par le type de qualité de vie identifiée, au-delà des seuls motifs d’héliotropisme et d’haliotropisme ?

Comment mesurer la qualité de vie ?

Difficilement saisissable, via des lectures plus ou moins objectives ou subjectives, la qualité de vie des habitants donne lieu à des réflexions et tentatives de mesure par les institutions statistiques et les universitaires, au niveau international comme national. Pour contribuer à relever ce défi, l’Insee privilégie une approche multidimensionnelle à un niveau territorial fin. La qualité de vie ou le bien-être, au sens courant du terme, est une notion recouvrant de multiples dimensions dont les conditions de vie matérielles et le contexte qualitatif de la vie quotidienne. Ainsi elle peut être approchée à la fois par des caractéristiques socio-économiques individuelles (revenus, emploi, logement, etc...) et par les aménités du cadre de vie dans les territoires (accès aux équipements et aux services, environnement, liens sociaux, etc...). La qualité de vie dans les territoires a été mesurée à travers une trentaine d’indicateurs, recouvrant treize dimensions à l’échelle des 2 677 territoires de vie de France métropolitaine ( et pour en savoir plus).

Dans cette étude, la qualité de vie est abordée à travers 27 indicateurs recouvrant les dimensions suivantes : accessibilité aux équipements, culture-sports-loisirs-vie associative, éducation, égalité femmes-hommes, emploi-travail, environnement, équilibre travail-vie privée, logement, relations sociales, revenus, santé, transports, vie citoyenne. Le choix des indicateurs a été effectué au regard de deux critères : pertinence pour éclairer la qualité de vie dans la dimension retenue et disponibilité des données statistiques à un niveau géographique fin.

Le caractère multi-dimensionnel de l’indicateur vise à restituer la complexité de la notion de qualité de vie au-delà des scores et des palmarès. Son calcul au niveau territorial fin permet d’observer les individus dans le territoire de leur vie quotidienne. À chaque territoire de vie est donc associé un type de qualité de vie. Néanmoins, il faut garder à l’esprit trois réserves : d’une part la qualité de vie reste un concept subjectif difficile à appréhender statistiquement, d’autre part le type de qualité de vie identifié dans la typologie reflète une condition de vie «moyenne» des ménages résidents du territoire et non la vie de tous les habitants dans leur diversité et enfin la vision fournie est tributaire des indicateurs disponibles au niveau des territoires.

Des travaux expérimentaux

Pour le séminaire du 28 mai 2015 et pour développer la connaissance de la région ALPC, des travaux expérimentaux ont croisé l’approche par la qualité de vie avec d’autres caractéristiques des territoires : modèle économique et attractivité démographique.

Les liens entre spécialisations économiques et type de qualité de vie

Les relations entre la qualité de vie et les orientations économiques paraissent relativement ténues entre territoires. Par exemple, dans les territoires aux conditions de vie plutôt favorables, les profils économiques sont très différents. Toutefois, le type de qualité de vie diffère entre les territoires à l’économie plus résidentielle, tournée vers la consommation locale, et ceux plus orientés vers la production de biens et services «exportés», également appelés «productifs». Si l’accessibilité aux services et à l’éducation est satisfaisante dans les premiers, c’est au détriment des conditions d’emploi. À l’inverse, dans les territoires plutôt «exportateurs», les conditions d’emploi sont plus favorables mais l’accessibilité aux services moins aisée.

Les liens entre qualité de vie et migrations résidentielles

Le Sud-Ouest de la France est attractif, en particulier la région ALPC où les flux d’entrées supplantent largement les sorties. Sa population augmente au jeu des échanges avec les autres régions françaises, et notablement avec l’Île-de-France. De plus, de nombreuses migrations se produisent au sein même d’ALPC. Lors des migrations résidentielles internes à ALPC, les ménages rejoignent fréquemment le même type de territoire que celui qu’ils ont quitté, selon le prisme de la qualité de vie. Les changements de type de territoire et de résidence traduisent aussi le cycle de vie, par exemple les passages entre célibat, mise en couple et arrivée d’enfants.

Les territoires «autour de villes moyennes offrant des emplois et des conditions de vie plutôt favorables», typiques de l’Ouest de la France, sont attractifs, à l’intérieur d’ALPC comme en provenance de l’extérieur, particulièrement pour les 35 à 44 ans et les 50 à 59 ans. Au contraire, les jeunes, à une période de la vie où les migrations sont plus nombreuses, semblent préférer la qualité de vie offerte par les espaces les plus urbanisés.

Un séminaire sur la qualité de vie dans les territoires à l’Université de Poitiers le 28 mai 2015

L’Insee et l’Université de Poitiers ont organisé le 28 mai 2015 un séminaire pour réunir spécialistes, acteurs publics, représentants du monde associatif et des entreprises, et citoyens autour des questions de la qualité de vie. Près de 150 personnes d’Aquitaine, du Limousin et du Poitou-Charentes (et d’ailleurs) ont participé à cette journée tout à la fois grand public, scientifique et amendée des critiques de la salle.

La volonté de susciter des débats académiques et démocratiques autour de la qualité de vie a motivé l’organisation de ce séminaire. Cet événement a permis d’échanger sur les fondements, les usages et les limites des mesures de qualité de vie. Si l’intérêt de ces approches a été exprimé, des risques ont été soulignés, comme ceux de sacralisation et d’instrumentalisation du chiffre voire de dégradation du débat démocratique au profit d’une politique de l’indicateur.

Définitions

Les bassins de vie sont les plus petites zones, organisées autour d’un pôle de service, au sein desquelles la population a accès aux équipements et services courants. Les territoires de vies définis pour cette étude partitionnent les bassins de vie de plus de 50 000 habitants autour des pôles de services.

Pour en savoir plus

• Dutertre M., «Zoom sur la qualité de vie en Poitou-Charentes», Insee Flash Poitou-Charentes n° 3, novembre 2014.

• Reynard R., Vialette P., «Une approche de qualité de vie dans les territoires », Insee Première n° 1519, octobre 2014.

• Qualité de vie, habitants, territoires - Rapport de l’Observatoire des territoires 2014, CGET.

• Séminaire «La qualité de vie des habitants dans les territoires : mesures, usages et politiques publiques»

• Pagès A., «Qualité de vie en Limousin : des enjeux diversifiés dans les territoires de projet», Insee Analyses Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes n° 25, juin 2016.