Trois ans plus tard, des entreprises en moins, des emplois en plus

André Pagès, Insee

En 2013, près de trois entreprises sur quatre sont encore en activité trois ans après leur création, en Limousin comme en moyenne de province. Dans le contexte de la crise économique enclenchée en 2008, les capacités de résistance de cette génération de jeunes entreprises du Limousin se sont érodées. Paradoxalement, le bilan de l’emploi est plus favorable. Créer une société plutôt qu’une entreprise individuelle, investir massivement ou embaucher dès la création sont toutes choses égales par ailleurs des atouts pour une jeune entreprise, à la fois pour augmenter ses chances de pérennité et ses capacités à développer l’emploi.

Insee Analyses Limousin
No 10
Paru le :Paru le21/05/2015
André Pagès, Insee
Insee Analyses Limousin No 10- Mai 2015

Parmi le millier d’entreprises créées en Limousin au cours du premier semestre 2010 (hors auto-entrepreneurs), 72 % ont atteint leur troisième anniversaire. Ce taux de pérennité régional est comparable à la moyenne France de province. Les jeunes entreprises régionales présentent en effet des profils et des résultats de pérennité proches de cette moyenne, en termes d’activités, de capital de départ ou de caractéristiques des entrepreneurs telles que le sexe, l’âge, la nationalité, le diplôme ou la situation professionnelle antérieure.

Cette équivalence de pérennité est un phénomène nouveau. Au cours de ces vingt dernières années, le Limousin se distinguait par un taux de création d’entreprises inférieur à la moyenne des régions métropolitaines et par des chances d’être encore actives à trois ou cinq ans plus importantes. Les taux de pérennité à trois ans étaient ainsi supérieurs de quatre points à la moyenne de province pour les entreprises régionales créées en 2006, et de six points pour la génération de 2002. Aujourd’hui, s’il se crée toujours relativement moins d’entreprises en Limousin qu’en moyenne de province, cependant, elles ont autant qu’ailleurs de difficultés à perdurer au-delà de leurs trois premières années d’existence.

Des aides à vocation économique et sociale marquée

La création d’entreprises a de nombreux effets positifs. Elle contribue au renouvellement du tissu économique, à développer des emplois et à créer de la valeur. Elle renforce la cohésion territoriale. Pour ces diverses raisons, les acteurs économiques, l’État comme la Région Limousin, soutiennent activement la création d’entreprises. Cette dernière a identifié cet enjeu dans son schéma régional de développement économique actuellement en vigueur. Dès 2007, et avec ses partenaires économiques locaux, la Région Limousin a mis en place le dispositif « Objectif création » pour l’accompagnement des porteurs de projets. D’autres acteurs, plutôt de dimension nationale, assurent aussi la promotion de cette politique. Une palette d’outils est ainsi mise au service des créateurs.

Quelle que soit la nature de l’accompagnement, une subvention, un prêt, un avantage fiscal ou des conseils, les jeunes entreprises de province bénéficiaires de dispositifs nationaux résistent en moyenne moins bien que celles qui ne le sont pas. La fréquence des aides à vocation sociale marquée, comme l’Aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise (ACCRE) et le Nouvel accompagnement pour la création ou la reprise d'entreprise (NACRE), conjuguée à des publics plus éloignés des conditions de réussite, peut sans doute expliquer une partie de ce phénomène.

En revanche, les jeunes entreprises accompagnées par une aide régionale ou locale présentent des résultats de pérennité meilleurs que celles ayant eu recours à des aides nationales. En particulier, les entreprises suivies dans le cadre du dispositif "Objectif création" ont pu bénéficier de leur proximité avec les services gestionnaires et d’un accompagnement plus personnalisé.

Un contexte économique dégradé

Le taux de pérennité à trois ans des entreprises créées en 2010 en Limousin est comparable à celui de la génération 2006. Au moins deux phénomènes y ont contribué de manière opposée. Le contexte économique régional s’est peu amélioré entre les périodes 2006-2009 et 2010-2013. La première période a connu une récession importante. Les défaillances de l’ensemble des entreprises ont bondi (+ 21 % en Limousin entre 2007 et 2008, onze points de plus qu’en moyenne de province) et le taux de disparition des entreprises créées en 2006 a doublé entre la première et la troisième d’année d’activité, alors qu’ils étaient comparables pour les entreprises créées en 2002.

Figure_1Le contexte économique impacte la pérennité des jeunes entreprises

  • Évolution des taux annuels de disparition (TD) des entreprises créées en 2006 et 2010 au cours des trois premières années en % (échelle de gauche), et variations annuelles du produit intérieur brut en volume (PIB) en % (échelle de droite)
  • Source : Insee, Sine 2006 et 2010, Comptes nationaux, base 2010

Au cours de la seconde période, baisses et hausses de la richesse produite ont alterné, sans que le PIB du Limousin ne retrouve son niveau d’avant crise, contrairement à la situation nationale. Ce contexte économique dégradé a pesé sur les chances de survie des entreprises créées en 2010. Les taux annuels de disparition augmentent à l’instar de ceux de la génération 2006, à un rythme cependant moindre. À l’inverse, ils amorcent un repli en moyenne de province.

