Insee Analyses ·
Juin 2025 · n° 110
L’effet de la parentalité sur le taux d’activité des mères immigrées et descendantes
d’immigrées ne dépend pas de leur opinion sur les inégalités de genre sur le marché
du travail
« Êtes-vous d’accord avec cette affirmation : quand il y a peu de travail, les hommes ont plus droit à un emploi que les femmes ». Cette question, posée dans plusieurs enquêtes statistiques mesurant les croyances et attitudes des personnes, permet de révéler les opinions quant aux inégalités de genre et de mieux comprendre les décisions de participation au marché du travail.
En France métropolitaine en 2019-2020, 70 % des femmes qui ont eu des enfants répondent « pas du tout d'accord » à cette proposition, et cette proportion est la même parmi les immigrées et descendantes d'immigrés que dans le reste de la population sans ascendance migratoire directe.
Parmi les immigrées et descendantes d'immigrés, les femmes ayant eu des enfants et qui s'opposent totalement à l'idée de privilégier l'emploi masculin, et dont on infère qu'elles ont des conceptions plutôt égalitaires du marché du travail, ont effectivement un taux d'activité nettement plus élevé que les autres tout au long de leur vie, de l’ordre de 10 points après 35 ans.
Mais les comportements dans les années qui suivent la naissance du premier enfant montrent un décrochage du taux d'activité des mères par rapport à celui des pères, du même ordre de grandeur quelles que soient les opinions déclarées, soit 15 points sur 10 ans.
Ainsi, les opinions quant aux inégalités de genre ont bien une influence sur la participation au marché du travail, mais ne jouent apparemment pas sur la façon de concilier vie professionnelle et parentalité.
- La majorité des immigrés et descendants d’immigrés ne souhaite pas privilégier l’emploi masculin par rapport à l’emploi féminin
- Parmi les immigrées et descendantes d’immigrés, les mères aux opinions moins égalitaires ont un taux d'activité inférieur à celui des autres mères à partir de 24 ans
- Le taux d'activité des mères diminue sensiblement du fait de l'arrivée des enfants
- Parmi les immigrées et descendantes d’immigrés, le décrochage du taux d'activité des mères n'est pas plus prononcé pour celles dont les opinions sont les plus traditionnelles
- Une baisse similaire du taux d'activité des mères immigrées ou descendantes d’immigrés, que leur éducation ait été conservatrice ou non
- Encadré – La contribution de la vie familiale aux inégalités de genre
La majorité des immigrés et descendants d’immigrés ne souhaite pas privilégier l’emploi masculin par rapport à l’emploi féminin
En France métropolitaine en 2019-2020, lorsqu'elles sont interrogées sur leur opinion quant à l'affirmation « Quand il y a peu de travail, les hommes ont plus le droit à un emploi que les femmes », sept femmes âgées de 25 à 59 ans sur dix qui ont eu des enfants s'estiment « Pas du tout d'accord », tandis que les trois restantes se disent « Plutôt pas d'accord », « D'accord » ou « Tout à fait d'accord ». Ces réponses permettent de distinguer deux groupes. Le premier rassemble les personnes résolument opposées à l’idée de privilégier l’emploi masculin vis-à-vis de l’emploi féminin, et qui peuvent être considérées comme adhérant à une vision plus égalitaire des normes de genre. Le second regroupe les personnes pour lesquelles cette opposition est moins franche, ou inexistante, et qui peuvent être considérées comme souscrivant à des opinions plus conservatrices à cet égard. Ces proportions sont les mêmes entre les immigrées, les descendantes d'immigrés et les femmes sans ascendance migratoire directe. De leur côté, moins de sept hommes immigrés ayant eu des enfants sur dix s'estiment « Pas du tout d'accord » avec cette affirmation, et trois sur quatre parmi ceux descendants d’immigrés ou sans ascendance migratoire directe. Les réponses à cette question, posée dans des enquêtes mesurant l’opinion des personnes, en France et à l’étranger, constituent un révélateur précieux des attitudes quant aux inégalités de genre. Au niveau international, les pays dans lesquels se trouver en accord avec cette affirmation est plus fréquent sont aussi ceux où les écarts de participation au marché du travail entre femmes et hommes sont les plus élevés [Ouvrir dans un nouvel ongletFortin, 2005 ; Ouvrir dans un nouvel ongletMoriconi, Rodríguez-Planas, 2021].
À partir des réponses à cette question, cette étude cherche à prolonger cette analyse en proposant une comparaison des trajectoires professionnelles des parents vivant en France métropolitaine en 2019-2020 selon leurs opinions quant aux inégalités de genre sur le marché du travail. Son champ est restreint aux immigrés et descendants d'immigrés : ce choix est fait dans de nombreux travaux portant sur la contribution de la culture aux décisions d'offre de travail et de fécondité, et est également motivé par des considérations méthodologiques liées à la sous-représentation des personnes sans ascendance migratoire directe dans l'échantillon de l'enquête Trajectoires et origines 2 (TeO2) mobilisée pour cette étude (méthodes). L’étude s'inscrit dans une littérature riche qui met en évidence l'importante contribution de la vie familiale à ces inégalités sur le marché du travail (encadré). Plus précisément, elle cherche à mieux comprendre la corrélation entre les opinions sur les inégalités de genre et les inégalités effectivement observées sur le marché du travail. À ce titre, elle se demande si les femmes dont les opinions peuvent être considérées comme plus conservatrices et moins égalitaires (i.e. qui ne répondent pas « Pas du tout d’accord » à la question analysée) se retirent davantage du marché du travail que les autres du fait de leurs responsabilités familiales.
