Les dépenses énergétiques pèsent fortement sur les revenus d’un quart des ménages haut-normands

Jean-Philippe Caritg, Caroline Levouin, Cédric Mureau (Insee), Erwan Pouliquen (Dreal)

En Haute-Normandie, près de 200 000 ménages consacrent une part élevée de leurs revenus aux dépenses énergétiques de leur logement ou aux dépenses de carburant. Plus d’un ménage sur quatre peut ainsi être considéré en situation de vulnérabilité énergétique.

La vulnérabilité diffère selon le territoire et selon la catégorie de dépenses. Les personnes seules, retraitées ou sans activité professionnelle, et les moins de 30 ans sont plus souvent vulnérables au regard des dépenses liées au logement. La vulnérabilité liée aux déplacements augmente avec la distance aux pôles et touche plus particulièrement les classes moyennes et les jeunes. Environ 18 000 ménages éprouvent des difficultés face aux deux types de dépenses, 2,3 % des ménages de la région.

Insee Analyses Haute-Normandie
No 7
Paru le :Paru le20/02/2015
Jean-Philippe Caritg, Caroline Levouin, Cédric Mureau (Insee), Erwan Pouliquen (Dreal)
Insee Analyses Haute-Normandie No 7- Février 2015

La précarité énergétique constitue un sujet de société qui recouvre à la fois une dimension sociale et une dimension écologique. La loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010 donne, pour la première fois, la définition sous l’angle du logement d’une personne en précarité énergétique (cf. définitions).

Dans cette étude, la notion de vulnérabilité énergétique est abordée sous deux composantes : la première liée aux dépenses de chauffage du logement, la seconde liée aux déplacements en voiture pour aller au travail, faire des achats ou accéder à certains services (cf. méthodologie).

194 500 ménages consacrent plus de 8 % de leur revenu aux dépenses énergétiques de leur logement ou 4,5 % aux dépenses en carburant. Ainsi, plus d’un ménage haut-normand sur quatre est en situation de vulnérabilité énergétique, ce qui place la région au 13e rang des 22 régions françaises (Figure 1).

Figure_1La Haute-Normandie au 13e rang des 22 régions pour la part des ménages vulnérables

  • Sources : Insee, recensement de la population, enquête sur les revenus fiscaux et sociaux et revenus disponibles localisés de 2008 ; SOeS ; Anah

129 200 ménages dépensent plus de 8 % de leur revenu pour les factures de chauffage

Les ménages haut-normands dépensent en moyenne 1 415 euros par an afin de s’acquitter de leurs factures énergétiques (Tableau 1), soit 165 euros de plus qu’au niveau métropolitain. Ils paraissent plus exposés à la vulnérabilité énergétique liée au logement qu’en moyenne : 14,6 % des ménages métropolitains sont considérés comme vulnérables, contre 16,9 % en Haute-Normandie. Ainsi, la région se place au 12e rang des 22 régions françaises pour la part de ménages vulnérables.

Les 129 200 ménages vulnérables haut-normands représentent un total de 213 400 personnes, dont 26 100 enfants de moins de 14 ans.

Tableau 1Un ménage haut-normand dépense en moyenne 1415 € par an pour se chauffer - Dépense moyenne des ménages (€/an) selon la surface du logement et l'année de construction

Un ménage haut-normand dépense en moyenne 1415 € par an pour se chauffer - Dépense moyenne des ménages (€/an) selon la surface du logement et l'année de construction
Année construction Surface (m²)
< 25 25 à 40 40 à 70 70 à 100 100 à 150 > 150 Ensemble
Avant 1949 421 778 1 169 1 837 2 629 3 861 1 857
De 1949 à 1974 379 654 973 1 669 2 426 3 836 1 482
De 1975 à 1981 236 439 680 1 042 1 386 1 952 1 039
De 1982 à 1989 227 397 617 978 1 375 1 932 1 042
De 1990 à 1998 220 381 627 978 1 419 2 060 1 028
De 1999 à 2003 243 412 642 922 1 258 1 710 1 008
Depuis 2004 223 418 631 935 1 240 1 604 995
En cours de construction (1) 182 427 568 804 1 063 1 780 933
Ensemble 340 627 938 1 424 1 934 3 026 1 415
  • (1) Immeuble en cours de construction, partiellement habité
  • Sources : Insee, recensement de la population ; modèle Anah corrigé des données climatiques (SOeS)

Les ménages à faible revenu sont, en toute logique, les plus touchés. Ainsi, 30 % des ménages vulnérables ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté (fixé à 900 euros mensuels) et 40 % un revenu entre le seuil de pauvreté et 1,5 fois ce seuil.

