Insee Première · Juin 2025 · n° 2057

Le compte de l’agriculture depuis 1980 : recul de l’élevage, recours accru au capital et aux services agricoles

Depuis 1980, la production de la branche agricole a été tirée par les productions végétales et les services agricoles, bien plus que par les productions animales. En début de période, sur les cinq années 1980 à 1984, les productions animales représentaient 42,8 % de la valeur de la production au prix de base. Quarante ans plus tard, sur les cinq années 2020 à 2024, leur part n’était plus que de 35,7 %. La part des productions végétales, de 52,2 % en 1980-1984, s’est élevée à 55,3 % en 2020-2024. La part des services agricoles – surtout les travaux agricoles – a plus que doublé sur l’ensemble de la période, passant de 3,2 % à 7,2 % (encadré 2). La production des jardins familiaux est restée stable, à 1,8 % de la valeur de la production en début comme en fin de période. Elle recouvre la production par les ménages non agriculteurs en fruits, légumes, pommes de terre et œufs.

Entre 1980-1984 et 2020-2024, la production végétale a augmenté de 36,0 % en volume, et son prix de 53,9 %. La hausse des prix résulte pour l’essentiel de la montée en gamme de la production viticole. Sous l’effet de politiques d’arrachages, la surface cultivée en vignes a reculé de 35,4 %, passant de 1 157 milliers d’hectares à 748 milliers. La production de vin est passée de 65,4 millions d’hectolitres par campagne en 1980-1984 à 42,9 millions en 2020-2024, soit une baisse de 34,4 %. Dans le même temps, la part des vins d’appellation est passée de 32,6 % à 56,0 % de la superficie du vignoble, et de 25,6 % à 43,1 % des quantités produites. La production de vin courant a tendanciellement baissé en volume, tandis que celle des vins d’appellation a progressé jusqu’en 2000 avant de reculer elle aussi (figure 1a). Conséquence de cette montée en gamme, le prix du vin a presque triplé, avec une hausse du même ordre pour les vins d’appellation et pour les vins courants (figure 1b). Ainsi, alors que le vin représentait 8,6 % de la production agricole en valeur en 1980-1984, sa part s’est élevée à 14,7 % en 2020-2024.

De même, les productions de fruits et légumes ont été tirées par l’élévation des prix. Les volumes de fruits ont augmenté de près d’un tiers jusqu’au début des années 2000, avant de retomber en fin de période près de leur niveau initial. Toutefois les prix ont plus que doublé, aussi les fruits représentent-ils 4,6 % de la production agricole en 2020-2024 contre 4,0 % en 1980-1984. La production de légumes a connu des évolutions analogues, mais de moindre ampleur : en volume, elle a progressé d’environ 20 % jusqu’au début des années 2000, puis est redescendue au niveau initial en fin de période. Bien que fort dynamiques depuis 2020, les prix des légumes se sont moins appréciés que ceux du vin et des fruits. De ce fait, les légumes représentent 4,8 % de la production agricole en 2020-2024, contre 5,6 % en 1980-1984.

Parmi les grandes cultures, la place des céréales a reculé au profit des oléagineux, dont la demande est stimulée par la multiplicité de leurs usages : huile pour l’alimentation humaine, alimentation animale et utilisations industrielles. La surface cultivée en oléagineux est passée de 505 milliers d’hectares au début des années 1980 à 2 194 milliers en 2020-2024. Leur production en volume a plus que triplé : la récolte de colza est passée de 1,1 million de tonnes en 1980-1984 à 3,9 millions en 2020-2024, et celle de tournesol de 0,6 million de tonnes à 1,8 million. À l’opposé, la surface cultivée en céréales a reculé de 7,5 %, passant de 9 628 milliers d’hectares en 1980-1984 à 8 909 milliers en 2020-2024. Les volumes de céréales se sont toutefois accrus de 40,9 % grâce à de meilleurs rendements. Les protéagineux désignent une variété de pois et autres plantes riches en protéines et principalement destinés à l’alimentation animale, ainsi que quelques légumes secs comme les lentilles ou pois chiches. Leur production avait très fortement augmenté dans les années 1980, puis s’est repliée, notamment après 2006, fonction pour partie des aides allouées à ces cultures.

