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Insee Analyses · Mars 2023 · n° 80
Insee AnalysesLes effets contraires de la hausse des importations chinoises dans les années 2000 sur les entreprises industrielles françaises : concurrence sur les ventes mais baisse du coût de production

Philippe Aghion (Collège de France, Insead et LSE), Antonin Bergeaud (Banque de France et CEP), Matthieu Lequien (Insee), Marc Melitz (Harvard et NBER), Thomas Zuber (Banque de France)

Les importations françaises de produits venant de Chine ont augmenté très fortement dans les années 2000. Pour les entreprises manufacturières françaises vendant des biens similaires aux biens chinois, cette concurrence accrue a pénalisé leurs ventes, leur emploi et leur innovation. Cet effet négatif est surtout visible sur les entreprises les moins productives. Cependant, la hausse des importations de produits chinois a pu bénéficier aux entreprises utilisant pour leur production des intrants pour lesquels la concurrence de la Chine s’est accrue, ce qui a limité la baisse de l’emploi industriel.

Une baisse de l’emploi des entreprises françaises vendant des biens concurrencés par les importations depuis la Chine

La hausse spectaculaire des exportations de la Chine entre son entrée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 et la crise financière de 2008-2009 a provoqué des ajustements profonds dans les secteurs manufacturiers des économies développées. Ainsi en France, la part de la Chine dans les importations totales de biens a doublé entre 2000 (3,2 %) et 2007 (6,3 %) (figure 1). Ce « choc d’importations chinoises » sur cette période est particulièrement intéressant pour examiner la réaction des entreprises à l’arrivée sur le marché intérieur d’un afflux majeur de nouvelles importations : l’intégration massive et rapide de la Chine dans le commerce mondial est un choc exogène pour les entreprises des économies développées, et la rapidité de cette intégration permet d’en observer les effets sur ces entreprises. À cette fin, une mesure de ce choc au niveau d’une branche (par exemple le taux de croissance des exportations chinoises en produits textiles) peut être mise en perspective avec l’évolution de l’emploi et de la valeur ajoutée de cette même branche dans les différents pays avancés. En se focalisant sur le choc de production, c’est-à-dire sur les entreprises vendant des biens en concurrence avec les produits chinois nouvellement importés, Ouvrir dans un nouvel ongletAutor et al. (2013) pour les États-Unis, ou Ouvrir dans un nouvel ongletMalgouyres (2017) pour la France, montrent que la concurrence venant des importations chinoises a fortement réduit l’emploi.

Figure 1 – Part de la Chine dans les importations françaises

en %
Figure 1 – Part de la Chine dans les importations françaises (en %) - Lecture : les importations françaises proviennent à 6,33 % de Chine en 2007, contre 3,17 % en 2000.
Année Part
1990 0,95
1991 1,31
1992 1,47
1993 1,87
1994 1,80
1995 1,88
1996 2,17
1997 2,49
1998 2,52
1999 2,81
2000 3,17
2001 3,30
2002 3,52
2003 4,15
2004 4,73
2005 5,45
2006 5,68
2007 6,33
2008 6,54
2009 7,63
2010 8,16
2011 8,02
2012 8,02
2013 8,08
2014 8,55
2015 9,21
2016 9,10
2017 9,04
2018 8,95
2019 9,26
  • Lecture : les importations françaises proviennent à 6,33 % de Chine en 2007, contre 3,17 % en 2000.
  • Champ : France, échanges de biens.
  • Source : OCDE, base STAN.

Figure 1 – Part de la Chine dans les importations françaises

  • Lecture : les importations françaises proviennent à 6,33 % de Chine en 2007, contre 3,17 % en 2000.
  • Champ : France, échanges de biens.
  • Source : OCDE, base STAN.

Néanmoins, les coûts de production peuvent baisser par le recours accru aux intrants chinois moins chers

La hausse des importations chinoises ne porte pas seulement sur les biens directement consommés par les ménages, mais aussi sur ceux que les entreprises utilisent pour leur production (leurs « intrants »). Si les entreprises des pays développés ont été confrontées à une concurrence accrue sur leur production, elles ont pu avoir accès à des intrants moins chers et donc avoir des coûts de production plus faibles. Une évaluation complète des effets de la hausse des exportations chinoises doit aussi prendre en compte ce choc d’approvisionnement en intrants, dont les conséquences sur les entreprises sont a priori différentes de celles liées au choc de production décrit plus haut.

