Insee Analyses Grand Est · Septembre 2025 · n° 200

Dans le Grand Est, des généralistes proches des habitants, mais peu disponibles et de plus en plus âgés

Maintenir une offre de soins suffisante et inciter l’installation des médecins sont des défis pour les politiques publiques, en particulier dans les territoires les moins dotés en professionnels de santé. Le nombre de médecins généralistes formés en France a longtemps été encadré par le numerus clausus, instauré en 1971, afin de maîtriser les dépenses de santé. Ce dispositif a conduit à une réduction progressive du nombre de praticiens formés jusqu’au début des années 2000. Face au vieillissement des professionnels de santé et aux difficultés d’accès aux soins dans certains territoires, les pouvoirs publics ont engagé une politique d’ouverture du nombre de places en médecine, avec la suppression du numerus clausus en 2020, remplacé par le numerus apertus. Plus souple, ce nouveau dispositif laisse les universités fixer un quota selon les besoins en santé et leurs capacités. Toutefois, l’effet de cette mesure sur le renouvellement des générations de médecins ne se fait sentir que progressivement. Le départ à la retraite des médecins dans certains territoires accroît le risque de désertification médicale, particulièrement dans les zones les plus rurales, déjà moins bien dotées.

En 2023, près de 5 000 médecins généralistes exercent dans le Grand Est. Alors que les quatre plus grandes villes rassemblent 23 % de la population de la région, elles concentrent 32 % des praticiens : 14 % dans l’Eurométropole de Strasbourg, 7 % dans la communauté urbaine du Grand Reims, 6 % dans la métropole du Grand Nancy et 5 % dans Metz métropole.

Le temps moyen de trajet par la route pour se rendre chez un généraliste est de trois minutes dans la région, comme en France de province. En 2023, 75 % de la population du Grand Est réside dans une commune où exerce un médecin généraliste, et 90 % accède à un médecin généraliste en moins de sept minutes en voiture. Seul 4 % de la population doit réaliser un trajet d’au moins 15 minutes pour consulter un généraliste. L’absence de médecin va de pair avec l’absence globale d’équipements : les territoires où le temps d’accès au médecin le plus proche est élevé sont également ceux où le temps d’accès à un panier de services de proximité est important. C’est notamment le cas des communautés de communes de Perthois-Bocage et Der (Marne) et de l’Aire à l’Argonne (Meuse), situées respectivement à 7 et 8 minutes de trajet par la route d’un équipement de proximité et à 12 et 10 minutes d’un médecin.

Toutefois, la proximité d’un professionnel de santé ne signifie pas forcément que celui-ci soit disponible. Selon l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL), qui tient compte de la demande en soins des habitants selon leur âge, une commune est « sous-dotée » en médecins généralistes si l’APL est inférieure ou égale à 2,5 consultations par habitant dans l’année, et « bien dotée » si l’indicateur est supérieur à 4 ; entre ces deux bornes, le territoire est considéré comme « moyennement doté » en médecins généralistes. Dans la région, 20 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) cumulent un temps de trajet court et une bonne dotation en médecins généralistes (figure 1). Dans ces territoires résident plus de 2,3 millions d’habitants, soit 42 % de la population du Grand Est, à peine moins qu’en France de province (43 %). Les intercommunalités les mieux dotées de la région sont l’Eurométropole de Strasbourg et la communauté de communes des Rives de Moselle, située entre Metz et Thionville (respectivement 5,8 et 5,6 consultations par habitant).

À l’inverse, dans le Grand Est, 12 % des EPCI sont sous-dotés en médecins. Dans ces zones résident 252 000 habitants, soit 4,5 % de la population régionale ; c’est 3 points de moins qu’en France de province. Les intercommunalités les moins bien dotées de la région sont la communauté de communes du Pays de Montmédy dans la Meuse, celle d'Auberive Vingeanne et Montsaugeonnais en Haute-Marne et celle de la Moivre à la Coole dans la Marne, où chaque habitant n’a accès qu’à 1,7 consultation dans l’année.

