Insee Analyses BretagneTertiarisation des emplois, essor des activités au service de la population : trente ans de mutations dans les territoires bretons

Auteur : Isabelle Baudequin (Insee)

Entre 1982 et 2011, malgré les crises économiques successives, le nombre total d’emplois en Bretagne a davantage augmenté que la population (respectivement + 25 % et + 19 %), comme en France de province. Les zones d’emplois ayant connu les plus fortes progressions telles Rennes, Vitré et Vannes, le doivent à la fois aux activités productives et à celles tournées vers les besoins de la population. À l’inverse, les zones d’emplois de Morlaix, Guingamp, Fougères et Carhaix-Plouguer cumulent pertes d’emplois dans les activités productives et moindre gain dans les activités au service de la population.

Les activités productives ont connu un fort mouvement de tertiarisation. L’agriculture, le BTP et l’industrie n’y représentent plus que 40 % des emplois contre 70 % il y a 30 ans et ne restent majoritaires que dans 3 zones d’emplois sur 18 (Loudéac, Carhaix-Plouguer et Ploërmel). Concernant la sphère présentielle , la part dans l’emploi est passée de 54 % à 65 %. La santé et l’action sociale, les services de proximité et l’administration publique contribuent majoritairement à son développement, notamment dans les territoires en difficulté.

Insee Analyses Bretagne
No 15
Paru le :Paru le18/02/2015
Auteur : Isabelle Baudequin (Insee)
Insee Analyses Bretagne No 15- Février 2015

Entre 1982 et 2011, l’emploi breton a augmenté de plus de 25 % contre 20 % en France de province. La Bretagne se situe ainsi au 8e rang des régions de province, la 1re place revenant à la Corse et la dernière au Limousin. Les deux régions voisines des Pays de la Loire et de Basse-Normandie se situent respectivement aux 5e et 15e rangs.

Sur cette période de près de 30 ans, de fortes disparités s’observent entre les 18 zones d’emploi de Bretagne (figure 1). En effet, 4 d’entre elles (Morlaix, Guingamp, Fougères, Carhaix-Plouguer) ont perdu des emplois tandis que 2 autres (Rennes et Vitré) affichaient une progression deux fois supérieure à la moyenne régionale pour occuper ainsi respectivement les 19e et 21e rangs des zones d’emploi de province.

Figure_1Progression plus forte de l'emploi dans l'est de la région

  • Source : Insee, recensements de la population

L’emploi productif résiste et l’emploi présentiel augmente davantage

La partition de l'économie en deux sphères présentielle et productive permet de mieux comprendre les mutations économiques à l’œuvre dans la région ou ses zones d’emplois. La sphère présentielle, tournée vers la satisfaction des besoins en biens et en services des personnes présentes sur un territoire, qu'elles soient résidentes ou touristes, regroupe notamment le commerce de détail, la santé et l'action sociale, l'éducation, les services aux particuliers, l'administration et la construction. La sphère productive recouvre quant à elle les activités potentiellement exportatrices de biens et services vers d’autres territoires, comme l'agriculture, l'industrie, le commerce de gros et les services aux entreprises. Les facteurs de localisation de ces deux ensembles sont différents, l'économie présentielle nécessitant une proximité étroite avec la population, tandis que l'économie productive est ouverte à la concurrence internationale.

Entre 1982 et 2011, avec une perte d’emplois de 5 %, l'économie productive bretonne résiste mieux que la moyenne des régions de province, où cette diminution atteint 9 %. La région occupe le 9e rang des régions de province de par l’évolution des emplois de la sphère productive. Seules, 3 régions du sud (Corse, Languedoc-Roussillon et PACA) connaissent des augmentations supérieures à 12 %.

S’agissant de la sphère présentielle, la Bretagne occupe le 7e rang des régions pour la croissance des emplois (+ 52 % contre + 45 % en moyenne des régions de province). Comme en France de province, le poids des activités présentielles n'a donc cessé de progresser, passant de 54 % des emplois en 1982 à 65 % en 2011.

L’emploi présentiel a augmenté partout… mais pas l’emploi productif

En 30 ans, toutes les zones d’emplois bretonnes ont gagné de l’emploi présentiel mais à des rythmes différents : + 79 % pour celle de Redon contre + 20 % pour celle de Carhaix-Plouguer (figure 2). En revanche, dans la sphère productive, 14 des 18 zones d’emplois ont perdu de l’emploi, les plus touchées étant celles de Morlaix, Fougères, Guingamp, Lannion et Carhaix-Plouguer (figure 3).

