Économie numérique en Ile-de-France : une dynamique d’emploi portée par les non-salariés
En 2012, en Ile-de-France, l’économie numérique représente un emploi sur dix. Ces emplois sont de plus en plus concentrés dans le cœur de l’agglomération parisienne. Depuis 2007, les non-salariés y occupent une part grandissante. La nature de l’activité numérique continue d’évoluer de la fabrication des supports vers les contenus. Plus de la moitié des emplois du numérique sont pourvus par des cadres.
- Le numérique, au croisement de l’industrie des TIC et des contenus créatifs
- Une reconfiguration profonde du secteur et une nouvelle répartition des emplois
- Une nouvelle organisation du travail
- Des statuts et un marché du travail hétérogènes
- Un recours fréquent aux non-salariés
- Une forte proportion de cadres
- Des actifs jeunes et plutôt masculins
- Une recomposition territoriale des pôles de l’économie numérique
- Boom des non-salariés dans le numérique à Paris
L’économie numérique est très concentrée : en Ile-de-France, elle compte 512 600 emplois en 2012, soit près de la moitié des actifs salariés et non salariés de France. EIle représente 9 % de l’emploi francilien, contre seulement 3 % en province. Cette part est restée stable en Ile-de-France lors de la période d’étude 2007-2012, comme en moyenne dans les autres régions.
Le numérique, au croisement de l’industrie des TIC et des contenus créatifs
Au sein de l’économie numérique francilienne (Source et champ), six actifs sur dix travaillent dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC), composé pour l’essentiel de services aux entreprises, notamment le secteur de la programmation et du conseil informatiques, qui emploie 154 000 personnes (figure 1). Deux actifs du numérique sur dix exercent dans le domaine des contenus et supports culturels (cinéma, audiovisuel, édition du livre et presse, musique). Le reste des actifs travaille dans des domaines qui constituent une spécificité francilienne, tels que la publicité-communication (14 %) ou encore les activités industrielles connexes aux TIC (4 %) comprenant notamment la fabrication d’équipements d’aide à la navigation, instrumentation et matériels optiques.
graphiqueFigure 1 – Plus de 500 000 actifs dans l'économie numérique en Ile-de-France
Une reconfiguration profonde du secteur et une nouvelle répartition des emplois
Entre 2007 et 2012, les emplois de l’économie numérique ont légèrement augmenté (+ 1,4 % contre + 1,9 % tous secteurs), soit un gain net de 6 800 emplois. Cette croissance relative du nombre d’emplois masque une recomposition profonde du secteur et une nouvelle répartition des emplois.
Les gains de productivité permis par la numérisation, les relocalisations (ou délocalisations) ont conduit à d’importantes pertes d’effectifs dans les TIC, aussi bien dans les activités industrielles (- 9 200 emplois), les services (- 9 600 emplois dans les télécommunications) que la vente (- 6 200 emplois), mais aussi certaines activités de contenus créatifs : - 6 500 emplois dans le secteur du livre et de la presse, touché plus tardivement par les enjeux de la numérisation, qui peine encore à trouver de nouveaux modèles économiques.
A contrario, les secteurs des contenus ayant réussi le virage du numérique ont connu une hausse significative de leurs effectifs. La plus importante s’observe notamment dans des activités de services aux entreprises, qui dessinent une frontière de plus en plus floue entre activités liées à l’industrie, aux services des TIC et aux contenus culturels. Ainsi, les activités de programmation et conseil informatiques ont gagné 22 000 emplois, dont 4 300 non salariés, soit 20 % des gains d’emploi totaux en Ile-de-France sur la période 2007-2012. Ces activités sont au cœur du secteur du numérique et constituent aujourd’hui un moteur de l’économie régionale. Cette dynamique s’inscrit dans une tendance générale observée depuis plusieurs décennies de mutation de l’industrie vers des activités de services. Dans les contenus, les activités de publicité-communication ont gagné 11 500 emplois, dont la moitié sont des indépendants, et la production cinématographique et télévisuelle, 5 200 emplois.
Une nouvelle organisation du travail
Les modèles économiques ont évolué pour répondre aux enjeux du numérique, et de nouvelles formes de travail ont accompagné ces mutations : externalisation de certaines activités des entreprises du numérique par un recours accru aux indépendants, tels que les développeurs free lance d’applications mobile et web, les administrateurs de bases de données (portés par l’essor du cloud computing et du big data), les informaticiens, les consultants en robotique, etc. La mise en place du statut d’auto-entrepreneur en 2009 (remplacé par le statut de micro-entrepreneur à partir du 19 décembre 2014) a notamment contribué à soutenir cette évolution. Par ailleurs, l’organisation du travail structurée en mode projet s’est développée car elle est plus propice à diffuser les innovations.