Parmi les immigrées et descendantes d’immigrés, les mères aux opinions moins égalitaires ont un taux d'activité inférieur à celui des autres mères à partir de 24 ans
Les niveaux d'activité des femmes immigrées et descendantes d’immigrés ayant eu un enfant sont inférieurs à ceux de leurs homologues masculins à tous les âges à partir de 20 ans (figure 1). Cependant, les trajectoires professionnelles divergent nettement entre celles dont les opinions sont plus conservatrices, et moins égalitaires, et les autres. Avant l'âge de 25 ans, l'entrée sur le marché du travail semble se faire à un rythme très similaire, quelles que soient les opinions, mais l'écart se creuse ensuite rapidement entre les deux groupes. À partir de 30 ans, le taux d'activité des femmes immigrées et descendantes d’immigrés dont les opinions sont plus conservatrices et moins égalitaires atteint un plateau, et fluctue entre 65 % et 70 %. Au contraire, celui des femmes dont les opinions apparaissent plus égalitaires continue à progresser jusqu'à 80 %, quoique plus lentement que dans la phase d'insertion dans l'emploi. L'écart entre les deux groupes est estimé à plus de 10 points à partir de 35 ans.
tableauFigure 1 – Taux d'activité des parents immigrés ou descendants d'immigrés selon les opinions vis-à-vis des inégalités de genre
Âge atteint dans l'année | Femmes | Hommes | ||
---|---|---|---|---|
Opinions moins conservatrices | Opinions plus conservatrices | Opinions moins conservatrices | Opinions plus conservatrices | |
15 | 1,0 | 2,2 | 2,1 | 3,6 |
16 | 4,0 | 8,0 | 5,9 | 10,3 |
17 | 8,6 | 13,1 | 15,8 | 26,9 |
18 | 21,4 | 23,3 | 27,5 | 41,2 |
19 | 29,6 | 32,4 | 35,7 | 49,4 |
20 | 37,3 | 41,2 | 44,8 | 56,9 |
21 | 45,6 | 48,6 | 53,4 | 62,1 |
22 | 52,3 | 55,0 | 61,1 | 66,8 |
23 | 59,3 | 59,5 | 69,1 | 74,1 |
24 | 63,5 | 60,7 | 74,6 | 79,6 |
25 | 66,2 | 62,3 | 80,3 | 83,9 |
26 | 68,7 | 63,3 | 82,8 | 86,4 |
27 | 71,5 | 66,0 | 85,3 | 86,1 |
28 | 71,6 | 65,8 | 87,7 | 87,7 |
29 | 72,7 | 67,8 | 89,0 | 87,4 |
30 | 73,2 | 67,4 | 89,7 | 90,6 |
31 | 73,1 | 68,8 | 90,3 | 89,8 |
32 | 74,1 | 68,5 | 89,3 | 89,7 |
33 | 74,1 | 67,2 | 90,3 | 88,8 |
34 | 76,0 | 66,6 | 89,7 | 90,4 |
35 | 76,6 | 65,7 | 90,7 | 89,0 |
36 | 78,1 | 67,0 | 90,4 | 88,4 |
37 | 77,5 | 65,5 | 90,1 | 88,0 |
38 | 76,9 | 66,5 | 89,1 | 88,5 |
39 | 76,2 | 64,9 | 90,4 | 88,7 |
40 | 78,1 | 68,1 | 88,8 | 87,2 |
41 | 77,6 | 66,1 | 89,5 | 86,6 |
42 | 78,2 | 67,9 | 88,5 | 86,5 |
43 | 76,5 | 68,2 | 88,6 | 86,2 |
44 | 80,0 | 68,8 | 87,5 | 88,6 |
45 | 80,2 | 69,3 | 88,0 | 86,9 |
46 | 80,0 | 69,1 | 87,3 | 87,7 |
47 | 81,1 | 63,4 | 87,5 | 84,8 |
48 | 75,7 | 66,3 | 88,2 | 86,7 |
49 | 78,6 | 63,8 | 86,8 | 82,4 |
50 | 79,9 | 62,9 | 85,3 | 83,6 |
- Notes : Le taux d'activité est estimé tout au long du cycle de vie à partir du calendrier rétrospectif d'activité, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine.
- Lecture : À 35 ans, le taux d'activité des mères immigrées ou descendantes d'immigrés qui se déclarent « pas du tout d'accord » avec l'affirmation « Quand il y a peu de travail, les hommes ont plus le droit à un emploi que les femmes » (c’est-à-dire ayant des opinions qualifiées de moins conservatrices) s'élève à 76,6 %, contre 65,7 % pour celles qui choisissent une autre réponse (c’est-à-dire ayant des opinions qualifiées de plus conservatrices).
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 1 – Taux d'activité des parents immigrés ou descendants d'immigrés selon les opinions vis-à-vis des inégalités de genre

- Notes : Le taux d'activité est estimé tout au long du cycle de vie à partir du calendrier rétrospectif d'activité, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine.
