Plus de précarité dans le rural isolé
En 2012, 233 000 picto-charentais vivent sous le seuil de pauvreté, soit 13 % de la population. Dans les communes éloignées de l’influence des pôles, près d’une personne sur cinq est concernée. En Poitou-Charentes, les territoires les plus isolés et les moins densément peuplés sont souvent les plus exposés à la précarité. Le nord de la Charente et le sud de la région cumulent des facteurs de fragilité : revenus faibles, dépendance aux aides sociales, faible qualification. Ailleurs, les situations de précarité renvoient à des spécificités locales : chômage et emploi précaire en Charente-Maritime, déficit d’équipements de santé dans le Sud Vienne, éloignement des services administratifs des grandes villes dans le rural isolé. La précarité apparaît moindre dans les territoires périurbains.
- Les territoires isolés plus touchés par la pauvreté
- Deux zones plus précaires en Poitou-Charentes
- Retard scolaire et déficit de diplômes affectent les territoires charentais
- Un lien fort entre isolement et précarité
- Ailleurs, les problématiques de précarité renvoient à des spécificités locales
- Les territoires périurbains sont plutôt épargnés
En 2012, 13 % de la population picto-charentaise vit sous le seuil de pauvreté, qui est de 11 900 € annuel (définitions). En ces termes de pauvreté monétaire, Poitou-Charentes se situe légèrement en dessous de la moyenne nationale (14 %). Parmi ces picto-charentais au niveau de vie plus faible, un sur deux touche moins de 9 200 € par an, après prise en compte des mécanismes de redistribution. Au niveau départemental, la pauvreté monétaire est moindre en Deux-Sèvres (12 %) mais plus élevée en Charente (15 %). La Charente-Maritime et la Vienne se situent dans la moyenne régionale.
Les territoires isolés plus touchés par la pauvreté
En Poitou-Charentes comme en France métropolitaine, les taux de pauvreté sont plus élevés dans les «communes hors influence des pôles» que dans les «grands pôles urbains», au sens de la typologie des aires urbaines (figure 1 et définitions). L’écart est particulièrement marqué au niveau régional (+4 points contre +1 point au niveau national) : en Poitou-Charentes, dans les communes les plus isolées, près d’une personne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. L’espace périurbain est le moins touché avec une personne sur dix touchée en Poitou-Charentes comme en métropole.
tableauFigure_1 – Taux de pauvreté selon la catégorie d'aire urbaine
Poitou-Charentes | France métropolitaine | |
---|---|---|
Grands pôles urbains | 14,8 | 16,1 |
Espace périurbain | 9,7 | 9,5 |
Moyennes et petites aires urbaines | 13,9 | 15,2 |
Autres communes multipolarisées | 14,4 | 13,3 |
Communes hors influence des pôles | 18,5 | 16,9 |
- Source : Insee, Filosofi 2012
graphiqueFigure_1 – Taux de pauvreté selon la catégorie d'aire urbaine
Cependant, la pauvreté ne se résume pas à la seule question des revenus. Un niveau de vie faible s’accompagne souvent de conditions de vie précaires, d’un accès à l’emploi restreint ou d’un faible niveau d’éducation... autant de facteurs qui renforcent les fragilités des populations et des territoires. Dans les territoires ruraux, la précarité renvoie aussi à des problématiques qui dépassent largement le cadre de la pauvreté monétaire. L’isolement, l’éloignement de l’emploi et des équipements sont d’ailleurs les notions retenues pour définir la notion d’hyper-ruralité (méthodologie).
Deux zones plus précaires en Poitou-Charentes
La précarité en conditions de vie dans les 72 bassins de vie ruraux du Poitou-Charentes (définitions) a été analysée suivant deux approches complémentaires (méthodologie : score et typologie). La première repose sur un indicateur synthétique ou «score» : elle permet de hiérarchiser les territoires et de mesurer un «degré» relatif de précarité. La seconde est basée sur une typologie : elle regroupe les territoires ayant des profils semblables. Elle permet de caractériser les «profils» de précarité des territoires selon le type de fragilité (monétaire, économique, sociale, en conditions de vie…).
