Insee Analyses Auvergne-Rhône-AlpesIndustrie : mutation des emplois et des territoires

Sophie Perrin, Axel Gilbert, Insee

Depuis 2008, les suppressions d'emplois industriels sont continues, au rythme de 10 000 emplois en moins par an dans la région, sous l'effet de la concurrence internationale, des hausses de productivité et de l'externalisation de certains emplois. Les évolutions sont très contrastées d'un secteur industriel à l'autre. C'est d'ailleurs principalement la structure de l'industrie locale qui explique les évolutions très différentes selon les zones d'emploi. En 2013, le nombre d'ouvriers est largement plus élevé dans le tertiaire que dans l'industrie. Si les femmes parviennent à trouver dans l’emploi industriel des places de cadres et d'ingénieures, la part des jeunes, des étrangers et des immigrés dans l'emploi industriel a baissé au cours de la période récente.

Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes
No 34
Paru le :Paru le14/03/2017
Sophie Perrin, Axel Gilbert, Insee
Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes No 34- Mars 2017

Fin 2013, 489 000 emplois industriels, hors intérim, sont présents en Auvergne-Rhône-Alpes. Elle est la première région de France en termes de volume d’emploi dans l’industrie. Six ans auparavant, l’industrie comptait 62 000 emplois de plus, soit une baisse de 11 %. La perte s'est concentrée en 2009 (– 30 000 emplois), elle est plus mesurée depuis. Depuis le début des années 2000, l’industrie de la région perd en moyenne 10 000 emplois par an.

Les causes des pertes d’emplois sont diverses

Diverses raisons expliquent cette perte d'emplois. Tout d'abord, même à niveau de production égal, l'emploi industriel baisse sous l’effet des gains de productivité. En France métropolitaine, la productivité horaire dans l'industrie augmente au rythme de 3 % par an depuis 1999, soit trois fois plus vite que dans les services marchands. Cette différence s'explique notamment par les gains procurés par l'automatisation dans l'industrie manufacturière.

De plus, le volume de production industrielle a chuté de 10 % depuis 2009, après avoir été quasiment stable entre 1999 et 2009. Cette baisse est due en partie à l'effet de la concurrence internationale et de son impact en perte de compétitivité. La délocalisation de certaines entreprises en est une conséquence. Toutefois elle a un impact moindre que celui qu'on imagine généralement. En France métropolitaine, on estime qu'environ 3 % des pertes d'emploi dans l'industrie sont dues aux délocalisations. Mais les réorganisations d'entreprises industrielles sur une base mondiale sont loin de se réduire à ce seul schéma. La mondialisation de l'économie peut conduire à une spécialisation internationale de filiales sur des segments d’activité, à des ouvertures stratégiques de filiales à l'étranger pour s'implanter plus facilement sur les marchés locaux, à des restructurations, à une concentration, parfois à une fermeture de sites industriels existants localement. Les effets de ces évolutions sur l'emploi industriel en France et dans la région sont difficiles à quantifier.

Dans ce contexte de réallocation des activités à l’échelle internationale, l'industrie française évolue moins favorablement que d'autres industries européennes. En France métropolitaine, les exportations de biens industriels ont augmenté de 25 % entre 1999 et 2008. Mais les importations ont crû de 45 % sur la même période. De 2008 à 2013, la croissance des exportations ralentit, et les importations s'accroissent encore de 15 %. Toutefois, en Auvergne-Rhône-Alpes les exportations industrielles sont plus dynamiques que dans la majorité des autres régions françaises.

Enfin, l'emploi industriel baisse également en raison d'externalisations d'activités autrefois intégrées dans l’entreprise industrielle. Dans la région, entre 2008 et 2013, l'emploi est en forte progression dans des secteurs du tertiaire tels que l'ingénierie et les études techniques, les analyses, essais et inspections techniques, la recherche et le développement en biotechnologies, les activités spécialisées de design, les activités juridiques ou comptables, les prestations de services de bureau tels la gestion des ressources humaines, les activités des agences de recouvrement de factures, l'entreposage et le stockage, ou encore les activités de conditionnement. Ainsi, 15 500 emplois ont été créés sur cette période, dans ces secteurs, dont une partie relève de l'externalisation industrielle.

De forts contrastes selon les secteurs et les zones géographiques

Les évolutions depuis 2008 sont très contrastées d'un secteur industriel à l'autre (figure 1). Dans la majorité des secteurs, l'emploi décline, à un rythme légèrement moindre qu'en moyenne nationale. C’est le cas en particulier de l’agroalimentaire, de la chimie, de la pharmacie et des industries électrique et électronique, bien représentées en Auvergne-Rhône-Alpes. La situation est plus contrastée dans le travail des métaux et l’industrie de l’habillement et du textile. Ainsi, l'emploi augmente dans certaines niches, comme le travail du cuir et les produits métalliques pour le bâtiment. Au contraire, la baisse est plus forte dans la fabrication de matériel de transport.