- Lecture : À 35 ans, le taux d'activité des mères immigrées ou descendantes d'immigrés qui se déclarent « pas du tout d'accord » avec l'affirmation « Quand il y a peu de travail, les hommes ont plus le droit à un emploi que les femmes » (c’est-à-dire ayant des opinions qualifiées de moins conservatrices) s'élève à 76,6 %, contre 65,7 % pour celles qui choisissent une autre réponse (c’est-à-dire ayant des opinions qualifiées de plus conservatrices).
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
Pour les hommes immigrés et descendants d'immigrés ayant eu au moins un enfant au cours de leur vie, le taux d'activité, y compris les périodes de recherche d'emploi, est faible avant 20 ans, et augmente avec l'âge jusqu'à environ 30 ans, ce qui correspond essentiellement à la période des études et de l'insertion professionnelle. Il est légèrement plus élevé au long de cette période pour ceux dont les opinions sont plus conservatrices. Cela peut s'expliquer par une scolarité légèrement plus courte, et donc une entrée sur le marché du travail en moyenne un peu plus précoce pour ceux dont les opinions sont moins égalitaires. Il se stabilise légèrement en dessous de 90 % vers l'âge de 30 ans, et ne varie alors presque plus, quelles que soient les opinions.
Parce que les trajectoires d'activité des hommes sont très semblables, quelles que soient leurs opinions, tandis que des différences notables apparaissent chez les femmes, les écarts de taux d'activité entre les sexes dépendent des opinions quant aux inégalités de genre. À 35 ans, cet écart est supérieur de 9 points parmi les immigrés et descendants d'immigrés dont les opinions sont plus conservatrices et moins égalitaires que parmi les autres. Cela suggère que le modèle de division familiale du travail, dans lequel la femme reste au foyer et ne participe pas au marché du travail, est plus fréquent dans ce groupe que dans l'autre.
Le taux d'activité des mères diminue sensiblement du fait de l'arrivée des enfants
Au moment de l'arrivée de leur premier enfant, et comparativement à une situation hypothétique dans laquelle elles n'auraient pas d'enfant, le taux d'activité des mères immigrées et descendantes d'immigrés diminue substantiellement et l'effet persiste tout au long des dix années qui suivent cet événement (figure 2) (méthodes). Au contraire, l'activité professionnelle des pères est très peu affectée par l'arrivée des enfants. Ainsi, en référence à la situation fictive dans laquelle ils n'auraient pas d'enfants, le décrochage du taux d'activité des mères est, en moyenne, 15 points plus élevé que pour les pères. Ce décrochage brutal ne concerne pas seulement les mères immigrées ou descendantes d’immigrés [Meurs, Pora, 2019], et est cohérent avec les estimations de l'effet négatif de la parentalité sur les trajectoires professionnelles des mères conduites à partir d'autres sources ou dans d'autres pays (encadré).
tableauFigure 2 – Effet moyen de la parentalité sur l'activité professionnelle des parents selon la durée écoulée depuis la naissance
Années depuis la naissance du premier enfant | Femmes | Hommes | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | |
-5 | 3,1 | 5,7 | 0,5 | 2,6 | 2,1 | 4,2 | 0,0 | 2,1 |
-4 | 5,0 | 7,2 | 2,7 | 2,3 | 1,4 | 3,0 | -0,2 | 1,6 |
-3 | 2,6 | 4,3 | 0,8 | 1,8 | 0,4 | 1,4 | -0,5 | 0,9 |
-2 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 |
-1 | -8,2 | -6,3 | -10,2 | 2,0 | -0,2 | 1,0 | -1,3 | 1,1 |
0 | -19,2 | -16,8 | -21,6 | 2,4 | -2,9 | -1,3 | -4,5 | 1,6 |
1 | -19,8 | -17,1 | -22,5 | 2,7 | -3,3 | -1,6 | -5,0 | 1,7 |
2 | -20,8 | -17,7 | -23,8 | 3,0 | -4,1 | -2,1 | -6,1 | 2,0 |
3 | -21,6 | -18,1 | -25,0 | 3,5 | -4,2 | -2,0 | -6,4 | 2,2 |
4 | -20,5 | -17,2 | -23,9 | 3,4 | -5,7 | -3,6 | -7,9 | 2,2 |
5 | -21,2 | -17,9 | -24,5 | 3,3 | -4,7 | -2,1 | -7,3 | 2,6 |
6 | -20,5 | -16,3 | -24,7 | 4,2 | -5,3 | -1,9 | -8,7 | 3,4 |
7 | -19,9 | -15,7 | -24,1 | 4,2 | -5,6 | -2,9 | -8,3 | 2,7 |
8 | -20,0 | -15,2 | -24,7 | 4,7 | -5,8 | -3,2 | -8,4 | 2,6 |
9 | -18,7 | -13,5 | -23,9 | 5,2 | -6,4 | -3,4 | -9,5 | 3,1 |
10 | -19,0 | -13,7 | -24,4 | 5,4 | -7,2 | -4,2 | -10,1 | 2,9 |
- Notes : L'estimation porte sur les effets tout au long du cycle de vie, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine. L’intervalle de confiance à 95 % est estimé en considérant des clusters définis au niveau de chaque parent.
- Lecture : Cinq ans après l'arrivée de leur premier enfant, la parentalité diminue le taux d'activité des femmes de 21,2 % en moyenne, contre 4,7 % pour les hommes, soit un écart de 16,5 points.