Cependant, il est difficile avec des données sectorielles d’isoler le choc qui affecte la production des entreprises d’une branche de celui qui touche les consommations intermédiaires des entreprises : ces deux chocs sont en effet très liés au niveau de la branche. Il arrive par exemple fréquemment qu’une entreprise utilise comme intrants des biens vendus par d’autres entreprises de la même branche (dans l’exemple pris précédemment, la confection d’un vêtement mobilise du tissu). En revanche, ces deux chocs sont beaucoup moins corrélés pour une entreprise donnée (figure 2) : certaines entreprises utilisent massivement des produits nouvellement importés depuis la Chine alors que leurs ventes sont peu exposées aux produits chinois, tandis que pour d’autres c’est l’inverse. Ainsi, dans une même branche, des entreprises peuvent être bénéficiaires nettes du développement du commerce chinois, alors que d’autres peuvent à l’inverse y perdre. Cette étude mobilise des données d’entreprises françaises du secteur manufacturier permettant d’identifier les effets distincts sur les entreprises de l’ouverture accrue à la concurrence sur les biens d’un côté, mais aussi de l’accès à des intrants moins chers de l’autre.

Figure 2a – Exposition à la hausse des importations françaises de Chine entre 2000 et 2007

en points
Figure 2a – Exposition à la hausse des importations françaises de Chine entre 2000 et 2007 (en points) - Lecture : entre 2000 et 2007 dans l’industrie de l’habillement, l’exposition des ventes aux importations chinoises a augmenté de 9,2 points, contre 8,1 points pour celle des intrants.
Code NAF Liste des divisions NAF Choc de production Choc d’intrants
15 Industries alimentaires 0,2 0,8
17 Industrie textile 4,4 2,7
18 Industrie de l'habillement et des fourrures 9,2 8,1
19 Industrie du cuir et de la chaussure 4,9 1,7
20 Travail du bois et fabrication d'articles en bois 1,7 1,5
21 Industrie du papier et du carton 1,9 1,5
22 Edition, imprimerie, reproduction 2,4 1,9
23 Cokéfaction, raffinage, industries nucléaires -0,1 0,6
24 Industrie chimique 2,3 2,0
25 Industrie du caoutchouc et des plastiques 2,5 1,9
26 Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques 4,1 2,6
27 Métallurgie 3,5 1,7
28 Travail des métaux 2,9 2,0
29 Fabrication de machines et d'équipements 3,0 2,6
30 Fabrication de machines de bureau et de matériel informatique 9,1 6,7
31 Fabrication de machines et appareils électriques 4,0 3,1
32 Fabrication d'équipements de radio, télévision et communication 7,2 5,9
33 Fabrication d'instruments médicaux, de précision, d'optique et d'horlogerie 3,4 3,0
34 Industrie automobile 1,3 1,4
35 Fabrication d'autres matériels de transport 2,7 1,5
36 Fabrication de meubles ; industries diverses 4,6 2,8
  • Notes : la figure représente la différence entre 2000 et 2007 de l’exposition des ventes et des intrants aux importations chinoises des industries manufacturières (à 2 chiffres de la NAF). Pour des raisons de secret statistique, les résidus de chaque choc sont regroupés en 100 groupes et la moyenne de ces chocs résiduels est représentée pour chacun des 2 997 groupes contenant chacun au moins 5 entreprises.
  • Lecture : entre 2000 et 2007 dans l’industrie de l’habillement, l’exposition des ventes aux importations chinoises a augmenté de 9,2 points, contre 8,1 points pour celle des intrants.
  • Champ : entreprises manufacturières françaises ayant un chiffre d’affaires positif en 1999, qui peuvent être appariées aux données douanières en 1999 et qui sont enregistrées avec au moins 10 employés une fois entre 1994 et 2007.
  • Sources : douanes françaises, Ficus, Baci, calcul des auteurs.

