Insee Analyses Auvergne-Rhône-AlpesÉvolution de la qualité de vie : plutôt stable ou en progression

Steve Jakoubovitch, Sandra Bouvet

La qualité de vie dépend de nombreux facteurs, comme l’accès au marché de l’emploi, le confort du logement, la durée des déplacements domicile-travail et les services offerts aux habitants. Elle représente un enjeu en matière d’attractivité territoriale. Au cours de ces dix dernières années, elle a évolué différemment au sein de la région. Ainsi, les inégalités entre territoires tendent à se réduire pour certains indicateurs tels que les écarts d’accès à l’emploi entre les hommes et les femmes et le taux de chômage de longue durée. À l'inverse, l’accessibilité aux équipements, en particulier ceux de la santé, accentuent les inégalités territoriales. Il en est de même pour l'adéquation entre les lieux de travail et les lieux de résidence qui se dégrade plus fortement dans les territoires où elle était déjà la moins bonne.

Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes
No 35
Paru le :Paru le15/03/2017
Steve Jakoubovitch, Sandra Bouvet
Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes No 35- Mars 2017

La qualité de vie constitue un enjeu en matière d'attractivité territoriale. Pour les habitants, elle recouvre de multiples dimensions, et dépend notamment de leurs caractéristiques socio-économiques : revenus, situation vis-à-vis de l'emploi et de leur mode de vie. Mais elle intègre aussi des caractéristiques propres au cadre de vie (qualité des logements, accessibilité aux équipements,…). À la suite de la Commission Stiglitz (bibliographie), un ensemble d’indicateurs a été retenu pour caractériser les différentes composantes de la qualité de vie.

Peu d’aggravation des inégalités territoriales

Au cours de la décennie écoulée, la qualité de vie, mesurée à travers une vingtaine d’indicateurs couvrant plus d’une dizaine de dimensions (revenus, santé, emploi, logement, accès aux services, etc.) évolue différemment selon les territoires de vie (), dénommés « territoires » par la suite de l’article. L’analyse des évolutions de ces indicateurs (figure 1) permet de repérer sur quelles dimensions s’améliore la qualité de vie des habitants et celles pour lesquelles elle reste stable ou se dégrade. Pour la moitié des indicateurs les inégalités géographiques semblent stables. Certains aspects de la qualité de vie évoluent dans le sens d'une diminution des inégalités territoriales (convergence), d'autres au contraire participent à une augmentation des disparités spatiales (divergence). Cinq éléments de la qualité de vie contribuent à une réduction des inégalités territoriales. Celle-ci peut résulter soit d’un mouvement de « rattrapage » pour les territoires initialement les moins bien situés et qui connaissent des améliorations significatives, ou d’un phénomène de « saturation » pour ceux qui étaient initialement bien positionnés et qui évoluent peu, ou encore d’une combinaison de ces deux tendances. À l’inverse, seuls trois des vingt-deux aspects de la qualité de vie évoluent dans le sens d’une augmentation des inégalités territoriales.

Figure 1Seuls trois des aspects de la qualité de vie observés concourent à une augmentation des inégalités territorialesSens des évolutions et impact sur la convergence des territoires de vie des dimensions de la qualité de vie sur la région Auvergne-Rhône-Alpes

Seuls trois des aspects de la qualité de vie observés concourent à une augmentation des inégalités territoriales ( ) -
Convergence des territoires (diminution des inégalités) Évolution homogène des territoires (similitude) Divergence des territoires (augmentation des inégalités)
Évolution régionale de l’indicateur Amélioration Part de la population vivant dans un logement sans salle de bain Logements suroccupés
Écart entre le taux d'emploi des femmes et celui des hommes pour les 25-54 ans Personnes âgées vivant seules
Écart relatif entre le salaire net horaire moyen des femmes et celui des hommes Part des 20 ans ou plus ayant au moins le baccalauréat
Part des 20-29 ans ayant au moins le baccalauréat Indice comparatif de mortalité globale
Revenu net imposable moyen annuel par foyer fiscal
Taux de participation électorale au 1er tour de l'élection présidentielle
Salaire net horaire moyen des salariés à temps plein
Stabilité Part des salariés en emploi stable (CDI ou fonction publique) Niveau d'adéquation, au regard des catégories sociales, des emplois du territoire et de la population active occupée
Part de la population ayant accès en moyenne aux 21 équipements de la gamme de proximité en 7 minutes ou moins Part de la population ayant accès en moyenne à un médecin généraliste et à une pharmacie en 10 minutes ou moins
Dégradation Part des chômeurs de longue durée (plus d'un an) dans la population active de 15-64 ans Part des chômeurs dans la population active de 15-64 ans Part de la population ayant accès en moyenne aux 12 équipements de la gamme intermédiaire en 15 minutes ou moins
Part des espaces artificialisés dans le territoire
Part des familles monoparentales
Part des actifs occupés résidant à 30 minutes ou moins de leur lieu de travail
Part des 18-25 ans en emploi ou en formation
  • Note de lecture : On observe une augmentation du taux de chômage de longue durée sur la région mais l’écart entre territoires s’est réduit.

