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Mai 2022 · n° 73Une nouvelle mesure de la mobilité intergénérationnelle des revenus en France
La mobilité intergénérationnelle des revenus, qui constitue un indicateur de la capacité d’une société à assurer une égalité des chances, est pour la première fois mesurée en reliant directement les revenus des parents à ceux de leurs enfants de 28 ans. Les enfants de familles aisées ont trois fois plus de chances d’être parmi les 20 % les plus aisés que ceux issus de familles modestes : les inégalités se reproduisent donc en partie d’une génération à l’autre. Cependant, pour un même niveau de revenu des parents, les revenus des enfants varient fortement. En 2018, parmi les jeunes issus des familles les 20 % les plus modestes, 12 % sont parmi les 20 % les plus aisés de leur classe d’âge.
Toutes choses égales par ailleurs, la mobilité ascendante est d’autant plus forte que les parents ont des revenus du capital élevés, sont diplômés du supérieur, sont immigrés, ont été mobiles géographiquement, ou que les enfants résident en Île-de-France à leur majorité. À l’inverse, être une femme, avoir vécu dans une famille monoparentale, avoir des parents ouvriers ou employés, ou vivre dans les Hauts-de-France à sa majorité sont des facteurs qui réduisent les chances de s’élever dans l’échelle des revenus.
- Pour la première fois, une approche de la mobilité intergénérationnelle par les revenus
- Les inégalités se reproduisent en partie d’une génération à l’autre
- Les revenus des enfants à 28 ans ne dépendent pas seulement des revenus de leurs parents
- Une mobilité ascendante réelle, mais un plafond collant
- Grimper dans l’échelle des revenus par rapport à ses parents est plus aisé pour un homme ou quand on n’a pas vécu dans une famille monoparentale
- Des revenus du patrimoine élevés des parents favorisent la mobilité ascendante
- Gravir l’échelle des revenus est plus fréquent en Île-de-France et l’est moins dans les Hauts-de-France
- Des mobilités très contrastées pour les enfants d’immigrés
- Le niveau de diplôme des parents influe davantage sur la mobilité ascendante que leur catégorie socioprofessionnelle
- Environ 30 % de la variation de rang des jeunes adultes serait liée au milieu familial
Pour la première fois, une approche de la mobilité intergénérationnelle par les revenus
La mobilité intergénérationnelle des personnes dans l’échelle des revenus favorise l’inclusion sociale, stimule l’innovation et nous rapproche d’une société où chacun a les mêmes chances de prospérer. Pourtant, si l’objectif de diminuer la reproduction des inégalités entre générations apparaît souhaitable, des divergences existent sur le diagnostic en France [Ouvrir dans un nouvel ongletDherbécourt, 2020]. La mobilité intergénérationnelle en matière de revenu est un sujet peu documenté en France, à l’inverse de la mobilité sociale en matière de catégorie socioprofessionnelle. En effet, jusqu’il y a peu, aucune source statistique ne permettait de lier directement les revenus des parents à ceux de leurs enfants, contrairement aux États‑Unis ou aux pays scandinaves où cet appariement est possible depuis plus longtemps et sur une plus longue période.
L’enrichissement récent de l’Échantillon démographique permanent par des données fiscales [Robert‑Bobée, Gualbert, 2021] permet pour la première fois de comparer directement le revenu individuel d’un jeune adulte aux revenus de ses parents au moment où celui-ci vivait encore dans leur foyer fiscal (sources). Les revenus des parents et les revenus des enfants n’étant pas mesurés au même âge, la position relative des parents dans l’échelle des revenus en 2010 est comparée à celle de leur enfant, âgé de 28 ans environ en 2018, au sein de sa génération.