La surface et l’ancienneté du logement influent fortement sur la dépense énergétique

La vulnérabilité énergétique liée au logement dépend en premier lieu du revenu (plus le ménage a un revenu faible et plus la part de son revenu consacré au chauffage peut s’avérer élevée) et du climat, plus rude dans le nord du Pays.

Les caractéristiques et l’état du parc de logements influent également sur la dépense énergétique. Plus le logement est grand, plus les dépenses en chauffage sont élevées (Tableau 1). À surface égale, une maison coûte plus cher à chauffer qu’un appartement. Ainsi, chauffer une maison de 70 à 100 m² coûte 280 euros de plus que chauffer un appartement de même taille. Deux ménages vulnérables sur cinq occupent ce type de logement. Cependant, la proportion de ménages vulnérables est particulièrement importante parmi les occupants d’un petit ou d’un très grand logement, même si en nombre ils ne représentent qu’un ménage vulnérable sur cinq. En effet, un tiers des ménages vivant dans un logement de moins de 25 m² et un tiers de ceux vivant dans un logement de plus de 150 m² sont considérés comme vulnérables.

(1) Autre : essentiellement du bois

En couleur : part des ménages vulnérables

Figure_2Les ménages se chauffant au fioul ou au gaz en bouteilles sont les plus vulnérables

  • Unités : nombre, %
  • Sources : Insee, recensement de la population, enquête sur les revenus fiscaux et sociaux et revenus disponibles localisés de 2008 ; SOeS ; Anah

Figure_3Les jeunes particulièrement exposés aux deux types de vulnérabilité énergétique

  • Sources : Insee, recensement de la population, enquête sur les revenus fiscaux et sociaux et revenus disponibles localisés de 2008 ; SOeS ; Anah

Le mode de chauffage impacte fortement le budget énergétique d’un logement. En Haute-Normandie, le chauffage au gaz de ville et à l’électricité sont les plus répandus (Figure 2). Cependant, à logement équivalent, le chauffage au fioul est le plus onéreux. Ainsi, une majorité des ménages vulnérables se chauffent avec ce combustible. De plus, ces ménages résident davantage en maisons et dans des logements anciens.

L’ancienneté de construction du logement pèse également sur les dépenses énergétiques (Tableau 1). Comme en métropole, les ménages haut-normands habitent majoritairement dans des logements anciens, c’est-à-dire construits avant 1975, date de la première réglementation thermique1 . Ces ménages sont alors plus exposés à la vulnérabilité énergétique. En outre, l’ancienneté des maisons de la région (64 % de maisons anciennes contre 58 % en France métropolitaine) contribue plus qu’ailleurs à la vulnérabilité énergétique de ses habitants. Dans ces résidences anciennes, 25 % des ménages sont vulnérables, contre moins de 5 % pour ceux vivant dans des constructions postérieures. 89 % des ménages vulnérables vivent dans un logement ancien.

(1) La France adopte dès 1974 une première réglementation thermique, afin de réduire la facture énergétique, qui fixe un objectif de réduction de 25 % de la consommation énergétique.

L’ensemble de ces caractéristiques a une incidence sur la performance énergétique (DPE). Ainsi, 58 % des logements de la région sont énergivores (étiquette DPE supérieure ou égale à E), contre 47 % en France métropolitaine. La Haute-Normandie est la 5e région où cet indicateur est le plus élevé. 74 % des ménages vulnérables habitent un logement énergivore.

Les personnes seules dans leur logement particulièrement vulnérables

La vulnérabilité énergétique touche tous les âges. Néanmoins, les jeunes et les personnes âgées sont les plus exposés (Figure 3). Ils vivent plus souvent seuls (59 % des plus de 75 ans et 44 % des moins de 30 ans), ce qui accentue le risque de vulnérabilité. En Haute-Normandie, le tiers des personnes seules est vulnérable, ne bénéficiant pas d’économies d’échelle sur les dépenses de chauffage de leur habitation.