Des statuts et un marché du travail hétérogènes
Si le statut de non-salarié indépendant tend à se développer au sein de l’activité numérique, celle-ci comprend davantage de salariés en emploi stable que dans le reste de l’économie, notamment dans les TIC et les activités industrielles connexes, où les grandes entreprises emploient essentiellement leurs salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). Ainsi, dans la fabrication et la vente des TIC, les télécommunications, la programmation et le conseil informatiques, 94 % des salariés sont en CDI.
Inversement, dans les secteurs organisés en mode projet, comme la production cinématographique, vidéo et télévisuelle, seulement 59 % des salariés sont en CDI. Le travail à temps complet est la norme dans le numérique : 89 % contre 85 % tous secteurs. Le temps partiel est davantage présent dans les contenus et supports créatifs et dans la publicité-communication, sans doute en raison d’une plus forte proportion de micro-entrepreneurs dans ces secteurs. Plus de 70 % des entreprises de ce domaine se créent avec le statut de micro-entrepreneur. En effet, l’activité de micro-entrepreneur vient souvent en complément d’une autre activité salariée, car elle est limitée en niveau de chiffre d’affaires.
Un recours fréquent aux non-salariés
Représentant 12 % des emplois du numérique contre 9 % de l’ensemble des secteurs marchands, les 59 600 non-salariés exercent, pour 65 % d’entre eux, leur activité en tant qu’indépendants, un tiers étant chefs d’entreprise.
Ils sont particulièrement présents dans le domaine de la publicité-communication, dans les activités de contenus comme l’édition musicale, où ils représentent un actif sur quatre, et dans la production cinématographique et audiovisuelle (18 %). Sur la période 2007-2012, le non-salariat s’est fortement développé : l’Ile-de-France a gagné 12 100 emplois non salariés dans l’économie numérique, ce qui a permis de compenser largement la perte d’emplois salariés, en particulier dans l’industrie des TIC (figure 2). La part des non-salariés a augmenté plus rapidement dans le numérique que dans le reste de l’économie francilienne, particulièrement dans les secteurs de la publicité-communication (+ 56 % de non-salariés en cinq ans).
De nouveaux métiers y sont apparus : chargé de référencement, motion designer (concepteur d’animation web), designer d’interfaces web, community manager (animateur de communauté en ligne, chargé de développer la présence d’un organisme sur Internet, etc.). Le développement du non-salariat se vérifie également dans les activités de services des TIC, notamment la programmation et le conseil informatiques (+ 35 % de non-salariés) et le traitement des données (+ 41 %). L'impact de l'externalisation de certaines activités par des établissements du numérique peut expliquer une partie de ces évolutions.
tableauFigure 2 – Les non-salariés tirent la croissance des emplois sur la période 2007-2012 (Évolution des emplois dans l'économie numérique francilienne entre 2007 et 2012)
Salariés | Non-salariés | |
---|---|---|
TIC | -7 283 | 4 448 |
Contenus et supports culturels | -3 384 | 993 |
Publicité-communication | 4 765 | 6 719 |
Industries connexes aux TIC | 600 | -16 |
Économie numérique | -5 302 | 12 144 |
- Source : Insee, recensements de la population 2007 et 2012, exploitations complémentaires au lieu de travail
graphiqueFigure 2 – Les non-salariés tirent la croissance des emplois sur la période 2007-2012 (Évolution des emplois dans l'économie numérique francilienne entre 2007 et 2012)
Une forte proportion de cadres
Les cadres représentent 58 % des emplois du numérique, contre 29 % tous secteurs. Plus de la moitié des actifs du numérique est diplômée du 2e ou 3e cycle universitaire, en Ile-de-France (51 %), en 2012. C’est plus qu’en France dans le numérique (42 %) et qu’en Ile-de-France tous secteurs confondus (30 %).
Parmi les actifs des TIC, les trois quarts sont diplômés de l’enseignement supérieur et les deux tiers sont cadres. Ils sont majoritairement ingénieurs, chefs de projet informatique, chercheurs. Les contenus et supports culturels emploient 56 % de cadres, notamment des journalistes, des cadres artistiques, des responsables de programmation et de production de l’audiovisuel et des spectacles. Le domaine de la publicité-communication accueille davantage de professions intermédiaires (34 %) : ce sont des graphistes, des stylistes, des assistants de la publicité, des photographes (figure 3).