Les inégalités se reproduisent en partie d’une génération à l’autre
Mieux les parents sont classés dans l’échelle des revenus, mieux le sont également en moyenne leurs enfants par rapport aux jeunes adultes de leur génération (figure 1) : il y a donc une persistance des niveaux de revenu entre générations et les inégalités se reproduisent en partie. La corrélation entre le rang des jeunes adultes de 28 ans et celui de leurs parents est de 0,24 en 2018 (méthodes). Cela correspond au fait qu’un enfant dont les parents sont classés tout en haut de la distribution est en moyenne classé entre 2 et 3 déciles plus haut qu’un enfant dont les parents sont situés en bas de la distribution. Plus la corrélation est élevée, plus la persistance du positionnement dans l’échelle des revenus entre générations est forte. La mobilité dans l’échelle des revenus serait donc plus élevée en France qu’aux États-Unis, où la corrélation est supérieure à 0,30 à partir de 28 ans [Ouvrir dans un nouvel ongletChetty et al., 2014], mais serait plus faible que dans les pays nordiques, où la corrélation est inférieure.
tableauFigure 1 – Position des enfants à 28 ans dans l'échelle des revenus en fonction de celle de leurs parents
Vingtième de revenu des parents |
Moyenne | 1er quartile | Médiane | 3e quartile |
---|---|---|---|---|
1 | 38 | 11 | 31 | 61 |
2 | 41 | 18 | 38 | 63 |
3 | 43 | 19 | 40 | 66 |
4 | 43 | 18 | 40 | 66 |
5 | 45 | 22 | 43 | 66 |
6 | 46 | 22 | 43 | 69 |
7 | 44 | 24 | 42 | 65 |
8 | 45 | 23 | 42 | 67 |
9 | 50 | 28 | 49 | 71 |
10 | 49 | 29 | 48 | 69 |
11 | 52 | 28 | 53 | 76 |
12 | 53 | 33 | 52 | 74 |
13 | 55 | 31 | 58 | 77 |
14 | 55 | 32 | 57 | 78 |
15 | 55 | 31 | 57 | 80 |
16 | 56 | 32 | 58 | 81 |
17 | 57 | 34 | 61 | 82 |
18 | 59 | 37 | 65 | 85 |
19 | 63 | 38 | 72 | 89 |
20 | 63 | 37 | 74 | 91 |
- Lecture : parmi les enfants de 28 ans dont les parents sont classés au 2e vingtième de revenu, 25 % (le 1er quart) sont classés en dessous du 18e centième de leur classe d'âge en 2018. Pami ceux dont les parents sont classés au 20e vingtième, 25 % (le 4e quart) sont classés au-dessus du 91e centième de revenu en 2018.
- Champ : France métropolitaine, personnes nées en 1990, rattachées à la déclaration fiscale de leurs parents en 2010, 2011 ou 2012, et ayant des revenus positifs ou nuls en 2018.
- Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, échantillon démographique permanent 2019.
graphiqueFigure 1 – Position des enfants à 28 ans dans l'échelle des revenus en fonction de celle de leurs parents
Les revenus des enfants à 28 ans ne dépendent pas seulement des revenus de leurs parents
Si les revenus des parents influencent ceux des enfants, ils sont loin de les déterminer entièrement. À revenus des parents donnés, les revenus des jeunes adultes (à 28 ans) varient fortement et des différences sensibles existent entre les enfants les plus aisés et les enfants les plus modestes. En moyenne, 5 déciles de la distribution des revenus des enfants séparent ainsi les 25 % des enfants les plus aisés des 25 % des enfants les plus modestes alors que les niveaux de revenu de leurs parents sont identiques. Les nombreuses situations de mobilité ascendante et de mobilité descendante montrent que le niveau de revenu des parents ne détermine pas à lui seul le niveau de revenu des enfants, qui dépend également de nombreux autres facteurs. Parmi les enfants de parents défavorisés (tout en bas de la distribution des revenus des parents), un quart fait partie des 40 % aux revenus les plus élevés de leur génération tandis que, parmi les enfants des parents les plus aisés, un quart des enfants appartient aux 40 % des revenus les plus faibles.
Une mobilité ascendante réelle, mais un plafond collant
72 % des enfants de 28 ans appartiennent à un cinquième de revenu différent de celui de leurs parents. Parmi les enfants dont les parents sont les plus modestes, dans le plus bas cinquième de la distribution des revenus, 31 % restent dans le premier cinquième (le « plancher collant ») et 12 % font une mobilité très ascendante vers le plus haut cinquième (figure 2). Ce taux de mobilité ascendante est supérieur à celui observé aux États-Unis et supérieur à celui ressenti par les Français [Ouvrir dans un nouvel ongletAlesina et al., 2018]. À l’inverse, 34 % des enfants des parents les plus aisés, appartenant au plus haut cinquième, sont eux aussi dans le plus haut cinquième (le « plafond collant ») et 15 % font une mobilité très descendante vers le plus bas cinquième. Ainsi, les enfants des familles aisées ont trois fois plus de chances de faire partie des plus hauts revenus que ceux issus des familles modestes. En prenant une définition élargie de la mobilité ascendante, des 40 % les plus modestes aux 40 % les plus aisés, le taux de mobilité est de près de 30 %.
