Insee Analyses Corse · Novembre 2025 · n° 62

En Corse, 10 000 emplois concernés par la transmission d’entreprises dans la prochaine décennie

En Corse, 2 000 entreprises sont dirigées par un chef d’entreprise âgé de 60 ans ou plus, et sont donc susceptibles d’être transmises à court ou moyen terme. Ces potentielles reprises soulèvent plusieurs enjeux.

D’une part, sur le plan économique, les transmissions d’entreprises constituent un levier majeur pour assurer la continuité de l’activité et préserver les emplois au sein d’établissements déjà solidement implantés et structurés.

D’autre part, pour les cédants, la préparation de la transmission est une étape indispensable. Il s’agit notamment de trouver d’éventuels repreneurs, échanger avec eux, mais aussi déterminer les modalités de passation en négociant les conditions, tant financières que juridiques.

Cette anticipation se heurte parfois à la réticence de certains responsables à se séparer de leur entreprise qui incarne souvent la réalisation professionnelle de toute une vie.

Au sein des entreprises insulaires à transmettre, 8 000 personnes sont salariées en fin d’année 2022. En comptant les dirigeants non-salariés, 10 000 emplois dépendent de ces successions.

Sur le plan économique, les 2 000 entreprises à transmettre représentent 10 % de l’ensemble des entreprises régionales. Elles génèrent 580 millions d’euros de valeur ajoutée (VA) et 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires (CA). Ces montants représentent respectivement 15 % de la VA et 14 % du CA de l’ensemble des entreprises implantées en Corse.

En Corse, 23 % des entreprises dont l’âge du dirigeant est connu ont à leur tête un chef d’entreprise proche de la retraite (figure 1). Ce taux est supérieur de 7 points à la moyenne nationale.

Parmi les régions de l'Hexagone, l’île est celle où la problématique de la transmission est la plus prégnante devant l’Île-de-France (19 %) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (18 %). De surcroît, les dirigeants sont proportionnellement plus nombreux aux âges avancés sur l’île que sur le continent, en particulier entre 65 et 75 ans (figure 2). À l’inverse, ils sont relativement moins présents entre 40 et 60 ans.

La structure démographique des dirigeants insulaires est le reflet de celle de la population régionale, plus âgée dans son ensemble que dans les autres régions. Ce phénomène de vieillissement devrait par ailleurs s’accentuer dans les prochaines décennies [Tourtin-Battini, Bretel, 2022 ; pour en savoir plus (1)].

Au-delà de cette caractéristique démographique, les spécificités sectorielles insulaires influencent peu la proportion d’entreprises à transmettre. Même si le tissu productif corse possédait la même structure sectorielle en termes d’activités que le continent, la part d’entreprises à transmettre serait de 22 %, à peine plus faible que celle constatée actuellement et toujours nettement supérieur à la moyenne nationale. Ainsi, dans chacun des secteurs d’activité, les dirigeants seniors sont plus nombreux en Corse que sur le continent. L’écart d’un point correspond essentiellement à la plus forte présence du secteur de l’hébergement en Corse, où les dirigeants sont en général plus âgés.

Le commerce est le secteur le plus concerné par la problématique du renouvellement, avec 540 entreprises dirigées par un chef d’entreprise de plus de 60 ans (figure 3). Ces entreprises représentent un quart de celles à transmettre à court ou moyen terme et un tiers des emplois concernés (3 000). Ce constat confirme le rôle central du secteur dans l’économie corse.

Derrière lui, les services aux entreprises constituent un pôle important de transmission avec 310 structures et 1 600 emplois exposés à la question du renouvellement. Ils comprennent principalement les activités de services administratifs et de soutien (location et location-bail, sécurité, nettoyage), mais également des activités spécialisées, scientifiques et techniques (comptabilité, architecture, ingénierie).

Forte de sa place structurante dans l’économie insulaire, la construction est elle aussi en première ligne avec 300 entreprises et 1 600 emplois concernés.

De même, à l’image du poids du tourisme dans la région, l’hébergement et les autres services présentent chacun 230 entreprises à transmettre pour un total de 1 500 emplois. L’enjeu est particulièrement marqué dans l’hébergement, où un chef d’entreprise sur trois a plus de 60 ans.

La restauration, l’industrie et le transport apparaissent moins concernés par la transmission, soit parce qu’ils regroupent un nombre plus limité d’entreprises, soit parce que les dirigeants y sont plus jeunes. Leur volume d’emplois reste toutefois significatif.

Au sein des entreprises susceptibles d’être transmises, 10 % emploient plus de dix salariés (figure 4). Elles regroupent ainsi 5 500 emplois, soit 57 % des emplois concernés par une passa­tion à venir. Elles génèrent également l’essentiel de la valeur ajoutée avec 360 millions d’euros, soit 62 % de la VA totale des entreprises régionales dirigées par des seniors.