Dans le même temps, la mise en place du dispositif des auto-entrepreneurs au 1er janvier 2009 a contribué à majorer le taux de pérennité moyen, en particulier en Limousin. Certaines entreprises de faible dimension ont pu opter pour ce nouveau régime permettant d’alléger leurs charges sociales et fiscales, les évinçant ainsi du champ d’observation de l’enquête alors que leur probabilité de survie est en général moins importante. Ainsi, les entreprises créées avec peu de moyens financiers sont nettement moins fréquentes parmi celles de la génération de 2010 que de 2006 : 56 % des entreprises créées en 2010 en Limousin ont démarré leur activité avec moins de 16 000 €, dix points de moins que parmi les entreprises créées en 2006.

Activité et forme juridique, deux facteurs majeurs de pérennité des entreprises…

Les déterminants individuels ayant un impact sur la pérennité des entreprises sont nombreux. Ils font référence aux caractéristiques initiales des créateurs et de leur projet (Voir Données complémentaires). Leur influence propre sur la probabilité d’être encore en activité au troisième anniversaire est plus ou moins importante. Observés sur l’ensemble des entreprises nationales, le secteur d'activité et la catégorie juridique sont deux facteurs majeurs de la pérennité. Ainsi, les entreprises de la santé et de l'action sociale ont toutes choses égales par ailleurs une probabilité d'être pérennes au troisième anniversaire relativement élevée. Au sein de ce secteur, en Limousin comme en moyenne de province, deux créations sur trois concernent des activités libérales réglementées telles que médecins, dentistes, infirmières, sages-femmes et kinésithérapeutes. A l’opposé, les entreprises des commerces et de la construction, sont nettement plus sensibles à la concurrence et à la conjoncture économique. Elles représentent plus de la moitié des créations, en Limousin comme en province. Ce sont aussi celles qui se maintiennent le moins facilement, toutes choses égales par ailleurs.

À autres caractéristiques identiques, les sociétés ont une probabilité de survie supérieure à celle des entreprises individuelles. Elles représentent seulement 46 % des créations en Limousin, dix points de moins qu’en moyenne de province. Les autres facteurs ont un impact significatif sur la pérennité des nouvelles entreprises mais moins marqué que les précédents.

La localisation dans une région peut aussi influer sur les chances de survie. Ainsi, pour une jeune entreprise créée en Limousin, la probabilité d’être encore en activité au bout de trois ans est plus importante que pour une nouvelle unité équivalente de Franche-Comté et des régions du sud (Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d’Azur). Ces écarts de performance sont dus en partie à des environnements économiques différents entre les régions et non pris en compte dans la modélisation. Par exemple, il se pourrait que les jeunes entreprises du Limousin aient pu tirer parti d’une densité économique ramenée à la population en moyenne plus faible que dans les régions du sud, et donc bénéficier d’une concurrence moins vive.

… associés aux capitaux engagés et aux emplois créés dès le démarrage

La pérennité d’une jeune entreprise dépend également de l’importance du projet. Ainsi, la probabilité d’être encore en activité au bout de 3 ans augmente avec les moyens investis au démarrage. De même, embaucher un ou plusieurs salariés dès le départ donne, toutes choses égales par ailleurs, des chances supplémentaires d’être pérenne à son troisième anniversaire.

Avoir une expérience dans l’activité de son entreprise, bénéficier du soutien d'autres entrepreneurs ou s’appuyer sur un réseau de clients ou fournisseurs, facilite, toutes choses égales par ailleurs, le maintien en activité de son entreprise dans ses trois premières années d’existence. La formation initiale de l’entrepreneur pèse également sur les capacités de l’entreprise à perdurer. Les chances de pérennité sont plus fortes lorsque le créateur dispose d’un diplôme de deuxième ou troisième cycle. De même et malgré des études plus courtes, les titulaires d'un bac technique ou professionnel ont des chances de maintien équivalentes à celles des créateurs très diplômés. En effet, ces diplômes préparent davantage à l'emploi que ceux de la filière générale.

Un bilan de l’emploi positif en Limousin

Au-delà des questions capitales de pérennité, le développement des jeunes entreprises constitue aussi un enjeu. Les entreprises créées au cours du premier semestre 2010 en Limousin avaient généré 1 790 emplois au 30 septembre 2010. Trois ans après, 28 % des entreprises ont disparu mais les pérennes totalisent 1 860 emplois. Au total, le bilan est positif en Limousin. L’emploi a ainsi augmenté de 4 % au cours des trois premières années d’existence de cette génération d’entreprises alors qu’il a diminué en moyenne de province. La performance de ces jeunes entreprises est d’autant plus remarquable que l’emploi total régional s’est contracté au cours de cette même période.