tableauFigure 3 – Des actifs jeunes, diplômés, en emploi stable dans le numérique
Économie numérique | Ensemble de l'économie | |
---|---|---|
Nombre d'emplois | 512 568 | 5 678 036 |
Part des femmes | 36 | 48 |
Part des moins de 35 ans | 36 | 32 |
Part des plus de 55 ans | 12 | 16 |
Part des plus diplômés (2e et 3e cycle universitaire) | 51 | 30 |
Part des pas ou peu diplômés (£ bac) | 29 | 53 |
Part des non-salariés | 12 | 9 |
Part des CDI dans les salariés | 89 | 87 |
Part du temps partiel | 11 | 15 |
Part des cadres | 58 | 29 |
- Source : Insee, recensement de la population 2012, exploitation complémentaire au lieu de travail
Des actifs jeunes et plutôt masculins
Le numérique est une filière jeune, même si les moins de 25 ans sont peu présents en raison de la durée de leur cursus de formation. Les actifs de 25 à 34 ans sont particulièrement nombreux au sein du numérique (32 %, contre 25 % tous secteurs). Les trentenaires sont surreprésentés, notamment dans les activités de contenus créatifs et dans la publicité. Les industries connexes aux TIC se distinguent par une population nettement plus âgée (23 % d’actifs de plus de 55 ans, contre 12 % dans le numérique).
Le numérique est un secteur masculin : les femmes représentent 36 % des actifs occupés, contre 48 % en moyenne dans l’économie francilienne. C’est particulièrement vrai dans les TIC et les industries connexes. En revanche, les femmes sont surreprésentées dans l’édition de livres, périodiques (58 %) et sont présentes à parts égales avec les hommes dans le secteur de la publicité-communication.
Une recomposition territoriale des pôles de l’économie numérique
Les actifs ayant un emploi dans le numérique travaillent essentiellement au cœur de l’agglomération parisienne : 70 % à Paris et dans les Hauts-de-Seine (figure 4).
À Paris et en petite couronne, les actifs du numérique habitent et travaillent aussi souvent que les actifs des autres secteurs dans le même arrondissement ou la même commune (aux alentours de 25 %). À Paris, cette part atteint 33 % et dépasse 65 % dans les 18e et 20e arrondissements. La frontière entre vies professionnelle et personnelle est souvent poreuse, notamment dans les activités de contenus culturels et dans la publicité-communication, très présentes à Paris.
Cette localisation des emplois s’explique par les avantages de la centralité et l’accès aux compétences et aux talents, à la densité des réseaux professionnels, aux marchés (donneurs d’ordre, consommateurs, etc.). Ces aménités sont essentielles dans l’exercice de certaines fonctions, notamment dans les activités de contenus et supports culturels : cinéma, audiovisuel, musique, édition.
Entre 2007 et 2012, les emplois de l’économie numérique ont fortement progressé à Paris (5 %), en particulier dans la publicité-communication, compensant ainsi les pertes observées en grande couronne, essentiellement dans les TIC.
Les non-salariés représentent 70 % des gains d’emploi parisiens. En effet, grâce à une offre d’hébergements de plus en plus diversifiée à Paris (incubateurs, pépinières, lab, etc.), de nombreux entrepreneurs et indépendants ont pu démarrer une activité dans des start- up, travaillant le plus souvent dans des espaces de travail ouverts (coworking modulaire), qui favorisent l’échange et la coopération.
Le travail nomade ou à distance a également progressé grâce à cette nouvelle offre immobilière. Au cours de ces dix dernières années, plus de 100 000 m² d’incubateurs ont été construits ou sont en cours de livraison pour répondre à ces enjeux, comme en témoignent deux projets phares : Le Cargo dans le 19e arrondissement (plate-forme d’innovation autour des industries créatives et culturelles) et la future Halle Freyssinet dans le 13e arrondissement (incubateur numérique pour Paris rive gauche) qui s’inscrivent dans la dynamique de soutien à l’Arc de l’innovation. Ce dernier est un projet métropolitain visant à mettre en place un réseau de lieux innovants ayant un impact local. De plus, le projet Oxygen localisé à La Défense devrait, à l'horizon 2017, offrir un espace de coworking à proximité du plus grand quartier d'affaires européen.
Dans la publicité-communication et certains contenus culturels (cinéma, audiovisuel, musique), les emplois progressent dans le cœur de l’agglomération, notamment à Paris et, plus particulièrement, au nord, sur la rive droite (17e, 9e, 18e, 10e et 11e).
En dehors, deux axes majeurs se dessinent : au sud, Boulogne et Issy-les-Moulineaux, en continuité avec les 15e et 16e arrondissements parisiens (dynamique du pôle médias) ; au nord, à Puteaux, Levallois-Perret et Nanterre, en continuité avec les 8e et 17e arrondissements ; et à Saint-Denis et Saint-Ouen, en continuité avec les 18e et 19e arrondissements, le long de l’Arc de l’innovation.