Figure 2a – Exposition à la hausse des importations françaises de Chine entre 2000 et 2007

  • Notes : la figure représente la différence entre 2000 et 2007 de l’exposition des ventes et des intrants aux importations chinoises des industries manufacturières (à 2 chiffres de la NAF). Pour des raisons de secret statistique, les résidus de chaque choc sont regroupés en 100 groupes et la moyenne de ces chocs résiduels est représentée pour chacun des 2 997 groupes contenant chacun au moins 5 entreprises.
  • Lecture : entre 2000 et 2007 dans l’industrie de l’habillement, l’exposition des ventes aux importations chinoises a augmenté de 9,2 points, contre 8,1 points pour celle des intrants.
  • Champ : entreprises manufacturières françaises ayant un chiffre d’affaires positif en 1999, qui peuvent être appariées aux données douanières en 1999 et qui sont enregistrées avec au moins 10 employés une fois entre 1994 et 2007.
  • Sources : douanes françaises, Ficus, Baci, calcul des auteurs.

La concurrence sur les ventes réduit l’activité et l’innovation des entreprises, pas celle sur les intrants

Les entreprises manufacturières françaises qui exportaient en 1999 des produits pour lesquels la part de la Chine dans les importations françaises a beaucoup augmenté entre 2000 et 2007 ont évolué différemment des autres sur cette période : le chiffre d’affaires, l’emploi, la part du travail dans la valeur ajoutée y ont ainsi été moins dynamiques (figure 3), (méthode). Quand la part de la Chine dans les importations françaises pour les produits qu’une entreprise exporte augmente de 10 points de pourcentage, le chiffre d’affaires et l’emploi de cette dernière baissent de 4 %. L’activité de ce type d’entreprises est donc clairement pénalisée par la concurrence de ces produits chinois. Le rythme de dépôts de brevets de ces entreprises baisse également, y compris pour des innovations importantes ou « de rupture » (correspondant aux brevets triadiques, c’est‑à‑dire protégés au moins aux États‑Unis, en Europe et au Japon). Ces entreprises, soumises à une concurrence fortement accrue sur leur production, arrêtent également plus souvent d’exporter certains produits pour concentrer davantage leur production sur des produits pour lesquels la France dispose d’un avantage comparatif vis‑à‑vis de la Chine au moment de l’ouverture aux produits chinois, c’est‑à‑dire sur ceux pour lesquels la France exportait nettement plus que la Chine au moment de l’ouverture.

Figure 3 – Effets moyens des chocs de production et d’intrants sur les entreprises

Figure 3 – Effets moyens des chocs de production et d’intrants sur les entreprises - Lecture : avec un choc de production de 1 point, toutes choses égales par ailleurs, le chiffre d’affaires baisse de 0,417 %.
Chiffre d’affaires Emploi Part du travail Brevets triadiques Brevets Produits arrêtés Nouveaux produits Avantage comparatif
Choc de production -0,417** -0,367** -0,255** -1,312*** -1,488* 0,196* 0,191 0,637***
(0,197) (0,167) (0,106) (0,487) (0,854) (0,117) (0,161) (0,155)
Choc d’intrants 0,065 0,136 0,136 -0,179 0,412 -0,133* -0,488*** -0,288*
(0,186) (0,179) (0,114) (0,482) (0,945) (0,074) (0,112) (0,151)
Nombre d’observations 27 883 27 883 24 999 4 710 4 710 24 232 17 307 16 090
  • Notes : ce tableau présente les résultats de la régression de différentes caractéristiques des entreprises sur les chocs de production et d'approvisionnement en intrants au niveau des entreprises. Les colonnes (1) à (3) rassemblent les résultats pour les variables tirées des fichiers fiscaux et administratifs français. Les colonnes (4) et (5) présentent les résultats pour les brevets triadiques et les demandes de brevets. Les colonnes (6) à (8) utilisent les produits exportés pour construire des mesures des changements dans la gamme de produits d'une entreprise. Les coefficients du choc de production (respectivement d’intrants) s’interprètent comme l’effet sur différentes variables d’une hausse de 1 point en moyenne de la part de la Chine dans les imports français pondérée par la part de ces produits dans les exportations (importations) initiales de l’entreprise. La part des produits arrêtés (6) est définie pour les entreprises avec des exportations en 2000. La part des nouveaux produits (7) est définie pour les entreprises exportant en 2007 et le taux de croissance Davis-Haltiwanger de l'avantage comparatif relatif des exportations d'une entreprise (8) est défini pour les entreprises qui ont exporté en 2000 et en 2007. Tous les modèles contrôlent le niveau et les tendances initiales sur 5 ans du chiffre d’affaires et de l'emploi et incluent des indicatrices d'exportation/importation ainsi que des effets fixes de l'industrie à 2 chiffres (classification NAF rev. 1). Le stock de brevets de 1999 et la tendance des brevets annuels avant 1999 est ajouté pour les colonnes (4) et (5). Les écart-types sont « clusterisés » au niveau de l'industrie à 4 chiffres et sont indiqués entre parenthèses. ***, ** et * indiquent la significativité du coefficient à 1 %, 5 % et 10 % respectivement.
  • Lecture : avec un choc de production de 1 point, toutes choses égales par ailleurs, le chiffre d’affaires baisse de 0,417 %.
  • Champ : entreprises manufacturières françaises ayant un chiffre d’affaires positif en 1999, qui peuvent être appariées aux données douanières en 1999 et qui sont enregistrées avec au moins 10 employés une fois entre 1994 et 2007. Sous-ensemble des entreprises avec au moins un brevet pour les colonnes « Brevets triadiques » et « Brevets ».
  • Sources : douanes françaises, Ficus, Baci, Patstat, calcul des auteurs.