Figure 1Des pertes d'emploi légèrement moins importantes qu'au niveau national dans de nombreux secteursNombre d'emplois dans l'industrie fin 2007 et évolution entre fin 2007 et fin 2013

Des pertes d'emploi légèrement moins importantes qu'au niveau national dans de nombreux secteurs ( ) -
Secteur Auvergne-Rhône-Alpes France métropolitaine
Nombre d'emplois fin 2013 Évolution de l'emploi entre fin 2007 et fin 2013 Évolution (en%) Nombre d'emplois fin 2007 Évolution (en%)
Industries agroalimentaires 61 200 -900 -1 550 000 -3
Industrie électrique et électronique 87 500 -13 000 -13 439 000 -15
Fabrication de matériel de transport 25 600 -6 300 -20 361 000 -11
Textile, habillement et cuir 22 600 -7 100 -24 107 000 -27
Chimie et pharmacie 40 100 -3 200 -7 220 000 -11
Industrie du caoutchouc et du plastique 50 800 -8 900 -15 277 000 -16
Métallurgie et mécanique 78 600 -12 100 -13 393 000 -14
Ensemble de l’industrie 489 200 -61 600 -11 3 193 000 -12
  • Champ : emplois industriels y compris agroalimentaire et production et distribution d'eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution
  • Source : Insee, Estimations d’emploi localisées (Estel)

Le poids de l'emploi industriel est très variable d'une zone d'emploi à l'autre. En 2013, les zones d'emploi les plus industrielles sont historiquement spécialisées dans des secteurs industriels précis. Ces zones sont souvent de taille modeste. Elles ne comportent pas d'unité urbaine de plus de 100 000 habitants. C'est le cas, par exemple, des zones d'emploi de Thiers (coutellerie), Ambert (tressage), Oyonnax (plastiques) et de la vallée de l'Arve (décolletage), où 35 % à 40 % des emplois sont industriels. Plus du quart des emplois des zones d'Issoire, Brioude, Annonay, et Ambérieu-en-Bugey, sont également dans l'industrie (figure 2). Ces territoires ont perdu beaucoup d’emplois industriels depuis 2008, à l’exception de la zone d’emploi d’Ambert, où l’industrie pharmaceutique s’est développée plus récemment.

Figure 2L’industrie est très présente dans des petites zones d’emploi Part de l’emploi industriel par zone d’emploi fin 2013

  • Source : Insee, Estimations d’emploi localisées (Estel)

Les évolutions d’emploi différentes entre territoires sont liées aux secteurs présents

La structure de l'industrie explique les différences, importantes, d'évolutions entre zones d'emploi. L'emploi industriel progresse légèrement dans les zones d'emploi spécialisées dans des secteurs porteurs. C’est le cas à Montélimar où dominent des secteurs peu sensibles aux cycles conjoncturels, comme l’énergie (centrales nucléaires), les industries agroalimentaires et les produits de luxe. La zone d'emploi de Clermont-Ferrand regroupe, quant à elle, plus du tiers de l'emploi industriel auvergnat. L'emploi industriel s’y maintient au niveau de 2008. Le secteur du caoutchouc y est le plus important, avec une place forte de la recherche et développement. De plus, ce territoire était déjà dominé par l'emploi tertiaire en 2008, et le secteur des services continue de gagner des emplois. Parmi les zones d’emploi plus tournées vers l’industrie, celles qui sont spécialisées dans les secteurs peu porteurs de la métallurgie et du plastique perdent plus de 15 % de leurs emplois industriels (vallée de l’Arve, Thiers, Oyonnax mais aussi Roanne, également orienté dans le secteur de la maille).

Les secteurs industriels n’expliquent pas tout cependant. Ainsi, la zone d'emploi d'Issoire est moins touchée par les pertes d'emploi que la moyenne (- 3 % en six ans), malgré un poids important de l'industrie (25 %). Elle est spécialisée dans la métallurgie, mais il s'agit ici de métallurgie de très haute technicité (figures 3 et figure 4).