Trois ménages vulnérables sur cinq en Haute-Normandie sont composés d’une seule personne. Les plus de 75 ans habitent plus souvent que les autres des maisons anciennes, souvent très grandes, ce qui entraîne des dépenses énergétiques plus élevées. Les trois quarts des jeunes vulnérables vivent seuls. Ils sont majoritairement locataires d’un appartement ancien du parc privé et, surtout, ont des revenus modestes (80 % des jeunes vulnérables vivent sous le seuil de pauvreté).

83 000 ménages dépensent plus de 4,5 % de leur revenu en carburant

En Haute-Normandie, comme ailleurs, les ménages haut-normands peuvent éprouver des difficultés à faire face à leurs dépenses en carburant pour aller au travail, faire des achats ou accéder à certains services (cf. méthodologie). Ainsi, 10,9 % des ménages de la région sont vulnérables, contre 11,8 % en France de province (hors Île-de-France). Bien que la dépense moyenne par an en carburant des ménages haut-normands soit supérieure de 75 euros à celle de l’ensemble des ménages métropolitains (Tableau 2), la région se place au 17e rang des 22 régions françaises les plus exposées à ce type de vulnérabilité.

Si la dépense en carburant pour les trajets domicile/travail est élevée (4e rang), la plus faible exposition à la vulnérabilité en carburant de la région s’explique essentiellement par les revenus plus élevés des ménages concernés et par la proximité de pôles d’équipements, dans des bassins de vie plus petits qu’ailleurs, diminuant d’autant les autres déplacements contraints (18e rang).

Tableau 2Une dépense moyenne en carburant plus élevée pour les ménages haut-normands - Dépense moyenne en carburants pour les déplacements contraints (€/an)

Une dépense moyenne en carburant plus élevée pour les ménages haut-normands - Dépense moyenne en carburants pour les déplacements contraints (€/an)
Déplacements contraints Haute-Normandie France métropolitaine
Domicile/travail 395 325
Autres 285 280
Tous 680 605
  • Sources : Insee, recensement de la population ; SOeS

L’accession à la propriété étant coûteuse en milieu urbain et la possibilité d’acquérir des maisons de ville se faisant rare, de nombreux ménages se sont éloignés des pôles. Ce phénomène de périurbanisation a entraîné un allongement des déplacements domicile/travail, et donc un effort budgétaire supplémentaire pour les dépenses en carburant. Ainsi, 70 % des ménages vulnérables résident hors des pôles.

Contrairement à la vulnérabilité liée au logement qui touche majoritairement les ménages les plus modestes, la vulnérabilité liée aux déplacements touche essentiellement les ménages des classes moyennes (revenus compris entre 38 000 et 58 000 euros par an). En effet, les ouvriers et les professions intermédiaires, appartenant à cette classe moyenne, sont majoritaires hors des pôles. Ils s’installent en famille, ce qui, au delà de l’allongement des trajets domicile/travail, entraîne d’autres déplacements contraints importants.

Peu de ménages cumulent les deux types de vulnérabilité

Dans la région, 17 900 ménages, soit 32 500 personnes, sont confrontés à de fortes dépenses, non seulement pour se chauffer mais aussi pour se déplacer. Au final, 2,3 % des ménages de la région cumulent les deux types de vulnérabilité. La Haute-Normandie se place ainsi au 17e rang des régions les plus touchées pour la part des ménages « doublement » vulnérables. Ces ménages sont les plus pauvres : plus du tiers d’entre eux ont un revenu annuel inférieur à 14 000 euros.

Figure_4Une part de ménages vulnérables différenciée selon le type de vulnérabilité et le territoire

  • * Moyenne régionale : 16,9 % pour le logement et 10,9% pour les déplacements
  • Sources : Insee, recensement de la population, enquête sur les revenus fiscaux et sociaux et revenus disponibles localisés de 2008 ; SOeS ; Anah

Les ménages vivant hors des pôles plus vulnérables

Dans les pôles, la proximité des équipements et des emplois limite les déplacements, et les transports en commun y sont plus développés, rendant l’utilisation de la voiture plus optionnelle. Les appartements, moins grands, plus récents et davantage chauffés au gaz de ville (combustible le moins onéreux) sont plus fréquents. Ainsi, dans les quatre plus grands pôles haut-normands (Rouen, Le Havre, Évreux et Dieppe), la part de ménages vulnérables est inférieure à la moyenne régionale, que ce soit pour le logement ou les déplacements (Figure 4).

