Secteurs de l’Image en Poitou-Charentes : une filière à multiples facettes

Jérôme Borély (Insee), Nathalie Benhamou (DRAC)

Les secteurs de l’Image en Poitou-Charentes génèrent autant de richesses que la fabrication de matériels de transports. Les entreprises picto-charentaises de l’Image sont insérées dans l’économie nationale et internationale. En effet, elles exportent plus et dépendent plus souvent de centres de décision extérieurs à la région que le reste de l’économie. Ces secteurs se caractérisent également par d’intenses mouvements de création/destruction d’établissements. Leur dynamisme favorise l’emploi entre 2006 et 2011, malgré les difficultés de l’imprimerie bien implantée en région. Les emplois métropolitains, vecteurs de rayonnement économique, sont très présents dans l’Image. En conséquence, les actifs sont particulièrement diplômés et mobiles. Cependant, les salaires sont en moyenne assez faibles, en raison notamment de la petite taille des établissements. Enfin, les non-salariés sont plus nombreux que dans les autres secteurs.

Insee Analyses Poitou-Charentes
No 18
Paru le :Paru le18/06/2015
Jérôme Borély (Insee), Nathalie Benhamou (DRAC)
Insee Analyses Poitou-Charentes No 18- Juin 2015

La filière Image a la réputation de constituer un vecteur de développement économique en Poitou-Charentes. Identifiée comme une filière d’avenir dans le contrat de plan État-Région, elle est soutenue par de nombreux acteurs publics (Le mot du partenaire). À l’inverse d’autres filières, elle n’est pas construite autour d’un produit, mais de savoir-faire et de compétences mis en oeuvre dans de nombreux domaines (graphisme, imprimerie, presse, audiovisuel…). Certains de ces domaines font partie des activités culturelles (bibliographie), d’autres comme l’imprimerie sont liées à l’histoire industrielle de la région.

Les contours de la filière Image sont ainsi subtils et sujets à débats. Le corpus d’activités retenues ici a été élaboré sur la base d’échanges nourris avec les acteurs locaux concernés (méthodologie). L’ensemble ainsi défini, dénommé «secteurs de l’Image», regroupe 14 000 emplois dont 11 000 salariés au 31 décembre 2012. Au sein de cet ensemble, les non-salariés représentent 20 % de l’emploi contre 13 % dans le reste de l’économie.

En Poitou-Charentes des emplois surtout dans le coeur

Six domaines constituent « le coeur » des secteurs de l’Image : audiovisuel & multimédia, livre & presse, commerce & support, publicité, design, imprimerie & activités assimilées. Ce coeur est bien représenté en Poitou-Charentes, notamment l’imprimerie (figure 1). Il totalise 7 000 salariés, soit près des deux tiers des secteurs de l’Image et 1,4 % des salariés de la région contre 1,2 % en province. En plus du coeur, les 4 000 autres salariés picto-charentais des secteurs de l’Image sont ceux du numérique, de la photographie et du spectacle : (méthodologie). Ces activités hors coeur sont moins présentes en Poitou-Charentes : 0,7 % des salariés contre 1,3 % en province.

figure_1Part des domaines des secteurs de l’Image dans l’emploi (en %)

  • Les aires métropolitaines de province sont : Lille, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Nice, Marseille / Aix-en-Provence, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Nantes et Rennes.
  • Source : Insee, Recensement de Population 2011

figure_2Part et nombre de salariés des secteurs de l’Image dans l’emploi salarié total

  • Source : Insee, Clap 2012

Au final, les emplois des secteurs de l’Image sont donc moins nombreux en Poitou-Charentes, 2,1 % des salariés contre 2,5 % en province. En particulier, les emplois du numérique se concentrent très fortement dans les aires métropolitaines ou métropoles (Le mot du partenaire). En conséquence, les emplois des secteurs de l’Image sont plus nombreux dans les régions avec métropole que sans (figure 2).

