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Insee Analyses · Juillet 2023 · n° 86
Insee AnalysesComment les automobilistes ajustent leur consommation de carburant aux variations de prix à court terme

Odran Bonnet, Tristan Loisel, Lionel Wilner (Insee), Étienne Fize (Conseil d’analyse économique)

Lorsque les prix augmentent de 1 %, les volumes de carburant achetés par les automobilistes diminuent à court terme, de 0,21 % à 0,40 %, d’après des estimations menées sur des données bancaires journalières de septembre 2021 à janvier 2023. Cette sensibilité aux prix est trois fois plus forte pour les « petits rouleurs » que pour les « gros rouleurs », mais varie peu selon le revenu et le type d’habitat (urbain, rural ou périurbain). Cependant, les ménages ruraux, périurbains ou « gros rouleurs », ayant des consommations moyennes plus élevées, réduisent davantage leurs volumes consommés de carburant à la suite d’une augmentation des prix.

En 2022, le gouvernement a décidé d’instaurer des remises à la pompe afin d’enrayer la hausse des prix du carburant consécutive à la flambée des cours du pétrole. Des simulations suggèrent qu’elles ont conduit à alléger la facture des automobilistes de 51 à 81 euros, en moyenne. Les 25 % les plus aisés, qui consomment en moyenne davantage de carburant, ont davantage bénéficié de cette mesure (entre 64 et 115 euros, contre entre 29 et 48 euros pour les 25 % les plus modestes), mais cet allègement a représenté une part plus faible de leur revenu. Ces estimations tiennent compte de l’augmentation de la consommation de carburant induite par les remises.

Estimer la sensibilité de la demande de carburant à son prix

En 2018, 85 % des ménages disposent d’un véhicule motorisé [Insee, 2020], qui reste le mode de transport largement majoritaire pour les déplacements quotidiens. Cet usage généralisé confère aux évolutions des prix du carburant un caractère particulièrement sensible. D’un côté, le transport reste le principal poste d’émissions de gaz à effet de serre. De l’autre, réduire la part des carburants dans la consommation peut être très délicat pour des ménages dépendants de l’automobile et contraints financièrement. Une augmentation brutale des prix du carburant, comme celle observée à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, peut ainsi être difficilement supportable par les ménages s’ils sont dans l’impossibilité d’ajuster leur consommation de carburant.

Cette étude détermine dans quelle mesure les , confrontés à de fortes augmentations de prix, réduisent leur consommation de carburant, en estimant l’ de la demande de carburant des automobilistes, c’est-à-dire la variation, en %, des quantités achetées à la suite d'une augmentation du prix de 1 %. Cette élasticité est susceptible de varier en fonction des contraintes des ménages, qui elles-mêmes dépendent du , de la structure familiale, des motifs principaux de déplacement (trajets domicile-travail ou trajets de loisir) ou encore du lieu de résidence (selon les alternatives possibles à la voiture pour les déplacements).

L’horizon d’examen retenu est le « court terme » afin d’analyser les réactions comportementales immédiates. Les résultats ne préjugent donc pas d’ajustements de la consommation à plus long terme, comme par exemple des changements de mode de transport.

Les données bancaires journalières permettent de séparer anticipations et effet prix, dans un contexte de fortes variations des prix

Les estimations s’appuient sur des données bancaires du Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Ces données permettent de retracer les dépenses journalières d’un large échantillon de ménages. Elles renseignent en particulier sur les effectuées en station-service par les automobilistes clients de la banque (méthodes). Les prix des carburants sont également disponibles chaque jour à un niveau départemental.

L’analyse porte principalement sur les variations de prix survenues au cours de l’année 2022 (hausse consécutive au début de la guerre en Ukraine, remise à la pompe de 0,18 €/L TTC intervenue au 1er avril, remise supplémentaire de 0,12 €/L TTC au 1er septembre). Début mars 2022, les prix à la pompe connaissent une forte hausse à la suite du déclenchement de la guerre, puis diminuent en raison de la première remise au 1er avril (figure 1). Les prix augmentent ensuite de manière substantielle en mai et en juin, avant une décrue qui précède elle-même une seconde remise au 1er septembre. Les prix remontent progressivement en fin d’année, puis plus brutalement à la suite du plafonnement des remises à la pompe à 0,10 €/L TTC intervenu mi-novembre, et de la suppression de ces dernières au 1er janvier 2023.