tableauFigure 2 – Mobilité entre cinquièmes de revenu des parents et cinquièmes de revenu des enfants
Cinquième de revenus des parents | |||||
---|---|---|---|---|---|
1er | 2e | 3e | 4e | 5e | |
descend de 4 cinquièmes | /// | /// | /// | /// | 15,5 |
descend de 3 cinquièmes | /// | /// | /// | 14,8 | 12,6 |
descend de 2 cinquièmes | /// | /// | 15,9 | 18,5 | 15,2 |
descend de 1 cinquième | /// | 22,7 | 21,5 | 20,1 | 22,5 |
reste dans le même cinquième | 31,1 | 25,0 | 24,1 | 23,1 | 34,2 |
monte d'un cinquième | 22,4 | 21,8 | 21,3 | 23,1 | /// |
monte de 2 cinquièmes | 18,8 | 17,7 | 17,2 | /// | /// |
monte de 3 cinquièmes | 15,4 | 12,8 | /// | /// | /// |
monte de 4 cinquièmes | 12,3 | /// | /// | /// | /// |
- /// : absence de résultat due à la nature des choses.
- Lecture : parmi les enfants dont les parents sont dans le 1er cinquième de la distribution des revenus, 31,1 % sont dans le plus bas cinquième de la distribution de revenus de leur classe d'âge en 2018, et 12,3 % dans le plus haut cinquième.
- Champ : France métropolitaine, personnes nées en 1990, rattachées à la déclaration fiscale de leurs parents en 2010, 2011 ou 2012, et ayant des revenus positifs ou nuls en 2018.
- Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, échantillon démographique permanent 2019.
graphiqueFigure 2 – Mobilité entre cinquièmes de revenu des parents et cinquièmes de revenu des enfants
Grimper dans l’échelle des revenus par rapport à ses parents est plus aisé pour un homme ou quand on n’a pas vécu dans une famille monoparentale
Les hommes ont une probabilité plus élevée que les femmes de réaliser une mobilité ascendante et plus faible de rester en bas de la distribution : 15 % des fils de 26 à 29 ans issus du plus bas cinquième des revenus sont dans le plus haut cinquième, contre 8 % des filles, tandis que 34 % des filles restent dans le plus bas cinquième, contre 27 % des fils. Toutes choses égales par ailleurs (méthodes), cet effet persiste : les femmes ont près de deux fois moins de chances de réaliser une mobilité ascendante par rapport aux hommes, et 1,5 fois moins en considérant la mobilité ascendante élargie (figure 3). De même, à autres caractéristiques identiques, les enfants des familles monoparentales ont une probabilité de mobilité ascendante élargie significativement plus faible que les enfants de couples ayant un ou deux enfants, et un risque de mobilité descendante plus élevé. La probabilité de rester dans le plus bas cinquième de la distribution et la persistance des revenus sont également plus élevées pour ces individus. Les enfants de couples ayant trois enfants ou plus ont également moins de chances d’effectuer une mobilité ascendante.
