Insee Analyses Bourgogne-Franche-Comté · Mai 2022 · n° 96

Une filière automobile déjà en pleine mutation à l’aube de la crise sanitaire

En Bourgogne-Franche-Comté, la filière automobile se caractérise par une très forte concentration autour de quelques grands constructeurs. Auprès d’eux gravite une chaîne d’approvisionnement constituée de sous-traitants, de fournisseurs et de prestataires de services, participant à la fabrication de ces véhicules.

Ainsi, la filière se décompose en sept segments (figure 1). La construction automobile, la fabrication d’équipements automobiles et la fabrication de biens intermédiaires constituent sa colonne vertébrale. Ces trois activités représentent 75 % des établissements et 85 % de l’emploi de la filière (hors intérim). À celles-ci, s’ajoutent des activités en amont de la chaîne de production, comme la fabrication de biens d’équipements, l’ingénierie, le transport et le commerce intra-filière.

Fin 2018, la filière automobile en Bourgogne-Franche-Comté emploie 44 700 salariés hors intérim dans près de 400 établissements. Elle représente 4,9 % de l’emploi salarié régional. Cependant, avec le recours à l’intérim, les effectifs fluctuent fortement selon les besoins de production.

Sur les dix plus grands établissements employeurs de la sphère productive régionale, six appartiennent à la filière automobile : trois établissements PSA (renommé Stellantis en 2020) ; Berner spécialisé dans le commerce de gros de fournitures et d’équipements industriels ; Fiat Powertrain Technologie (FPT) qui fabrique des moteurs pour camions ; Michelin qui confectionne des pneus pour de gros engins de chantier. Ces six établissements comptent près de 13 500 salariés.

Le segment de la construction automobile, cœur de la filière, emploie 1,2 % de l’ensemble des salariés de la région. C’est en Bourgogne-Franche-Comté que cette part est la plus forte, devant la Normandie et le Grand Est (0,7 %). En nombre de salariés, la région n’est cependant qu’en troisième position. Elle est devancée par l’Île-de-France, qui accueille plusieurs établissements de PSA et Renault, ainsi que la région Grand Est, où sont installés plusieurs sites de PSA, Renault et Daimler.

La filière automobile est implantée principalement au nord-est de la région, autour du centre historique de Peugeot à Sochaux. Les zones d’emploi de Montbéliard, Besançon et Belfort concentrent la moitié des établissements et de l’emploi hors intérim de la filière automobile régionale (figure 2). À elle seule, la zone d’emploi de Montbéliard emploie 15 000 salariés.

Au-delà de cette concentration géographique, la filière maille une grande partie du territoire régional. Dans la zone d’emploi de Saint-Claude, elle emploie un salarié sur dix fin 2018. Ce territoire bénéficie de la proximité de la « Plastics Vallée » qui s’étend autour d’Oyonnax. En 2017, le groupe Plastivaloire y a implanté son nouveau centre technique de développement automobile. Dans l’Yonne, des équipementiers sont installés le long de l’A6. Ils bénéficient ainsi d’une accessibilité privilégiée à la région parisienne qui compte un grand nombre d’usines automobiles. Dans la Nièvre, le circuit automobile de Nevers Magny-Cours, créé en 1960, a favorisé l’implantation d’entreprises liées à la course automobile.

Les 50 plus importants établissements employeurs de la filière automobile occupent 27 500 salariés, soit 62 % de l’ensemble des effectifs de la filière (figure 3). Un tiers d’entre eux dépend d’un groupe étranger. Ils ont une implantation historique à l’exemple de FPT à Bourbon-Lancy ou Schrader à Pontarlier. Ils sont également issus d’opérations capitalistiques, suite au rachat d’entreprises françaises à l’image de Flex-n-Gate à Audincourt ou d’U-Shin à Nevers.

Les grands établissements de la filière sont souvent installés dans des petites communes en périphérie des grandes villes, voire en milieu rural. Ils bénéficient ainsi de surfaces importantes pour un coût du foncier plus faible. Leur poids est important dans l’économie locale. Dans la moitié des vingt-six intercommunalités où ces grands établissements sont implantés, la filière représente au moins 10 % de l’emploi privé. Ainsi, dans la communauté de communes du Jovinien dans l’Yonne, le groupe Berner représente un emploi salarié sur trois du secteur privé. De même, dans la communauté de communes Entre Arroux, Loire et Somme, en Saône-et-Loire, FPT en représente le quart.

Entre 2015 et 2018, le marché automobile se redresse. Pour répondre à la hausse de la production, la filière a surtout recours à l’intérim. Le nombre d’intérimaires passe de 2 200 à 8 600 sur cette période. L’effectif salarié hors intérim est quasi-stable (– 0,5 %) avec l’entrée de nouveaux établissements dans la filière. La baisse atteint – 4,4 % dans les établissements présents en 2015 et toujours actifs en 2018 (figure 4).

Le recul de l’emploi salarié est essentiellement lié à la construction automobile portée par PSA. Depuis la fin des années 1970, les effectifs du premier employeur privé de la région ne cessent de diminuer. À partir de 2008-2009, le groupe a souffert d’une chute de la demande d’automobiles associée à une concurrence très intense sur le marché français.