Figure 1 – Prix et consommation de carburant entre septembre 2021 et janvier 2023, variations quotidiennes par rapport à la moyenne du 2 septembre 2021 au 27 janvier 2023

Figure 1 – Prix et consommation de carburant entre septembre 2021 et janvier 2023, variations quotidiennes par rapport à la moyenne du 2 septembre 2021 au 27 janvier 2023
Les données de cette figure sont disponibles dans le fichier en téléchargement.

Figure 1 – Prix et consommation de carburant entre septembre 2021 et janvier 2023, variations quotidiennes par rapport à la moyenne du 2 septembre 2021 au 27 janvier 2023

  • Note : les prix et les quantités achetés sont représentés du 2 septembre 2021 au 27 janvier 2023. Les quantités achetées sont ajustées afin de tenir compte des variations saisonnières. Les prix du carburant correspondent à un indice des prix départemental agrégeant les prix de chaque station essence et de chaque carburant (diesel et essence SP95-E10).
  • Lecture : le 19 mars 2022, les prix du carburant étaient supérieurs de 12,0 % à leur valeur moyenne sur la période et les quantités achetées inférieures de 7,9 %.
  • Champ : échantillon de clients actifs et automobilistes du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
  • Sources : Crédit Mutuel Alliance Fédérale ; Insee, calculs Insee.

Les consommateurs sont cependant susceptibles de retarder leurs achats en prévision d’une baisse de prix annoncée (remises du 1er avril et du 1er septembre) ou de les avancer en cas d’une augmentation prévisible (guerre en Ukraine, fin des remises), comme en témoignent les consommations journalières d’achat de carburant. Par exemple, une forte baisse s’observe la semaine précédant la mise en place de la remise du 1er septembre, suivie d’une forte hausse. Ces effets d’anticipation peuvent conduire à surestimer les effets strictement liés aux prix. La méthode économétrique développée ici (méthodes) permet de séparer, dans la demande de consommation, ce qui a trait aux prix, qui est l’objet d’intérêt, de ce qui relève d’un comportement opportuniste d’avancement ou de retard des achats [Adam et al., 2023] : l’hypothèse sous‑jacente est que les anticipations ont pour unique effet de décaler la date d’achat. Plusieurs méthodes sont ensuite utilisées pour mesurer les ajustements de consommation effectivement liés aux évolutions de prix.

Lorsque les prix augmentent de 1 %, la consommation de carburant diminue de 0,21 % à 0,40 %, en moyenne

Selon les hypothèses retenues, l’élasticité-prix moyenne est estimée entre -0,40 et -0,21 (figure 2), ce qui signifie que lorsque les prix augmentent de 1 %, la consommation de carburant diminue à court terme, en moyenne, de 0,21 % à 0,40 %.

Figure 2 – Estimations de l’élasticité-prix de la demande de carburant

en %
Figure 2 – Estimations de l’élasticité-prix de la demande de carburant (en %) - Lecture : une augmentation de 1 % du prix du carburant se traduit par une baisse moyenne de la consommation de 0,40 % d’après l’estimation mobilisant une variable instrumentale sur la période autour de la remise du 1er septembre 2022.
Type d’estimation Estimation autour de la remise
du 1er septembre 2022
Estimation du 2 septembre 2021
au 27 janvier 2023
Estimation -0,21 (0,07)     -0,40 (0,08)     -0,38 (0,04)     - 0,26 (0,03)    
Variable instrumentale Non Oui Non Non
Tendance linéaire Non Non Non Oui
  • Note : les estimations de l’élasticité-prix sont réalisées en mobilisant plusieurs périodes et plusieurs méthodes statistiques (Méthodes). Quelle que soit la méthode retenue, l’élasticité-prix estimée se situe entre -0,21 et -0,40. Les écarts-types des estimations sont indiqués entre parenthèses.
  • Lecture : une augmentation de 1 % du prix du carburant se traduit par une baisse moyenne de la consommation de 0,40 % d’après l’estimation mobilisant une variable instrumentale sur la période autour de la remise du 1er septembre 2022.
  • Champ : échantillon de clients actifs et automobilistes du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
  • Sources : Crédit Mutuel Alliance Fédérale ; Insee, calculs Insee.