tableauFigure 3 – Effets de différentes caractéristiques des enfants ou des parents sur la mobilité ascendante élargie
Rapport de chance | Intervalle de confiance à 95 % | ||
---|---|---|---|
Borne inférieure | Borne supérieure | ||
Sexe (enfant) | |||
Homme (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Femme | 0,68 | 0,63 | 0,74 |
Situation familiale (parent) | |||
Couple avec 1 ou 2 enfants (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Couple 3 enfants ou plus | 0,91 | 0,83 | 0,99 |
Famille monoparentale | 0,81 | 0,71 | 0,92 |
Ménage complexe | 0,71 | 0,59 | 0,86 |
Dixième de revenus du capital (parent) | |||
Inférieur à D5 (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
De D5 à D9 | 1,25 | 1,15 | 1,36 |
Supérieur à D9 | 1,24 | 1,07 | 1,43 |
Mobilité géographique (enfant) | |||
Immobile (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Mobile | 1,08 | 0,99 | 1,18 |
Ascendance migratoire (parent) | |||
Non immigré (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Immigré | 1,16 | 1,03 | 1,30 |
Diplôme (parent) | |||
Pas de diplome (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Inférieur au baccalauréat | 1,14 | 1,02 | 1,27 |
Baccalauréat ou équivalent | 1,34 | 1,17 | 1,54 |
Supérieur au baccalauréat | 1,35 | 1,17 | 1,55 |
Catégorie socioprofessionnelle (parent) | |||
Profession intermédiaire (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Agriculteur | 0,88 | 0,71 | 1,08 |
Indépendant | 1,08 | 0,94 | 1,24 |
Cadre | 1,00 | 0,86 | 1,18 |
Employé | 0,82 | 0,72 | 0,93 |
Ouvrier | 0,83 | 0,74 | 0,93 |
Région (enfant) | |||
Auvergne-Rhône-Alpes (Réf.) | 1,00 | 1,00 | 1,00 |
Bourgogne-Franche-Comté | 1,04 | 0,86 | 1,27 |
Bretagne | 0,85 | 0,70 | 1,03 |
Centre-Val de Loire | 1,01 | 0,81 | 1,26 |
Grand Est | 0,92 | 0,77 | 1,08 |
Hauts-de-France | 0,73 | 0,61 | 0,86 |
Île-de-France | 1,15 | 0,99 | 1,34 |
Normandie | 0,96 | 0,79 | 1,16 |
Nouvelle-Aquitaine | 0,89 | 0,75 | 1,06 |
Occitanie | 0,82 | 0,68 | 0,98 |
Pays de la Loire | 0,93 | 0,77 | 1,11 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur | 0,92 | 0,76 | 1,11 |
- Réf. : référence ; inférieur à D5 : 50 % des personnes les plus modestes, ..., supérieur à D9 : 10 % des personnes les plus aisées.
- Notes : l’influence d’une modalité est significative lorsque 1 est en dehors de l’intervalle de confiance à 95 % (extrémité des barres). Le parent considéré est le parent au plus haut revenu pour l'ascendance migratoire, le diplôme et la CSP et ces variables sont observées entre 1999 et 2012. Les autres variables (région, situation familiale, et revenu du capital) sont mesurées en 2010. La mobilité géographique est mesurée entre la naissance et la majorité de l'enfant.
- Lecture : un enfant d'immigré, entre 26 et 29 ans, a 1,16 fois plus de chance de faire une mobilité ascendante qu'un enfant dont le parent n'est pas immigré, cet effet est significatif.
- Champ : France métropolitaine, personnes nées entre 1989 et 1992, rattachées à la déclaration fiscale de leurs parents en 2010, 2011 ou 2012, et ayant des revenus positifs ou nuls en 2018.
- Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, échantillon démographique permanent 2019.
graphiqueFigure 3 – Effets de différentes caractéristiques des enfants ou des parents sur la mobilité ascendante élargie
Des revenus du patrimoine élevés des parents favorisent la mobilité ascendante
Théoriquement, l’effet du patrimoine sur la mobilité des enfants est ambigu : il peut être négatif s’il réduit les incitations des enfants à entreprendre de longues études ou à travailler ; il peut être positif s’il permet d’accéder à des formations onéreuses ou à un capital social important. D’après les données mobilisées, les effets positifs l’emportent : la mobilité ascendante est beaucoup plus importante (24 %) dans les 10 % des familles dont les revenus du patrimoine (revenus qui ne sont pas comptabilisés dans le revenu individuel utilisé dans la publication) sont les plus élevés, que dans les 50 % des familles dont les revenus du patrimoine sont les plus faibles (10 %). Cet effet des revenus du patrimoine est légèrement moins fort toutes choses égales par ailleurs, mais la probabilité de mobilité ascendante élargie reste 1,3 fois plus élevée pour les familles dotées des plus hauts revenus du patrimoine. De même, les enfants dont les parents sont propriétaires de leur logement ont plus de chances de faire une mobilité ascendante (15 %, contre 8 % pour les locataires du secteur social).