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 2 – Effet moyen de la parentalité sur l'activité professionnelle des parents selon la durée écoulée depuis la naissance

- Notes : L'estimation porte sur les effets tout au long du cycle de vie, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine. Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %, estimé en considérant des clusters définis au niveau de chaque parent.
- Lecture : Cinq ans après l'arrivée de leur premier enfant, la parentalité diminue le taux d'activité des femmes de 21,2 % en moyenne, contre 4,7 % pour les hommes, soit un écart de 16,5 points.
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
L'ampleur de la différence entre femmes et hommes de ces effets de la parentalité sur l'activité est cohérente avec les écarts de taux d'activité entre sexes après 30 ans, qui est d‘environ 20 points dans le groupe des immigrés et descendants d'immigrés dont les opinions sont plus conservatrices et moins égalitaires, et de 12 points chez les autres. Cette concordance des ordres de grandeur suggère que le plus gros des écarts d'activité entre femmes et hommes est bien le résultat de responsabilités familiales différentes entre les sexes, comme c'est le cas dans la plupart des pays développés [Ouvrir dans un nouvel ongletKleven et al., 2023]. La question est à présent de savoir si l'écart de participation entre les sexes, plus élevé chez les immigrés et descendants d'immigrés dont les opinions sont plus conservatrices, reflète un retrait plus fréquent du marché du travail pour celles-ci du fait de leurs responsabilités parentales.
Parmi les immigrées et descendantes d’immigrés, le décrochage du taux d'activité des mères n'est pas plus prononcé pour celles dont les opinions sont les plus traditionnelles
Alors que l'intuition suggère que les mères dont les opinions quant aux inégalités de genre sont plus conservatrices et moins égalitaires se retireraient davantage du marché du travail que les autres du fait de leurs responsabilités familiales, il n'en est rien (figure 3). Le décrochage observé du taux d'activité des mères lié à l'arrivée des enfants ne dépend pas de leurs opinions quant aux inégalités de genre : l'effet est pratiquement le même dans les deux groupes. Cet écart, mesuré relativement à l'effet de la parentalité pour les hommes, est de l'ordre de 14 à 15 points de pourcentage, et la différence entre les deux groupes n'est pas statistiquement significative.
tableauFigure 3 – Effet de la parentalité sur l'activité professionnelle des parents selon les opinions vis-à-vis des inégalités de genre
Années depuis la naissance du premier enfant | Femmes | Hommes | ||||||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Opinions moins conservatrices | Opinions plus conservatrices | Opinions moins conservatrices | Opinions plus conservatrices | |||||||||||||
Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | |
-5 | 1,3 | 4,1 | -1,4 | 2,8 | 5,1 | 9,5 | 0,7 | 4,4 | 2,4 | 4,7 | 0,2 | 2,2 | 2,9 | 5,8 | 0,0 | 2,9 |
-4 | 3,5 | 6,5 | 0,4 | 3,1 | 7,1 | 10,7 | 3,6 | 3,5 | 1,1 | 2,5 | -0,3 | 1,4 | 1,9 | 4,3 | -0,5 | 2,4 |
-3 | 2,2 | 4,0 | 0,4 | 1,8 | 2,5 | 5,4 | -0,3 | 2,9 | 0,3 | 1,8 | -1,2 | 1,5 | 0,8 | 2,8 | -1,2 | 2,0 |
-2 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 |
-1 | -7,8 | -5,6 | -10,0 | 2,2 | -9,4 | -5,7 | -13,0 | 3,6 | -0,1 | 1,0 | -1,3 | 1,2 | -0,2 | 1,8 | -2,1 | 2,0 |
0 | -17,8 | -14,9 | -20,7 | 2,9 | -20,9 | -16,1 | -25,8 | 4,9 | -2,1 | -0,4 | -3,8 | 1,7 | -1,8 | 1,5 | -5,0 | 3,2 |
1 | -18,0 | -14,7 | -21,2 | 3,2 | -20,1 | -15,4 | -24,7 | 4,7 | -3,4 | -0,8 | -6,0 | 2,6 | -0,7 | 2,9 | -4,2 | 3,6 |
2 | -18,2 | -15,5 | -21,0 | 2,8 | -21,9 | -17,0 | -26,8 | 4,9 | -2,6 | -0,4 | -4,9 | 2,3 | -2,8 | 0,9 | -6,4 | 3,6 |
3 | -20,4 | -17,2 | -23,5 | 3,1 | -19,7 | -14,7 | -24,7 | 5,0 | -2,4 | 0,4 | -5,1 | 2,8 | -1,7 | 2,9 | -6,3 | 4,6 |
4 | -17,5 | -13,8 | -21,2 | 3,7 | -18,6 | -12,6 | -24,7 | 6,0 | -3,3 | 0,2 | -6,8 | 3,5 | -3,1 | 1,6 | -7,8 | 4,7 |
5 | -18,5 | -15,3 | -21,6 | 3,1 | -16,6 | -8,1 | -25,0 | 8,5 | -3,2 | 0,5 | -6,9 | 3,7 | -2,7 | 1,3 | -6,8 | 4,1 |
6 | -18,6 | -14,6 | -22,6 | 4,0 | -17,6 | -8,5 | -26,6 | 9,1 | -3,6 | 0,1 | -7,3 | 3,7 | -5,6 | 1,3 | -12,6 | 6,9 |
7 | -18,4 | -13,2 | -23,7 | 5,2 | -15,0 | -5,2 | -24,8 | 9,8 | -2,8 | 1,3 | -7,0 | 4,1 | -2,7 | 2,8 | -8,3 | 5,6 |
8 | -18,1 | -13,0 | -23,1 | 5,1 | -13,3 | -4,1 | -22,6 | 9,3 | -3,8 | 0,5 | -8,0 | 4,3 | -2,9 | 3,1 | -8,9 | 6,0 |
9 | -14,8 | -7,6 | -22,0 | 7,2 | -12,9 | 0,0 | -25,8 | 12,9 | -4,6 | 0,5 | -9,7 | 5,1 | -2,5 | 5,2 | -10,3 | 7,8 |
10 | -14,7 | -8,4 | -20,9 | 6,2 | -11,0 | 3,6 | -25,7 | 14,6 | -7,1 | -2,7 | -11,6 | 4,4 | 0,6 | 8,0 | -6,8 | 7,4 |
- Notes : L'estimation porte sur les effets tout au long du cycle de vie, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine. Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %, estimé en considérant des clusters définis au niveau de chaque parent.