L’étude examine ensuite comment cette élasticité-prix moyenne varie selon différentes dimensions (revenu, type d’habitat et consommation de carburant), qui captent au moins en partie la dépendance à l’automobile comme moyen de déplacement. Cette élasticité-prix moyenne varie peu selon le revenu et le type d’habitat (urbain, rural ou périurbain) (figure 3). Les consommations sont toutefois très différenciées dans ces dimensions : par exemple, les ménages automobilistes urbains ont dépensé en 2022, en moyenne, 981 euros par an en frais de carburant, contre 1 480 euros pour les ménages automobilistes vivant en zone périurbaine et 1 855 euros pour ceux vivant en zone rurale. Par conséquent, un même choc de prix a des conséquences différentes sur les montants dépensés.

Figure 3a – Élasticité-prix de la demande de carburant selon le groupe de revenus

en %
Figure 3a – Élasticité-prix de la demande de carburant selon le groupe de revenus (en %) - Lecture : quand le prix du carburant augmente de 1 %, le quart des consommateurs aux plus hauts revenus diminue sa consommation de 0,45 % en moyenne avec un intervalle de confiance à 95 % entre -0,65 % et -0,25 %.
Groupe de revenus Borne inférieure Élasticité moyenne Borne supérieure
1er quart -0,6 -0,42 -0,24
2e quart -0,54 -0,38 -0,22
3e quart -0,48 -0,34 -0,2
4e quart -0,65 -0,45 -0,25
  • Note : pour chacun des groupes, l’estimation de l’élasticité-prix moyenne est réalisée en comparant la consommation autour du choc de prix le 1er septembre 2022 correspondant à la remise de 0,12 euro par litre. L’estimation prend en compte la saisonnalité (en ajustant la consommation courante par rapport à celle de 2021) et les variations de consommation dues aux effets d’anticipation (en lien avec la remise). La remise est utilisée comme instrument.
  • Lecture : quand le prix du carburant augmente de 1 %, le quart des consommateurs aux plus hauts revenus diminue sa consommation de 0,45 % en moyenne avec un intervalle de confiance à 95 % entre -0,65 % et -0,25 %.
  • Champ : échantillon de clients actifs et automobilistes du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
  • Sources : Crédit Mutuel Alliance Fédérale ; Insee, calculs Insee.

Figure 3a – Élasticité-prix de la demande de carburant selon le groupe de revenus

  • Note : pour chacun des groupes, l’estimation de l’élasticité-prix moyenne est réalisée en comparant la consommation autour du choc de prix le 1er septembre 2022 correspondant à la remise de 0,12 euro par litre. L’estimation prend en compte la saisonnalité (en ajustant la consommation courante par rapport à celle de 2021) et les variations de consommation dues aux effets d’anticipation (en lien avec la remise). La remise est utilisée comme instrument.
  • Lecture : quand le prix du carburant augmente de 1 %, le quart des consommateurs aux plus hauts revenus diminue sa consommation de 0,45 % en moyenne avec un intervalle de confiance à 95 % entre -0,65 % et -0,25 %.
  • Champ : échantillon de clients actifs et automobilistes du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
  • Sources : Crédit Mutuel Alliance Fédérale ; Insee, calculs Insee.

En revanche, l’élasticité-prix diminue nettement, en valeur absolue, avec la consommation de carburant : elle vaut -1,06 pour le quart des plus petits consommateurs (« petits rouleurs », qui dépensent, en moyenne, moins de 17 euros par mois de carburant) mais -0,32 pour le quart des plus gros consommateurs (« gros rouleurs », qui dépensent plus de 120 euros par mois de carburant, en moyenne). Il est possible que les premiers disposent de davantage de moyens d’ajuster leur consommation (grâce à un meilleur accès à des moyens de transport alternatifs, par exemple, ou parce qu’ils sont moins contraints dans leurs déplacements). Toutefois, même s’ils diminuent moins leurs dépenses, en pourcentage, les « gros rouleurs » diminuent davantage le volume de leur consommation, en litres, que les « petits rouleurs ». On peut notamment penser que les « gros rouleurs » sont contraints d’utiliser leur véhicule pour leurs déplacements domicile-travail.