Deux zones particulièrement précaires ressortent de ces analyses. La première, le Ruffécois-Confolentais, englobe les bassins de vie du nord-Charente (Ruffec, Confolens, Mansle, Chasseneuil-sur-Bonnieure, Roumazières-Loubert, Chabanais) jusqu’au sud de la Vienne (Civray, L’Isle-Jourdain). Elle s’étend à l’ouest jusqu’aux Deux-Sèvres (Chef-Boutonne et Sauzé-Vaussais) et à la Charente-Maritime (Matha, Aulnay, Saint-Jean-d’Angély). La seconde zone, le sud des Charentes, comprend les bassins de vie les plus au sud de la Charente et de la Charente-Maritime (Saint-Ciers-sur-Gironde, Montendre, Montguyon, La Roche-Chalais - Saint-Aigulin, Chalais, et à un degré moindre Jonzac et Barbezieux - Saint-Hilaire).
Les 20 bassins de vie appartenant à ces deux zones affichent les scores de précarité les plus élevés de la région (figure 2). Le bassin de vie de Chalais arrive en première position, suivi de La Roche-Chalais - Saint-Aigulin, Confolens, Chasseneuil-sur-Bonnieure et Ruffec.
graphiqueFigure_2 – Score de précarité des bassins de vie ruraux
Ces territoires cumulent plusieurs facteurs de fragilité. Les revenus sont faibles. Le revenu fiscal médian par unité de consommation (définitions) est de 16 200 € dans le sud des Charentes, et de 16 000 € dans le Ruffécois-Confolentais, alors qu’il est de 17 600 € dans l’ensemble des territoires retenus pour l’analyse. La population a également davantage recours aux aides sociales, en particulier le RSA (7,2 % de la population le demande contre 5,5 %). Alors que ces territoires sont plutôt éloignés des grandes villes régionales, on y trouve davantage de ménages sans voiture (11,7 % contre 9,9 %), ce qui soulève la question de l’isolement, et du maillage du territoire par les transports en commun.
L’isolement des personnes âgées constitue un point de vigilance particulier. Dans les bassins de vie de Chabanais et Roumazières-Loubert, plus d’un quart des personnes de 65 à 79 ans vivent seules. L’accès aux équipements et aux services est une autre question cruciale. Les bassins de vie de Ruffec, Confolens ou Chalais présentent un niveau d’équipement correct : plus de 90 % des équipements «de base» (c’est-à-dire qui répondent aux besoins les plus courants de la population : boulangeries, écoles maternelles ou médecins omnipraticiens par exemple) y sont présents. En revanche, les bassins de vie du nord-est de la Charente ne comportant pas de pôle (Chasseneuil-sur-Bonnieure, Roumazières-Loubert, Chabanais) figurent parmi les plus sous-équipés de la région.
En matière de type de précarité (figure 3), les bassins de vie répertoriés dans la «classe rouge» appartiennent tous aux deux zones cumulant le plus de difficultés. Les bassins de vie de Ruffec, Saint-Jean-d’Angély, Jonzac et Barbezieux-Saint-Hilaire dans la «classe jaune», animés par un pôle urbain, sont mieux équipés. Leurs habitants ont en revanche davantage recours aux aides sociales et des revenus relativement bas, ce qui explique leur appartenance à cette classe. Dans le bassin de vie de Mansle, les résidents ont beaucoup moins recours aux aides sociales. Ce moindre recours peut révéler un phénomène de renoncement aux aides, plus souvent observé en milieu rural.
Ce bassin de vie est placé dans la «classe rose», qui se caractérise aussi par un faible niveau d’équipement et une faible part de «formes particulières d’emploi» ou FPE (CDD, intérim, emploi aidé, apprentissage).
graphiqueFigure_3 – Typologie des bassins de vie ruraux
Retard scolaire et déficit de diplômes affectent les territoires charentais
Le déficit éducatif est une des facettes de la précarité, qu’on mesure par les difficultés en cours d’apprentissage (retard scolaire ici) et par ses résultantes (diplômes). Il concerne donc les adultes comme les jeunes. Il touche aussi davantage les zones en difficulté, et le département de la Charente en général. Dans la moitié des bassins de vie charentais, plus de 17 % des élèves sont en retard à l’entrée en sixième entre 2011 et 2013, alors que la moyenne des territoires d’étude est de 15 %. Ce taux de retard dépasse même les 25 % (soit plus d’un élève sur quatre) dans les bassins de vie de Chalais et Roumazières-Loubert. En outre, plus d’une personne sur cinq (de 15 ans ou plus) vivant dans les 17 bassins de vie considérés ci-dessus comme les plus précaires est non scolarisée et sans diplôme.