Figure 3Seules trois zones d’emploi gagnent des emplois industriels Évolution de l’emploi industriel entre fin 2007 et fin 2013

  • Source : Insee, Estimations d’emploi localisées (Estel)

Figure 4Le poids de l’emploi industriel progresse dans deux zones d’emploiÉvolution de la part de l’emploi industriel entre fin 2007 et fin 2013

  • Source : Insee, Estimations d’emploi localisées (Estel)

La moitié des ouvriers travaillent dans le tertiaire

Dans l'industrie, les trois quarts des emplois perdus entre 2008 et 2013 sont des emplois ouvriers, à raison de 7 700 postes d'ouvriers en moins chaque année. De 1999 à 2008, les pertes d'emplois ouvriers avaient été beaucoup plus massives encore. Entre 1999 et 2013, en lien notamment avec les gains de productivité importants dans l'industrie, la part des ouvriers dans l'emploi industriel est ainsi passée de 57 % à 44 %.

Entre 2008 et 2013, les ouvriers non qualifiés sont les plus touchés (- 23 % d'emplois), 15 % des emplois d'ouvriers qualifiés sont également supprimés sur cette période. Cela fait suite à une période entre 1999 et 2008, où les postes d'ouvriers qualifiés subissaient les pertes les plus lourdes (– 30 % pour – 23 % pour les emplois d'ouvriers non qualifiés), une baisse plus marquée que celle de l’emploi total dans l'industrie (– 12 %).

À partir de 2008, la baisse des postes d'employés accompagne au même rythme celle des ouvriers, – 20 % en cinq ans (figure 5). La conséquence est que désormais les ouvriers sont nettement plus nombreux dans le secteur des services que dans l'industrie. Le nombre d'ouvriers dans le tertiaire est stable depuis 2008, autour de 300 000 (soit 15 % des emplois du tertiaire), contre 170 000 dans l'industrie et 110 000 dans le bâtiment et les travaux publics. Les ouvriers du tertiaire travaillent dans le commerce, la réparation automobile, la logistique, les transports et les métiers de bouche.

Figure 5L'industrie, plus de cadres, moins d'ouvriersÉvolution des effectifs de l'industrie en Auvergne-Rhône-Alpes par catégories socio-professionnelles, entre 1999 et 2013

L'industrie, plus de cadres, moins d'ouvriers ( ) -
Catégorie socio-professionnelle Effectifs en 1999 Évolution entre 1999 et 2008 Soit par an (période 1999-2008) Évolution entre 2008 et 2013 Soit par an (depuis 2008)
Cadres et ingénieurs 50 500 +21 600 +2 400 +3 900 +800
Professions intermédiaires 123 100 +900 +100 -8 500 -1 700
Employés 38 200 -4 300 -500 -6 800 -1 400
Ouvriers 284 600 -75 800 -8 400 -38 300 -7 700
dont ouvriers qualifiés 161 900 -48 100 -5 300 -16 700 -3 400
dont ouvriers non qualifiés 122 700 -27 700 -3 100 -21 600 -4 300
Ensemble 496 400 -57 600 -6 400 -49 700 -10 000
  • Champ : industrie hors secteurs agroalimentaire et production et distribution d'eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution
  • Source : Insee, Recensements de la population 1999, 2008 et 2013

Seuls les effectifs de cadres augmentent

La proportion des cadres et ingénieurs passe de 10 % à 20 % des emplois industriels entre 1999 et 2013. Après une très forte hausse entre 1999 et 2008 (+ 43 %), c'est la seule catégorie dont les effectifs croissent légèrement entre 2008 et 2013 (+ 5 %). L'évolution inverse de l'emploi entre les emplois de conception (ingénieurs) et de fabrication (ouvriers) est symptomatique de la mutation industrielle en cours depuis quelques décennies.

Similairement, le niveau de formation des salariés de l'industrie augmente. Entre 1999 et 2008, le nombre d'emplois occupés par des diplômés de l'enseignement supérieur a fortement progressé (+ 33 %). Sur cette période, le nombre de titulaires d'un baccalauréat a augmenté (+ 19 %), ce qui n'est plus le cas ensuite. Entre 2008 et 2013, seuls les emplois occupés par des diplômés de l'enseignement supérieur progressent encore (+ 7 %).

Un peu plus de femmes cadres, mais de moins en moins d’immigrés, d’étrangers et de jeunes dans l’industrie

Les femmes ne constituent que 29 % des salariés employés dans l'industrie, alors que dans le tertiaire, elles occupent 56 % des emplois. Toutefois, on observe depuis peu une réelle féminisation des emplois industriels, en particulier qualifiés. Ainsi, depuis 2008, la hausse de l'emploi de cadres industriels est presque uniquement due à des emplois de cadres et ingénieures féminins. Sur la période précédente, inversement, les deux tiers des nouveaux emplois de cadres et ingénieurs étaient pourvus par des hommes.

