Limousin : trente ans de mutations économiques au regard de l’emploi

Olivier FROUTÉ, Caroline GEINDRE

En trente ans, l’emploi limousin a progressé à peine plus rapidement que la population. Dans un contexte économique marqué par une succession de crises, l’économie limousine s’est fortement modifiée. Les effectifs de la sphère productive ont fortement chuté entre 1982 et 2011 mais les emplois présentiels ont plus que compensé ces pertes.

Au sein de la région, les spécificités des zones d’emploi ont évolué. L’emploi a augmenté dans les territoires où les fonctions tournées vers les services à la population se sont le plus développées, telles les zones d’emploi de Brive-la-Gaillarde et de Limoges. À l’inverse, l’emploi s’est contracté dans les zones d’emploi de Tulle, Ussel et Guéret, en raison principalement d’une forte réduction des effectifs dans les secteurs de la fabrication industrielle et de la production agricole, conjuguée à une hausse modérée de l’emploi dans l’économie de proximité.

Insee Analyses Limousin
No 13
Paru le :Paru le23/06/2015
Olivier FROUTÉ, Caroline GEINDRE
Insee Analyses Limousin No 13- Juin 2015

Entre 1982 et 2011, l’emploi total progresse peu en Limousin. Le volume d’emploi a ainsi augmenté de 1,4 %, contre plus de 20 % en France métropolitaine. Le Limousin enregistre ainsi la plus faible progression de l’emploi des régions françaises. Cependant, l’augmentation de l’emploi en Limousin a été plus rapide que celle de la population sur la même période, aboutissant, dans un contexte économique difficile marqué par une succession de crises, à plus de 4 000 emplois supplémentaires.

Au-delà de cette faible progression, l’emploi en Limousin a connu de profondes mutations structurelles. Ces transformations peuvent être analysées au regard de leur répartition entre sphère présentielle et sphère productive. La sphère présentielle rassemble les activités qui répondent aux besoins en biens et services des personnes présentes sur un territoire, qu’elles soient résidentes ou touristes : elle englobe notamment du commerce de détail, la santé et l’action sociale, l’éducation, les services aux particuliers, l’administration et la construction. La sphère productive recouvre quant à elle les activités potentiellement exportatrices de biens et services vers d’autres territoires, comme l’agriculture, l’industrie, le commerce de gros et les services aux entreprises.

Figure_1L'emploi progresse fortement dans l’Ouest, le Sud-Est et en Île-de-France

  • Variation de l’emploi total de 1982 à 2011 par zone d’emploi, en %
  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

Recul des emplois productifs six fois plus fort qu'en moyenne en France

En 1982, la proportion d’emplois dans la sphère productive est légèrement plus importante en Limousin qu’au niveau national. Ainsi, 46 % des emplois étaient dédiés aux activités productives, contre 44 % en France métropolitaine. Entre 1982 et 2011, le Limousin affiche une perte d’emplois dans ces activités près de six fois plus élevée qu’au niveau national : – 33 % contre – 6 %.

C’est la région qui enregistre le repli le plus important de province perdant ainsi 44 500 emplois en trente ans dans la seule sphère productive. Si la dégradation de l’appareil productif en France métropolitaine s’est accentuée après 2006, la perte d’emplois dans les activités productives a été plus précoce en Limousin. Ainsi 89 % des pertes d’emplois productifs ont eu lieu entre 1982 et 2006 pour le Limousin contre 28 % en France métropolitaine. Pourtant, en Limousin, le rythme des pertes a encore été trois fois supérieur à celui du niveau national entre 2006 et 2011.

Figure_2Deux emplois limousins sur trois dans la sphère présentielle

Deux emplois limousins sur trois dans la sphère présentielle
Limousin France métropolitaine
Nombre d'emplois en 2011 Part dans l'emploi total en 2011, en % Évolution 1982-2011, en % Nombre d'emplois en 2011 Part dans l'emploi total en 2011, en % Évolution 1982-2011, en %
Sphère productive 90 373 31 – 33 8 890 205 35 – 6
Sphère présentielle 203 862 69 31 16 861 345 65 42
Emploi total 294 235 100 1 25 751 550 100 21
  • Répartition et évolution des emplois selon les sphères en Limousin
  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

L’emploi présentiel augmente plus vite que la population

Sur les trente dernières années, les effectifs employés dans la sphère présentielle ont augmenté de 31 % en région contre 42 % au niveau national en lien avec la modeste croissance démographique régionale. L’emploi relevant de la sphère présentielle représente désormais, comme au niveau national, les deux tiers de l’emploi total en Limousin.