Pourtant, ces territoires ne sont pas forcément ceux où le chômage est le plus élevé. La part de chômeurs dans la population active n’est que légèrement supérieure au niveau régional. Certes l’économie agricole fournit de l’emploi, mais pas toujours des revenus élevés. Dans les territoires du sud des Charentes, 10 % des actifs sont agriculteurs (6,4 % pour le Ruffécois-Confolentais), pour seulement 4,9 % au niveau de la zone d’étude. Les emplois y sont aussi plus souvent précaires. Dans le sud des Charentes, 19 % des actifs en emploi sont en FPE, soit 3 points de plus que dans l’ensemble des territoires d’étude.
Un lien fort entre isolement et précarité
Les territoires les plus en difficulté sont aussi les moins densément peuplés. Ces «espaces à faible densité» pâtissent d’une influence urbaine limitée (méthodologie ). De fait, un modèle statistique de régression (figure 4) permet d’expliquer 70 % du score de précarité à l’aide de caractéristiques uniquement territoriales (densité de la population, type de territoire au sens du zonage en aires urbaines, accès au grand pôle le plus proche). L’éloignement aux grands pôles urbains rend aussi plus difficile l’accès aux services administratifs et engendre une source de difficulté supplémentaire.
Même si l’aire urbaine de Bordeaux s’étend aujourd’hui jusqu’à l’extrême sud du Poitou-Charentes, le sud des Charentes ne bénéficie pas encore vraiment du dynamisme de la métropole girondine. Ce territoire est parfois décrit comme un «couloir de la pauvreté» reliant la pointe du Médoc à l’Agenais.
graphiqueFigure_4 – Score de précarité en fonction des variables territoriales
Ailleurs, les problématiques de précarité renvoient à des spécificités locales
Dans le reste de la région, la précarité est moins généralisée. D’autres territoires sont cependant fragiles et confrontés à des menaces de nature diverse. Des spécificités locales (situation géographique, économique, sociale…) expliquent la diversité de ces situations.
En Charente-Maritime, les fragilités sont principalement de nature économique. Le département est structurellement exposé à un chômage plus élevé, notamment du fait de sa forte attractivité résidentielle (méthodologie ). Les bassins de vie de Marennes, Saint-Pierre-d’Oléron et La Tremblade présentent ainsi les taux de chômage les plus élevés de la région. L’emploi précaire y est aussi plus répandu, en raison du poids important du travail saisonnier : 19 % des salariés occupent une FPE, contre 16 % au niveau régional. La sécurisation des trajectoires d’emploi constitue donc un enjeu particulier pour ces territoires.
Le Sud Vienne, composé des bassins de vie de Couhé, Civray, Gençay, L’Isle-Jourdain, un territoire contrasté (méthodologie ). La partie nord bénéficie du dynamisme de la capitale régionale (un habitant sur six du SCoT Sud Vienne habite dans la couronne périurbaine de Poitiers), alors que la partie la plus au sud et à l’est, en marge de l’attraction poitevine, est en déprise démographique. L’accès aux services, et notamment aux équipements de santé, est un enjeu important pour une population vieillissante. Or, le Sud Vienne est plutôt sous-équipé dans ce domaine, certaines spécialités médicales (cardiologie, gynécologie, pédiatrie, orthophonie) étant absentes du territoire.
Autre zone en déprise démographique, le bassin de vie de Loudun, dans le nord de la Vienne, présente également de nombreuses difficultés économiques. Le chômage et le recours aux formes particulières d’emploi y sont les plus élevés du département.
Les bassins de vie du nord-ouest des Deux-Sèvres (Mauléon, Cerizay, Moncoutant et Secondigny) appartiennent à la classe «classe bleue». Leurs caractéristiques sont proches de celles du département de la Vendée. La population résidente présente une structure familiale plus favorable avec moins de familles monoparentales et de personnes entre 65 et 79 ans seules. On y trouve aussi moins de chômeurs, le taux de recours au RSA y est très faible et la population dispose plus souvent d’un véhicule.
Les territoires périurbains sont plutôt épargnés
Les bassins de vie les moins touchés par la précarité se situent dans le périurbain des quatre grandes agglomérations de la région. Ils présentent à la fois les scores de précarité les plus faibles et les caractéristiques les plus favorables («classe verte» de la typologie). Dans ces territoires, les revenus sont les plus élevés de la région. Le recours aux aides sociales y est moindre, les cadres plus présents et les difficultés scolaires moins fréquentes. Les ménages sans voiture sont peu nombreux.