Pour deux tiers des EPCI sous-dotés, les médecins sont pourtant à moins de sept minutes de trajet en moyenne. C’est le cas par exemple de deux EPCI situés près de la frontière du Luxembourg, où le nombre de consultations disponibles par habitant est bas (2,3 par an) alors que le temps de trajet pour aller chez le médecin est court (inférieur à quatre minutes). Cela peut s’expliquer par le faible nombre de médecins par rapport au nombre d’habitants, ou encore par les besoins en soins élevés, si la population est particulièrement âgée notamment.

Entre 2015 et 2023, la part de la population résidant dans une commune bien dotée en médecins généralistes a reculé de 13 points, passant de 60 % à 47 % (figure 2). Pour autant, cette proportion reste plus élevée qu’en France de province, où elle diminue de 14 points sur la période, de 56 % à 42 %. Au total, dans près de 1 000 communes du Grand Est, les habitants ont accès à plus de 4 consultations par an. Dans le même temps, la part de la population vivant dans une commune sous-dotée reste minoritaire, mais augmente nettement : en huit ans, elle a presque doublé dans la région, passant de 8 % à 14 %, et atteint même 15 % au niveau national hors Île-de-France en 2023. Les habitants de près de 1 800 communes du Grand Est sont concernés par ces difficultés d’accès.

Ces évolutions traduisent la part croissante de la population confrontée à une offre locale insuffisante en médecine générale, avec une augmentation des disparités territoriales et des déserts médicaux. En effet, les communes sous-dotées en médecins généralistes se trouvent le plus souvent en zone rurale : les trois quarts des habitants ayant accès à moins de 2,5 consultations vivent dans une commune rurale, soit 530 000 personnes. Ce phénomène peut s’expliquer par deux facteurs : le vieillissement plus prononcé de la population en zone rurale qu’en zone urbaine, ainsi que le déséquilibre entre les arrivées et les départs de médecins dans les territoires ruraux.

En 2023, un habitant du Grand Est a accès à 4 consultations dans l’année en moyenne, contre 4,3 en 2015. L’accessibilité est légèrement meilleure dans la région par rapport à la France de province (3,9 consultations). Dans les plus grandes villes, le nombre de consultations disponibles est plus important. À Strasbourg, il s’élève à 6,5 en moyenne ; à Nancy, Metz et Reims, les habitants ont accès à plus de 5 consultations dans l’année.

Dans la région, l’âge moyen des médecins généralistes est de 50 ans, soit un an de plus qu’en France de province et huit ans de plus que pour l’ensemble des personnes exerçant une activité professionnelle. Les médecins généralistes partent à la retraite à 67 ans en moyenne, et une part importante des praticiens s’approche de cet âge. Dans le Grand Est, 38 % des médecins ont entre 55 et 67 ans en 2022, contre 18 % des actifs en emploi (figure 3). Une forte proportion dépasse même l’âge moyen de départ à la retraite : 8 % continuent de travailler après 67 ans, contre 1 % des actifs en emploi. Dans l’ensemble de la France de province, ils sont encore davantage à travailler après cet âge (9 %). Ces éléments soulignent l’enjeu démographique lié au renouvellement des médecins dans le Grand Est, comme dans les autres régions.

La répartition par âge des médecins est moins homogène que celle des actifs en emploi, tant dans la région qu’en France de province. L’effet restrictif du numerus clausus est particulièrement visible dans la pyramide des âges des 40 à 55 ans : seuls 25 % des médecins du Grand Est appartiennent à cette tranche d’âge, contre 38 % des actifs en emploi. En revanche, le dispositif ayant été assoupli dans les années 2000, les effectifs de jeunes médecins sortant d’études après cette date sont plus élevés et se rapprochent de la proportion moyenne des actifs en emploi. En effet, les parts de médecins et d’actifs en emploi ayant entre 30 et 40 ans dans la région sont identiques (26 %).