Insee Analyses Hauts-de-FranceSéparation résidentielle marquée dans les agglomérations de Lille, Creil et Amiens

Mathieu Lecomte, Benoît Werquin

La séparation résidentielle des populations à bas revenus et à hauts revenus est très marquée dans trois agglomérations du Nord-Pas-de-Calais-Picardie : Lille, Creil et Amiens. Celles-ci conjuguent une part importante de populations pauvres, une dispersion importante des revenus et une concentration spatiale des populations aux revenus extrêmes. Alors que cette ségrégation s’observe en banlieue des agglomérations de Lille et Creil, elle se manifeste dans la ville-centre pour Amiens. Les cinq autres grands pôles urbains de plus de 100 000 habitants de la région sont peu concernés par la séparation résidentielle : Dunkerque et Béthune d’une part, malgré une structure sociale proche de celle de Creil, Douai-Lens, Maubeuge et Valenciennes d’autre part, marqués par la faiblesse des niveaux de vie.

Insee Analyses Hauts-de-France
No 19
Paru le :Paru le06/07/2016
Mathieu Lecomte, Benoît Werquin
Insee Analyses Hauts-de-France No 19- Juillet 2016

Les politiques d’urbanisme visant la mixité sociale dans les quartiers cherchent à lutter contre la séparation résidentielle des populations ayant des caractéristiques sociales différentes. Celle-ci consiste à observer des concentrations de populations à bas revenus sur certains territoires et, à l’inverse, des populations à hauts revenus sur d’autres. Cette séparation résidentielle, qui lorsqu’elle est forte prend le nom de ségrégation, est particulièrement marquée dans trois des plus grands pôles urbains de la région : Lille, Creil et Amiens.

Dispersion des revenus et concentration spatiale dans les pôles de Lille, Creil et Amiens

La dispersion des niveaux de vie est grande dans ces trois agglomérations. Les populations à bas revenus () sont particulièrement représentées. Près de trois personnes sur dix ont un niveau de vie inférieur au 2e décile métropolitain. Parallèlement, les populations à hauts revenus, c’est-à-dire dont le niveau de vie est supérieur au 8e décile métropolitain, sont aussi présentes dans des proportions comparables à la moyenne nationale sur Lille et Amiens (20 %) et de manière moindre sur Creil (10 %).

Les ménages à bas revenus se concentrent, par ailleurs, dans certains secteurs de ces trois agglomérations. Le taux de concentration spatiale des bas revenus au sein du pôle de Creil est de 62 %, soit le 2e  taux le plus élevé des grands pôles urbains nationaux ( figure 1 ). Autrement dit, un peu plus de trois habitants sur cinq ayant un bas revenu vivent dans des quartiers où cette sous-population représente au moins 40 % des résidents. Dans les agglomérations de Lille et Amiens, la concentration spatiale des populations à bas revenus est également marquée : près de la moitié des habitants vivent dans des quartiers où cette catégorie de revenus est surreprésentée. Le niveau de concentration spatiale des hauts revenus diffère quant à lui d’un pôle à l’autre. Important dans l’agglomération lilloise, où 38 % des personnes à haut revenus vivent dans un secteur aisé, soit le 11e taux le plus élevé des grands pôles urbains nationaux, il connaît une valeur proche de la médiane nationale sur Amiens avec 31 %. En revanche, dans le pôle de Creil, ce niveau de concentration est plus faible, à 17 %.

figure1Taux de concentration spatiale des populations aisées et à bas revenus des 53 grands pôles des grandes aires urbaines françaises

  • Note de lecture : Le pôle urbain de l'aire de Maubeuge, en bas à droite du graphique, a un taux de concentration des populations à bas revenus très élevés (65%) et un taux de concentration des populations aisées très faible (13%).
  • Source : Insee, Filosofi 2012.

Dans ces trois agglomérations, la concentration spatiale de sous-populations aux deux extrémités des revenus, conjuguée à une forte dispersion des niveaux de vie rend compte d’une certaine ségrégation. Elle ne s’observe toutefois pas de la même manière que l’on se situe dans les villes-centres ou en banlieue de ces pôles.

Séparation résidentielle en banlieue de Lille et Creil

Dans l’agglomération de Lille comme celle de Creil, la séparation résidentielle de populations ayant des niveaux de vie extrêmes est surtout marquée dans les communes situées en banlieue. Dans le cas de Lille, les populations les plus modestes sont rassemblées en grande partie sur Roubaix ( figure 2 ), et dans une moindre mesure dans des secteurs jouxtant la ville-centre (Wattignies, Mons-en-Barœul, Villeneuve d’Ascq). Les populations aisées sont, quant à elles, fortement surreprésentées à Bondues, Mouvaux et Marcq-en-Barœul et dans plusieurs communes autour de Lille (Croix, Lompret, Gruson, etc.). La ségrégation est ainsi très prégnante dans la banlieue du pôle urbain lillois, où s’opposent des secteurs avec une surreprésentation de ménages à bas revenus d’un côté et à hauts revenus de l’autre. Dans l’ensemble des 53 plus grands pôles urbains français, ce type de ségrégation se retrouve également sur le Havre, Rouen ou Paris.

figure2Part des ménages à bas et hauts revenus au sein des carreaux du pôle urbain de Lille

  • Source : Insee, Filosofi 2012.