Effets budgétaires, redistributifs et impact sur les émissions de CO2

Ces estimations permettent de calculer les effets budgétaires et redistributifs des augmentations de prix du carburant, en partie compensées par des remises à la pompe (figure 4), ainsi que l’impact correspondant sur l’empreinte carbone des ménages, à partir de l’échantillon des automobilistes de la banque.

Figure 4a – Simulation des dépenses de carburant en 2022 en l’absence de remise à la pompe ou en l’absence de hausse des prix selon le groupe de revenus

en euros
Figure 4a – Simulation des dépenses de carburant en 2022 en l’absence de remise à la pompe ou en l’absence de hausse des prix selon le groupe de revenus (en euros) - Lecture : en 2022, en l’absence de remise à la pompe, les groupes clients du premier quart de revenus auraient dépensé, en moyenne, 949 euros en carburant. Après remises, ces dépenses ne sont que de 920 euros en moyenne. En l’absence de remise, et si le prix était resté toute l’année à son niveau du 8 janvier 2022, ils auraient dépensé 863 euros en moyenne.
Groupes de revenus Dépenses de carburant (en euros)
Avec prix janvier 2022 Sans remise Avec remise
1er quart 863 949 920
2e quart 1 019 1 139 1 096
3e quart 1 431 1 623 1 552
4e quart 1 782 1 967 1 903
  • Note : les groupes clients sont divisés en quatre groupes de même taille selon leur niveau de revenu entre janvier et mars 2022 (avant la mise en place des remises). Les seuils mensuels de revenu utilisés pour constituer les groupes sont 1 510 euros, 2 209 euros et 3 324 euros.
  • Lecture : en 2022, en l’absence de remise à la pompe, les groupes clients du premier quart de revenus auraient dépensé, en moyenne, 949 euros en carburant. Après remises, ces dépenses ne sont que de 920 euros en moyenne. En l’absence de remise, et si le prix était resté toute l’année à son niveau du 8 janvier 2022, ils auraient dépensé 863 euros en moyenne.
  • Champ : échantillon de clients actifs et automobilistes du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
  • Sources : Crédit Mutuel Alliance Fédérale ; Insee, calculs Insee.

Figure 4a – Simulation des dépenses de carburant en 2022 en l’absence de remise à la pompe ou en l’absence de hausse des prix selon le groupe de revenus

  • Note : les groupes clients sont divisés en quatre groupes de même taille selon leur niveau de revenu entre janvier et mars 2022 (avant la mise en place des remises). Les seuils mensuels de revenu utilisés pour constituer les groupes sont 1 510 euros, 2 209 euros et 3 324 euros.
  • Lecture : en 2022, en l’absence de remise à la pompe, les groupes clients du premier quart de revenus auraient dépensé, en moyenne, 949 euros en carburant. Après remises, ces dépenses ne sont que de 920 euros en moyenne. En l’absence de remise, et si le prix était resté toute l’année à son niveau du 8 janvier 2022, ils auraient dépensé 863 euros en moyenne.
  • Champ : échantillon de clients actifs et automobilistes du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
  • Sources : Crédit Mutuel Alliance Fédérale ; Insee, calculs Insee.

En comparaison avec une situation dans laquelle les prix des carburants seraient restés au niveau observé en janvier 2022, avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, la facture serait plus élevée de 93 à 127 euros, en moyenne, sur l’ensemble de l’année 2022, par ménage automobiliste (soit une hausse comprise entre 6,8 % et 9,3 %, selon l’élasticité retenue). Les dépenses de carburant des ménages ruraux auraient augmenté de 127 à 160 euros en 2022, celles des ménages périurbains de 107 à 133 euros, tandis que celles des ménages urbains n’auraient progressé que de 57 à 79 euros : ce choc de prix a bien eu des conséquences variables, selon les ménages, sur les montants dépensés.