Sous l'effet de la faiblesse des embauches et de l'accroissement de la qualification des salariés, l'industrie n'est plus autant qu'avant un débouché pour les jeunes (spécialement ceux qui arrêtent leurs études tôt) et les immigrés. Ainsi, les moins de 40 ans ne représentent plus que 41 % des effectifs en 2013 contre 51 % en 1999. Les 50 ans et plus passent de 20 % du total en 1999 à 28 % en 2013. De même, la part des emplois industriels occupés par des personnes de nationalité étrangère a diminué de 4,6 % à 4,1 %, entre 2008 et 2013 dans la région (soit une baisse de 23 % du nombre d'emplois industriels occupés par ces personnes). La part des immigrés, dont certains sont là de plus longue date et ont acquis la nationalité française, diminue également de 8,4 % à 8,0 % .

Beaucoup d’emplois en contrats à durée indéterminée (CDI), assortis d’un volant important d’intérim

En 2013, 93 % des emplois industriels sont des emplois sans limitation de durée, et 7 % sont à temps partiel (hors intérim). À titre de comparaison, dans le secteur tertiaire, 82 % des emplois sont sans limitation de durée, et 23 % sont à temps partiel.

L’intérim représente 7 % de l'emploi industriel, contre 1 % du total des emplois du tertiaire.

En 2013, l'industrie emploie 32 700 intérimaires en équivalent temps plein, soit la moitié du total de l'intérim régional. L'autre moitié des intérimaires est employée dans la construction (20 % des intérimaires), et le tertiaire (30 %).

L’intérim industriel baisse dans les mêmes proportions que les autres emplois de l'industrie régionale. En 2009, les intérimaires ont servi de variable d'ajustement lors de la crise. Leur nombre a chuté dans l'industrie. Cette chute a été partiellement comblée ensuite. Le tertiaire récupère mieux. La baisse de l'emploi intérimaire y est visible en 2009, mais moins importante, et est intégralement rattrapée dès 2010.

Sources

Estimations d’emploi localisées (Estel) : synthèse de sources administratives (DADS, fichiers d’emploi public, déclarations des particuliers employeurs, MSA) mises en cohérence. Elles permettent d’obtenir des chiffres d’emploi selon des concepts stables dans le temps à un niveau géographique agrégé (départements et zones d’emploi) selon une nomenclature d’activité fine.

Les effectifs salariés sont ceux au 31 décembre de l'année pour Estel alors qu'ils sont issus d'un échantillonnage sur 5 ans pour le recensement de la population. Ceci explique des écarts d'effectifs qui peuvent être importants entre les deux sources, puisqu'il ne s'agit pas du même comptage. Ces deux comptages sont pertinents et complémentaires pour connaître au mieux les caractéristiques de l'emploi salarié local dans un secteur économique donné.

Indicateurs de la DARES concernant l'emploi intérimaire : ils sont constitués par Pôle emploi à partir du recensement des missions d’intérim déclarées mensuellement par les agences de travail temporaire.

Définitions

Balance commerciale : elle retrace la valeur des biens exportés et la valeur des biens importés. Pour son calcul, la comptabilité nationale procède à l'évaluation des importations et des exportations de biens à partir des statistiques douanières de marchandises.

Immigré : Personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l'étranger et vivant en France ne sont donc pas considérées comme immigrées. La qualité d'immigré est permanente. Un individu continue à appartenir à la population immigrée même s'il devient français par acquisition.

Étranger : personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française. Un étranger n'est pas forcément immigré. Il peut être né en France (les mineurs notamment).

Pour en savoir plus

Industrie : sept secteurs clés dans un tissu industriel varié Insee Analyses Rhône-Alpes, n° 8, octobre 2014

« Ouvrir dans un nouvel ongletQuelle France dans 10 ans ? Quel modèle productif ? » Note d'introduction au débat national, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, septembre 2013

«  L'industrie auvergnate en 2010 : un emploi salarié sur cinq », Insee Auvergne - Repères n° 40, septembre 2012,

« Ouvrir dans un nouvel ongletLes jeunes et l’emploi. Enseignements de l’analyse des premières années de vie active », Agora débats/jeunesses, Emmanuel Sulzer, 3/2010 (n° 56)

« Délocalisations et réductions d'effectifs dans l'industrie française  », L'économie française - Comptes et dossiers, Patrick Aubert et Patrick Sillard, Édition 2005-2006, juillet 2005

« Ouvrir dans un nouvel ongletDésindustrialisation, délocalisations », Les Rapports du Conseil d'analyse économique, La Documentation française, Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi, février 2005