Figure_2Les zones d'emploi de l'est plus dynamiques dans chaque sphère

  • Source : Insee, recensements de la population

Figure_3Les zones d'emploi de l'est plus dynamiques dans chaque sphère

  • Source : Insee, recensements de la population

Les territoires où l'emploi progresse le plus, gagnent à la fois dans la sphère présentielle et dans la sphère productive. Ainsi, les 3 zones d’emplois (Rennes, Vitré et Vannes) où la croissance de l’emploi a été la plus forte, sont aussi celles qui ont gagné le plus simultanément dans les deux sphères. De manière générale, la vitalité de l’emploi productif est à la fois source et reflet d’une attractivité qui rejaillit sur l’emploi présentiel.

À l’inverse, les 4 zones d’emplois (Morlaix, Guingamp, Fougères et Carhaix-Plouguer) qui connaissent une diminution des emplois entre 1982 et 2011, sont celles qui ont perdu le plus d’emplois productifs et gagné le moins d’emplois présentiels. Pour Guingamp, Fougères et Carhaix-Plouguer, si les activités productives étaient prépondérantes en 1982, ce constat n’est plus vérifié aujourd’hui.

Au final, entre 1982 et 2011, la part de l’emploi productif diminue dans toutes les zones d’emploi, plus fortement à Lannion et Redon et plus faiblement à Vitré. Au cours de cette période, Lannion et Redon sont ainsi passées respectivement de 46 % et 55 % d’emplois productifs à 26 % et 37 % (figure 4). Seuls, Vitré et Loudéac affichent encore une part majoritaire d’emplois productifs (respectivement 55 % et 54 %).

Figure_4Baisse accentuée de l'emploi productif dans les zones de Lannion et Redon

  • Lecture : En 2011, la part de l'emploi productif dans la zone d'emploi de Lannion atteint 26 % (contre 46 % en 1982) soit – 20 points.
  • Source : Insee, recensements de la population

Une approche plus détaillée au sein de chacune des sphères productive et présentielle permet de mieux comprendre les mutations du marché du travail et notamment le changement de fonctions exercées par les actifs. Les professions ainsi exercées sont regroupées en quinze fonctions transversales aux secteurs d’activité économiques et aux niveaux de qualifications.

La sphère productive devient de plus en plus tertiaire

En 30 ans, la nature des fonctions exercées au sein de la sphère productive s’est profondément modifiée sous l’effet des délocalisations, des changements dans les processus de production ou de l’externalisation. Les fonctions de production concrète (agriculture, BTP, fabrication) sont les plus concernées par le recul de l’emploi, les effectifs ayant été divisés par 1,8. Au niveau régional, leur part dans l’emploi productif est ainsi passée de 66 % en 1982 à 38 % en 2011 (figure 5). L’emploi dans ces fonctions a reculé de 20 % dans la zone d’emploi de Vitré et de 63 % dans celle de Lannion.

Ces fonctions, qui, selon les zones d’emplois, représentaient de 58 % à 81 % de l’emploi productif en 1982, restent majoritaires dans seulement 3 zones d’emplois de Bretagne (Loudéac, Carhaix-Plouguer et Ploërmel). Les quatre zones d’emploi ayant connu le plus fort mouvement de tertiarisation de l’emploi productif sont Vannes, Rennes, Fougères et Vitré.

Figure_5Forte baisse de la part des emplois agricoles

  • Lecture : En 2011, la part des emplois du transport est de 14 % contre 11 % en 1982.
  • Source : Insee, recensements de la population

Au sein des fonctions de production concrète, les emplois agricoles, en lien avec le processus général de concentration des exploitations agricoles, diminuent de plus de 60 % dans toutes les zones d’emplois.

Dans l’industrie, les fonctions de production concrète diminuent dans quasiment toutes les zones d’emploi, plus fortement à Fougères (- 49 %) et plus faiblement à Rennes (- 3 %). Seules Vitré, Ploërmel et dans une moindre mesure Loudéac, St-Brieuc et Pontivy, connaissent des évolutions positives.

Les fonctions tertiaires contribuant à maintenir le niveau de l’emploi dans la sphère productive sont les fonctions dites métropolitaines (prestations intellectuelles, gestion, commerce inter-entreprises…), et les fonctions transversales (entretien, maintenance, logistique…). Les effectifs y sont en forte progression (respectivement + 91 % et + 37 %) à l’échelle régionale. Les fonctions métropolitaines se renforcent dans les 3 plus grandes zones d’emplois (Rennes, Brest, Vannes) où les emplois de la sphère productive oscillent en 2011 entre 31 % et 39 %. Elles progressent aussi dans d’autres zones d'emploi de taille plus modeste telles Vitré ou Ploërmel. À Rennes et Saint-Malo, la part des fonctions métropolitaines a même dépassé celle des fonctions de production concrète.