A contrario, une concurrence accrue des produits chinois sur les intrants n’a pas eu d’effet visible sur le chiffre d’affaires, l’emploi, la part du travail dans la valeur ajoutée et l’innovation des entreprises concernées. Si une concurrence plus forte sur les intrants ne dégrade pas l’activité des entreprises, elle ne l’améliore pas non plus de manière visible, mais elle affecte le mix des produits : ces entreprises arrêtent moins souvent certaines lignes de production et introduisent moins souvent de nouveaux produits.

Une baisse d’activité qui touche surtout les entreprises les moins productives

Les effets moyens observés sur l’ensemble des entreprises peuvent masquer une variabilité en fonction des caractéristiques initiales des entreprises au moment du choc d’importations chinoises. L’effet négatif du choc de production sur l’emploi est plus important pour les entreprises les moins productives (la productivité étant mesurée avec le chiffre d’affaires par employé de 1999, figure 4). Quand la part de la Chine dans les importations françaises pour les produits qu’une entreprise exporte augmente de 10 points de pourcentage, l’emploi de cette dernière baisse en moyenne de 5 %, quand elle appartient à la moitié des entreprises les moins productives. En outre, seules les entreprises les plus productives modifient substantiellement le mix de leurs produits : la part des produits exportés en 1999 qui ne le sont plus en 2007, ainsi que la part de leurs nouveaux produits exportés entre 1999 et 2007, augmentent de 4 % avec ce choc de production. Par ailleurs, le choc d’approvisionnement en intrants favorise l’emploi et la part du travail dans la valeur ajoutée des entreprises les plus productives : elles semblent tirer un meilleur parti de la hausse de la pénétration chinoise sur les marchés de leurs consommations intermédiaires que les entreprises les moins productives.

Figure 4 – Effets des chocs de production et d’intrants différenciés selon la productivité de l’entreprise

Figure 4 – Effets des chocs de production et d’intrants différenciés selon la productivité de l’entreprise - Lecture : avec un choc de production de 1 point, toutes choses égales par ailleurs, l’emploi baisse de 0,489 % dans la moitié des entreprises les moins productives. Avec un choc d’intrants de 1 point, l’emploi augmente de 0,488 % dans la moitié des entreprises les plus productives.
Chiffre d’affaires Emploi Part du travail Brevets triadiques Brevets Produits arrêtés Nouveaux produits Avantage comparatif
Choc de production parmi les moins productives -0,409* -0,489** -0,244* -1,259** -1,888* 0,019 -0,037 0,578***
(0,247) (0,206) (0,127) (0,516) (1,058) (0,093) (0,192) (0,208)
Choc de production parmi les plus productives -0,403 -0,078 -0,263 -1,159 -0,904 0,411** 0,377** 0,694***
(0,264) (0,204) (0,168) (0,838) (1,372) (0,184) (0,178) (0,178)
Choc d’intrants parmi les moins productives 0,019 -0,207 -0,018 -0,067 0,255 -0,092 -0,415** -0,327
(0,204) (0,200) (0,128) (0,481) (1,139) (0,085) (0,172) (0,213)
Choc d’intrants parmi les plus productives 0,117 0,488* 0,348* -0,341 0,428 -0,224* -0,577*** -0,264
(0,328) (0,282) (0,188) (0,901) (1,622) (0,120) (0,156) (0,194)
Nombre d’observations 27 883 27 883 24 999 4 710 4 710 24 232 17 307 16 090
  • Notes : voir notes de la figure 3. L’effet peut être différent selon que l’entreprise est dans la moitié la moins productive ou la plus productive initialement.
  • Lecture : avec un choc de production de 1 point, toutes choses égales par ailleurs, l’emploi baisse de 0,489 % dans la moitié des entreprises les moins productives. Avec un choc d’intrants de 1 point, l’emploi augmente de 0,488 % dans la moitié des entreprises les plus productives.
  • Champ : entreprises manufacturières françaises ayant un chiffre d’affaires positif en 1999, qui peuvent être appariées aux données douanières en 1999 et qui sont enregistrées avec au moins 10 employés une fois entre 1994 et 2007. Sous-ensemble des entreprises avec au moins un brevet pour les colonnes « Brevets triadiques » et « Brevets ».
  • Sources : douanes françaises, Ficus, Baci, Patstat, calcul des auteurs.