Les prix des céréales, oléagineux et protéagineux suivent des évolutions proches. Ils ont baissé jusqu’en 2010 puis ont remonté moins vivement que les autres produits végétaux. Au total, le prix des céréales ne s’est apprécié que de 10,9 % entre 1980-1984 et 2020-2024. Les céréales ne représentent plus que 14,3 % de la production agricole en valeur, contre 18,0 % quarante ans plus tôt.

La production animale a baissé en volume de 2,8 % entre 1980-1984 et 2020-2024 (figure 2a). Ceci tient principalement au recul de l’élevage bovin. La production de gros bovins en volume a chuté de 19,9 % sur la période. Le cheptel, qui s’élevait à 23,4 millions de têtes en 1980-1984, est passé à 17,0 millions en 2020-2024. La production de veaux a baissé de 52,2 % en volume. Celle de lait de vache a diminué pendant la période des quotas (1984-2015), puis est remontée à un niveau qui reste légèrement inférieur à celui du début de période (23,3 millions de litres par an en 2020-2024, contre 24,6 millions en 1980-1984). Le nombre de vaches laitières est passé dans le même temps de 7,1 millions à 3,3 millions, mais la sélection des animaux, leur spécialisation laitière et l’enrichissement de leur alimentation ont permis une forte hausse des rendements.

La production de volailles a plus que doublé entre 1980 et la fin des années 1990, avant de diminuer dans les années 2000. Exprimée en tonnes équivalent carcasse (tec), elle était de 1,1 million en 1980 pour atteindre 2,3 millions en 1999, puis est revenue à 1,7 million en 2021, dernière année avant la grippe aviaire. La production d’œufs a augmenté de 17,8 % entre 1980-1984 et 2020-2024. Comme celle des volailles, la production de porcins a fortement augmenté jusqu’aux années 2000, s’est stabilisée jusqu’en 2010, mais diminue depuis. Elle était de 1,7 million de tec en 1980, de 2,2 millions en 2010, et de 2,1 millions en 2023. La production d’ovins et caprins a quant à elle chuté de moitié.

Dans ce contexte de tension sur l’offre et d’une demande croissante au niveau mondial, les prix des produits animaux ont augmenté de 69,6 % entre 1980-1984 et 2020-2024. La hausse a atteint 23,1 % pour la seule année 2022 (figure 2b). Sur l’ensemble de la période, le prix des porcins augmente de 16,0 % et celui des volailles de 40,1 %. Les produits de l’élevage bovin se renchérissent davantage : +73,3 % pour les veaux, + 87,0 % pour les bovins, +85,8 % pour le lait. Le prix des œufs fait plus que doubler (+109,0 %), sous l’effet d’une hausse exceptionnelle en 2022 (+70,0 %). Celui des ovins et caprins s’élève continûment, de 109,7 % au total.

L’augmentation de la production s’est effectuée par un recours croissant au capital, alors que l’emploi a fortement diminué. Depuis 1980, l’emploi en équivalent temps plein (ETP) a chuté de près de 1,3 million d’ETP, soit une baisse de 63,8 %, pour atteindre 721 500 ETP en 2024. La baisse est de 75,6 % pour l’emploi non salarié, en raison de la concentration des exploitations et de la baisse des emplois non-salariés familiaux. L’emploi salarié n’a reculé que de 8,9 %. De ce fait, les salariés fournissent 44,6 % des ETP en 2024, contre 17,7 % en 1980.

Dans le même temps, l’agriculture mobilise davantage de capital. Depuis 1980, le taux d’investissement qui était de 21,6 % en 1980-1984 s’est élevé, particulièrement à partir de la seconde moitié des années 2000, et atteint 30,4 % en 2020-2024. Sur ces cinq dernières années, l’investissement est consacré à 53,6 % à l’achat de machines agricoles, 21,2 % de bâtiments, 12,0 % d’autres équipements, 8,8 % de produits agricoles et 4,5 % de services professionnels (pour la plupart liés aux transferts de terrains). Du fait de l’usure du matériel, la consommation de capital fixe est également élevée et suit les cycles de l’investissement. Son taux qui était de 18,6 % en 1980-1984 est passé à 27,8 % en 2020-2024.