Les remises appliquées en 2022 ont cependant permis d’éviter un coût supplémentaire de 51 à 81 euros par ménage automobiliste (entre 3,7 % et 5,9 % de la facture annuelle moyenne), selon les estimations. Ces effets varient selon le revenu. Les ménages les plus aisés dépensent, en moyenne, davantage en frais de carburant, mais cette dépense représente une part plus faible de leur revenu. Les remises se sont ainsi traduites par un allègement de la facture de 64 à 115 euros pour le quart des ménages les plus aisés (soit entre 0,09 % et 0,17 % de leurs revenus, et pour une facture annuelle moyenne d’environ 2 000 euros), et de 29 à 48 euros pour le quart des ménages les plus modestes (soit entre 0,26 % et 0,42 % des revenus, et pour une facture annuelle moyenne d’un peu moins de 1 000 euros).

La circulation automobile est émettrice de gaz à effet de serre : la baisse de la consommation de carburant consécutive à la hausse des prix a donc diminué l'empreinte carbone des ménages automobilistes. Les simulations suggèrent, étant donné le mix d’essence et de diesel observé, que l’empreinte carbone aurait été plus élevée de 66 à 128 kilogrammes de CO2, en moyenne, par ménage automobiliste, dans la situation qui aurait prévalu si les prix étaient restés à leur niveau de début 2022 ; cela représente entre 0,33 % et 0,63 % de l’empreinte carbone annuelle d’un ménage en 2021 (20,3 tonnes). En revanche, les remises appliquées d’avril à décembre 2022 (qui ont réduit les prix de 10,8 % en moyenne, par rapport aux évolutions des prix du marché) ont augmenté la consommation de carburant de 16 à 31 litres, selon les estimations. Cette hausse représente entre 2,2 % et 4,2 % de la consommation annuelle moyenne d’un ménage automobiliste (740 litres). Elle s’est traduite par des émissions supplémentaires de 48 à 93 kilogrammes de CO2, en moyenne, par ménage automobiliste, soit entre 0,24 % et 0,46 % de l’empreinte carbone annuelle moyenne.

Publication rédigée par :Odran Bonnet, Tristan Loisel, Lionel Wilner (Insee), Étienne Fize (Conseil d’analyse économique)

Méthodes

Les prix du carburant sont collectés à partir de sources gouvernementales (Ouvrir dans un nouvel ongletprix-carburants.gouv.fr) qui permettent de construire un indice départemental journalier de prix pour chaque type de carburant [Adam et al. 2023]. Comme le type de carburant consommé par chaque ménage est inconnu, l’indice résulte d’une pondération des prix de l’essence et du diesel qui dépend du département et des caractéristiques du ménage, les poids étant construits à partir de l’enquête Mobilité des personnes 2019.

La consommation de carburant est obtenue par le rapport entre la dépense en carburant, observée dans les données bancaires, et les prix mesurés par l’indice précédent. Les données sont ensuite agrégées en 10 777 cellules d’individus de même département, tranche d’âge, type d’habitat, groupe de revenus (la population étant divisée en quatre groupes de taille égale) et groupe de consommation passée de carburant, mesurée en 2019 (la population étant encore divisée en quatre groupes de taille égale). Les estimations sont pondérées en fonction du poids de ces cellules.

Des méthodes économétriques sont mobilisées afin de quantifier la manière dont la consommation de carburant varie avec les prix. Une partie des évolutions de consommation de carburant s’explique en effet par des facteurs distincts du niveau des prix. L’annonce des remises a pu conduire certains consommateurs à anticiper ou à retarder des achats, ce qui a pu perturber la mesure de la réaction des consommateurs aux seules évolutions de prix. Au-delà de ces anticipations, les consommations de carburant sont susceptibles de varier au cours de l’année, indépendamment des prix : par exemple, les déplacements peuvent être plus longs (et les consommations de carburant plus élevées) pendant les congés d’été. L’estimation doit donc distinguer ce qui relève de profils saisonniers de ce qui relève des modifications de prix. En pratique, les estimations présentées ici comparent l’évolution de la consommation de carburant entre mi-juillet et début octobre 2022 (soit autour de la remise à la pompe intervenue au premier septembre 2022) avec le profil de consommation observé exactement un an auparavant (présentant la même saisonnalité, par construction).