En définitive, une réallocation de l’emploi des entreprises les moins productives vers les plus productives

Sur l’ensemble du secteur manufacturier, l’effet de la concurrence accrue des importations chinoises entre 2000 et 2007 sur l’innovation est assez faible, de l’ordre de quelques pourcents. Le choc de production a réduit le nombre de brevets déposés par les entreprises les moins productives, mais ces dernières contribuent de toute façon peu à l’innovation du secteur. À l’inverse, le comportement en matière de brevets des entreprises les plus productives, qui innovent nettement plus en général, n’est pas affecté par le choc. Les écarts de productivité entre entreprises risquent donc de se creuser à terme.

Les conséquences sont aussi contrastées en matière d’emploi, dans un secteur manufacturier en déclin depuis des décennies. L’emploi dans la moitié la moins productive des entreprises étudiées du secteur manufacturier a baissé de 80 000 entre 2000 et 2007, passant de 724 000 à 644 000 emplois. Selon les estimations réalisées, il aurait baissé de 68 000 sans le choc de production dans ces entreprises peu productives : 15 % de la baisse de l’emploi dans les entreprises manufacturières les moins productives, soit 12 000 emplois, pourrait donc être attribué à ce choc de production chinois. À l’inverse, le choc d’intrants augmente l’emploi dans la moitié des entreprises les plus productives. L’effet positif du choc d’intrants sur l’emploi de celles-ci est plus grand que l’effet négatif du choc de production sur l’emploi des moins productives, ce qui aurait permis de compenser en partie la tendance générale à la baisse. Si ces entreprises plus productives ont également connu une baisse totale de l’emploi entre 2000 et 2007 (elles employaient 1 585 000 salariés en 2007, soit 111 000 de moins qu’en 2000), les estimations suggèrent qu’en l’absence d’ouverture 19 000 emplois supplémentaires auraient disparu. Si ce chiffre doit être considéré avec prudence, compte tenu de l’imprécision des estimations, il souligne que la prise en compte des effets des importations chinoises sur l’approvisionnement en intrants modifie l’évaluation de l’effet de la montée en puissance de la Chine dans le commerce international sur le marché du travail français. En outre, les créations d’emplois portent souvent sur des emplois affectés à des tâches non manufacturières, ce qui traduit également les changements profonds qui s’opèrent sur la structure de l’entreprise. Les emplois créés à la suite du choc d’intrants sont ainsi probablement nettement différents des emplois détruits par le choc de production.

Publication rédigée par :Philippe Aghion (Collège de France, Insead et LSE), Antonin Bergeaud (Banque de France et CEP), Matthieu Lequien (Insee), Marc Melitz (Harvard et NBER), Thomas Zuber (Banque de France)