- Lecture : Cinq ans après l'arrivée de leur premier enfant, la parentalité diminue le taux d'activité des femmes aux opinions les plus conservatrices de 16,6 % en moyenne, contre 18,5 % pour les femmes aux opinions les moins conservatrices. Cette différence n'est pas statistiquement significative.
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 3 – Effet de la parentalité sur l'activité professionnelle des parents selon les opinions vis-à-vis des inégalités de genre

- Notes : L'estimation porte sur les effets tout au long du cycle de vie, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine. Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %, estimé en considérant des clusters définis au niveau de chaque parent.
- Lecture : Cinq ans après l'arrivée de leur premier enfant, la parentalité diminue le taux d'activité des femmes aux opinions les plus conservatrices de 16,6 % en moyenne, contre 18,5 % pour les femmes aux opinions les moins conservatrices. Cette différence n'est pas statistiquement significative.
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
Ce résultat surprenant ne s'explique pas par des différences d'âge, d'éducation, de lien à la migration, c’est-à-dire du fait d’être immigré ou descendant d’immigré, ou d’exposition aux discriminations sur le marché du travail (méthodes). Il implique que la divergence des taux d'activité entre les femmes dont les opinions sont plus conservatrices et moins égalitaires et les autres ne survient pas particulièrement au moment de l'entrée dans la parentalité, ni du fait des responsabilités familiales. Cela signifie aussi que si les effets de la parentalité sur l'activité professionnelle étaient annulés, par exemple dans la situation hypothétique où les parents n'auraient pas d'enfant, les écarts de taux d'activité entre femmes et hommes seraient certes plus faibles qu'ils ne le sont, mais resteraient bien plus élevés chez les immigrés et descendants d'immigrés dont les opinions sont plus conservatrices et moins égalitaires.
Une baisse similaire du taux d'activité des mères immigrées ou descendantes d’immigrés, que leur éducation ait été conservatrice ou non
La comparaison précédente repose sur les opinions déclarées en 2019-2020, au moment de la passation de l'enquête TeO2. Celle-ci peut survenir de nombreuses années après l'arrivée du premier enfant, et donc aussi longtemps après les décisions d'activité étudiées. Or les opinions individuelles peuvent évoluer au cours du temps, notamment si elles reflètent l'expérience d'une certaine organisation familiale ou d'une certaine trajectoire professionnelle. Les données disponibles ne permettent cependant pas de connaître les opinions des immigrés et descendants d'immigrés sur les inégalités de genre au moment de l'arrivée de leur premier enfant et au cours des années qui suivent.
Pour pallier cette limite, on peut s'intéresser à l'éducation reçue et à l'environnement familial pendant l'enfance, plus ou moins propice au développement d'opinions plus conservatrices ou plus favorables à l’égalité femmes-hommes, et qui ont en partie déterminé les opinions actuelles (méthodes). Cela permet de construire deux groupes, à partir de questions posées aux répondants de l’enquête TeO2. L'un des groupes est constitué des personnes ayant reçu une éducation plus conservatrice et moins égalitaire, l'autre moins conservatrice et plus égalitaire. Ces types d'éducation ne sont pas le produit de décisions de fécondité et d'offre de travail puisque celles-ci sont prises beaucoup plus tard dans le temps, mais sont très corrélés avec les opinions sur les inégalités de genre déclarées en 2019-2020. De la sorte, cette comparaison permet de clarifier l'interprétation causale de l'effet des opinions quant aux inégalités de genre.
De la même façon que lorsque la comparaison porte sur les opinions déclarées en 2019-2020, le décrochage du taux d’activité des mères du fait de la parentalité ne dépend pas de l’éducation qu’elles ont reçue dans leurs jeunes années (figure 4). Dans les deux groupes, l’ordre de grandeur de ce décrochage sur les dix premières années après l’arrivée du premier enfant est de 16 à 17 points de pourcentage relativement aux trajectoires des hommes du même groupe, et les différences entre les deux groupes ne sont pas statistiquement significatives.