Dans l’agglomération de Creil, les populations aisées sont peu concentrées spatialement. Elles sont toutefois surreprésentées dans des secteurs situés en dehors des villes-centres (Creil et Nogent-sur-Oise). Les ménages à hauts revenus sont ainsi présents au nord (Angicourt, Cinqueux, Rieux, Verneuil-en-Halatte) et au sud (Blaincourt-les-Précy, Précy-sur-Oise, Villers-sous-Saint-Leu) de l’agglomération ( figure 3 ). Les ménages aux revenus les plus modestes ne sont surreprésentés que dans deux communes proches des villes-centres : Montataire et Villers-Saint-Paul. La ségrégation est donc particulièrement présente en banlieue avec ces deux secteurs formant des poches de bas revenus dans des zones plus larges abritant des populations aisées. Au niveau national, le même profil s’observe dans des pôles urbains de plus grande taille comme ceux de Bordeaux, Lyon ou Toulouse. Dans les banlieues de ces agglomérations cohabitent également des zones où se concentrent des ménages à hauts et bas revenus. Toutefois, les quartiers avec une surreprésentation de revenus modestes sont relativement moins nombreux.

La ségrégation est en revanche faible au sein des villes-centres de Lille, Creil et Nogent-sur-Oise, où les ménages à bas revenus sont très présents. Les ménages aisés moins nombreux y résident également mais pas dans des quartiers spécifiques. À Creil et Nogent-sur-Oise, les populations à hauts revenus représentent 6 % contre 42 % pour les bas revenus. De fait, le quartier prioritaire de la politique de la ville « Les Hauts de Creil » regroupe les deux tiers de la population de la commune.

figure3Part des ménages à bas et hauts revenus au sein des carreaux du pôle urbain de Creil

  • Source : Insee, Filosofi 2012.

Ségrégation marquée dans la ville-centre d'Amiens

La séparation résidentielle des populations aux deux extrémités de la distribution des revenus est également marquée au sein du pôle urbain d’Amiens, plus particulièrement au sein de sa ville-centre. En effet, les populations à bas revenus sont surreprésentées dans les quartiers nord (Étouvie, Amiens Nord) et au sein des quartiers prioritaires situés au sud-est (Rollin, Condorcet, Salamandre) ( figure 4 ). Les populations aisées sont de leur côté fortement concentrées dans le secteur Plein Sud. Dans la ville-centre s’opposent des zones avec une forte présence de ménages aux deux extrémités de revenus, ce qui entraîne une forte ségrégation.

figure4Part des ménages à bas et hauts revenus au sein des carreaux du pôle urbain de Amiens

  • Source : Insee, Filosofi 2012.

La situation en banlieue est différente. Il n’y existe qu’une très faible séparation résidentielle entre ménages à bas et hauts revenus. Les ménages aisés sont fortement surreprésentés sur certains secteurs (Pont de Metz, Salouël, Dury) ce qui n’est pas le cas des ménages à bas revenus. Dans l’ensemble des 53 plus grands pôles urbains français, le même schéma, à savoir une ségrégation très marquée dans la ville-centre et moins intense en banlieue, se retrouve sur Nîmes, Poitiers et Strasbourg.

Une ségrégation peu marquée sur les pôles urbains dunkerquois et béthunois

Les cinq autres agglomérations de la région, pôles de plus de 100 000 habitants d’une grande aire urbaine, sont en revanche très faiblement concernées par la séparation résidentielle des populations aux revenus extrêmes.

Dans les agglomérations de Dunkerque et Béthune, les populations aux revenus modestes sont bien plus représentées que les ménages aisés, se rapprochant de la structure sociale observée sur Creil. En effet, environ trois ménages sur dix possèdent des bas revenus contre un peu moins d’un sur dix pour les hauts revenus. En revanche, la concentration spatiale des bas et hauts revenus au sein de ces pôles y est différente. Le taux de concentration des bas revenus atteint près de 45 %, soit 17 points de moins qu’à Creil. Ce taux est en revanche comparable à celui de Creil (20 %) pour les hauts revenus. La séparation résidentielle entre bas et hauts revenus est ainsi moins marquée au sein des pôles dunkerquois et béthunois.

Une légère ségrégation ressort toutefois dans les banlieues de ces agglomérations avec la présence de ménages plus aisés dans l’arrière-pays dunkerquois et au nord-est du Béthunois. Ces secteurs bénéficient de la proximité et de l’influence du pôle lillois. Le même profil de ségrégation est constaté sur Saint-Étienne, avec l’émergence de quelques zones à hauts revenus en banlieue, sous l’influence de l’agglomération lyonnaise voisine.

