Insee Analyses Grand EstLes mutations économiques renforcent les spécificités territoriales

Noël Gascard, Anh Van Lu, Insee

Ces trente dernières années, le paysage économique du Grand Est s'est profondément transformé. Sous l'effet de la mondialisation et des restructurations économiques, les activités productives ont perdu 200 000 emplois dans l'ensemble du Grand Est en faveur des activités présentielles, au service de la population locale. Entre 1982 et 2013, le nombre d’emplois de la sphère présentielle a augmenté de 350 000 et représente désormais deux tiers de l’ensemble des emplois. Ces mutations économiques de grande ampleur s'accompagnent d'une répartition spatiale de l'emploi de plus en plus hétérogène au sein du Grand Est.

Les fonctions productives se regroupent autour des grands pôles d'emploi régionaux, nationaux et frontaliers : Strasbourg, Paris, Luxembourg et Bâle. Les grandes agglomérations de la région concentrent de plus en plus population, emploi et fonctions stratégiques. Parmi les territoires éloignés des pôles, certains développent une économie présentielle par leurs attraits touristiques, malgré un déclin démographique.

Noël Gascard, Anh Van Lu, Insee
Insee Analyses Grand Est No 52- Septembre 2017

Le développement économique d'un territoire s'apprécie à première vue par l'activité générée par les entreprises qui s'y trouvent et s'y installent. L'évolution de l'emploi dépend de la capacité des entreprises à créer de la valeur ajoutée dans le cadre d'une concurrence plus ou moins mondialisée. Les activités qui produisent des biens destinés à être majoritairement consommés hors de la région, ainsi que les activités de services aux entreprises forment la sphère productive (). Dans le Grand Est, le nombre d'emplois de la sphère productive se réduit de 0,8 % par an en moyenne depuis trente ans (figure 1), passant de 938 700 en 1982 à 736 300 en 2013. Cette réduction doit être tempérée par l'examen de l'évolution de l'emploi des activités liées à la population, qui font plus que compenser les pertes de la sphère productive : toutes activités confondues, l’emploi dans la région progresse de 143 700 sur cette même période.

Ainsi, une part du développement des territoires ne relève pas de la production locale de biens et de services exportables. Les pensions de retraites, les salaires publics, les prestations sociales, les dépenses touristiques ou encore les revenus des actifs vivant dans la région et travaillant ailleurs sont autant de revenus venant l'irriguer sans lien direct avec le niveau et la qualité de son système productif. Ces revenus constituent une demande solvable pour les activités de la sphère présentielle (), c'est-à-dire au service de la population locale. Le développement de ces dernières a plus que compensé la baisse de l'emploi de la sphère productive, créant 346 100 emplois dans le Grand Est entre 1982 et 2013.

Un quart de ces emplois provient de la progression des activités présentielles marchandes (), répondant directement à la satisfaction de la demande locale : construction, commerce, services aux particuliers. Leur évolution est très liée à la dynamique démographique du territoire. Durant la période 1990-2008 pendant laquelle la population du Grand Est a plus fortement augmenté, la croissance de l'emploi présentiel marchand a été plus importante (+ 0,9 % en moyenne annuelle) que sur les périodes 1982-1990 (+ 0,1 %) et 2008-2013 (- 0,4 %).

Les autres emplois créés dans la région le sont dans les activités présentielles non marchandes : administration publique, enseignement, santé humaine et action sociale. À la différence des secteurs marchands, leur évolution est moins sensible aux inflexions démographiques. Elle dépend généralement d'autres facteurs exogènes au territoire, telles les politiques de décentralisation ou encore l'évolution des budgets publics. Ainsi, avec les politiques de consolidation des finances publiques, ces dernières ayant été directement affectées par la crise économique et financière, l'emploi de la sphère présentielle non marchande dans le Grand Est progresse beaucoup moins sur la période 2008-2013 (+ 0,3 %), alors qu'il évoluait à un rythme soutenu sur 1982-2008 (entre + 1,6 % et + 1,9 %).