tableauFigure 4 – Effet de la parentalité sur l'activité professionnelle des parents selon l'éducation reçue pendant leur enfance
Années depuis la naissance du premier enfant | Femmes | Hommes | ||||||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Éducation moins conservatrice | Éducation plus conservatrice | Éducation moins conservatrice | Éducation plus conservatrice | |||||||||||||
Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | Effet moyen de la parentalité | Borne supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Borne inférieure de l'intervalle de confiance à 95 % | Amplitude de l'intervalle de confiance à 95 % | |
-5 | 4,5 | 9,9 | -1,0 | 5,4 | 1,7 | 8,4 | -5,0 | 6,7 | 3,0 | 6,8 | -0,8 | 3,8 | 1,4 | 4,0 | -1,2 | 2,6 |
-4 | 4,6 | 8,3 | 1,0 | 3,6 | 5,5 | 10,8 | 0,3 | 5,2 | 2,6 | 4,4 | 0,9 | 1,7 | -0,5 | 1,8 | -2,7 | 2,3 |
-3 | 2,8 | 5,7 | 0,0 | 2,9 | 3,3 | 6,5 | 0,2 | 3,1 | 1,1 | 2,8 | -0,6 | 1,7 | -0,6 | 1,1 | -2,3 | 1,7 |
-2 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 |
-1 | -8,3 | -4,7 | -11,9 | 3,6 | -8,6 | -4,4 | -12,8 | 4,2 | -0,1 | 1,6 | -1,8 | 1,7 | 1,0 | 2,5 | -0,5 | 1,5 |
0 | -19,3 | -15,6 | -23,0 | 3,7 | -18,8 | -15,4 | -22,1 | 3,4 | -2,2 | 0,6 | -4,9 | 2,8 | -1,3 | 2,0 | -4,6 | 3,3 |
1 | -20,8 | -15,8 | -25,9 | 5,1 | -17,5 | -13,0 | -22,0 | 4,5 | -2,8 | -0,6 | -5,1 | 2,2 | -1,1 | 1,9 | -4,1 | 3,0 |
2 | -21,1 | -16,8 | -25,3 | 4,3 | -17,1 | -12,7 | -21,5 | 4,4 | -4,0 | -1,1 | -6,8 | 2,9 | 0,2 | 3,5 | -3,0 | 3,2 |
3 | -21,8 | -16,1 | -27,5 | 5,7 | -19,1 | -13,1 | -25,1 | 6,0 | -2,1 | 0,9 | -5,1 | 3,0 | -0,8 | 2,9 | -4,6 | 3,8 |
4 | -19,9 | -14,2 | -25,5 | 5,6 | -16,6 | -10,5 | -22,6 | 6,0 | -3,2 | 1,1 | -7,4 | 4,2 | -2,0 | 2,6 | -6,6 | 4,6 |
5 | -19,3 | -13,2 | -25,4 | 6,1 | -19,4 | -12,8 | -25,9 | 6,6 | -2,6 | 1,2 | -6,5 | 3,8 | -1,5 | 2,9 | -6,0 | 4,4 |
6 | -20,1 | -13,7 | -26,6 | 6,5 | -18,1 | -11,4 | -24,8 | 6,7 | -2,5 | 3,0 | -7,9 | 5,5 | -2,8 | 2,2 | -7,8 | 5,0 |
7 | -20,1 | -13,5 | -26,7 | 6,6 | -18,6 | -10,4 | -26,9 | 8,3 | -2,6 | 3,8 | -8,9 | 6,3 | -1,8 | 4,0 | -7,5 | 5,8 |
8 | -19,7 | -12,2 | -27,2 | 7,5 | -17,0 | -8,8 | -25,1 | 8,2 | -3,5 | 2,4 | -9,5 | 6,0 | -2,4 | 2,3 | -7,1 | 4,7 |
9 | -19,6 | -12,0 | -27,3 | 7,7 | -16,0 | -8,7 | -23,4 | 7,4 | -4,7 | 2,3 | -11,8 | 7,1 | -3,1 | 1,7 | -8,0 | 4,8 |
10 | -19,7 | -10,3 | -29,2 | 9,5 | -16,9 | -7,0 | -26,8 | 9,9 | -4,9 | 1,9 | -11,7 | 6,8 | -4,2 | 1,9 | -10,3 | 6,1 |
- Notes : L'estimation porte sur les effets tout au long du cycle de vie, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine. Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %, estimé en considérant des clusters définis au niveau de chaque parent.
- Lecture : Cinq ans après l'arrivée de leur premier enfant, la parentalité diminue le taux d'activité des femmes ayant reçu une éducation plus conservatrice de 19,4 % en moyenne, contre 19,3 % pour les femmes ayant reçu une éducation moins conservatrice. Cette différence n'est pas statistiquement significative.
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
graphiqueFigure 4 – Effet de la parentalité sur l'activité professionnelle des parents selon l'éducation reçue pendant leur enfance

- Notes : L'estimation porte sur les effets tout au long du cycle de vie, et pas seulement pour la période 2019-2020. Les parents immigrés ne sont inclus dans l'estimation qu'à partir de leur arrivée en France métropolitaine. Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %, estimé en considérant des clusters définis au niveau de chaque parent.
- Lecture : Cinq ans après l'arrivée de leur premier enfant, la parentalité diminue le taux d'activité des femmes ayant reçu une éducation plus conservatrice de 19,4 % en moyenne, contre 19,3 % pour les femmes ayant reçu une éducation moins conservatrice. Cette différence n'est pas statistiquement significative.
- Champ : France métropolitaine, parents immigrés ou descendants d'immigrés âgés de 25 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire.