L’accès au baccalauréat et la réduction des inégalités hommes-femmes favorisent l’égalité des territoires

Certains aspects de la qualité de vie s’améliorent et contribuent à une diminution des disparités territoriales. C'est le cas des inégalités hommes femmes, de la part de jeunes ayant au moins le baccalauréat et du confort des logements.

En Auvergne-Rhône-Alpes, entre 1999 et 2012, les écarts entre les taux d’emploi des femmes et celui des hommes ont diminué de moitié. Cette diminution s’inscrit dans une tendance nationale d’augmentation de l’accès des femmes à l’emploi. Elle concerne la totalité des territoires de la région, mais est plus accentuée dans ceux qui étaient les plus inégalitaires en début de période. Ainsi, la différence entre le taux d’emploi des femmes et celui des hommes a diminué en moyenne de 13,5 points dans les territoires ruraux, là où elle était la plus forte, contre 6,8 points dans ceux où elle était la plus faible. Il en résulte une convergence des territoires de la région sur cet aspect. La diminution des écarts de salaires nets est plus faible mais contribue aussi à une plus grande égalité entre les territoires.

Les écarts entre les territoires se sont réduits également pour la part des bacheliers parmi les 20-29 ans, passée de 58 % à 69 % entre 1999 et 2012, une hausse qui s'inscrit dans un processus de démocratisation de l'accès au baccalauréat soutenu par plusieurs. Ce sont principalement les habitants des territoires qui comportaient le moins de diplômés en 1999 qui bénéficient de cette hausse. Il en résulte une diminution des inégalités d’obtention du baccalauréat entre les territoires. Toutefois, cette convergence ne s’observe pas pour la présence de diplômés du supérieur sur les territoires. Ainsi, dans le tiers des territoires dont les habitants étaient les moins diplômés en 1999, la part de la population ayant obtenu un diplôme de niveau licence est restée stable, dans le même temps elle a augmenté de 4 % dans le tiers des territoires de vie où elle était la plus forte. L'absence d'établissements du supérieur conduit les jeunes cherchant à poursuivre leurs études à s'éloigner des territoires ruraux, au moins temporairement mais parfois définitivement.

Entre 1999 et 2012, l’amélioration du confort des logements a également contribué à réduire les inégalités territoriales. Ainsi, la part de la population vivant dans un logement sans salle de bain, passée en dessous de 3 % des habitants, diminue plus dans les territoires de vie ruraux, où ces logements étaient les plus nombreux. Des logements vétustes ont été réhabilités sur cette période en milieu rural.

Une hausse du chômage de longue durée sur l’ensemble de la région

Entre 2006 et 2012, la part de chômeurs de longue durée a progressé de 18 % suite au déclenchement de la crise économique de 2008. Dans 92 territoires de vie, cette augmentation dépasse un point de pourcentage (figure 2). Ceci est le signe d’une marginalisation d’une part croissante de la population vis-à-vis du marché de l’emploi. La situation s’est dégradée plus fortement dans les territoires où le taux de chômage de longue durée était le plus bas en 2006, tendant ainsi à rapprocher les territoires vers un niveau de chômage de longue durée plus élevé. À l’inverse, les territoires où la part de chômeurs de longue durée était la plus élevée sont aussi ceux où le nombre d'emplois évolue moins favorablement. Mais ils sont souvent peu attractifs. En effet, les habitants en partent pour trouver un emploi, ce qui limite l'augmentation du nombre de chômeurs.

Figure 2Le taux de chômage de longue durée évolue plus vite dans les territoires où il était le plus bas en 2006

  • Note de lecture : Les 92 territoires représentés sont ceux dont la part de chômeurs a le plus progressé entre 2006 et 2012 (plus d’un point). Une partie d’entre eux faisaient pourtant partie des territoires où le taux de chômage de longue durée était inférieur à la médiane régionale. C’est le cas du territoire de vie de Privas. La part de chômeurs de longue durée dans la population active du territoire de vie de Privas était inférieure à la médiane régionale en 2006, elle a augmenté de plus d’un point de pourcentage depuis.
  • Source : Insee - Recensement de la population