Avec la disparition des entreprises, le nombre de personnes non-salariées s’est réduit. Majoritaire en septembre 2010 avec 55 % de l’emploi total, ce statut représente moins de quatre emplois sur dix après trois ans d’activité. En revanche, le nombre de salariés a augmenté de près de 50 % en Limousin sur la période 2010-2013, soit 17 points de plus qu’en moyenne de province.

Mais toutes les entreprises pérennes n’ont pas augmenté le nombre de leurs collaborateurs. Pour six entreprises sur dix, en quasi totalité sans salariés, le nombre d’emplois n’a pas varié. Moins d’un tiers des entreprises ont créé finalement des emplois, sans particularité sectorielle affirmée. En revanche, 37 % des entreprises en perte d’emplois exercent une activité liée au commerce, sensible à la conjoncture économique, soit huit points de plus que dans l’ensemble des entreprises pérennes.

Pour développer l’emploi, mieux vaut être constitué en société ou embaucher dès le départ

Certaines caractéristiques des jeunes entreprises ont un impact important sur la création d’emplois. La catégorie juridique et le statut d’employeur dès le démarrage sont les deux déterminants principaux de la probabilité de créer de l’emploi au cours des trois premières années d’activité. Une société a davantage de chances de créer de l’emploi qu’une entreprise indépendante, toutes choses égales par ailleurs. Or, la forme sociétaire est relativement moins fréquente parmi les entreprises créées en 2010 en Limousin. Ainsi, la part des sociétés dans la région est inférieure de dix points à la moyenne de province. De même, être employeur d’au moins un salarié dès le départ de son activité offre des chances supplémentaires de développer l’emploi au cours des trois années suivantes.

Le secteur d’activité et le montant des investissements initiaux sont aussi des facteurs influant la capacité à créer de l’emploi. Exercer à titre principal dans un secteur de l’enseignement, de la santé humaine, de l’action sociale, des activités financières et d’assurance, des transports et entreposage, voire dans la construction, ou investir fortement au démarrage, augmentent la propension à développer l’emploi, toutes choses égales par ailleurs. La plupart des autres facteurs identifiés comme ayant un effet propre sur la pérennité restent opérants pour la création d’emplois. Cependant, le diplôme, l’appui d’un entrepreneur de son entourage et le type de création perdent leur effet significatif vis-à-vis de la probabilité de créer de l’emploi. En revanche, l’expérience acquise dans la création d’au moins une autre entreprise donne des chances supplémentaires d’embaucher, toutes choses égales par ailleurs, alors qu’elle n’influe pas sur la pérennité.

Au-delà du contexte économique peu favorable, d’autres caractéristiques de ces entreprises ont pu contribuer à limiter la création d’emplois en Limousin. À savoir, une plus grande proportion d’entreprises artisanales (46 %, soit dix points de plus qu’en moyenne de province), et une clientèle de particuliers (68 %, soit cinq points de plus qu’en moyenne de province). En outre, elles réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 33 000 € pour 32 % d’entre elles, soit six points de plus qu’en moyenne de province.

Comme partout, d’autres facteurs ont pu peser sur l’emploi. Deux entreprises pérennes sur trois déclarent ainsi avoir rencontré des problèmes au cours de leurs trois premières années d’existence. Les difficultés sont principalement d’ordre financier, comme des besoins de trésorerie et de financement. Elles sont également d’ordre commercial, en lien avec des débouchés moins importants qu’espérés ou un niveau de concurrence inattendu.

Fin décembre 2013, les perspectives de court terme paraissent incertaines et l’attentisme prévaut. Un entrepreneur sur deux déclare vouloir maintenir l’équilibre acquis. En l’absence de visibilité économique, deux sur trois n’escomptent pas un développement de leur clientèle dans les prochains mois. Par conséquent, les intentions d’embauche ne sont pas nombreuses pour cette génération d’entreprises. Néanmoins, elles prévoient peu de licenciements. Signe d’une confiance encore à construire, ces perspectives sont comparables à celles que les entreprises créées en 2006 exprimaient en 2009.

Définitions

Le Système d'information sur les nouvelles entreprises (Sine) de l’Insee est un dispositif permanent d'observation et de suivi d'une génération de nouvelles entreprises tous les quatre ans. Une nouvelle entreprise met en œuvre de nouveaux moyens de production, selon le concept en usage en France depuis le 1er janvier 2007. Le champ d’observation économique est restreint aux entreprises, hors auto-entrepreneurs, dont l’activité principale est marchande et non agricole. En Limousin, grâce au financement complémentaire apporté par le Conseil régional, chaque nouvelle entreprise est enquêtée à trois reprises : au début de son activité et dans l’année de ses troisième et cinquième anniversaires.

Le taux de pérennité est le rapport entre le nombre de jeunes entreprises d’une même année qui ont atteint une date anniversaire et l’ensemble des entreprises de leur génération.

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