Insee Analyses Grand Est · Septembre 2025 · n° 199

Dans le Grand Est, un quart des habitants des espaces ruraux sont éloignés d’un professionnel de santé

L'offre de soins en France repose sur une diversité de professions de santé : médecins généralistes, spécialistes, masseurs-kinésithérapeutes, infirmiers, sages-femmes ou encore chirurgiens-dentistes, qui sont répartis de façon hétérogène dans les territoires.

Les médecins, généralistes ou spécialistes, bénéficient d'une liberté d’installation, alors que les infirmiers et kinésithérapeutes sont soumis à des régulations plus contraignantes. Leur installation dans certaines zones est conditionnée par un conventionnement avec l’Assurance maladie. Ce dispositif vise à corriger les déséquilibres territoriaux en encadrant l’accès à l’exercice dans les zones « surdotées », tout en encourageant l’installation dans les zones « sous-dotées » via des aides financières. Les sages-femmes et les dentistes se trouvent dans une situation intermédiaire : ils disposent d’une liberté d’installation, mais peuvent être concernés par des incitations territoriales.

L’accès aux services de santé diffère selon les zones géographiques, ce qui souligne l’enjeu de maintien de ces professionnels dans les territoires déficitaires.

En 2023, près de 300 hôpitaux sont implantés dans le Grand Est, soit cinq pour 100 000 habitants. La région se place ainsi en deuxième position, juste après la Corse, pour la quantité d’établissements hospitaliers rapportée à la population. Au niveau national (France métropolitaine), quatre hôpitaux sont implantés pour 100 000 habitants.

Concernant les professionnels de santé, la répartition des médecins généralistes, sages-femmes et dentistes est similaire à la moyenne nationale : 4 900 médecins généralistes exercent dans le Grand Est, soit 9 pour 10 000 habitants. Ce rapport est le plus élevé en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Nouvelle Aquitaine (11 et 10 pour 10 000 habitants). La région compte également 700 sages-femmes et 3 300 dentistes, soit 1 sage-femme et 6 dentistes pour 10 000 habitants.

À l’inverse, la région est légèrement moins dotée en infirmiers, kinésithérapeutes et médecins spécialistes : 7 400 infirmiers, ce qui correspond à 13 pour 10 000 habitants, contre 14 en France métropolitaine. Les kinésithérapeutes sont 5 900 dans la région : le rapport est de 11 pour 10 000, contre 12 à l’échelle nationale et 18 en Provence-Alpes-Côte d’Azur, région la mieux dotée. Les médecins spécialistes sont 3 300 dans le Grand Est, soit 6 pour 10 000 habitants, contre 7 en France métropolitaine.

Dans la suite de l’étude, l’ensemble des professionnels de santé sont regroupés en deux groupes en fonction du type de besoin médical auquel ils répondent. Les praticiens de « premier contact » sont ceux les plus régulièrement sollicités pour une consultation de première instance : les médecins généralistes, les infirmiers, les sages-femmes, les dentistes ou les kinésithérapeutes. Les praticiens « spécialistes » sont ceux consultés lorsqu’un besoin d’accompagnement spécifique est nécessaire. Il peut s’agir de dermatologues, gynécologues, ophtalmologues ou cardiologues.

L’accès à ces professionnels de santé varie selon la localisation de l’offre de soins, au sein d’un centre urbain, en périphérie ou en milieu rural. Dans le Grand Est, la population considérée comme éloignée d’un professionnel de santé correspond aux 10 % des habitants ayant le temps de trajet en voiture le plus long entre leur domicile et le lieu de consultation. On obtient une durée-seuil qui diffère selon l’équipement de santé étudié : au-delà de 7 minutes pour les médecins généralistes ou les praticiens de premier contact, de 21 minutes pour les hôpitaux et de 25 minutes pour les spécialistes (figure 1). En France métropolitaine, un habitant sur huit réside à plus de 7 minutes d’un praticien de premier contact, davantage donc que dans le Grand Est.

De manière générale, les habitants résident plus loin d’un professionnel de santé dans les zones rurales. L’écart est particulièrement marqué pour les professions de premier contact : 26 % des habitants des espaces ruraux sont éloignés d’un praticien, alors que dans les espaces urbains, ils résident presque tous à moins de 7 minutes. Ce taux atteint même 46 % dans les zones rurales à habitat dispersé, et 83 % dans les zones à habitat très dispersé. À l’échelle nationale, l’éloignement est un peu plus prononcé dans les espaces ruraux : par rapport au Grand Est, la part des habitants éloignés d’un praticien de premier contact est supérieure de 1,4 point.

L’écart entre zones rurales et urbaines est aussi marqué pour l’accès aux spécialistes, avec 24 % des habitants des zones rurales éloignés d’un spécialiste (plus de 25 minutes), contre 1 % en milieu urbain. Les habitants des petites villes, sont davantage éloignés des spécialistes par rapport aux autres professions de santé : 9 % de la population est éloignée d’un spécialiste, contre 2 % pour un médecin généraliste et 1 % pour un praticien de premier contact. Au niveau national, la part de population éloignée d’un spécialiste est 1,8 point plus élevée que dans le Grand Est.