- Sources : Insee, Ined, enquête Trajectoires et Origines 2 (2019-2020).
Cette comparaison vient conforter l’interprétation précédente : avoir des opinions plus conservatrices sur les inégalités de genre sur le marché du travail ne conduit pas à un décrochage plus marqué du taux d’activité des mères du fait de leurs responsabilités familiales. En définitive, les inégalités observées de participation au marché du travail sont bien liées aux opinions sur les inégalités de genre, mais, à l’arrivée des enfants, les décisions d’activité professionnelle des parents ne semblent pas dictées par ces opinions.
Encadré – La contribution de la vie familiale aux inégalités de genre
Dans les pays développés, l’effet négatif de la parentalité sur les revenus du travail des mères (child penalty dans la littérature anglophone) explique aujourd’hui l'essentiel des inégalités de genre sur le marché du travail [Ouvrir dans un nouvel ongletKleven et al., 2023 ; Ouvrir dans un nouvel ongletKleven et al., 2019]. En France, cet effet est estimé correspondre à une perte de 30 % de revenu salarial pour les mères [Meurs, Pora, 2019]. Cette perte est due à une moindre participation au marché du travail, de l'ordre de 15 % à 20 %, mais aussi à un recours au temps partiel plus fréquent, et une augmentation de salaire horaire plus faible après l’arrivée des enfants. Ces différences sont nettement plus prononcées pour les femmes qui peuvent s'attendre aux salaires les plus faibles sur le marché du travail que pour celles qui ont accès à des rémunérations plus élevées [Pora, Wilner, 2019].
La forte ampleur des pertes de revenus du travail que la parentalité génère pour les femmes ne s'explique pas par le rôle des femmes dans la reproduction biologique, ou par des rendements plus élevés du temps passé sur le marché du travail pour les hommes [Ouvrir dans un nouvel ongletKleven et al., 2021]. La politique familiale ne semble pas non plus à même de limiter fortement ces pertes [Ouvrir dans un nouvel ongletKleven et al. 2024]. Dans le cas français, ni l'augmentation de la disponibilité de places en crèche ni les réformes récentes du congé parental ne semblent avoir permis de rapprocher les comportements des mères de ceux des pères [Pora, 2020 ; Ouvrir dans un nouvel ongletPérivier, Verdugo, 2023]. C'est cet échec à expliquer le child penalty par des différences de productivité, ou par l'effet de certaines politiques publiques, qui incite désormais à intégrer les normes et les opinions à l’analyse des comportements.
Sources
Coproduite par l’Ined et l'Insee, l'enquête Trajectoires et Origines 2 (TeO2), collectée en 2019-2020, est une réédition de l'enquête TeO1 (2008-2009) [Thao Khamsing et al., 2022].
Elle porte sur les personnes âgées de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire en France métropolitaine. L’enquête a été effectuée auprès d’environ 27 000 personnes, pour réaliser des analyses sur les principaux groupes de population qui ont une expérience directe ou indirecte de la migration vers la France métropolitaine, et en particulier les immigrés et descendants d'immigrés. Elle permet notamment de comparer les situations de ces personnes avec celles qui n'ont pas d'ascendance migratoire directe.
Elle évalue aussi les opinions sur les inégalités de genre : les enquêtés ont été confrontés à l’affirmation « Quand il y a peu de travail, les hommes ont plus le droit à un emploi que les femmes », à laquelle ils pouvaient réagir en se déclarant « Pas du tout d’accord », « Plutôt pas d’accord », « D’accord », ou « Tout à fait d’accord ». Cette étude mobilise les réponses à cette question, en la combinant avec les données du calendrier rétrospectif d’activité, permettant d’analyser les trajectoires des répondants sur le marché du travail, et celles portant sur les dates de naissance des enfants des enquêtés. C'est la présence conjointe d'une information sur les opinions personnelles et les traditions familiales, en plus de celle qui retrace les vies professionnelles et fécondes des enquêtés, qui fait de l'enquête TeO2 une source unique pour étudier l'effet des opinions sur les inégalités de genre sur le marché du travail.
Méthodes
Cette étude porte sur les immigrés et descendants d’immigrés vivant dans des logements ordinaires en France métropolitaine en 2019-2020, âgés de 25 à 59 ans, et ayant eu au moins un enfant. Deux raisons conduisent à se restreindre aux immigrés et descendants d'immigrés plutôt qu'à l’ensemble de la population française qui inclut également les personnes sans ascendance migratoire directe. D'une part, ce choix est courant dans la littérature portant sur la contribution de la culture aux décisions d'offre de travail et de fécondité, parce qu'il permet de comparer des personnes vivant dans des conditions relativement semblables, mais dont le parcours migratoire – ou celui de leurs parents – les a conduits à intégrer des opinions très variables notamment en fonction de son point de départ [Ouvrir dans un nouvel ongletFernández, Fogli, 2009 ; Ouvrir dans un nouvel ongletAlesina et al., 2013]. D'autre part, l'enquête TeO2 surreprésente très nettement les immigrés et descendants d'immigrés, et sous-représente donc les personnes sans ascendance migratoire directe. Ainsi, huit personnes sur dix âgées de 25 à 59 ans, vivant en France métropolitaine en 2019-2020 et ayant eu au moins un enfant, n'ont pas d'ascendance migratoire directe, mais ces personnes représentent seulement un tiers de l'échantillon disponible dans l'enquête Trajectoires et Origines (TeO2). Ils ne sont donc pas assez nombreux pour être étudiés spécifiquement, et les intégrer dans l'analyse donnerait des estimations moins précises qu'en se limitant aux immigrés et descendants d'immigrés.