Une augmentation des inégalités d’accès aux équipements

En Auvergne-Rhône-Alpes, 94 % des habitants peuvent accéder en moins de sept minutes aux équipements de la gamme de proximité (boulangerie, écoles primaire, épicerie, banques,… ) et 93 % accèdent en moins de quinze minutes aux équipements de la gamme intermédiaire (magasins spécialisés, supermarchés, équipements sportifs, commissariats…). Même si ce résultat est resté globalement stable entre 1998 et 2015, les conditions d’accès aux équipements sont cependant très différenciées entre les territoires et les inégalités territoriales se sont amplifiées. Les difficultés d’accès aux équipements de gammes différentes sont de plus souvent liées. Ainsi, dans les territoires les mieux dotés, où habitent un tiers des habitants de la région, plus de 98 % accèdent rapidement à l’ensemble des équipements des gammes de proximité et intermédiaires en 1998 comme en 2015. Ces territoires les mieux dotés englobent les pôles urbains les plus peuplés de la région et leur périphérie immédiate : Lyon, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Grenoble, Annecy…

Si les habitants des territoires situés à proximité des pôles urbains conservent l'accès à l'ensemble des équipements intermédiaires, les habitants des territoires plus ruraux doivent effectuer des trajets routiers de plus en plus longs pour atteindre ces équipements. Les dégradations des conditions d’accès touchent principalement les territoires les moins bien dotés en 1998 (figure 3). Les habitants des territoires en périphérie du Puy-de-Dôme et dans la Haute-Loire sont particulièrement touchés par ces augmentations des temps de trajets. Cette évolution est due à une dégradation de l’accès aux magasins spécialisés (meubles, chaussures, habillement, électroménager, droguerie) et aux équipements sportifs. En revanche les supermarchés sont plus présents. La part de la population qui y a accès en moins de quinze minutes a progressé de quatre points pour atteindre 86 % en 2015.

Figure 3Des difficultés d’accès aux équipements qui s’accentuent dans l’ouest de la région

  • Note de lecture : Les territoires représentés sont les 50 territoires dont l'accès aux équipements de la gamme intermédiaire s'est le plus dégradé entre 1998 et 2015 en Auvergne-Rhône-Alpes. Ceux en rouge faisaient déjà partie de la moitié des territoires les moins bien équipés en 1998, et voient donc leur situation se dégrader. Ceux en orange faisaient partie des territoires les mieux équipés en 1998, mais dont la dégradation de la situation a été plus forte entre 1998 et 2015.
  • Sources : Insee - Base Permanente des Équipements (BPE), Inventaire communal, distancier METRIC

Une aggravation des difficultés d’accès aux équipements de santé dans certains territoires montagneux

Les Français consultent en moyenne le médecin sept fois par an. Ils sont historiquement attachés aux questions liées à la santé et à l'accès aux soins, qui constituent une dimension importante de la qualité de vie notamment pour les seniors et les enfants. Le temps d’accès aux cabinets médicaux s’est légèrement dégradé ces dernières années. En 2015, 2,5 % des habitants de la région mettent plus de dix minutes pour accéder à un médecin généraliste contre 2,2 % en 1998.

La dégradation du temps d’accès est forte pour 51 territoires, où la part de la population ayant accès en moins de dix minutes aux pharmacies et aux cabinets de médecins généraliste s’est dégradée de plus d’un point de pourcentage (figure 4). À l’exception de deux d’entre eux, Saint-Laurent-du-Pont dans l’Isère et Le Bois-d’Oingt dans le Rhône, il s’agissait de territoires où les habitants avaient moins accès aux équipements de santé que la médiane régionale en 1998. En 2015, 12 % des habitants de ces 51 territoires n’avaient en moyenne pas accès à une pharmacie et à un cabinet de médecin généraliste en moins de dix minutes. Ces territoires sont parmi les plus ruraux de la région -à surface identique, trois fois moins d’habitants y résident que dans le reste de la région. Ils sont généralement situés dans des zones montagneuses telles que la zone allant des Aravis aux Monts d'Ardèche ainsi que le Livradois Forez et l'est de la Drôme.

La disparition d'équipements dans quelques communes peut parfois avoir un impact fort sur un grand nombre d'habitants des territoires. Ainsi, la seule fermeture des cabinets dans deux des sept communes du territoire de vie de Ruoms, dans l'Ardèche, vient allonger les temps d'accès aux médecins généralistes pour le quart des habitants. Le territoire où l'accès aux équipements de santé se dégrade le plus est celui du Mayet-de-Montagne, dans l'Allier, qui passe de onze communes équipées en cabinets de médecins généralistes à huit et dont une des communes perd sa pharmacie.