On retrouve dans ces bassins de vie «aisés» une population caractéristique des espaces périurbains. La part de familles y est importante : 58 % de la population vit en couple avec enfant(s) contre 52 % au niveau régional. La population y est plus jeune : 25 % de plus de 60 ans contre 30 % pour le territoire d’étude. Elle est aussi plus diplômée : 30 % des actifs possèdent un diplôme universitaire contre 23 % dans le territoire d’étude.
Pour comprendre
Méthodologie : score et typologie
Pour les deux approches ont été retenus 17 indicateurs classés dans 7 thématiques : revenus, aides sociales (taux de recours au RSA…), emploi (part de cadres…), éducation (part d’élèves en retard à l’entrée en sixième…), conditions de vie (part de ménages sans voiture…), structure de la population (part de familles monoparentales…) et accès aux équipements. Ces indicateurs ont été sélectionnés sur des critères statistiques (analyse des corrélations) et non statistiques (balayage de l’ensemble des thématiques, lisibilité des indicateurs).
Le score se construit en deux étapes. Dans un premier temps, les indicateurs sont « centrés-réduits » (c’est-à-dire ramenés à une échelle comparable) ; dans un second temps, des pondérations sont affectées à chaque thématique et les indicateurs sont sommés selon ces pondérations. Les poids retenus sont les suivants : 50 % pour les variables de la thématique « revenus », 20 % pour les variables de la thématique « aides sociales » et 30 % pour les autres variables. Des changements dans les pondérations affectent peu la hiérarchie obtenue.
La typologie est le résultat d’une classification ascendante hiérarchique (CAH), procédé itératif qui regroupe les territoires les plus semblables de façon à constituer des classes homogènes.
Les deux analyses ont été menées sur 72 des 91 bassins de vie de la région. Les dix bassins de vie à cheval sur plusieurs régions, dont la partie située en Poitou-Charentes compte moins de 3 000 habitants, ont été retirés, ainsi que les neuf bassins de vie animés par un grand pôle urbain (Poitiers, Châtellerault, Niort, La Rochelle, Rochefort, Royan, Saintes, Cognac et Angoulême).
Définitions
Taux de pauvreté à 60 %, Seuil de pauvreté, Niveau de vie : un individu est considéré comme pauvre lorsqu’il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté correspond à 60 % de la médiane des niveaux de vie. Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation.
Le revenu disponible : est le revenu à la disposition du ménage. Il ajoute au revenu fiscal les prestations sociales reçues et retire les impôts directs.
Revenu fiscal médian par unité de consommation (UC) : le revenu fiscal correspond à la somme des ressources déclarées par les contribuables sur la déclaration des revenus, avant tout abattement. Il est généralement ramené au nombre d’UC du ménage. Le premier adulte compte pour 1 UC, les autres personnes de 14 ans et plus pour 0,5 UC, les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC.
Zonage en aires urbaines : le zonage en aires urbaines de 2010 permet d’obtenir une vision des aires d’influences des villes sur le territoire. Il partage le territoire en quatre grands types d’espaces : espace des grandes aires urbaines, espace des autres aires, autres communes multipolarisées, et communes isolées hors influence des pôles. Dans les espaces des grandes aires urbaines et des autres aires, on distingue les pôles et les couronnes de ceux-ci.
Bassins de vie (2012) : le bassin de vie constitue le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants (16 des 31 équipements intermédiaires de l’unité urbaine centre).
Pour en savoir plus
Balouzat B., Châtel F., Duplessy A.L. et Lacour C., « La pauvreté touche une personne sur huit en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes », Insee Analyses Poitou-Charentes n°16, juin 2015.
Dick A.M., Giraud A., « En Charente-Maritime, des dynamiques qui renforcent la diversité des territoires et leurs interdépendances », Insee Analyses Poitou-Charentes n°6, novembre 2014.
Boudrot N., « Le SCoT Sud Vienne : un territoire rural face à des enjeux d’avenir », Insee Analyses Poitou-Charentes n°4, octobre 2014.
Bertrand A. (sénateur de Lozère) « Ouvrir dans un nouvel onglet Hyper-ruralité», rapport remis à la ministre du logement et de l‘égalité des territoires», juillet 2014.
Ferret J.P., « En Poitou-Charentes, l’accès aux services s’organise autour de 91 bassins de vie », Insee Poitou-Charentes, e-décim@l n°25, décembre 2012.
Borély J., Pradines N., « Deux Picto-Charentais sur trois résident dans un espace urbain homogène », Insee Poitou-Charentes, Décimal n°313, octobre 2011.