La création de 48 570 emplois présentiels entre 1982 et 2011 a permis ainsi de compenser le repli de l’emploi dans la sphère productive et de maintenir le niveau d’emploi total de la région.

En Limousin comme au niveau national, le nombre d’emplois dans la sphère présentielle a augmenté plus rapidement que la population depuis 1982. Si le développement de l’emploi présentiel en France métropolitaine est deux fois plus rapide que l’augmentation de la population, cette différence est encore plus marquée en région.

Ainsi, en Limousin, le nombre d’emplois présentiels par habitant est supérieur à la moyenne métropolitaine. Il est passé de 21 emplois pour 100 habitants en 1982 à 28 en 2011 (respectivement de 22 à 27 en France métropolitaine). Le Limousin est la troisième région de province, après Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Corse, en nombre d’emplois présentiels par habitant.

Au-delà de cette première approche, un constat s’impose : au sein de chacune des sphères, les actifs n’occupent pas aujourd’hui les mêmes fonctions (définitions) qu’il y a trente ans et la localisation de ces fonctions s’est déplacée. En s’appuyant sur les professions exercées et en les regroupant en quinze fonctions, transversales à la fois aux secteurs d’activité économique et aux niveaux de qualification, une deuxième approche permet de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre en termes de création, destruction et localisation des emplois sur le territoire.

Des fonctions à orientation présentielle dynamiques et des fonctions productives en perte de vitesse

Les fonctions de production concrète rassemblent les emplois de fabrication industrielle, bâtiment-travaux publics et production agricole. Elles ont perdu la moitié de leurs effectifs entre 1982 et 2011. Ces fonctions de fabrication de produits subissent les effets de la mondialisation et des mutations de l’appareil productif (automatisation industrielle, augmentation des gains de productivité…). L’agriculture, qui représentait un quart des emplois de ce type de fonctions, a été particulièrement impacté en Limousin. Les effectifs se sont repliés de 67 % en trente ans (contre 60 % en France métropolitaine), soit une perte de 34 550 emplois depuis 1982.

Figure 3Recul des fonctions de production concrète, essor des fonctions à orientation présentielle

Recul des fonctions de production concrète, essor des fonctions à orientation présentielle
Part dans l'emploi total en 1982 Part dans l'emploi total en 2011
Fonctions| métropolitaines 13 18
Fonctions| de production| concrète 44 23
Fonctions| à orientation| présentielle 28 44
Fonctions| transversales 15 16
  • Répartition de l’emploi par groupe de fonctions en Limousin, en %
  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

Figure 3Recul des fonctions de production concrète, essor des fonctions à orientation présentielle

  • Répartition de l’emploi par groupe de fonctions en Limousin, en %
  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

À l’inverse, les fonctions à orientation présentielle ont progressé de 54 % entre 1982 et 2011. Elles regroupent les emplois dans l’administration publique, la distribution, l’éducation, la formation, la santé, l’action sociale et les services de proximité. Le développement des professions liées au vieillissement de la population, aux politiques publiques, sociales et fiscales, portent plus particulièrement cette croissance. Avec la création de 31 000 emplois en Limousin, elles représentent ainsi près de la moitié de l’augmentation de l’emploi total.

En Limousin, les effectifs des fonctions métropolitaines ont progressé de 42 % en trente ans, une hausse bien moindre qu’au niveau national (+ 57 %). Liées au phénomène de métropolisation, ces fonctions concernent les fonctions de gestion, conception-recherche, prestations intellectuelles, commerce inter-entreprises, culture et loisir. Elles concentrent les emplois de haut niveau de qualification et de fort pouvoir décisionnel et dépendent en partie de la densité de réseau de transport, de la taille des bassins d’emploi, de la présence de services rares et de main d’œuvre qualifiée. Elles participent au rayonnement économique des régions.

Sous une apparente stabilité, les fonctions transversales, liées au transport, à la logistique, à l’entretien et à la réparation, ont subi une profonde mutation en région : les emplois appartenant à la sphère productive se sont développés alors que les effectifs de la sphère présentielle ont été réduits de moitié. Au niveau national, les emplois dans ces fonctions ont augmenté dans leurs deux composantes, participant ainsi à la croissance de l’emploi total.