On estime à cette fin un modèle linéaire pour expliquer la quantité de carburant qcty , en litres, achetée par les individus de la cellule c le jour t de l’année y valant 2021 ou 2022 :

Le paramètre β mesure la réaction des consommateurs à une variation de prix du carburant pcty , le terme αcy correspond à des caractéristiques spécifiques à chaque groupe de consommateurs une année donnée, le facteur calendaire lié au jour de l’année est capturé par μ t (après ajustement du calendrier pour que les jours de 2022 soient comparables à ceux de 2021, notamment en termes de jours ouvrés) et ηcty est le terme d’erreur du modèle. Les paramètres ϒhy captent les comportements liés aux anticipations, notamment le déficit de consommation observé peu avant la baisse des prix et le surcroît de consommation observé peu après. L’estimation est effectuée sur une période allant de mi-juillet à début octobre, soit autour de la date du 1er septembre (notée ici t2 ) qui correspond au début de la seconde remise. Le modèle est estimé sous l’hypothèse que les anticipations ont pour seul effet de reporter l’achat après la baisse au sein de la fenêtre d’anticipations [t2 –Δ, t2 +Δ], donc sous la contrainte :

En pratique, on suppose que les effets d’anticipation jouent jusqu’à une semaine entre avant et après la remise [Adam et al. 2023], soit un paramètre Δ égal à 7 jours. Selon cette estimation, une augmentation de 1 % du prix se traduit par une baisse de 0,21 % de la consommation, en moyenne (entre 0,19 % et 0,62 % selon les caractéristiques des ménages). Cette estimation correspond probablement à une estimation basse : en particulier, elle ne tient pas compte d’un « biais de simultanéité » (si les quantités achetées s’ajustent aux prix, les prix s’ajustent également, en partie, aux quantités achetées, et ce, simultanément, ce qui conduit potentiellement à biaiser vers le haut la corrélation estimée avec les prix). Pour maîtriser ce biais, on retient une approche « par variables instrumentales » qui s’appuie sur le fait que la remise correspond à une baisse brutale du prix du carburant, décidée par la puissance publique et non liée aux mécanismes de marché de fixation des prix. En d’autres termes, cette remise « exogène » après le 1er septembre 2022 est utilisée comme un « instrument » pour les prix. Selon cette méthode, une augmentation de 1 % du prix du carburant conduit à réduire de 0,40 % la consommation en moyenne (entre 0,32 % et 1,06 % selon les caractéristiques des ménages).

Par ailleurs, des estimations complémentaires ont été menées, afin de vérifier notamment que les résultats ne sont pas sensibles à la période considérée. Une estimation est ainsi effectuée sur l’ensemble de l’année 2022, marquée par plusieurs variations brusques des prix du carburant liées à la guerre en Ukraine le 24 février, au début de la première remise le 1er avril, à celui de la seconde remise le 1er septembre, au plafonnement des remises mi-novembre ainsi qu’à la fin des remises le 1er janvier 2023. Il n’est cependant pas possible de contrôler ici la saisonnalité au moyen de l’année précédente, une partie de l’année 2021 ayant été marquée par des confinements partiels (en avril notamment). Afin de désaisonnaliser les quantités achetées en 2022, des données annexes disponibles sur plus longue période sont mobilisées : les données agrégées de consommation journalière fournies par le Groupement des Cartes Bancaires CB.

Ces élasticités sont utilisées pour les simulations. Elles permettent de tenir compte du fait qu’en raison des prix plus faibles consécutivement aux remises, certains automobilistes ont augmenté leur consommation. En effet, on peut estimer que si la consommation de carburant des ménages s’était maintenue au niveau qui prévalait en l’absence de remises, l’allègement moyen des dépenses de carburant lié aux remises aurait été de 110 euros. Cette estimation est proche des 10 euros par mois entre avril et juin obtenus par Cornuet (2022) sur l’ensemble de la population à l’aide du modèle de microsimulation statique Ines. Cette comparaison suggère que l’ampleur du biais de composition lié à l’échantillon examiné ici, constitué des seuls clients automobilistes de la banque, est limitée. Le sens du biais découle, quant à lui, de la restriction à une clientèle plus aisée et automobiliste, qui présente par conséquent des dépenses de carburant plus élevées.