La dynamique de l'emploi d'un territoire constitue un des facteurs majeurs de son attractivité, qui a in fine une incidence sur son évolution démographique. Ces trente dernières années, l'emploi dans le Grand Est évolue moins favorablement qu'au niveau national, que ce soit dans la sphère productive, la sphère présentielle marchande ou la sphère présentielle non marchande. En parallèle, la région connaît une croissance de la population plus faible qu'en France métropolitaine (+ 0,2 % contre + 0,5 % par an).

Figure 1Un tiers d'emplois en plus dans la sphère présentielle en trente ansÉvolution de la population et de l'emploi par sphère dans le Grand Est et en France métropolitaine entre 1982 et 2013

Un tiers d'emplois en plus dans la sphère présentielle en trente ans - Lecture : entre 1982 et 2013, la population du Grand Est progresse de 6,1 % contre 17,2 % en France métropolitaine. Dans le même temps, le nombre d'emplois de la sphère productive diminue de 21,6 % (contre 5,3 % au niveau national) alors que celui de la sphère présentielle marchande augmente de 15,7 % (25,0 % au niveau national) et celui de la sphère présentielle non marchande de 57,4 % (68,8 % au niveau national).
Base 100 Grand Est – sphère présentielle marchande Grand Est – sphère présentielle non marchande Grand Est – sphère productive Grand Est – ensemble de l'emploi Grand Est – population (échelle de droite) France métropolitaine – sphère présentielle marchande France métropolitaine – sphère présentielle non marchande France métropolitaine – sphère productive France métropolitaine – ensemble de l'emploi France métropolitaine – population (échelle de droite)
1982 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
1990 100,9 113,5 91,5 99,2 100,9 105,6 114,6 95,8 103,3 104,2
1999 105,4 134,5 86,5 102,9 103,0 105,6 137,5 92,6 107,0 107,7
2008 118,1 155,0 83,5 109,9 105,5 122,2 162,5 96,8 120,0 114,4
2013 115,7 157,4 78,4 107,3 106,1 125,0 168,8 94,7 121,4 117,2
  • Lecture : entre 1982 et 2013, la population du Grand Est progresse de 6,1 % contre 17,2 % en France métropolitaine. Dans le même temps, le nombre d'emplois de la sphère productive diminue de 21,6 % (contre 5,3 % au niveau national) alors que celui de la sphère présentielle marchande augmente de 15,7 % (25,0 % au niveau national) et celui de la sphère présentielle non marchande de 57,4 % (68,8 % au niveau national).
  • Source : Insee, recensements de la population.

Figure 1Un tiers d'emplois en plus dans la sphère présentielle en trente ansÉvolution de la population et de l'emploi par sphère dans le Grand Est et en France métropolitaine entre 1982 et 2013

  • Lecture : entre 1982 et 2013, la population du Grand Est progresse de 6,1 % contre 17,2 % en France métropolitaine. Dans le même temps, le nombre d'emplois de la sphère productive diminue de 21,6 % (contre 5,3 % au niveau national) alors que celui de la sphère présentielle marchande augmente de 15,7 % (25,0 % au niveau national) et celui de la sphère présentielle non marchande de 57,4 % (68,8 % au niveau national).
  • Source : Insee, recensements de la population.