Enfin, si 10 % de la population du Grand Est vit à plus de 21 minutes d’un hôpital, la proportion est plus élevée dans l’Hexagone (12 %). Dans la région, ce sont également les habitants des zones rurales qui sont les plus éloignés des services d’urgence (23 %, contre près de 1 % dans les zones urbaines).

L’offre de soins spécialisés est moins présente à l’échelle communale : en 2023, 54 % des habitants du Grand Est résident dans une commune où exerce au moins un médecin spécialiste, contre 75 % pour les médecins généralistes.

Le temps de trajet moyen par la route pour se rendre chez un spécialiste est plus long : dans la région, il est en moyenne de 14 minutes, contre moins de 4 minutes pour un généraliste, un dentiste, un kinésithérapeute ou un infirmier (figure 2), même si pour les infirmiers, ce sont plus souvent eux qui se rendent chez leurs patients.

Dans les espaces ruraux, il faut en moyenne 22 minutes pour consulter un spécialiste, 15 minutes pour rejoindre un hôpital et 10 minutes pour voir une sage-femme. Pour les autres professionnels, le temps de trajet est généralement inférieur à 7 minutes. Dans les espaces urbains, tous les professionnels sont situés à moins de 4 minutes en moyenne du domicile des habitants, à l’exception des spécialistes (8 minutes), et l’hôpital le plus proche à 5 minutes.

En moyenne, en France métropolitaine, le temps de trajet pour consulter un spécialiste est de 18 minutes, soit 4 minutes de plus que dans la région. Pour se rendre à l’hôpital ou chez un dentiste, il faut 1 minute de plus que dans la région. Pour les autres professionnels, les temps de trajet sont similaires.

Dans le Grand Est, le temps d’accès à un praticien de premier contact peut être important dans certains territoires : c’est le cas pour six établissements publics de coopérations intercommunale (EPCI), qui regroupent 0,8 % de la population. Ces habitants ont un temps de trajet supérieur à 10 minutes, contre 4 minutes en moyenne dans la région (figure 3). Les déplacements sont les plus longs dans les intercommunalités de l’Aire à l’Argonne dans la Meuse, et d’Auberive Vingeanne et Montsaugeonnais dans la Haute-Marne (12 minutes chacune). Ces EPCI sont respectivement situées en 24^e et 25^e position des communautés de communes les plus éloignées au niveau national d’un professionnel de santé de premier contact. En France métropolitaine, 64 EPCI sont concernés par ces temps de trajets élevés, soit 5 % du total des intercommunalités où résident également 0,8 % de la population métropolitaine.

L’accès aux médecins spécialistes est en moyenne plus contraint dans la région et en France de province qu’au niveau national (écart de 2 minutes), parce que l’Île-de-France est mieux dotée. Dans 29 EPCI du Grand Est, le temps d’accès moyen pour consulter un spécialiste dépasse 30 minutes. Ces intercommunalités se situent majoritairement en milieu rural.

Pour se rendre à l’hôpital le plus proche, il faut 9 minutes en moyenne dans la région, comme en France métropolitaine, et légèrement plus en France de province (10 minutes). Toutefois, huit EPCI du Grand Est présentent un temps d’accès supérieur à 25 minutes : ils sont presque tous situés dans le nord de la Meuse et dans l’Aube, hormis un en Haute-Marne.

D’après les seuils d’éloignement définis précédemment pour chaque type de soins, dix intercommunalités sont éloignées de tous ces services. Elles se situent pour la plupart dans un croissant rural allant du nord de l’Aube à l’est de la Meuse, comme Les Trois Forêts (Haute-Marne) et Le Pays d’Othe (Aube), par exemple. Le territoire de la communauté de communes des Trois Forêts cumule des temps d’accès très élevés vers l’ensemble des équipements de santé : la durée du trajet dépasse 10 minutes pour les praticiens de premier contact, 30 minutes pour les spécialistes et 25 minutes pour accéder à l’hôpital le plus proche.

La présence physique d’un professionnel de santé et sa proximité géographique sont des conditions nécessaires à l’accès aux soins, mais elles ne garantissent pas l’accessibilité aux soins. D’autres facteurs jouent un rôle, comme le volume d’activité du praticien, l’intensité de la demande dans sa zone de patientèle ou les délais d’attente. L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (pour comprendre) permet d’intégrer ces différents paramètres en tenant compte à la fois de la proximité et de la disponibilité des praticiens.

Ainsi, un habitant du Grand Est peut en moyenne accéder à 4 consultations de médecine générale par an, soit un nombre légèrement supérieur à celui de la France de province et de la France métropolitaine (3,8 et 3,7). Concernant les chirurgiens-dentistes, la région se situe également dans la fourchette haute avec 64 équivalents temps plein (ETP) disponibles pour 100 000 habitants en 2023, contre 61 en France métropolitaine et 58 en France de province. Pour les sages-femmes, l’offre de soins du Grand Est s’inscrit dans la moyenne nationale : 22 ETP sont disponibles pour 100 000 femmes (21 en France métropolitaine et 23 en France de province).