Dans les villes-centres de Dunkerque, Béthune et Bruay-la-Buissière, les populations à bas revenus restent surreprésentées : c’est le cas dans le centre-ville de Dunkerque et sur Grande-Synthe, mais aussi à l’ouest de Bruay-la-Buissière (Auchel, Divion, Calonne-Ricouart).

Très peu de ségrégation dans les pôles de Douai-Lens, Maubeuge et Valenciennes marqués par la faiblesse des niveaux de vie

Dans les pôles urbains de Douai-Lens, Maubeuge et Valenciennes, les populations aux revenus modestes sont très présentes. Dans leurs villes-centres comme en banlieue, plus de trois ménages sur dix ont des bas revenus. Les ménages aisés sont au contraire très peu représentés au sein de ces pôles urbains (moins d’un ménage sur dix ayant des hauts revenus) excepté dans la commune de Valenciennes (16 %).

Les ménages aux revenus les plus modestes sont très représentés dans ces agglomérations, particulièrement ( figure 5 ) dans les secteurs situés sur la partie nord de Lens, Eleu-dit-Leauwette, la partie sud de Maubeuge, Hautmont, Louvroil, Denain, Lourches, Escautpont et Condé-sur-l'Escaut.

Au sein de ces trois pôles, les taux de concentration spatiale des populations à bas revenus sont parmi les plus élevés au niveau national. Inversement, les taux de concentration spatiale des ménages à hauts revenus présentent les valeurs les plus faibles. De fait, il n’existe pas dans ces agglomérations de ségrégation sociale. Ce constat se retrouve dans les pôles urbains de Nice, Annecy et Bayonne mais s’explique à l'inverse dans ces cas par la faible présence et concentration spatiale de populations à bas revenus.

figure5Part des ménages à bas et hauts revenus au sein des carreaux du pôle urbain de Douai - Lens

  • Source : Insee, Filosofi 2012.

Définitions

Les ménages à bas revenus sont ceux dont le niveau de vie est inférieur au seuil national du 2e décile (13 370 €). De manière symétrique, les ménages à hauts revenus ont un niveau de vie supérieur au seuil national du 8e décile (29 350 €).

Dans le zonage en aire urbaine 2010, une aire est composée d’un pôle et le plus souvent d’une couronne. Un pôle est une unité urbaine (zone de bâti continu d’au moins 2 000 habitants d’au moins 1 500 emplois). Sa couronne correspond aux communes ou unités urbaines, dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci.

Dans cette étude sont retenues les grandes aires urbaines françaises fondées sur des pôles d’au moins 10 000 emplois avec un grand pôle urbain comptant au minimum 100 000 habitants. 53 pôles urbains répondent à ces critères en France métropolitaine : 8 sont situés en Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

Un grand pôle urbain est constitué de plusieurs communes qui sont réparties entre ville-centre et banlieue. Si une commune représente plus de 50 % de la population du pôle, elle est la seule ville-centre. Sinon, toutes les communes qui ont une population supérieure à 50 % de la commune la plus peuplée, en plus de cette dernière, sont villes-centres. Les communes urbaines qui ne sont pas villes-centres constituent la banlieue du pôle.

Le terme de ségrégation renvoie dans l’étude à l’idée de séparation résidentielle entre les ménages à bas revenus et ceux à hauts revenus. La ségrégation est déclinée d’un point de vue territorial, dans la ville-centre d’un côté et la banlieue de l’autre.

Le taux de concentration spatiale des bas revenus rapporte le nombre d’habitants à bas revenus vivant dans des carreaux de 200 m de côté où leur proportion est supérieure à 40 %, au nombre d’habitants à bas revenus du pôle urbain. Par exemple, dans le pôle urbain lillois, le taux de concentration des bas revenus est de 50 %, ce qui signifie que la moitié des habitants à bas revenus vit dans des quartiers où cette catégorie de revenus représente au moins 40 % des résidents.

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les départements métropolitains sont des quartiers situés en territoire urbain, caractérisés par un nombre minimal d’habitants et un écart de développement économique et social apprécié par un critère de revenu des habitants.

Pour en savoir plus

Les revenus et le patrimoine des ménages " Disparités de revenus et ségrégation dans les grands pôles urbains ", édition 2016, Insee Références.

" Une pauvreté plus marquée au coeur des pôles urbains ", Insee Analyses Nord-Pas-de-Calais, n° 16, juin 2015.

" L'espace périurbain picard : un territoire aisé où vit près d'un habitant sur deux " Insee Analyses Picardie n° 12, mai 2015.

" Un million de personnes sous le seuil de pauvreté en Nord-Pas-de-Calais Picardie ", Insee Flash Nord-Pas-de-Calais, n° 19, novembre 2015.