Méthodes

L’exposition des ventes d’une entreprise à la hausse des importations chinoises, en considérant tous les produits exportés par cette entreprise en 1999 (année précédant le choc), correspond à la moyenne des évolutions, entre 2000 et 2007, de la part de la Chine dans les importations françaises de ces produits, pondérées par la part des produits dans les exportations de l’entreprise avant l’ouverture à la Chine. L’exposition des intrants d’une entreprise est mesurée de manière similaire, en pondérant cette fois par la part du produit dans les importations de l’entreprise. Pour traiter le biais d’endogénéité qui peut découler de chocs affectant en même temps les importations françaises agrégées de certains produits et les ventes ou importations des entreprises françaises pour ces produits, la part de la Chine dans les importations françaises d’un produit est instrumentée avec la part de la Chine dans les importations de ce produit dans six pays avancés (Allemagne, Canada, États-Unis, Italie, Japon, Royaume-Uni) [Aghion et al., 2023]. La figure 3 et la figure 4 montrent des régressions instrumentées de différentes variables (le taux de croissance standardisé des nombres moyens de brevets entre les périodes 1993-1999 et 2000-2007, et le taux de croissance standardisé entre 2000 et 2007 pour les autres variables). Le taux de croissance d’une variable est estimé ici en rapportant la différence entre les valeurs observées à la fin et au début de la période sur la demi-somme de ces mêmes valeurs. Les coefficients du choc de production (respectivement d’intrants) s’interprètent comme l’effet (en pourcentage) sur différentes variables d’une hausse de 1 % en moyenne de la part de la Chine dans les imports français, pondérée par la part de ces produits dans les exportations (respectivement importations) initiales de l’entreprise. Le champ étudié porte sur les entreprises manufacturières ayant un chiffre d’affaires positif en 1999, qui peuvent être appariées aux données douanières en 1999 et qui ont 10 employés au moins une fois entre 1994 et 2007. Les estimations de la figure 4 (colonne « Emploi ») permettent de reconstituer le taux de croissance de l’emploi qu’aurait connu chaque entreprise étudiée entre 2000 et 2007 sans les chocs de production sur les moins productives (coefficient -0,489) et les chocs d’intrants sur les plus productives (coefficient 0,488). Les créations ou destructions d’emplois liées au choc chinois sont reconstituées en sommant les créations ou destructions d’emplois sur toutes les entreprises concernées. L’effet du choc de production sur les plus productives, comme celui du choc d’intrants sur les moins productives, ne sont pas statistiquement significatifs et donc ne sont pas utilisés dans l’estimation.

Une des contributions principales de l’étude est d’utiliser les données des douanes pour identifier les produits qui sont vendus et ceux qui sont utilisés comme intrants, pour chaque entreprise et à un niveau de détail très fin (5 000 produits). En contrepartie, l’échantillon d’analyse porte forcément sur les entreprises qui participent au commerce international. L’enquête annuelle d’entreprises dans l’industrie (EAE Industrie) fournit, pour un échantillon représentatif des entreprises manufacturières, des informations sur les intrants et les ventes. Le niveau de détail est moins fin (700 produits), mais l’enquête couvre aussi les entreprises qui n’exportent et n’importent pas. Sa mobilisation a confirmé que les résultats restaient valables pour ces entreprises.

Sources

Les données administratives et fiscales Ficus, produites par l’Insee et la DGFiP, fournissent les ventes, l’emploi, la valeur ajoutée et la branche d’activité principale de presque toutes les entreprises françaises. L’étude porte sur les entreprises du secteur manufacturier. Les Ouvrir dans un nouvel ongletStatistiques du commerce extérieur de la Direction générale des Douanes et Droits indirects fournissent les exportations et les importations de toutes les entreprises françaises, avec un détail de 5 000 produits (niveau HS6). Ouvrir dans un nouvel ongletBACI, du Cepii, fournit les flux de commerce international entre toutes les paires de pays, au même niveau de détail. Ouvrir dans un nouvel ongletPatstat, de l’Office européen des brevets, fournit les données sur les brevets des entreprises françaises, après un travail d’appariement avec les identifiants des entreprises du répertoire des entreprises Sirene, de l’Insee. Les données portent sur la période 1994-2007.

Publication rédigée par :Philippe Aghion (Collège de France, Insead et LSE), Antonin Bergeaud (Banque de France et CEP), Matthieu Lequien (Insee), Marc Melitz (Harvard et NBER), Thomas Zuber (Banque de France)

Pour en savoir plus

Aghion P., Bergeaud A., Lequien M., Melitz M., Zuber T., « Réactions opposées des entreprises à la hausse des importations chinoises : concurrence sur les ventes ou sur les intrants ? », Documents de travail n° 2023/03, Insee, janvier 2023.

Autor D. H., Dorn D., Hanson G. H., “Ouvrir dans un nouvel ongletThe China Syndrome: Local Labor Market Effects of Import Competition in the United States”, American Economic Review vol. 103 n° 6 pp 2121–68, october 2013.

Malgouyres C., “Ouvrir dans un nouvel ongletThe impact of Chinese import competition on the local structure of employment and wages: evidence from France”, Journal of Regional Science Volume 57, Issue 3 pp 411–441, juin 2017.