Arc jurassien franco-suisse : quatre territoires pour une coopération diversifiée

L’Arc jurassien s’étend de part et d’autre des 230 km de frontière que partagent la Bourgogne-Franche-Comté et la Suisse. Pour l’essentiel, c’est un territoire de moyenne montagne, notamment au sud où la ligne de crête du massif du Jura sert de frontière. La partie suisse est trois fois plus densément peuplée que la partie française. Elle compte de nombreux établissements industriels, qui attirent une main d’œuvre frontalière, venant de la partie française, plus rurale mais en croissance démographique.

Les relations entre les deux versants se concrétisent avant tout par le déplacement quotidien de 32 000 actifs résidant en France et travaillant en Suisse. Ce travail frontalier est un vecteur fort de coopération. Il génère des problématiques que les deux pays doivent partager comme l’aménagement des voies de communication et l’amélioration du réseau ferré, l’adaptation des formations aux emplois ou encore la préservation du milieu naturel. D’autres formes de coopération s’organisent en fonction des similitudes économiques, des complémentarités socio-culturelles ou des contrastes démographiques. Des projets restent à construire dans ce territoire lié par une même identité linguistique ainsi qu’un savoir-faire industriel d’excellence dans les microtechniques.

Pour mieux définir et orienter la stratégie transfrontalière, quatre territoires de coopération franco-suisses ont été identifiés au sein de l’Arc jurassien. Du nord au sud, il s’agit des territoires « Nord Franche-Comté – Canton du Jura », « Parcs du Doubs et Agglomération urbaine du Doubs », « Aire de proximité Mont d’Or – Chasseron » et « Haut-Jura franco-suisse et Vallée de Joux » (figure 1).

Cette bande frontalière de 6 820 km² compte 775 000 habitants ; 30 000 actifs résidant côté français vont travailler en Suisse (figure 6).

C’est dans le territoire de coopération « Parcs du Doubs et Agglomération urbaine du Doubs » que le travail frontalier est le plus fréquent : il concerne un tiers des actifs de la partie française, soit 10 800 personnes qui résident dans des communes proches de la frontière comme Morteau ou de Villers-le-Lac, ou plus éloignée comme Valdahon. La grande majorité d’entre eux se rendent au Locle ou à la Chaux-de-Fonds, deux pôles d’emploi suisses des industries horlogère et de précision. Ici les frontaliers occupent 22 % des emplois, avec un maximun de 40 % au Locle (figure 2).

La quasi-totalité de ces travailleurs frontaliers font le trajet en voiture. La route Besançon-Neuchâtel, dite « route des microtechniques » est une des voies les plus fréquentées de l’Arc jurassien. Quelques frontaliers, 3 %, utilisent les transports en commun notamment le « train des horlogers », ligne ferroviaire entre Besançon et la Chaux-de-Fonds.

Ce travail frontalier ne cesse de se développer malgré un petit ralentissement en 2016 consécutif à celui de l’activité horlogère suisse. De plus en plus de jeunes actifs s’installent dans la partie française dont la croissance démographique est soutenue, deux fois plus élevée que dans la partie suisse. Elle tend ainsi à devenir une zone résidentielle dépendante du marché du travail suisse où la densité d’emplois est six fois plus élevée.

Pour atténuer cette trop grande spécialisation des territoires, d’autres projets de coopération tournés davantage sur la mutualisation sont en cours. Le Doubs qui sert ici de frontière naturelle constitue un vecteur fort de coopération autour de projets touristiques ou environnementaux, comme celui du Parc naturel régional du Doubs Horloger qui prolongera le Parc naturel régional du Doubs situé en Suisse.

L’« Aire de proximité Mont d’Or – Chasseron » constitue un autre territoire de coopération où le travail frontalier compte dans l’économie. Près de 9 900 actifs résidant dans la partie française vont travailler en Suisse, soit un tiers de ses actifs occupés. Une majorité d’entre eux résident dans la principale commune, Pontarlier, ou dans ses environs. Les destinations suisses de ces frontaliers sont multiples : le Val-de-Travers où sont localisés de nombreux établissements industriels, Yverdon-les-Bains, Le Chenit avec ses établissements horlogers ou Lausanne avec ses nombreux emplois tertiaires, ces deux dernières destinations se situant en dehors du territoire de coopération.

Cette dispersion géographique des lieux de travail des frontaliers s’accompagne d’une diversité des emplois et donc de leurs professions : à côté des ouvriers qualifiés qui restent majoritaires, se trouvent aussi des cadres ou des employés. Ne reposant ni sur le seul secteur industriel, ni sur une seule zone géographique, la « dépendance » à l’économie suisse de la partie française s’en trouve minorée.