Hors des pôles, la part des ménages vulnérables varie selon le type de vulnérabilité. Les territoires ayant une forte proportion d’habitations construites avant 1949, une offre d’appartements réduite et dont le mode de combustible le plus fréquemment utilisé est le fioul, accueillent plus de ménages vulnérables. C’est particulièrement le cas dans le sud-ouest de l’Eure, notamment dans les communes limitrophes ou proches de l’Orne. Par ailleurs, la part de ménages vivant sous le seuil de pauvreté est importante dans ces territoires.

La part des ménages vulnérables au sens des déplacements est deux fois plus importante dans l’Eure qu’en Seine-Maritime, le département eurois étant moins urbain et donc les ménages plus éloignés des pôles de services et d’emplois. Dans certaines communes, la part des ménages vulnérables dépasse les 50 %. C’est le cas pour certaines communes situées au sud de Bernay, entre Bernay et Pont-Audemer, mais également dans le nord-est du département. En Seine-Maritime, les ménages résidant dans le Pays de Bray sont plus souvent vulnérables, l’est du département étant plus éloigné des deux grands pôles que sont Le Havre et Rouen.

La précarité énergétique dans les politiques publiques

Les politiques publiques en faveur de la réhabilitation de logements énergivores, de la maîtrise de l’étalement urbain ou de l’amélioration de l’offre de transports collectifs par exemple, participent indirectement à lutter contre la précarité énergétique en contribuant à réduire les dépenses en énergie des ménages.

Plus directement, le Schéma Régional Climat Air Énergie, document d’orientation ayant pour objectif la lutte contre le réchauffement climatique, l’amélioration de la qualité de l’air et la maîtrise de la demande d’énergie, intègre spécifiquement la lutte contre la précarité énergétique. Une de ses orientations inscrites dans le domaine du bâtiment est de « lutter contre la précarité énergétique ».

Les Plans Climat Énergie Territoriaux, mis en œuvre par les collectivités locales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et adapter le territoire au changement climatique, inscrivent aussi la lutte contre la précarité énergétique dans leurs axes de travail.

Dans le cadre du Plan de Rénovation Énergétique de l’Habitat, la mobilisation du programme Habiter Mieux de l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) permet d’aider des ménages modestes à réaliser des travaux de rénovation thermique.

Enfin, un des grands axes de la future loi sur « la transition énergétique pour la croissance verte » est de « rénover les bâtiments pour économiser l’énergie, faire baisser les factures et créer des emplois ».

Sources

L’étude, fruit d’un partenariat entre l’Insee et le Service de l’Observation et des Statistiques du ministère du développement durable (SOeS), s’appuie sur le recensement de la population, qui fournit les principales caractéristiques de la population et des logements. Des enquêtes sont également utilisées : enquête sur les revenus fiscaux et sociaux, enquête sur les revenus disponibles localisés. Différents modèles permettent ensuite d’estimer les revenus et la dépense énergétique des ménages.

Ces estimations s’appuient sur des données de 2008, seule année pour laquelle l’ensemble des informations nécessaires est disponible.

Pour en savoir plus : voir la méthodologie en document associé.

Définitions

Loi « Grenelle II » : une personne en situation de précarité énergétique est « une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».

Un ménage est dit en situation de vulnérabilité si son taux d’effort énergétique est supérieur à un certain seuil. Ce seuil correspond au double de la médiane des taux d’effort observés en France métropolitaine l’année considérée (8 % pour les dépenses en chauffage et 4,5 % pour les dépenses en carburant).

Le taux d’effort énergétique correspond aux dépenses en énergie rapportées au revenu du ménage

La part des ménages vulnérables sur un territoire correspond au nombre de ménages en situation de vulnérabilité énergétique rapporté à l’ensemble des ménages du territoire.

Pour en savoir plus : voir les définitions dans le dossier « Données complémentaires ».

Documentation

Méthodologie (pdf, 168 Ko )