Quand la population croît, l’emploi présentiel augmente également voire davantage

En Bretagne, comme en France de Province, entre 1982 et 2011, le nombre d’emplois dans l'économie présentielle a crû plus rapidement que la population : + 52 % pour l’emploi présentiel contre + 20 % pour la population. En 2011, en Bretagne, on compte 26 emplois présentiels pour 100 habitants contre 21 en 1982, exactement comme en France de province, alors que la population bretonne a augmenté un peu plus vite (figure 6). Par ailleurs, le ratio s’est accru dans toutes les zones d’emplois sans exception, mais plus ou moins fortement selon les évolutions démographiques.

Ainsi, les zones d’emploi où la sphère présentielle se développe le plus sont en général celles qui gagnent le plus de population entre 1982 et 2011, à l’image des zones de Rennes, Vitré et Vannes.

À l’inverse, dans la zone d'emploi de Carhaix-Plouguer qui perd de la population ou celles de Morlaix et Loudéac dont la population stagne, la progression de l’emploi dans la sphère présentielle est de 2 à 2,5 fois inférieure à la moyenne régionale.

Figure_6Les zones de Lannion et Redon enregistrent la plus forte progression dans la sphère présentielle

  • Lecture : En 2011, dans la zone d'emploi de Dinan, on compte 24 emplois pour 100 habitants contre 21 en 1982.
  • Source : Insee, recensements de la population

Dans quelques zones d’emploi, la croissance de l’emploi dans la sphère présentielle est plus importante que ne le laisserait prévoir l’évolution démographique : par exemple, dans celles de Lannion et Brest, l’emploi présentiel progresse respectivement de + 53 % et + 48 % malgré une faible augmentation de population (respectivement + 3 % et + 10 %), grâce à un développement important des services de santé-social et des services de proximité. Pour Lannion, la sphère présentielle rattrape en partie son retard initial, passant de 17 à 25 emplois pour 100 habitants entre 1982 et 2011.

Au contraire, dans la zone d’emploi de Dinan, la progression de l’emploi présentiel est faible au regard de leur évolution démographique (+ 31 % contre + 18 %).

La sphère présentielle, tirée par les fonctions de l’administration publique, de la santé et action sociale et des services de proximité

En Bretagne, comme en France de province, à l’exception notable du bâtiment, les effectifs augmentent dans toutes les fonctions de la sphère présentielle. Si les fonctions métropolitaines connaissent la plus forte augmentation relative avec + 112 % en moyenne entre 1982 et 2011, ce sont les fonctions présentielles et en particulier celles de la santé et de l’action sociale, des services de proximité et de l’administration publique, qui contribuent majoritairement au développement de la sphère présentielle dans toutes les zones d’emplois (figure 7). Dans celles de Carhaix-Plouguer, Guingamp ou Morlaix en proie à des difficultés d’emploi, ces 3 fonctions liées aux politiques publiques, sociales et fiscales ont joué un rôle d’amortisseur dans le sens où elles ont contribué à plus des 2/3 à la croissance de l’emploi présentiel.

Figure_7Augmentation de la part des emplois dans les services de proximité et la santé

  • Lecture : En 2011, la part des emplois dans la distribution est de 10 % contre 12 % en 1982.
  • Source : Insee, recensements de la population

En 2011, alors que la part de ces 3 fonctions est de 41 % dans l’emploi présentiel régional (contre 34 % en 1982), elle est supérieure à 44 % dans les zones d’emplois de Brest et Pontivy, cette zone étant, avec Ploërmel, celle où leur poids s’est le plus accru.

Des inflexions récentes dans les sphères productives et présentielles

Si on compare les périodes 1982-2006 et 2006-2011, la plus récente semble être porteuse d’autres types d’évolutions, voire d’inflexions. A l’instar de la France de province, la Bretagne n’a pas été épargnée par la crise mais résiste mieux. Le nombre d’emplois n’a augmenté que de + 0,6 % par an entre 2006 et 2011 (soit + 9 500 emplois/an) contre + 0,8 % entre 1982 et 2006 (soit + 7 200 emplois/an). Ces évolutions étaient respectivement de + 0,3 % et + 0,7 % en France de province. Les conséquences sont visibles, à la fois sur l’économie productive où la diminution d’emplois s’accélère (de – 0,2 % à – 0,4 %) et sur l’économie présentielle dont la croissance fléchit (de + 1,3 % à + 0,8 %).