Sources

Accès et utilisation des données

L’Insee remercie le Crédit Mutuel Alliance Fédérale pour sa disponibilité et pour avoir permis l’accès à des données de comptes bancaires dans un cadre garantissant l’anonymat des clients. Les détails concernant l’accès et l’utilisation des données sont disponibles dans la Note de conjoncture de mars 2021.

Notre partenaire, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, souhaite rappeler les éléments suivants :

Première banque à adopter le statut d’entreprise à mission, Crédit Mutuel Alliance Fédérale a participé à cette étude dans le cadre des missions qu’elle s’est fixées :

  • contribuer au bien commun en œuvrant pour une société plus juste et plus durable : pour Crédit Mutuel Alliance Fédérale, participer à l’information économique, c’est contribuer au débat démocratique ;
  • protéger l’intimité numérique et la vie privée de chacun : Crédit Mutuel Alliance Fédérale veille à la protection absolue des données de ses clients. Toutes les analyses réalisées dans le cadre de cette étude ont été effectuées sur des données strictement anonymisées et sur les seuls systèmes d’information sécurisés et hébergés en France du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.

Constitution de l’échantillon

Sur la période de septembre 2021 à février 2023, le nombre de comptes inactifs dans l’échantillon a légèrement augmenté. Pour éviter les biais qui pourraient en résulter, seuls les clients qui dépensent (en cartes, retraits et prélèvements) et perçoivent plus de 150 euros sur trois mois glissants tout au long de la période sont conservés dans l’étude. L’échantillon est pondéré, à partir du recensement de la population, selon l’âge quinquennal et le département afin de mieux représenter la structure générale de la population française. Cette opération ne suffit cependant pas à rendre l’échantillon représentatif de la population ; en particulier, il est un peu plus aisé que l’ensemble de la population. Par ailleurs, cette clientèle peut détenir des comptes dans d’autres établissements bancaires, ce qui ne garantit pas une vision exhaustive de la consommation, des revenus et des encours au niveau du ménage sur la seule base de ces données ; toutefois, ce problème potentiel de multi-bancarisation semble d’ampleur limitée [Adam et al. 2023].

Publication rédigée par :Odran Bonnet, Tristan Loisel, Lionel Wilner (Insee), Étienne Fize (Conseil d’analyse économique)

Définitions

Les ménages correspondent, dans cette étude, aux groupes clients du Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Le concept retenu ici diffère donc de celui adopté habituellement par l’Insee. Les ménages automobilistes, 94 % de l’ensemble des clients, sont ceux qui ont effectué au moins une dépense de carburant sur la période considérée.

L’élasticité-prix de la demande de carburant mesure la variation (en %) des achats de carburant consécutifs à une augmentation de 1 % des prix. Ce paramètre renseigne sur la sensibilité de la demande à son prix.

Les revenus mensuels sont mesurés par la somme des virements et des chèques entrants d’un montant inférieur à 40 000 euros.

Les dépenses de carburant correspondent à des dépenses par carte. Elles sont identifiées à partir de la nomenclature Merchant Category Code (MCC), codes 5541 et 5542. Les dépenses effectuées à partir d’autres moyens de paiements sont ignorées.

Pour en savoir plus

Adam M., Bonnet O., Fize É., Loisel T., Rault M., Wilner L., “How does fuel demand respond to price changes? Quasi-experimental evidence based on high-frequency data”, Documents de travail n° 2023-17, Insee, juillet 2023.

Cornuet F., « Entre janvier 2021 et juin 2022, la hausse des prix de l’énergie a entraîné une perte de pouvoir d’achat, malgré la mise en œuvre des mesures exceptionnelles », Insee Analyses n° 78, décembre 2022.

Insee, «  Tableaux de l’économie française  », coll. « Insee Références », édition 2020.