L’emploi présentiel n’est pas forcément là où se concentre la population

La relation entre population et emploi, clairement discernable à un niveau régional, et au niveau des villes, devient plus floue à l'échelle des marchés locaux du travail. En 2013, un quart des zones d'emploi de la région dispose de moins de 11,6 emplois pour 100 habitants dans la sphère productive, un taux nettement inférieur au quart des zones en comptant le plus (14,4 emplois pour 100 habitants). La zone d'emploi la mieux pourvue, Épernay, en possède quatre fois plus que celle qui en a le moins, Longwy (figure 2). Si les avantages comparatifs territoriaux, telle la présence des vignes de champagne à Épernay, sont fortement discriminants pour la localisation des productions de biens et services en compétition, cette moindre relation entre population et emploi se constate à l'identique pour les activités présentielles, pourtant destinées à répondre à la demande locale. Un quart des zones d'emploi dispose de moins de 20,4 emplois présentiels pour 100 habitants, contre 26,6 pour le quart des zones d'emploi en comptant le plus. Cette disparité dans la répartition de l'emploi présentiel s'explique par l'existence de structures dont le rayonnement dépasse le simple cadre de la zone d'emploi dans laquelle elles sont implantées. Ainsi, de par son statut d'ancienne capitale régionale, Châlons-en-Champagne comporte des activités de services régionaux de l'État, ce qui en fait la première zone du Grand Est en termes d'emplois de la sphère présentielle non marchande. Celle de Remiremont, avec la présence du massif vosgien et ses aménités stimulant les activités touristiques, est la deuxième zone concernant l'importance relative des emplois présentiels marchands, derrière Strasbourg. La localisation de ces emplois ne répond pas nécessairement à des logiques d'agglomération : ils ne se concentrent pas forcément dans les espaces les plus habités. Les zones d'emploi de Mulhouse et de Thionville font partie des trois les plus densément peuplées du Grand Est, avec celle de Strasbourg. Elles se classent à un rang nettement moindre pour l'emploi au regard de leur population, quelle que soit la sphère considérée.

Figure 2Le nombre d'emplois par habitant ne dépend pas de la densité de population des marchés locaux du travailNombre d’emplois par rapport à la population, selon les sphères et les zones d'emploi du Grand Est

Le nombre d'emplois par habitant ne dépend pas de la densité de population des marchés locaux du travail - Lecture : en 2013, la zone d'emploi de Strasbourg est la plus densément peuplée de la région, avec 683 habitants par km². Elle compte 47,8 emplois pour 100 habitants, dont 15,9 dans la sphère productive, 16,6 dans la sphère présentielle marchande et 15,3 dans la sphère présentielle non marchande.
Sphère présentielle marchande Sphère présentielle non marchande Sphère productive Densité de population
Strasbourg 16,64 15,31 15,87 683,1
Épernay 10,73 9,92 22,06 49,4
Châlons-en-Champagne 12,12 17,17 13,13 39,6
Colmar 13,76 13,43 14,94 178
Reims 13,70 13,90 14,30 99,3
Chaumont - Langres 12,13 14,23 14,64 23,9
Nancy 12,99 16,02 11,80 151,7
Remiremont 14,40 10,46 14,40 88,9
Neufchâteau 12,06 12,06 14,92 31,5
Bar-le-Duc 10,88 15,42 12,70 44,1
Verdun 11,41 16,11 11,41 29,8
Molsheim - Obernai 10,65 8,69 18,68 153,1
Metz 13,44 13,32 11,21 170,4
Épinal 11,16 14,37 12,41 71,7
Mulhouse 11,78 11,33 13,86 284,3
Troyes 11,75 10,96 14,14 50,2
Vitry-le-François - Saint-Dizier 10,10 12,74 13,94 41,6
Saverne 10,78 9,69 16,23 91,8
Sarrebourg 11,13 13,78 11,31 56,6
Charleville-Mézières 10,80 12,20 12,62 71,3
Lunéville 12,11 15,92 7,51 99,9
Sélestat 11,20 9,63 14,33 127,7
Haguenau 10,62 9,70 14,49 162,9
Sarreguemines 9,72 11,30 13,06 108
Saint-Dié-des-Vosges 10,55 10,28 12,82 74,9
Commercy 7,76 10,78 12,07 23,2
Forbach 9,46 10,08 11,03 178,6
Saint-Louis 10,26 8,05 10,51 162,7
Wissembourg 7,69 9,32 11,71 117
Thionville 9,32 10,18 9,06 268,2
Longwy 7,61 7,78 5,19 115,7
  • Lecture : en 2013, la zone d'emploi de Strasbourg est la plus densément peuplée de la région, avec 683 habitants par km². Elle compte 47,8 emplois pour 100 habitants, dont 15,9 dans la sphère productive, 16,6 dans la sphère présentielle marchande et 15,3 dans la sphère présentielle non marchande.
  • Source : Insee, recensement de la population 2013.