Les zones d’emploi bretonnes réagissent de manière différente à la conjoncture et aux évolutions structurelles. Entre 1982 et 2006, 4 zones d’emplois (Guingamp, Carhaix-Plouguer, Morlaix, Fougères) perdaient déjà des emplois, cumulant une réduction des effectifs dans le productif, notamment dans la fabrication, et une moindre croissance dans l’emploi présentiel. Entre 2006 et 2011, l’emploi continue de se dégrader dans les zones d’emplois de Guingamp et Fougères, récemment rejointes par celles de Loudéac et Quimper. En revanche, il se maintient dans les zones de Carhaix-Plouguer et Morlaix. .

Les zones d’emplois les plus dynamiques sur la première période (Rennes, Vitré, Vannes, Saint-Malo et Ploërmel) s’essoufflent également sur la période récente. Au final, seules 5 zones d’emplois ont résisté (Pontivy, Dinan, Saint-Brieuc, Carhaix-Plouguer, Morlaix).

Au sein de la sphère productive, toutes les fonctions sont touchées par cette inflexion mais la plus concernée est la fonction de fabrication. La perte d’emplois annuelle passe de – 200 entre 1982 et 2006 à – 2 300 entre 2006 et 2011. Dans cette fonction, les zones d’emplois de Lannion et Loudéac s’en sortent mieux que les autres alors que celles de Ploërmel, Vannes et Redon ont plus subi la crise.

En revanche, les fonctions métropolitaines continuent à évoluer positivement, en particulier dans la zone d’emploi de Redon, notamment grâce aux prestations intellectuelles.

Au sein de la sphère présentielle, le ralentissement touche aussi bien les fonctions métropolitaines que les autres (hormis les fonctions productives). Pour les premières, seuls le commerce inter-entreprise et les prestations intellectuelles y échappent. Une nouvelle fois, la zone d’emploi de Redon se démarque grâce aux prestations intellectuelles et à la conception recherche. En ce qui concerne les autres fonctions présentielles, (santé, action sociale, administration publique et services de proximité), elles continuent de gagner des emplois mais à un rythme inférieur à celui de la période 1982-2006 sauf dans les zones d’emploi de Ploërmel, Pontivy et Fougères.

Définitions

Définitions :

Une zone d'emploi est un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l'essentiel de la main d'œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. Le découpage en zones d'emploi constitue une partition du territoire adaptée aux études locales sur le marché du travail. Le zonage définit aussi des territoires pertinents pour les diagnostics locaux et peut guider la délimitation de territoires pour la mise en œuvre des politiques territoriales initiées par les pouvoirs publics ou les acteurs locaux. Ce zonage est défini à la fois pour la France métropolitaine et les DOM. Le découpage actualisé se fonde sur les flux de déplacement domicile-travail des actifs observés lors du recensement de 2006.

La partition de l'économie en deux sphères, présentielle et productive (parfois dénommée sphère "non-présentielle"), permet de mieux comprendre les logiques de localisation des activités et de mettre en évidence le degré d'ouverture des systèmes productifs locaux. Elle permet aussi de fournir une grille d'analyse des processus d'externalisation et autres mutations économiques à l'œuvre dans les territoires.

La répartition de l'emploi est le plus souvent analysée selon un découpage sectoriel qui correspond à l'activité principale exercée par les établissements. L'approche par les fonctions est établie à partir de la profession occupée par les actifs. Les professions sont réparties en quinze fonctions, certaines d'entre elles interviennent dans les différentes étapes de la production, d'autres sont plutôt tournées vers les services à la population. Les fonctions exercées sont transversales par rapport aux secteurs d'activité. Elles sont également transversales par rapport au statut (salarié / non salarié, public / privé) et au niveau de qualification.

Sources :

Toutes les données sont issues des recensements de la population (exploitations complémentaires au lieu de travail).

Pour en savoir plus

Les cadres des fonctions métropolitaines en Bretagne : des emplois en forte augmentation depuis 30 ans/ Florence Le Bris; Insee Bretagne. - Dans : Insee Analyses Bretagne ; n° 5 (2014, sept.). - 4 p.

Emploi et population active entre 2006 et 2011 : Des dynamiques plus fortes dans l’aire urbaine rennaise d’abord, et dans les espaces littoraux ensuite / Laurent Auzet, Robert Granger; Insee Bretagne. - Dans : Insee Analyses Bretagne ; n° 1 (2014, juin). - 4 p.

Trente ans de mutations fonctionnelles de l'emploi dans les territoires / Robert Reynard, Pascal Vialette. Dans : Insee Première ; n° 1538 (2015, février). - 4 p.