L’accessibilité aux autres professionnels est plus restreinte dans le Grand Est qu’en France de province. C’est notamment le cas des infirmiers : en moyenne 149 ETP sont disponibles pour 100 000 habitants, contre 162 dans l’ensemble des régions de province. La Corse dispose d’une offre nettement supérieure (418 ETP), suivie par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (281). La tendance est similaire pour les kinésithérapeutes, avec 110 ETP disponibles pour 100 000 habitants dans le Grand Est, contre 118 en France métropolitaine et 124 en province. À nouveau, la Corse et Provence-Alpes-Côte d’Azur sont les régions les mieux dotées (194 et 178 ETP).

Au sein du Grand Est, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin se distinguent par une meilleure accessibilité par rapport à la moyenne régionale. En effet, un Alsacien peut accéder à 4,4 consultations chez un médecin généraliste par an. L’offre y est également supérieure À dans la région pour les dentistes, les infirmiers et les kinésithérapeutes (77, 163 et 138 ETP pour 100 000 habitants, contre 64, 149 et 110). En revanche, l’accessibilité aux sages-femmes est légèrement inférieure à la moyenne régionale : 20 ETP pour 100 000 habitants, contre 23 observés dans les départements les plus ruraux de la région, les Ardennes, la Meuse, la Haute-Marne et les Vosges.

À part pour les sages-femmes, dans ces territoires ruraux, les habitants sont moins bien dotés : ils ont accès à 3,5 consultations par an en moyenne chez un généraliste. Pour 100 000 habitants, 49 ETP de dentistes, 122 ETP d’infirmiers et 82 ETP de kinésithérapeutes sont disponibles, soit des niveaux inférieurs à la moyenne régionale.

En 2023, dans une commune du Grand Est sur huit, les habitants ont des difficultés d’accessibilité à au moins trois professions : 128 000 personnes sont concernées, soit 2,3 % de la population de la région (figure 4). La plupart de ces territoires sont regroupés à l’ouest du Grand Est, en particulier dans la Marne, la Haute-Marne et en Meurthe-et-Moselle. La commune la plus concernée par ces difficultés cumulées, et la plus peuplée, est Gorcy en Meurthe-et-Moselle (3 000 habitants), située à la frontière avec le Luxembourg ; elle connaît des difficultés d’accessibilité à la fois aux médecins généralistes (1,5 consultation par habitant), aux infirmiers et aux sages-femmes (66 et 5 ETP).

Certaines communes cumulent même des difficultés pour consulter tous les professionnels de premier contact : 33 communes de la région sont dans cette situation, regroupant 5 200 habitants, soit près d’une personne sur 1 000 dans le Grand Est. Ces zones éloignées des services de santé peuvent être considérées comme plus vulnérables. Les communes concernées sont de très petite taille, la plus peuplée compte 560 habitants, et se situent dans les espaces les plus éloignés des pôles de services. Ces territoires sont caractérisés par une perte de population, liée au départ des jeunes vers les grandes villes, ainsi qu’au vieillissement de la population, des facteurs susceptibles d’amplifier les difficultés d’accessibilité aux soins.

Les distances entre les habitants et les praticiens sont calculées via le distancier Metric-OSRM, avec une précision de 200 m et tiennent compte des professionnels de santé des régions françaises limitrophes du Grand Est.

L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL), développé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), mesure l’accessibilité aux professionnels de santé libéraux. D’une part, l’APL tient compte de l’offre des communes environnantes, et de l’activité des professionnels de santé grâce à l’utilisation d’équivalents temps pleins (ETP). D’autre part, l’APL intègre la demande de soins, en tenant compte des besoins, différenciés selon l’âge. Au final, l’indicateur d’accessibilité fournit, pour chaque commune, un nombre de consultations en médecine générale disponibles dans l’année pour chaque habitant. Pour les autres professionnels de santé, les chirurgiens-dentistes, les infirmiers, et les masseurs-kinésithérapeutes, l’indicateur d’APL fournit un nombre d'ETP accessibles pour 100 000 habitants, en fonction de leur consommation de soins. Pour l’accessibilité aux sages-femmes, l’indicateur fournit un nombre d'ETP disponibles pour 100 000 femmes.

Le calcul des seuils d’accessibilité :

Pour les médecins généralistes, une commune est considérée comme « sous-dotée » si l’APL est inférieur à 2,5 consultations et « bien dotée » si l’indicateur est supérieur à 4 ; entre ces deux bornes, le territoire est considéré comme « moyennement doté » en médecins généralistes.

Pour les infirmiers, une commune est considérée comme sous-dotée si sa population fait partie des 17,5 % de la population française ayant l’accessibilité la plus faible, ce qui correspond à moins de 68 ETP disponibles par habitant. La logique est la même pour les kinésithérapeutes et les sages-femmes, le seuil étant de 12,5 %, le nombre d’ETP disponibles s’établissant à 30 et 6. Et pour les dentistes, le seuil est de 10 %, soit 7 ETP par habitant.