Des emplois stratégiques mais des salaires moyens

Dans les secteurs de l’Image du Poitou-Charentes, les cadres des fonctions métropolitaines (CFM) (), tels qu’acteur, journaliste ou encore ingénieur en informatique, sont presque cinq fois plus présents que dans le reste de l’économie (figure 2), (figure 3). Porteur de croissance future, d’attractivité et de rayonnement, le développement de ces secteurs constitue un enjeu stratégique pour l’économie régionale. Toutefois, le poids des CFM varie sensiblement d’un domaine à l’autre : nombreux dans l’audiovisuel et le multimédia, ils sont moins présents dans l’imprimerie et activités assimilées. Dans les secteurs de l’Image pictocharentais, et malgré la forte part de CFM, les salaires en équivalent temps plein (ETP) sont plus faibles que dans le reste de l’économie. En Poitou-Charentes comme en province, cet écart ne s’observe que dans le coeur des secteurs de l’Image. En province, les CFM travaillant dans le coeur ds secteurs de l'Image ont aussi des rémunérations plus faibles (43 000 € annuel par ETP) que les CFM du reste de l'économie (46 700 € annuel par ETP). Par exemple, les cadres de la publicité et de l’audiovisuel, très présents dans les secteurs du coeur, perçoivent des salaires plus faibles que les cadres commerciaux ou financiers.

figure_3Part des cadres des fonctions métropolitaines dans l’emploi (salarié et non-salarié) (en %)

  • Source : Insee, Recensement de Population 2011

Au sein de la région, ces écarts sont principalement expliqués par la structure des secteurs de l’Image. À caractéristiques équivalentes (âge, sexe, domaine, contrat de travail et temps de travail), les actifs des secteurs du coeur travaillent en effet dans de plus petits établissements, en général moins rémunérateurs. En Poitou-Charentes, les établissements du coeur comptent ainsi en moyenne 2,2 salariés contre 2,9 salariés dans le reste l’économie régionale. Et hors des activités de presse et imprimerie, les toutes petites entreprises constituent l’essentiel des secteurs de l’Image. De même, certains domaines des secteurs de l’Image - à savoir la publicité ou le commerce & support - offrent des salaires modestes par rapport au reste de l’économie.

Les temps partiels sont aussi plus courants dans les secteurs de l’Image que dans le reste de l’économie. Ce constat ne s’explique pas par un taux de féminisation plus important. Les femmes sont en effet moins présentes dans les secteurs de l’Image que dans le reste de l’économie régionale : elles représentent 42 % des effectifs contre 48 % dans l’ensemble de la région. Les emplois de l’Image sont pourtant plus féminisés en Poitou-Charentes qu’en moyenne de province avec davantage d’emplois dans le commerce & support (très féminisé) et moins dans le numérique (peu féminisé).

De jeunes diplômés autour du numérique

Les actifs des secteurs de l’Image sont plus diplômés que dans les autres secteurs. Les diplômés du supérieur sont majoritaires parmi les actifs du numérique et de l’audiovisuel & multimédia, en partie en lien avec des secteurs plutôt jeunes. La stratégie économique des acteurs régionaux de la filière intègre d’ailleurs la formation. La présence d’un ensemble d’écoles de l’Image permet ainsi de développer les savoir-faire et de renforcer l’attractivité du territoire.

Plus diplômés, plus jeunes et occupant plus souvent des emplois de cadres, les actifs des secteurs de l’Image sont plus mobiles que les autres travailleurs. À âge et catégorie sociale équivalents, ils déménagent plus souvent d’une région à une autre. Cette mobilité est très marquée en Poitou-Charentes. Les actifs de l’Image saisissent les opportunités aussi bien pour s’installer dans la région que pour la quitter. La mobilité dans les secteurs de l’Image n’est en outre pas seulement résidentielle. Les actifs de ces secteurs sont également plus nombreux à habiter et travailler dans deux régions différentes.

Ce portrait synthétique masque toutefois de fortes disparités. Ainsi, les actifs de l’imprimerie sont plus âgés et moins souvent diplômés de l’enseignement supérieur. Cette activité est encore bien présente en Charente où l’industrie papetière date du XVIe siècle (Pour en savoir plus). L’imprimerie, en reconversion, perd cependant des emplois depuis plusieurs années. Avec une diminution d’emploi de 22 % entre 2006 et 2011, le recul de ce secteur est plus important en Poitou-Charentes qu’au niveau national. Accompagner les difficultés de l’imprimerie s’avère donc un enjeu spécifique pour la région.

Un ensemble de secteurs innovants et dynamiques

Les pertes d’emploi de l’imprimerie cachent en partie le dynamisme des autres secteurs de l’Image. En Poitou-Charentes comme en province, le nombre d’emplois dans les secteurs de l’Image augmente de 1,6 % par an, contre 0,3 % dans l’ensemble de l’économie, entre 2006 et 2011. Cette croissance s’exprime en particulier dans l’audiovisuel & multimédia et le numérique. Dans ces deux domaines, l’emploi croît davantage en Poitou-Charentes que dans les autres régions de province. De plus, le livre & presse et le commerce & support résistent mieux dans la région. Depuis 2008, ces domaines sont soutenus par les pouvoirs publics, par exemple via l’opération «LIRE en Poitou-Charentes».