L’identification de l’effet de la parentalité sur l’activité professionnelle des parents repose sur deux hypothèses essentielles. La première est que cet effet est nul avant la dernière année précédant la naissance du premier enfant. La seconde est que si elles n’avaient pas eu d’enfant, le taux d'activité des femmes qui ont eu leur premier enfant le plus tôt aurait augmenté de la même façon que celui de leurs homologues nées la même année mais qui ont eu leur premier enfant plus tard.
Pour faciliter la comparaison des effets de la parentalité entre les groupes définis par les opinions quant aux inégalités de genre ou par l’éducation reçue, l'estimation est conduite sur une population fictive dans laquelle la distribution des caractéristiques observables des immigrés et descendants d'immigrés serait la même quelles que soient leurs opinions ou l'éducation qu'ils ont reçue. Plus précisément, les données de l'enquête sont repondérées de façon à ce que la distribution des générations, des âges à la naissance du premier enfant, du nombre total d'enfants au cours de la vie, de l'âge de fin d'études, de l'expérience de la vie conjugale, de l'expérience de discriminations sur le marché du travail, ou du lien à la migration soit la même dans les deux groupes. De la sorte, la comparaison des effets estimés ne peut pas être biaisée par les effets de différences observables entre les groupes selon ces caractéristiques.
La caractérisation de l’éducation reçue et de l’environnement familial pendant l’enfance s’appuie sur une combinaison de questions de l’enquête TeO2, qui recouvrent la place donnée à la religion dans l’éducation reçue par les enquêtés au sein de leur famille, la répartition des tâches domestiques entre leurs parents avant l’âge de 18 ans, ainsi que le nombre de leurs frères et sœurs. Ces questions permettent de générer un indice continu du caractère plus ou moins conservateur de l’éducation reçue pour ce qui est des inégalités de genre, et qui est très corrélé aux opinions quant aux inégalités de genre dans la vie adulte, en 2019-2020 mais a l’avantage de ne pas pouvoir s’interpréter comme une conséquence des décisions liées à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle qui sont prises à l'arrivée des enfants. Cet indice sert ensuite à définir les deux groupes sur lesquels porte la comparaison.
Pour en savoir plus
Retrouvez les données de la publication en téléchargement.
Meurs D., Pora P., « Les normes de genre expliquent-elles le décrochage de l'activité des mères ? L'exemple des immigrés et descendants d'immigrés en France », Documents de travail no 2025-12, Insee, juin 2025.
Kleven H., Landais C., Posch J., Steinhauer A., Zweimüller J., "Ouvrir dans un nouvel onglet Do family policies reduce gender inequality? Evidence from 60 years of policy experimentation ", in American Economic Journal: Economic Policy, vol. 16(2), mai 2024.
Périvier H., Verdugo G., "Ouvrir dans un nouvel onglet Where are the fathers? Effects of earmarking parental leave for fathers in France ", in ILR Review, vol. 77(1), octobre 2023.
Kleven H., Landais C., Leite-Mariante G., "Ouvrir dans un nouvel onglet The child penalty atlas ", Working paper no 31649, NBER, août 2023.
Thao Khamsing W., Guin O., Merly-Alpa T., Paliod N., « Enquête Trajectoires et Origines 2 – De la conception à la réalisation », Documents de travail no 2022/02, Insee, juillet 2022.
Moriconi S., Rodríguez-Planas N., "Ouvrir dans un nouvel onglet Gender norms and the motherhood employment gap ", Discussion paper no 14898, IZA – Institute of Labor Economics, novembre 2021.
Kleven H., Landais C., Søgaard J. E., "Ouvrir dans un nouvel onglet Does biology drive child penalties? Evidence from biological and adoptive families ", in American Economics Review: Insights, vol. 3(2), juin 2021.
Pora P., « Accroître l’offre de places en crèche : peu d'effet sur l'emploi, une baisse du recours aux autres modes de garde », Insee Analyses no 55, septembre 2020.
Meurs D., Pora P., « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en France : une lente convergence freinée par les maternité », in Économie et Statistique / Economics and Statistics no 510-511-512, décembre 2019.
Pora P., Wilner L., « Les trajectoires professionnelles des femmes les moins bien rémunérées sont les plus affectées par l’arrivée d’un enfant », Insee Analyses no 48, octobre 2019.
Kleven H., Landais C., Søgaard J. E., "Ouvrir dans un nouvel onglet Children and gender inequality: evidence from Denmark ", in American Economic Journal: Applied Economics, vol. 11(4), octobre 2019.
Alesina A., Giuliano P., Nunn N., "Ouvrir dans un nouvel onglet On the origins of gender roles: Women and the plough ", in The Quarterly Journal of Economics, vol. 128(2), mai 2013.
Fernández R., Fogli A., "Ouvrir dans un nouvel onglet Culture: An empirical investigation of beliefs, work, and fertility ", in American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 1(1), janvier 2009.
Fortin N., "Ouvrir dans un nouvel onglet Gender role attitudes and the labour-market outcomes of women across OECD countries ", in Oxford Review of Economic Policy, vol. 21(3), octobre 2005.