Par ailleurs, des similitudes existent entre les deux versants qui partagent une croissance démographique soutenue et une économie diversifiée, davantage tertiaire et agricole que les autres territoires de coopération (figure 3). Dans ce contexte d’équilibre, des collaborations transfrontalières en faveur du développement économique ont été identifiées comme l’introduction d’une offre de services dans les gares transfrontalières ou des projets touristiques pour mieux valoriser le patrimoine naturel offert par les massifs montagneux. Les liens et complémentarités pourraient aussi être renforcés entre les pôles urbains, notamment entre les centres de formation.

Bien différent est le contexte de coopération dans le « Haut-Jura franco-suisse et Vallée de Joux » composé de deux versants très contrastés, très montagneux dans sa partie française tandis que la partie suisse s’étend jusqu’aux vastes plaines qui bordent le lac Léman.

Du fait de cette topographie, la partie helvétique est quatre fois plus peuplée que la partie française, avec une forte densité de peuplement au bord du lac Léman et le long de la frontière en direction du Chenit, pôle horloger suisse. Presque toutes ses communes gagnent des habitants, celles situées près de la frontière, Saint-Cergue ou Arzier, comme celles bordant le lac Léman qui bénéficient des opportunités économiques offertes par le bassin lémanique (figure 4). À l’inverse, le nombre d’habitants diminue de l’autre côté de la frontière, cette déprise démographique étant marquée à Saint-Claude, les Hauts de Bienne et leurs environs alors que les communes frontalières et/ou situées dans des zones touristiques du Jura sont en croissance.

Les contrastes économiques sont l’image des contrastes démographiques : côté suisse, les emplois sont nombreux, tertiaires, concentrés le long du lac Léman et se développent. La partie française compte trois fois moins d’emplois et l’industrie y est encore très présente.

Au sein du versant français, les écarts de développement se creusent entre les communes frontalières et les autres. Seules les communes proches des routes reliant Les Rousses à Saint-Cergue et Bois-d’Amont au Chenit sont concernées par le travail frontalier, soit 4 200 personnes qui vont travailler principalement à Nyon et au Chenit.

Favoriser des projets de coopération pouvant bénéficier aux communes les plus enclavées du territoire est un enjeu fort. Dans cet environnement de montagnes qui compte plusieurs domaines skiables, l’offre hivernale à destination des touristes pourrait être renforcée par une gestion commune des domaines. La proximité de Lausanne, ville d’accueil des JO d’hiver de la jeunesse, constitue aussi une opportunité pour renforcer la coopération avec l’organisation locale de certaines épreuves.

Les versants français et suisse du territoire de coopération « Nord Franche-Comté – Canton du Jura » sont aussi très contrastés. Ici la zone la plus urbanisée se situe en France, avec trois villes importantes : Belfort, Montbéliard et Audincourt. De fait, la densité de peuplement dépasse les 304 habitants au km², très supérieure à celle de la partie suisse (105 habitants au km²) qui ne compte qu’une seule commune de plus de 10 000 habitants, Delémont. Au total, avec 329 900 habitants, ce territoire est le plus peuplé des quatre territoires de coopération.

À l’image de la répartition des habitants, les 144 700 emplois sont majoritairement implantés dans la partie française (figure 5). C’est un espace économique à forte orientation industrielle où est localisé le plus gros établissement de l’Arc jurassien, celui de PSA Sochaux. Côté suisse, l’industrie est davantage diversifiée et composée d’établissements de taille moyenne.

Le travail frontalier pèse peu et ne concerne que 5 % de la population active, soit 5 500 personnes. La plupart d’entre elles résident dans un maillage de petites communes proches de la frontière et se rendent à Porrentruy et Delémont, deux pôles d’emplois suisses facilement accessibles par la route. Un seul flux de travailleurs dépasse les 100 actifs, celui entre Delle et Porrentruy. Cette configuration des flux rend difficile leur organisation en transport en commun, un mode utilisé par seulement 1,6 % des frontaliers. Cette part pourrait toutefois augmenter avec la mise en service de la liaison ferroviaire reliant Belfort, Delle et Bienne.

La coopération se développe ici dans d’autres domaines que le travail frontalier. Des actions communes existent dans le domaine de la culture ou dans celui de l’enseignement supérieur. Ainsi les trois établissements d’enseignement supérieur présents dans ce territoire coopèrent dans le cadre du réseau transfrontalier appelé « la Communauté du savoir »: l’Université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM), et les établissements de la Haute école pédagogique des cantons de Berne, du Jura et de Neuchâtel (HEP-BEJUNE) et la Haute école Arc (HE-Arc).

La santé est aussi un domaine de coopérations en cours et à venir, que pourrait faciliter le nouvel hôpital Nord Franche-Comté.