Gravir l’échelle des revenus est plus fréquent en Île-de-France et l’est moins dans les Hauts-de-France
La mobilité varie également selon la région dans laquelle vivent les enfants à leur majorité. La mobilité ascendante est la plus élevée pour les enfants d’Île-de-France (21 %) et la plus faible pour ceux des Hauts-de-France (7 %) et de Normandie (8 %) (figure 4). Les enfants issus des familles modestes d’Île-de-France (au 25e centième) peuvent en moyenne espérer atteindre le 48e centième de revenu (comme en Bourgogne-Franche-Comté et dans les Pays de la Loire), contre le 41e pour ceux des Hauts-de-France. Des différences existent également selon la densité ou le type de commune mais sont plus faibles qu’au niveau des régions [Ouvrir dans un nouvel ongletDherbécourt, Kenedi, 2020].
tableauFigure 4 – Mobilité ascendante selon la région des enfants en 2010
Région | Mobilité ascendante |
---|---|
Auvergne-Rhône-Alpes | 10,8 |
Bourgogne-Franche-Comte | 11,1 |
Bretagne | 10,4 |
Centre-Val de Loire | 9,9 |
Grand Est | 8,8 |
Hauts-de-France | 7,3 |
Île-de-France | 20,8 |
Normandie | 8,4 |
Nouvelle-Aquitaine | 9,9 |
Occitanie | 9,9 |
Pays de la Loire | 12,4 |
Provence-Alpes-Cote d'Azur | 11,0 |
Corse | données insuffisantes |
- Lecture : parmi les enfants qui vivaient avec leurs parents en Île-de-France à leur majorité et dont les parents étaient dans le plus bas cinquième de revenus, 20,8 % sont dans le plus haut cinquième des revenus de leur classe d'âge en 2018. Ils ont fait une mobilité ascendante.
- Champ : France métropolitaine, personnes nées entre 1989 et 1992, rattachées à la déclaration fiscale de leurs parents en 2010, 2011 ou 2012, et ayant des revenus positifs ou nuls en 2018.
- Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, échantillon démographique permanent 2019.
graphiqueFigure 4 – Mobilité ascendante selon la région des enfants en 2010
Toutes choses égales par ailleurs, la mobilité ascendante élargie est plus élevée en Île-de-France qu’en Auvergne-Rhône-Alpes, et significativement plus faible dans les Hauts-de-France et en Occitanie. Le fait d’avoir vécu en Île-de-France favorise davantage la mobilité ascendante du plus bas au plus haut cinquième : elle y est deux fois plus forte qu’en Auvergne-Rhône-Alpes. Cet effet est lié à l’attractivité et aux opportunités d’études supérieures et d’emplois qu’offre l’Île-de-France. Il existe plus généralement une corrélation positive entre revenu médian du territoire et mobilité, mais pas de corrélation négative entre inégalités des revenus territoriales et mobilité comme dans certains pays [Abbas, Sicsic, 2022]. L’effet propre des territoires demeure malgré la prise en compte du niveau de richesse du territoire, sauf pour l’Île-de-France. L’attractivité de l’Île-de-France se diffuse partout dans son territoire, ce qui rend les taux de mobilité homogènes au sein de la région. La mobilité ascendante est ainsi très proche en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine (19 %) alors que les deux départements sont très éloignés en matière de revenu moyen. La mobilité descendante est quant à elle plus fréquente en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie.
Les résultats sont très proches en considérant la région de naissance plutôt que celle de résidence à la majorité. Par ailleurs, les enfants dont les familles ont été mobiles géographiquement dans leur enfance (changement de département entre la naissance et la majorité) ont plus de chances de réaliser une mobilité ascendante (1,4 fois, et 1,1 fois toutes choses égales par ailleurs).