Au final, en 2011, 129 000 personnes exercent en Limousin des professions liées aux fonctions présentielles. Elles représentent 44 % de l’emploi total en Limousin (contre 41 % en France métropolitaine). Plus de 66 000 actifs exercent dans les fonctions de production concrète. La part des emplois relatifs à ces activités est ainsi plus élevée en Limousin qu’en France métropolitaine (23 % contre 18 %). Si les fonctions transversales occupent la même proportion d’emplois en Limousin qu’au niveau national (16 % de l’emploi total, soit 46 000 emplois dans la région), les fonctions métropolitaines ne représentent que 18 % de l’emploi total (soit 52 600 emplois), contre 26 % au niveau national.

Brive : une localisation stratégique favorable à l’emploi ?

La zone d’emploi de Brive-la-Gaillarde enregistre l’augmentation d’effectifs la plus forte de la région : + 13 %.

Figure_4Le dynamisme démographique, facteur de développement de la sphère présentielle

Le dynamisme démographique, facteur de développement de la sphère présentielle
Nombre d'emplois présentiels pour 100 habitants Évolution 1982-2011, en %
1982 2011 Population Emploi total Emplois productifs Emplois présentiels
ZE Brive 19 25 8,4 12,7 – 17,4 43,7
ZE Limoges 22 28 5,7 4,3 – 30,6 32,3
ZE Ussel 22 29 – 12,7 – 2,7 – 29,9 17,7
ZE Tulle 23 30 – 6,8 – 5,9 – 41,8 21
ZE Guéret 18 26 – 12,6 – 12,8 – 48,7 24,8
Limousin 21 28 0,5 1,4 – 33,0 31,3
France métropolitaine 22 27 16,1 20,5 – 5,9 41,5
  • Évolution de l’emploi et de la population entre 1982 et 2011
  • ZE = zone d'emploi
  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

Au sein des fonctions de production, l’agriculture subit une forte érosion (– 69 %) alors que les métiers du BTP et de la fabrication résistent mieux. Les métiers de production concrète représentent encore un quart de l’emploi total en 2011.

Les effectifs des métiers à orientation présentielle ont augmenté de 71 % en trente ans, principalement dans les métiers de la santé, de l’action sociale, de l’administration et des services de proximité. Ces professions représentent ainsi 40 % de l’emploi total en 2011.

Les fonctions métropolitaines participent à la croissance de l’emploi briviste (+ 57 %), principalement grâce au développement des métiers de gestion et de prestations intellectuelles.

La localisation stratégique de la zone d’emploi de Brive, au carrefour de grands axes routiers, ferrés et aériens contribue au développement des métiers des fonctions transversales (+30 %).

Figure 5Les fonctions à orientation présentielle se développent dans tous les territoires limousins

Les fonctions à orientation présentielle se développent dans tous les territoires limousins
Fonctions métropolitaines Fonctions productives Fonctions à orientations présentielles Fonctions transversales
Brive-la-Gaillarde 1982 13 46 26 15
Brive-la-Gaillarde 2011 18 25 40 17
Limoges 1982 14 41 29 16
Limoges 2011 20 20 44 16
Ussel 1982 10 42 34 14
Ussel 2011 11 28 45 16
Tulle 1982 11 46 31 12
Tulle 2011 15 23 48 14
Guéret 1982 8 54 27 11
Guéret 2011 14 28 43 15
  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

Figure 5Les fonctions à orientation présentielle se développent dans tous les territoires limousinsStructure fonctionnelle de l’emploi par zones d’emploi en Limousin, en %

  • Source : Insee, Recensement de la population 1982 et 2011

Limoges : un emploi sur cinq appartient aux fonctions métropolitaines

La zone d’emploi de Limoges, qui couvre l’ensemble de la Haute-Vienne, connaît une croissance de l’emploi de 4 % entre 1982 et 2011.

Portés par le développement des emplois dans la santé et l’action sociale, dans les services de proximité et la fonction publique, les effectifs des fonctions à orientation présentielle ont augmenté de 63 % en trente ans et représentent plus de quatre emplois sur dix en 2011.

Les fonctions de production concrète ont perdu la moitié de leurs effectifs depuis 1982. L’industrie et l’agriculture sont les plus impactés à la baisse, le repli étant plus mesuré dans le BTP.

Les fonctions métropolitaines y sont plus présentes que dans les autres zones d’emploi. Leur croissance est élevée notamment autour des métiers de la gestion et des prestations intellectuelles.

Les fonctions transversales (transports et logistique) gagnent peu d’emplois sur cette zone, le gain d’emplois dans la sphère productive compensant les pertes enregistrées dans la sphère présentielle.

Ussel : la santé et l’action sociale premiers employeurs du territoire

La zone d’emploi d’Ussel perd 3 % de ses effectifs entre 1982 et 2011.