Dans les TIC, l’emploi a reculé dans l’industrie dans les Yvelines et en Essonne, ainsi que dans les activités commerciales dans les Hauts-de-Seine. En revanche, les effectifs se sont renforcés dans les activités de services aux entreprises autour de nouveaux pôles, notamment dans les télécommunications et la programmation et le conseil informatiques. Cela concerne notamment Meudon (arrivée de Bouygues Telecom et de SFR), Saint-Denis (arrivée de France Télécom/Orange et T-Systems France), Bois-Colombes ou Bezons. Cette recomposition territoriale se fait au détriment des grands pôles matures en perte de vitesse, à l’ouest (Saint-Cloud, Suresnes, Courbevoie) et au sud-ouest de la région (Les Ulis). D’autres pôles majeurs se reconfigurent, du fait de transferts d’établissements, comme à Saint-Quentin-en-Yvelines avec le départ de Thales Optronique de Guyancourt vers Élancourt.
graphiqueFigure 4 – Un renforcement des pôles du Nord parisien
Boom des non-salariés dans le numérique à Paris
Paris accueille la moitié des effectifs non salariés franciliens de l’économie numérique (29 800 non-salariés parisiens). Ce sont des indépendants, free lance, professions libérales, chefs d’entreprise : les trois quarts travaillent dans les contenus culturels (livre, presse, cinéma, audiovisuel, musique) et la publicité-communication.
Les non-salariés sont surreprésentés à Paris (16 % des effectifs du numérique), notamment dans la publicité-communication (28 %). Ils sont essentiellement localisés dans les 11e, 18e, 15e et 17e arrondissements.
Entre 2007 et 2012, Paris a gagné 8 500 emplois dans le numérique, dont 70 % d’emplois non salariés. Ces derniers se sont accrus de 25 % en cinq ans, soit un rythme deux fois plus soutenu que dans l’ensemble de l’économie.
La rive droite a capté l’essentiel de la croissance, notamment dans les quartiers du Nord parisien : 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements.
Au sein de l’économie numérique, les non-salariés sont nettement plus âgés que les salariés : les plus de 50 ans représentent 28 % des effectifs non salariés contre 20 % chez les salariés. Ce sont principalement des hommes (59 %), cette part atteint même 86 % dans les TIC.
Ils sont plus diplômés que les salariés : 59 % sont titulaires d’un diplôme du 2e ou 3e cycle contre 53 % chez les salariés.
Dans les TIC, la moitié des non-salariés exercent des professions libérales, essentiellement ingénieurs-conseils. Le domaine des contenus et supports culturels compte 53 % de cadres des professions de l’information, des arts et des spectacles. Enfin, le domaine de la publicité-communication accueille 47 % de professions intermédiaires.
Sources
La source utilisée est le recensement de la population de l’Insee (RP2012, exploitation complémentaire au lieu de travail) qui permet d’étudier les caractéristiques des actifs qui occupent un emploi en Ile-de-France, qu’ils y résident ou non. L’analyse porte sur les emplois salariés et non salariés dans les secteurs d’activité numérique et leur évolution lors de la période d'étude 2007-2012.
Il n’existe pas de définition officielle délimitant le périmètre de l’économie numérique. Le champ de l’étude s’appuie sur la définition de l’économie de l’information proposée par l'OCDE en 2007, qui retient deux domaines : les technologies de l’information et de la communication (TIC en 25 secteurs) et les contenus et supports des TIC (18 secteurs), qui ont pour objet de participer à la création et à la diffusion de ceux-ci. Ce périmètre a été enrichi de deux domaines complémentaires à fort enjeu dans la région : la publicité- communication et les activités industrielles connexes aux TIC. Ces domaines ont été identifiés à partir de la définition anglaise de l’économie numérique retenue par la London Metropolitan University ainsi que les travaux menés par l’Insee Franche-Comté. Au total, dans la présente étude, l’économie numérique est constituée de 51 secteurs d’activité (NAF) (cf. données complémentaires).
Pour en savoir plus
Camors C., Dezenaire F., Godonou C., Renouvel S., Roger S., Soulard O., « Économie numérique : 80 % des établissements franciliens concentrés en cœur d’agglomération », Insee Analyses Ile-de-France n° 30, mars 2016.
Ayache C., Camors C., Castel J., Singier S., Soulard O., Thépin D., « Ouvrir dans un nouvel ongletLa transformation numérique de l’économie francilienne », IAU îdF / Cap Digital, Note rapide n° 686, juin 2015.
Garcin C., Hausswalt P., Siné A., « Ouvrir dans un nouvel ongletLe soutien à l’économie numérique et à l’innovation », Inspection générale des finances, rapport n° 2011-M-060-02.
Pariente J., Quillery P., Stenta M., « Technologies de l’information et de la communication en Franche-Comté », Insee Dossier Franche-Comté, édition 2014.