Des mobilités très contrastées pour les enfants d’immigrés
Les enfants d’immigrés ont en moyenne une probabilité plus forte de réaliser une mobilité ascendante (15 %, contre 10 % pour les autres). Ce résultat s’explique d’abord par des choix de localisation : les immigrés résident souvent dans les plus grandes villes et les territoires les plus dynamiques, ce qui leur permet d’accéder à davantage d’opportunités d’emploi et de possibilités de s’élever socialement, à position des parents fixée. Cependant, ce résultat reste vrai à caractéristiques comparables, dont la localisation géographique. Cela est lié à l’inadéquation entre la rémunération et les compétences des parents (via l’assimilation du langage et les relations sociales) et pourrait également être lié à un investissement plus fort en moyenne des parents immigrés dans l’éducation de leurs enfants [Ouvrir dans un nouvel ongletAbramitzky et al., 2021]. Dans le même temps, les enfants d’immigrés ont une probabilité plus forte de rester dans le plus bas cinquième des revenus (33 % contre 27 %) et d’effectuer une mobilité descendante (24 % contre 17 %), et ce toutes choses égales par ailleurs également (1,4 fois plus pour la mobilité descendante élargie).
Parmi les descendants d’immigrés, les enfants dont le parent au plus haut revenu est né en Asie ont la plus forte probabilité de mobilité ascendante (16 %). Le rang (en centième) espéré des enfants issus des familles modestes (au 1er quartile) est ainsi très différent selon le continent d’origine : 49 pour l’Amérique et l’Europe, 47 pour l’Asie, 43 pour l’Afrique du Nord et 39 pour l’Afrique subsaharienne.
Le niveau de diplôme des parents influe davantage sur la mobilité ascendante que leur catégorie socioprofessionnelle
La mobilité varie beaucoup selon le diplôme du parent ayant le plus haut revenu : la mobilité ascendante est de 17 % pour les enfants de diplômés de l’enseignement supérieur et les titulaires du baccalauréat, contre 11 % pour ceux de parents titulaires de diplômes inférieurs au baccalauréat et 10 % pour ceux de parents non diplômés. La mobilité ascendante est encore plus élevée pour les enfants d’immigrés diplômés : elle est de 20 %, contre 9 % pour les immigrés non ou peu diplômés. Toutes choses égales par ailleurs, les enfants de parents diplômés du baccalauréat ou du supérieur ont significativement plus de chances de faire une mobilité ascendante élargie (1,3 à 1,4 fois).
À l’inverse, la mobilité varie peu selon la catégorie socioprofessionnelle, une fois prises en compte les autres caractéristiques. Les enfants d’ouvriers et d’employés ont une probabilité plus faible de réaliser une mobilité ascendante que ceux dont les parents exercent une profession intermédiaire, tandis que l’effet des autres catégories sociales n’est pas significatif.
Environ 30 % de la variation de rang des jeunes adultes serait liée au milieu familial
Comparer les revenus des enfants au sein de fratries permet de mieux comprendre l’importance du milieu familial dans la distribution des revenus. Les frères et sœurs âgés d’environ 28 ans ont une différence de rang moyenne (mesurée séparément selon le sexe) d’un peu plus de 2 déciles, soit environ 30 % plus faible que la différence de rang entre deux jeunes adultes pris au hasard, qui est de 3,3 déciles. Ainsi, environ 30 % de la variation de rang des jeunes adultes âgés d’environ 28 ans serait liée au milieu familial au sens large, le reste étant lié à d’autres facteurs.
Sources
L’échantillon démographique permanent (EDP) est un panel créé par l’Insee en 1967 qui concerne actuellement environ 4 % de la population française. Pour l’ensemble des individus suivis dans l’EDP, on dispose notamment de données socio-démographiques issues des recensements de la population puis, depuis 2004, des enquêtes annuelles de recensement. L’EDP comprend également depuis 2016 des données sociofiscales qui permettent de connaître les revenus des individus chaque année entre 2010 et 2018.
Méthodes
L’EDP permet d’identifier des cohortes d’« enfants » âgés d’environ 18 ans en 2010 et de les suivre chaque année jusqu’en 2018. En 2010, 2011 ou 2012, les enfants ainsi identifiés vivent tous dans le foyer fiscal de leurs parents, ce qui permet d’identifier les revenus individuels des parents. Dans cette étude, les « revenus des parents » sont définis soit comme la moyenne des revenus des deux parents (lorsque l’enfant est rattaché fiscalement à ses deux parents mariés ou pacsés), soit comme le revenu du seul parent auquel il est rattaché (dans les cas où les parents de celui-ci vivent seuls, sont divorcés ou vivent en union libre). Il est ainsi possible de comparer la position relative des parents en 2010 à celle de leur enfant en 2018 dans leurs distributions respectives des revenus. Les enfants sont classés parmi les enfants du même âge tandis que les parents sont classés relativement aux parents ayant des enfants de la même génération.