Il s’est ainsi fortement restructuré. Pour réduire sa masse salariale, un plan de départ volontaire est mis en place avec les congés seniors, les congés mobilité ou encore les congés de reconversion/création d’entreprise. L’externalisation s’est développée, et l’usine sochalienne s’est recentrée sur l’assemblage de véhicules. En parallèle, le constructeur français continue d’investir massivement pour moderniser les équipements de production (200 millions d’euros dans le cadre du projet Sochaux 2022, lancé en février 2017). En 2018, les capacités de production ont permis de produire 500 000 véhicules contre 350 000 en 2016. La hausse de l’emploi dans les autres segments de la filière compense presque totalement la baisse des effectifs de la construction automobile. Cette augmentation est surtout portée par les équipementiers automobiles du nord-est de la région. Ils bénéficient notamment de l’externalisation croissante des activités de PSA ainsi que de l’aménagement de la « zone d’implantation fournisseurs », un parc d’entreprises localisé en proche périphérie des lignes de production de l’usine de Sochaux.

Entre fin 2018 et fin 2020, l’emploi salarié de la filière baisse de 7,5 %. Comme dans le reste de l’économie, la plupart des segments de la filière ont détruit des emplois. Seuls deux d’entre eux font exception : le commerce intra-filière et la logistique. En lien avec l'externalisation, cette dernière bénéficie du développement de l’établissement de Geodis près de Sochaux.

Le segment de l’industrie automobile est confronté à une baisse de son activité en 2020 suite à la crise sanitaire. Elle a subi les effets de la fermeture des sites de production durant le premier confinement (encadré).

Le redémarrage de l’activité a ensuite été entravé par la pénurie de composants électroniques. Les grands fabricants localisés en Asie et plus particulièrement à Taïwan ont dû faire face à une demande accrue pour les fabrications d’appareils électroniques (smartphones, ordinateurs, etc.), limitant ainsi la disponibilité de pièces pour l’industrie automobile. Certains ont également fermé à cause de la Covid accentuant encore le manque de pièces. La reprise a été perturbée par une augmentation du prix des matières premières, de l’énergie et du coût du transport. En complément de ces difficultés d’approvisionnement, les constructeurs automobiles ont fait également face à une réduction de leurs débouchés. En 2020, le nombre d’immatriculations de véhicules particuliers diminue de 25,5 %, suite aux périodes de fermeture des concessionnaires pendant les confinements.

La crise sanitaire survient alors que l’industrie automobile est déjà en pleine transformation. Affaiblis par une décennie de crise, de nombreux sous-traitants ont diversifié leurs débouchés. Ils travaillent désormais pour d’autres secteurs d’activités tels que l’aéronautique, le médical ou la défense, de façon à être moins dépendants des constructeurs automobiles. Par ailleurs, les activités de fonderie, de forge et d’emboutissage doivent faire face à des difficultés structurelles, en plus de la crise sanitaire, à l’exemple de MBF qui a fermé son établissement fin 2021. Elles sont concurrencées par les établissements situés au Portugal, en Espagne, en Turquie et en Europe de l’Est, où le coût de la main d’œuvre est moins élevé. Elles sont également touchées par le manque de compétitivité. Elles doivent aussi répondre à une profonde mutation du marché automobile qui s’est accélérée avec la chute des ventes de voitures diesel en 2017, sous l’effet du « dieselgate », et accentuée en 2020 par l’évolution des normes de rejet.

Cette réglementation incite fortement les constructeurs automobiles à produire et à vendre davantage de véhicules hybrides ou électriques, afin de respecter le seuil de 95 g/km de CO₂. Ces véhicules nécessitent près de quatre fois moins de pièces en acier (pièces moteurs et boîte de vitesse) que les véhicules à moteur thermique. Ainsi, dans les années futures, la filière pourrait connaître des évolutions majeures et rapides.

Le périmètre de la filière automobile est issu d’une sélection d’établissements participant à la fabrication de véhicules automobiles destinés au transport de passagers ou de marchandises (yc. parties, accessoires et remorques). Cette liste est constituée à partir du code APE (activité principale exercée) des établissements renseignés dans le répertoire Sirène et du code produit de l’enquête annuelle de production de l’Insee. Seuls les établissements de 10 salariés ou plus font partie du champ et ont été expertisés avec l’aide des professionnels de la filière (Dreets, Conseil régional, AER, Banque de France, CCI BFC, Pôle véhicule du futur, UIMM, Emfor). Ceux de moins de 10 salariés ne représentent potentiellement que 1 % des effectifs. Seuls les établissements de la Bourgogne-Franche-Comté ont été expertisés, ce qui ne permet pas de comparaisons avec les autres régions, excepté sur le segment de la « construction automobile » complètement intégré à la filière. Sont incluses dans le périmètre les activités liées à la production d’automobiles mais aussi de camions, d’autobus et de remorques. Sont exclues les fabrications de motocycles, de tracteurs agricoles et de véhicules militaires de combat. Le précédent périmètre de la filière automobile construit à partir des données 2015 a été mis à jour afin de prendre en compte les événements liés à la démographie des entreprises : créations, cessations, fusions, transferts, changements d’activités, etc. Ainsi, certains établissements qui ne participaient pas à la production automobile ont pu faire l’objet d’un changement d’activité et sont désormais inclus dans la filière. Les achats et reprises sont considérés comme des entreprises pérennes. Une création correspond à l’apparition d’une unité légale n’ayant pas de prédécesseur. Entre fin 2015 et fin 2018, le nombre d’établissements de la filière passe de 351 à 392. Si 300 établissements sont présents à la fois en 2015 et 2018, 17 sont créés, 27 ont fermés et 51 résultent de la modification du périmètre (entrées/sortie du champ).