Une déconnexion de plus en plus importante des lieux de résidence et des lieux de travail

Un des éléments indissociables de la qualité de vie est le fait d’occuper un emploi. Par la rémunération qu’il procure, il permet de satisfaire aux besoins et d’accéder à l’autonomie. Par les contacts humains (collègues, clients, etc.), il permet de développer un lien social indispensable à l’épanouissement. L’éloignement entre le domicile et le lieu de travail est un des critères de mauvaise qualité des conditions de travail. Il peut relever d’un choix de vie ou s’imposer par l’absence d’emplois adéquats (notamment en termes de catégories socioprofessionnelles) à proximité de son domicile.

Figure 4Les habitants des territoires de montagne sont de plus en plus éloignés des équipements médicaux

  • Note de lecture : Les territoires représentés sont les 63 territoires dont l'accès aux médecins généralistes et aux pharmacies s'est dégradé de plus de un point entre 1998 et 2015 en Auvergne-Rhône-Alpes. Ceux en rouge faisaient déjà partie de la moitié des territoires les moins bien équipés en 1998, et voient donc leur situation se dégrader. Ceux en orange faisaient partie des territoires les mieux équipés en 1998, mais dont la dégradation de la situation a été forte entre 1998 et 2015.
  • Sources : Insee - Base Permanente des Équipements (BPE), Inventaire communal, distancier METRIC

Ainsi, même si la structure de la population est très semblable à celle des emplois dans la plus grande partie des territoires, les habitants de certains territoires périurbains s’avèrent très éloignés de leurs emplois. C’est notamment le cas des résidents du Genevois français. Près de la moitié de ceux d'entre eux ayant un emploi vont travailler sur le versant suisse de la frontière. L’augmentation du nombre de travailleurs transfrontaliers qui résulte d’une tension du marché immobilier local et d'une croissance des emplois en Suisse tend à étendre l’urbanisation du territoire, et vient dégrader la situation sur les dix dernières années. L’inadéquation entre lieu de résidence et lieu de travail tend aussi à s’accroître dans la zone urbaine de Saint-Étienne et à sa périphérie. Cette évolution est liée à une perte d’emplois dans le territoire et à une part de plus en plus importante de la population travaillant dans l’aire urbaine de Lyon.

Sources

Cette étude s’appuie sur des indicateurs sélectionnés pour illustrer les différentes dimensions de la qualité de vie. Différentes sources sont ainsi mobilisées :

- Insee, Base permanente des équipements 2015, Inventaire Communale 1998, Recensement de la population 1999, 2012, 2013, 2015 Déclarations annuelles de données sociales (DADS) 2011, État-civil 2008-2012, Distancier Metric ;

- Union européenne, CORINE Land Cover 2000, 2006 ;

- DGFiP, Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) 2011 ;

- Ministère de l’Intérieur, 1er tour de l’élection présidentielle 2012 ;

Pour apprécier la nature de ces évolutions, il convient de mettre en relation la situation initiale des territoires de vie, au regard des 21 indicateurs retenus, avec les variations observées pour ces mêmes indicateurs au cours de la période considérée. Pour ce faire, on observe les corrélations entre les valeurs anciennes et les variations des indicateurs. Une corrélation positive traduit des évolutions divergentes, tandis qu’une corrélation négative reflète des évolutions convergentes. Par souci de faire apparaître des tendances générales, on classe préalablement les territoires en dix groupes ordonnés selon les valeurs initiales des indicateurs (ces dix groupes étant délimités par les neuf déciles de valeurs), avant de calculer, au sein de chaque groupe, les évolutions moyennes.

Pour cinq indicateurs les évolutions observées sont significativement convergentes. A l’inverse les évolutions ressortent comme significativement divergentes pour trois des aspects de la qualité de vie.

Définitions

Territoire de vie : La mention « territoires » dans cette publication désigne les territoires de vie. Ce zonage découpe les bassins de vie de plus de 50 000 habitants pour mieux rendre compte de la diversité de la qualité de vie au sein des territoires les plus urbanisés. S’affranchissant des limites des unités urbaines, les territoires de vie découpent ainsi les grands bassins de vie autour des pôles de services. Les bassins de vie de moins de 50 000 habitants sont conservés tels que.

Bassins de vie : constitués d’unités urbaines entières et de communes environnantes, ils sont définis comme les plus petits territoires organisés autour d’un pôle de services, au sein desquels la population a accès aux équipements et services les plus courants. Dans les contours d’un bassin de vie s’organise une grande partie du quotidien des habitants.

Pour en savoir plus

• Dans le prolongement des recommandations de la Commission Stiglitz : « Une approche de la qualité de vie des territoires », Insee Première, n°1519, octobre 2014

• Atlas Auvergne-Rhône-Alpes, Tome 2 : «Qualité de vie, habitants et environnement, juin 2016»

« • Rhône-Alpes : de bonnes conditions de vie mais avec de fortes disparités entre territoires », Insee Rhône-Alpes, La Lettre Analyses, n° 178, octobre 2012.

« • Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social », Insee, septembre 2015.