Les fonctions de production concrète perdent 35 % de leurs effectifs en trente ans, pour les deux tiers dans la production agricole. L’industrie perd un quart de ses emplois depuis 1982.

Les fonctions à orientation présentielle sont dynamiques dans la santé et du social, les services de proximité et l’administration publique. Les métiers autour de la santé et de l’action sociale portent ainsi la part la plus importante des emplois sur ce territoire en 2011.

Les fonctions métropolitaines sont très peu présentes et les fonctions transversales peu dynamiques en termes de création d’emplois. Cependant, elles expliquent un quart des emplois créés sur la période.

Tulle : les effectifs agricoles chutent de 75 % en trente ans

La zone d’emploi de Tulle perd des emplois à un rythme plus soutenu que celle d’Ussel entre 1982 et 2011 (– 6 %).

Dans les fonctions de production concrète, l’emploi se replie de moitié en trente ans. Le secteur agricole, premier employeur de ce territoire en 1982, perd les trois quarts de ses effectifs et ne représente plus que 6 % de l’emploi total en 2011. Le développement des emplois dans les trois autres groupes de fonctions ne permet pas de compenser cette baisse.

Les fonctions à orientation présentielle se montrent les plus dynamiques, portées par le développement des métiers de la santé et du social, ainsi que dans les services de proximité. L’administration publique devient par ailleurs l’employeur majoritaire sur cette zone.

Les fonctions métropolitaines, peu présentes sur le territoire en 1982, augmentent, mais demeurent en retrait.

Les fonctions transversales se montrent dynamiques dans le domaine de l’entretien et de la réparation, mais perdent des emplois dans les métiers de la logistique. Elles participent de fait modestement aux gains d’emploi sur ce territoire.

Guéret : 17 000 emplois dans l’économie agricole en 2011

La zone d’emploi de Guéret, qui couvre tout le département de la Creuse, accuse le repli de l’emploi le plus élevé de la région (– 17 % entre 1982 et 2011).

Les fonctions de fabrication concrète se contractent de moitié : 14 900 emplois ont ainsi disparu en trente ans. Malgré une baisse de 67 % depuis 1982, les emplois dans la fonction agricole restent les plus nombreux.

Les fonctions à orientation présentielle, bien que portées par le dynamisme des métiers de la santé et du social et par la création d’emplois publics, n’ont créé que 5 300 emplois en trente ans.

Les effectifs des fonctions métropolitaines ont augmenté principalement dans les professions de gestion, de culture et des loisirs.

Inversement, la dégradation des effectifs des métiers de la logistique entraîne un repli marqué des fonctions transversales.

Le poids de l’économie présentielle diffère selon les territoires

Dans les zones d’emploi de Brive-la-Gaillarde et Limoges, où la population a augmenté, la croissance du nombre d’emplois présentiels est la plus forte.

Inversement les zones d’Ussel, Tulle et Guéret qui ont toutes trois perdu de la population en trente ans affichent les évolutions relatives d’emplois présentiels les plus faibles.

Avec seulement 25 emplois appartenant à la sphère présentielle pour 100 habitants, la zone d’emploi de Brive-la-Gaillarde se caractérise par des activités plus tournées vers l’extérieur que les autres. Limoges se situe dans la moyenne régionale (28 emplois pour 100 habitants).

Du fait notamment du poids de l’administration publique, ce même rapport sur la zone d’emploi de Tulle demeure en 2011, comme en 1982, le plus élevé de la région (30 emplois pour 100 habitants). Celui de la zone d’emploi d’Ussel est légèrement inférieur (29 emplois pour 100 habitants), celui de Guéret se situant en dessous de la moyenne régionale (26 emplois pour 100 habitants).

Définitions

La partition de l’économie en deux sphères, présentielle et productive (non-présentielle) permet de mieux comprendre les logiques de spatialisation des activités et de mettre en évidence le degré d’ouverture des systèmes productifs locaux. Elle permet aussi de fournir une grille d’analyse des processus d’externalisation et autres mutations économiques à l’œuvre dans les territoires.

Les activités présentielles sont les activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu'elles soient résidentes ou touristes.

Les activités productives sont déterminées par différence. Il s'agit des activités qui produisent des biens majoritairement consommés hors de la zone et des activités de services tournées principalement vers les entreprises correspondantes.

L’approche par fonctions est établie à partir de la profession occupée par les actifs. Les fonctions exercées sont transversales par rapport aux secteurs d’activité, et sont également transversales par rapport aux statuts (salarié, non salarié, public/privé) et aux niveaux de qualification.

Une zone d’emploi est un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts.

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