Plusieurs cohortes d’enfants ont été cumulées (celles ayant entre 26 et 29 ans en 2018) afin de disposer d’effectifs suffisants pour certaines analyses. Le nombre de paires parents-enfants étudiées est de près de 14 000 pour les enfants de 28 ans en 2018 et de 60 000 pour les enfants de 26 à 29 ans.
La corrélation entre le rang des parents (en centième de revenus) et le rang des enfants
(en centième) correspond au coefficient ß de la régression du rang de l’enfant REi
sur le rang de ses parents
RPi
: REi
=C+ßRPi
+εi
. De même, on mesure la mobilité ascendante absolue par le rang moyen espéré des jeunes
adultes dont les parents appartiennent au 25e centième de la distribution à partir de l’équation précédente : C + 0,25 ß. D’après
les estimations de cette étude, ce rang moyen espéré des enfants de 28 ans est de
0,38 + 0,25 × 0,24, soit le 44e centième.
Enfin, dans l’analyse « toutes choses égales par ailleurs », des régressions de Poisson modifiées robustes à l'erreur de variance sont mises en œuvre. Elles permettent d’expliquer la mobilité ascendante élargie entre les 40 % les plus modestes et les 40 % les plus aisés. Les risques relatifs, appelés ici rapports de chances, sont présentés dans cette étude.
Les différents traitements réalisés sur les données (notamment les repondérations), ainsi que des résultats et tests complémentaires sont présentés dans le document de travail associé [Abbas, Sicsic, 2022].
Définitions
Les revenus individuels définis dans cette étude comprennent les revenus d’activité (salaires perçus et revenus d’indépendants), les allocations chômage et les pensions de retraite. Ils correspondent aux revenus nets imposables déclarés aux impôts. Ces revenus sont exprimés en euros 2018.
Si on ordonne une distribution des revenus, les déciles sont les valeurs qui partagent cette distribution en dix parties égales, les quartiles en quatre, les quintiles en cinq et les centiles en cent. Les individus ainsi classés appartiennent à, respectivement, des dixièmes, quarts, cinquièmes et centièmes de revenu. La médiane correspond au 5e décile et coupe la population en deux parties égales.
Un enfant effectue une mobilité ascendante quand il est classé parmi les 20 % du haut de la distribution des revenus individuels dans sa classe d’âge, alors que ses parents étaient classés parmi les 20 % les plus bas de leur distribution des revenus (au moment où il vivait encore avec eux, autour de l’âge de 18 ans). La mobilité est dite « élargie » quand on considère les 40 % du haut et du bas de la distribution et non plus les 20 %.
La mobilité descendante est mesurée de la même manière des 20 % les plus hauts au 20 % les plus bas.
Les immigrés sont des personnes nées à l’étranger et de nationalité étrangère à la naissance.
Pour en savoir plus
Abbas H., Sicsic M., « Qui gravit l’échelle des revenus par rapport à ses parents ? », Documents de travail n° 2022-04, Insee, mai 2022.
Abramitzky R., Boustan L., Jacome E., Perez S., “Ouvrir dans un nouvel ongletIntergenerational Mobility of Immigrants in the United States over Two Centuries.” American Economic Review, 111 (2): 580-608, 2021.
Alesina A., Stantcheva S., Teso E., “Ouvrir dans un nouvel ongletIntergenerational Mobility and Preferences for Redistribution.” American Economic Review, 108(2): 521-554, 2018.
Robert-Bobée I., Gualbert N., « L'échantillon démographique permanent : en 50 ans, l’EDP a bien grandi ! », Courrier des statistiques n° 6, juillet 2021.
Dherbécourt C., « Ouvrir dans un nouvel ongletLa mobilité sociale en France : que sait-on vraiment ? », France Stratégie, septembre 2020.
Dherbécourt C., Kenedi G., « Ouvrir dans un nouvel ongletQuelle influence du lieu d’origine sur le niveau de vie ? », La Note d’analyse n° 91, France Stratégie, juin 2020.
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