Le dynamisme des secteurs de l’Image se traduit aussi par d’intenses mouvements de création/destruction d’établissements. Dans la région, le taux annuel de création d’établissements est plus élevé dans les secteurs de l’Image (20 %) que dans le reste de l’économie (14 %). L’innovation est également plus forte : hors commerce, plus de 60% des entreprises de plus de 10 salariés ont innové dans les secteurs de l’Image contre 47 % dans le reste de l’économie marchande (bibliographie).

Des secteurs tournés vers l’extérieur

Avec 600 millions d’euros en 2010, les secteurs de l’Image du Poitou-Charentes créent 2,5 % de la richesse dégagée (), pour 2,1 % des salariés. Les entreprises des secteurs de l’Image, et notamment celles du coeur, sont plus souvent exportatrices que dans le reste de l’économie. Mais quand elles exportent, les entreprises hors coeur réalisent une part plus importante de leur chiffre d’affaire à l’export que celles du reste de l’économie y compris celles du coeur.

Cette ouverture à l’extérieur se traduit aussi en termes de dépendance à des centres de décision situés hors de la région. Dans les secteurs de l’Image du Poitou-Charentes, 49 % des salariés travaillent pour un établissement dont le centre de décision est non picto-charentais, contre 39 % dans les autres secteurs de l’économie. Les centres de décision sont plus souvent en province, en particulier pour le domaine du livre & presse. Pour l’imprimerie, les centres de décision sont notamment situés à l’étranger (figure 4).

figure_4Part des salariés en Poitou-Charentes pour des entreprises dont le centre de décision est hors de la région

  • Le taux de dépendance est le ratio entre les postes des établissements implantés dans la zone dépendant de centres de décision extérieurs à cette zone et le total des postes de la zone.
  • Dans les secteurs de l’Image, 49% des postes des établissements implantés en Poitou-Charentes dépendent de centres de décision extérieurs :
  • 18% dépendent d’un centre de décision situé en Île-de-France, 18% dans d’autres régions de France et 13% à l’étranger.
  • Source : Insee, Clap, Lifi 2011

Cette dépendance à des centres de décision extérieurs témoigne de l’attractivité de la filière Image en Poitou-Charentes. Cependant dans un contexte de diminution des volumes imprimés et de passage au «tout numérique», cette dépendance peut constituer une fragilité pour l’imprimerie. En effet, les arbitrages économiques pris loin du territoire pourraient être plus facilement défavorables à ce secteur.

La filière Image ainsi définie, est riche de diversité : d’un côté, l’imprimerie secteur industriel soumis aux mutations technologiques, de l’autre côté, le numérique et l’audiovisuel & multimédia en expansion. Elle fait face au double enjeu de consolider l’existant et d’anticiper de nouveaux champs d’applications (réalité augmentée, cross média…). Dans ce contexte, les pouvoirs publics soutiennent des groupements d’entreprises sur des marchés innovants. Les acteurs de cette filière cherchent notamment à structurer un pôle de compétitivité, qui, dès 2016, serait élargi au Limousin et à l’Aquitaine. La réforme territoriale dessine ainsi des enjeux stratégiques à une échelle plus large, entre concentration dans un marché plus dense au sein de la future capitale régionale et construction de nouvelles synergies pour un fonctionnement en réseau.

Le mot du partenaire - Un enjeu : mieux comprendre la filière Image en Poitou-Charentes

Cette étude régionale s’inscrit dans la continuité des études nationales initiées par le Ministère de la Culture et de la Communication, visant à mettre en perspective l’économie de la culture au sein de l’ensemble de l’économie. L’Institut national de la culturelles de Poitou-Charentes ( DRAC ) appréhendent la filière Image régionale sous l’angle des industries culturelles et créatives au travers de deux publications. Il s’agit de montrer l’impact de cette filière sur l’emploi régional et de certains territoires fortement impliqués ( « La filière Image dans les départements, une variété de paysages » ). Il s’agit ensuite de positionner cette filière picto-charentaise par rapport aux autres régions françaises ( « Secteurs de l’Image en Poitou-Charentes : une filière à multiples facettes » ).

