Economie et Statistique / Economics and Statistics n° 505-506 - 2018 Données numériques de masse, « données citoyennes » et confiance dans la statistique publique

Evelyn Ruppert, Francisca Grommé, Funda Ustek-Spilda et Baki Cakici

Economie et Statistique / Economics and Statistics
Paru le :Paru le11/04/2019
Evelyn Ruppert, Francisca Grommé, Funda Ustek-Spilda et Baki Cakici
Economie et Statistique / Economics and Statistics- Avril 2019

L'ARTICLE EN UNE PAGE

Question clé

Dans une période en proie aux « faits alternatifs », ce qui fonde la légitimité d'un savoir et d'une expertise fait l'objet de controverses et de confrontations politiques non négligeables, et impose de dépasser la simple défense des pratiques statistiques existantes pour en inventer de nouvelles. Dans ce contexte, nous avançons que la confiance dans la statistique publique repose non seulement sur des sources de données et des méthodes inédites, mais également sur l'exploitation des possibilités offertes par les technologies numériques afin d'instaurer de nouvelles relations avec les citoyens.

Méthodologie

Cet article s'appuie sur un travail ethnographique de terrain de plusieurs années ayant permis d'observer les débats et les expériences des statisticiens dans le domaine des technologies numériques et du Big Data – et leur incidence sur la statistique publique –, ainsi que sur une série d'ateliers avec un groupe consultatif de statisticiens. Il se fonde sur la recherche menée dans le cadre d'un projet financé par le CER, ARITHMUS (Peopling Europe: How data make a people). Début 2014, une équipe composée de 6 chercheurs a entrepris l’étude des pratiques en vigueur dans cinq instituts nationaux de statistique (INS) : l’Office for National Statistics (ONS) du Royaume-Uni, l’institut statistique des Pays-Bas (ECB), Statistique Estonie, l'institut statistique de Turquie (TÜİK) et Statistique Finlande, ainsi que dans deux organismes internationaux (Eurostat et l’UNECE). Plutôt que de synthétiser les données empiriques issues de notre travail de terrain, nous mettons en évidence comment cette recherche a abouti à la notion de « données citoyennes ».

Principaux résultats

  • À partir des préoccupations mentionnées par les statisticiens à l'égard des technologies numériques et du Big Data quatre principes de « données citoyennes » sont définis pour la production de statistiques publiques : l'expérimentalisme, les sciences participatives, les statistiques intelligentes et la protection des données dès la conception.
  • L'expérimentalisme signifie être réceptif à une organisation potentiellement différente des relations entre les participants associés à l'élaboration des données.
  • Les sciences participatives exigent des modèles de co-production permettant aux citoyens d'influencer les manières d'appréhender et de générer les données.
  • Les statistiques intelligentes (smart statistics) nécessitent une approche bienveillante et prudente – dite « care-full » – offrant un champ éthique plus large qui associe les intérêts et les contributions des citoyens à la création de nouveaux dispositifs de production des données.
  • La protection des données dès la conception consiste à intégrer le droit du citoyen au respect de sa vie privée tant dans la conception logicielle en amont que dans les relations avec un citoyen co-producteur des données à tous les stades de leur production, plutôt que comme un correctif en aval des processus.

Message

Les propositions qui appellent les INS à défendre la légitimité de la statistique publique en apportant la preuve de sa fiabilité ou en « montrant du doigt les mauvais élèves » nourrissent probablement le postulat selon lequel il ne s'agit là que de remporter une bataille de « faits ». Bien au contraire, les INS ont aussi vocation à promouvoir la statistique publique comme une réussite collective, dont la légitimité procède de modalités de co-production et de délibération démocratique permettant aux citoyens de contribuer activement à la construction des savoirs des sociétés dont ils sont membres. Si elles soulèvent de nombreuses questions pratiques et politiques telles que la représentativité, l'inclusivité et la qualité des données co-produites, les expériences récentes de réutilisation des données numériques massives suggèrent qu'il n'existe pas un seul mode de production, ni un unique ensemble de normes, par lequel les statistiques peuvent devenir « publiques » et, en retour, inspirer la confiance des citoyens.

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