Parmi ces entreprises, une vingtaine se distinguent, chacune regroupant plus de 50 emplois et jusqu’à 300 pour la plus grande. Ensemble, elles mobilisent 2 500 emplois.

Leurs activités relèvent surtout du commerce (grande distribution, commerce de gros) et des services (location de voitures, sécurité, nettoyage). Elles appartiennent aussi plus fréquemment à la sphère productive que les entreprises à transmettre de moindre envergure (43 % d’entre elles contre 25 %). Enfin, dans ces grandes structures, les dirigeants sont salariés de l’entreprise dans trois cas sur quatre. Dans cette situation, le changement de dirigeant salarié peut se limiter à une procédure de recrutement. En revanche, s’il s’agit d’une transmission plus large – avec changement de propriétaire – la reprise nécessite l’anticipation et la mobilisation de moyens humains dédiés.

À l’inverse, 48 % des entreprises à transmettre, soit 900 structures, n’impliquent que le seul emploi de leur dirigeant. Elles ne représentent ainsi que 10 % de l’ensemble des emplois en jeu. Cependant, leur présence dans des zones rurales entraîne un risque de disparition des activités économiques essentielles dans les territoires isolés. La reprise de l’entreprise devient alors un enjeu social territorial plus marqué.

Une typologie des intercommunalités insulaires met en évidence cinq profils distincts de territoire au regard de la transmission d’entreprises.

La communauté de communes (CC) Marana-Golo se distingue par une concentration de grandes entreprises qui implique un fort enjeu de préservation des emplois (figure 5 zone bleue foncée). Bien qu’elle regroupe 5 % des entreprises insulaires concernées par la transmission, elle concentre 16 % des emplois concernés. Les entreprises à reprendre y sont trois fois plus grandes que dans le reste de l’île (quinze emplois contre cinq en moyenne) mais proportionnellement moins nombreuses (16 %, soit 7 points de moins que le niveau insulaire). Leurs activités relèvent plus souvent de la sphère productive , en particulier de l’industrie et du commerce de gros.

Les intercommunalités Spelunca-Liamone, Cap Corse, Oriente et Alta Rocca cumulent quant à elles plusieurs enjeux (figure 5 zone rouge). D’une part, elles hébergent proportionnellement davantage d’entreprises transmissibles (28 %, soit 5 points de plus qu’en moyenne). Cette spécificité est encore plus marquée dans la CC Spelunca-Liamone (34 %).

D’autre part, la forte ruralité de ces intercommunalités pose la question du maintien de l’activité économique, et surtout des services, au sein de territoires isolés à la population vieillissante. Les entreprises à transmettre y sont généralement de plus petite taille (2,5 emplois contre 5 en moyenne insulaire). Elles font partie de la sphère présentielle, en particulier dans la construction (Cap Corse, Alta Rocca) et l’hébergement touristique (Spelunca-Liamone, Oriente).

Les intercommunalités du Sud-Corse, du Centre Corse et du Fium’Orbu Castellu (figure 5 zone bleu ciel) se distinguent également par une surreprésentation des entreprises transmissibles (26 %, +3 points). Ces entreprises sont de plus grandes tailles et moins souvent dans le rural que le groupe précédent. Leurs activités relèvent principalement de la sphère présentielle, en particulier de l’hébergement touristique dans le Sud-Corse, du commerce dans le Centre Corse et de la construction dans le Fium’Orbu Castellu.

Le troisième groupe (figure 5 zone violette) se compose des deux communautés d’agglomérations - Ajaccio et Bastia - ainsi que de la CC Castagniccia-Casinca.

Ces intercommunalités, essentiellement urbaines et périurbaines, regroupent plus du tiers des entreprises à transmettre pour deux emplois sur cinq concernés. Ces spécificités reflètent le poids important des deux agglomérations dans l’économie insulaire. Ces territoires concentrent les activités productives de services aux entreprises.

Enfin, les huit autres intercommunalités corses (figure 5 zone verte) se distinguent par la prédominance d’une économie relevant de la sphère présentielle. Elles regroupent un quart des entreprises à transmettre. Au sein des CC Pasquale Paoli, Celavu-Prunelli et Costa Verde, entre la moitié et les trois quarts de ces entreprises sont implantées en milieu très rural, liant la question de la succession entrepreneuriale à celle du maintien d’une vie économique locale.

Les 19 intercommunalités insulaires sont regroupées suivant leur proximité en fonction de quatre caractéristiques concernant les entreprises à transmettre. D’une part, le poids de ces dernières au sein de l’ensemble des entreprises du territoire, mais aussi la part de la sphère présentielle en leur sein, leur taille moyenne, et enfin la part d’entre elles située dans des communes très rurales.

Les classes sont formées via une classification ascendante hiérarchique à l’issue d’une analyse en composantes principales effectuée sur les données présentées précédemment. Cette méthode amène à distinguer cinq groupes d’intercommunalités.