À la lumière des éléments d’emploi et de performance économique, les principales forces et faiblesses mises en avant alimentent les réflexions sur les actions en cours et à venir dans ce domaine en constante évolution.

Pierre Lungheretti, Directeur régional des affaires culturelles de Poitou-Charentes.

Le numérique bordelais pèse lourd dans la future région Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes

Au 31 décembre 2012, dans la région Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes (ALPC), 15 800 salariés des secteurs de l’Image travaillent dans le pôle urbain de Bordeaux (Définitions) . Dans ces secteurs, le pôle bordelais concentre plus de deux salariés sur cinq de la future région, le double des autres secteurs de l’économie. En ALPC, 25 000 salariés des secteurs de l’Image travaillent en Aquitaine, 11 000 en Poitou-Charentes et 4 500 en Limousin. Les 40 500 salariés de ces secteurs représentent 2,3 % de l’emploi salarié d’ALPC.

Comme au niveau national, l’emploi des secteurs de l’Image se concentre au coeur des métropoles puis, dans une moindre mesure, dans les principales villes de la région ( Données complémentaires ) . Le pôle urbain d’Angoulême constitue l’un des territoires de France concentrant le plus d’emplois du coeur des secteurs de l’Image : 1 500 salariés soit 3,3 % des salariés du pôle angoumoisin. Hors des pôles urbains, la zone d’emploi de Jonzac - Barbézieux-Saint-Hilaire est la seule qui montre une spécialisation dans les secteurs de l’Image grâce à un important établissement de l’imprimerie.

Pour comprendre

Méthodologie : quels sont les secteurs d’activités de la filière Image ?

L’Insee propose un contour des secteurs de l’Image basé sur les activités issues de la Nomenclature d’Activités Française. Ce contour s’appuie sur la nomenclature des activités culturelles (bibliographie) enrichie des échanges avec des acteurs locaux (Conseil régional, Direction régionale des affaires culturelles…). Le champ retenu est alors un compromis : par exemple, des domaines comme l’emballage, la maintenance informatique et les télécommunications ont été exclus de cette étude. Pour le domaine du numérique, seuls les secteurs de l’édition de logiciels, le webdesign, la programmation et le conseil en informatique ont été retenus dans cette étude.

Ainsi, trente-deux activités définissent le coeur des secteurs de l’Image. Dix activités supplémentaires forment les activités hors coeur dans lesquelles de nombreuses entreprises appartiennent à la filière Image mais pas toutes. Ces travaux montrent qu’une expertise complémentaire au niveau de chaque entreprise est nécessaire pour définir précisément la filière. Ce travail d’analyse fine n’a pas pu être réalisé pour les autres régions françaises. Ces dix secteurs ont donc été pris en compte en totalité pour des besoins de comparaison. Mais en conséquence, les effectifs retenus ici excèdent la filière Image telle qu’elle est définie dans l’Insee Analyses n°19, « La filière Image dans les départements, une variété de paysages »

Définitions

Cadres de fonctions métropolitaines, aire urbaine, pôle urbain, zone d’emploi

Richesse dégagée : La richesse dégagée est une estimation du poids de l’activité économique, en complément à celle de l’emploi salarié. Pour les entreprises marchandes multi-établissements, la richesse dégagée par établissement s’obtient en ventilant la valeur ajoutée au prorata des masses salariales.

Pour en savoir plus

Deroin V., « Ouvrir dans un nouvel onglet Conceptualisation statistique du champ de la culture », Culture Méthodes 2011- 3, décembre 2011.

Brutel C., « Un maillage du territoire français - 12 aires métropolitaines, 29 grandes aires urbaines», Insee première n°1333, janvier 2011.

Benhamou N., Borély J., Durier G., « La filière Image dans les départements, une variété de paysages », Insee Analyses Poitou-Charentes n°19, juin 2015.

« Ouvrir dans un nouvel onglet Les cahiers des GFE 12 et 19 », arFtlv, argos, éditions 2009.

Giraud A., Bigot J.F. « Innovation en Poitou-Charentes : des PME en bonne place grâce à l’innovation de procédés et aux achats d’équipements », Décimal n°322, octobre 2012.

Durier G., « Les activités culturelles et créatives en Poitou-Charentes : des atouts historiques et des secteurs en développement », Insee Analyses Poitou-Charentes n° 3, septembre 2014.