L’évolution des productions et le recours croissant au capital modifient la structure des consommations intermédiaires. Parmi elles, la part des services de travaux agricoles a pratiquement doublé, passant de 6,0 % en 1980-1984 à 11,6 % en 2020-2024. L’entretien du matériel est le deuxième poste qui s’accroît le plus, passant de 7,2 % à 10,4 % des dépenses, tiré par le renchérissement continu de son prix. Les aliments pour animaux restent le premier poste, mais leur part a reculé, de 39,0 % à 31,8 %, sous l’effet de la baisse du cheptel. Le volume des dépenses vétérinaires régresse lui aussi depuis la fin des années 2000. La part des engrais est passée de 12,6 % à 7,9 %, et ce en dépit de la hausse exceptionnelle de leur prix en 2022 (+82,1 %). En effet, après une très forte augmentation jusqu’au premier choc pétrolier, les livraisons d’engrais diminuent depuis 1980, avec une baisse en volume estimée à 48,7 % sur la période. En revanche, les produits de protection des cultures sont, après les services, le poste le plus dynamique en volume (+59,1 %). Les dépenses énergétiques ont reflué en volume (-3,6 %), mais leur prix s’est fortement renchéri en 2021 (+18,3 %) et 2022 (+41,5 %). Leur poids s’est donc alourdi, passant de 8,1 % des consommations intermédiaires en 1980-1984 à 9,3 % en 2020-2024.

Les indicateurs de productivité couramment utilisés dans l’agriculture prennent en compte l’ensemble des subventions, compte tenu du rôle de celles-ci et de leur évolution au fil du temps. En 2020-2024, la part des subventions dans le chiffre d’affaires de l’agriculture (valeur de la production à laquelle on ajoute l’ensemble des subventions) s’élève à 10,2 %. Elle était de 4,0 % en 1980-1984, période où le soutien à l’agriculture s’effectuait essentiellement au moyen de prix garantis. En 1992, une première réforme de la politique agricole commune (PAC) a remplacé les prix garantis par des subventions, aussi celles-ci ont triplé entre 1991 et 1994. De 1992 à 2005, les subventions étaient composées pour 74,2 % de leurs montants par des subventions aux produits, et pour 25,8 % par des subventions d’exploitation. À compter de 2006, une nouvelle réforme a été mise en œuvre pour découpler les aides de la production. Ainsi, de 2006 à 2024, les subventions aux produits ne représentent plus que 15,2 % des montants, contre 84,8 % pour les subventions d’exploitation.

Entre 1980-1984 et 2020-2024, la production au prix de base en valeur a augmenté de 97,1 %, moins rapidement que les consommations intermédiaires (+125,3 %). La valeur ajoutée brute s’est accrue de 66,3 % et, en prenant en compte les subventions d’exploitation et les impôts à la production, la valeur ajoutée brute au coût des facteurs (VABCF) a progressé de 92,0 %. En 2020-2024, la VABCF annuelle par actif s’élève à 60 600 euros.

En termes réels, par rapport aux prix de l’ensemble des biens et services produits en France, la VABCF a suivi des évolutions contrastées. Elle a reculé jusqu’au milieu des années 2000, comme les prix des produits agricoles augmentaient moins vite que ceux des consommations intermédiaires et de l’ensemble des produits et services. Avec la forte baisse de l’emploi agricole, la VABCF par actif en termes réels augmente de façon tendancielle, mais avec des périodes de stabilité dans les années 1980 et la première moitié des années 2000 (figure 3). Après 2010, le rattrapage des prix agricoles permet une hausse prononcée de la VABCF par actif en termes réels. Les mouvements de prix génèrent un pic sur les quatre dernières années : celles-ci sont marquées par une forte hausse en 2021 et 2022, suivie d’une retombée en 2023 et 2024, avec pour 2024 l’effet supplémentaire de mauvaises vendanges et récoltes de céréales. Le résultat par actif non salarié en termes réels suit des évolutions similaires.