Figure 2Le nombre d'emplois par habitant ne dépend pas de la densité de population des marchés locaux du travailNombre d’emplois par rapport à la population, selon les sphères et les zones d'emploi du Grand Est

  • Lecture : en 2013, la zone d'emploi de Strasbourg est la plus densément peuplée de la région, avec 683 habitants par km². Elle compte 47,8 emplois pour 100 habitants, dont 15,9 dans la sphère productive, 16,6 dans la sphère présentielle marchande et 15,3 dans la sphère présentielle non marchande.
  • Source : Insee, recensement de la population 2013.

Une implantation des fonctions productives sur les flancs est et ouest de la région

L'emploi de la sphère productive se distingue de celui de la sphère présentielle par une répartition dans l'espace régional beaucoup plus marquée. En 2013, les zones d'emploi où la part de la sphère productive dans l'emploi est importante sont localisées dans deux espaces spécifiques (figure 3) : à l'ouest, un arc s'étalant de Reims à Neufchâteau et passant par Épernay, Troyes et Chaumont-Langres ; à l'est, la quasi-totalité du Bas-Rhin et le nord du Haut-Rhin. À l’inverse, les zones d’emploi où la part de la sphère présentielle dans l’emploi est élevée se répartissent de manière plus homogène dans l'espace régional. Ce phénomène de regroupement des fonctions productives au sein du Grand Est n'existait pas il y a trente ans. Quatre grands régimes de croissance de zones d'emploi peuvent être mis en évidence (« Les dynamiques socio-économiques du Grand Est dans son environnement régional et transfrontalier », Insee Dossier Grand Est n° 4, décembre 2016) : les territoires suivant un cercle vertueux de croissance, les territoires en développement de type résidentiel, les territoires confrontés à des dynamiques contradictoires et les territoires isolés de la croissance. Combinant évolution de l'emploi des sphères productive et présentielle marchande et celle de la population, ils permettent de mieux appréhender les logiques de spatialisation de l'emploi ayant cours dans le Grand Est. Les dynamiques de l'emploi présentiel non marchand sont peu discriminantes entre zones d'emploi de la région, avec une progression allant de + 1,0 % à + 2,5 % par an en moyenne entre 1982 et 2013 : elles sont principalement liées à des facteurs exogènes au territoire (politiques et finances publiques).

Figure 3L'emploi productif relativement plus présent aux extrémités du territoire régionalNombre d'emplois pour 100 habitants par rapport à la population selon les sphères, dans les zones d'emploi du Grand Est

  • Lecture : la zone d'emploi de Reims compte 14,3 emplois pour 100 habitants dans la sphère productive, 13,7 dans la sphère présentielle marchande et 13,9 dans la sphère présentielle non marchande.
  • Source : Insee, recensement de la population 2013.

La croissance de Strasbourg et des principales agglomérations frontalières irrigue une partie de la région

Les régimes de développement différenciés entre zones d'emploi du Grand Est traduisent des phénomènes de propagation de la croissance à partir des grands pôles urbains (figure 4). À l'Est, le dynamisme strasbourgeois s'étend aux zones d'emplois limitrophes. Entre 1982 et 2013, celles de Colmar, Haguenau, Molsheim - Obernai et Sélestat vivent un accroissement simultané de leur population et de l'emploi productif et de l'emploi présentiel marchand, de manière similaire à Strasbourg. Les zones de Saverne, Sarrebourg et Wissembourg sont situées dans une « deuxième couronne » d'influence de l'Eurométropole : elles bénéficient d'un développement de type résidentiel, c'est-à-dire d'une hausse de la population et du nombre d'emplois présentiels, sans pour autant en gagner dans la sphère productive. La diffusion de croissance peut provenir également de l'étranger, même si elle demeure limitée. Le dynamisme de Bâle côté Suisse s'étend à Saint-Louis, qui s'inscrit dans un développement vertueux. Celui du pôle luxembourgeois, particulièrement depuis la fin des années 1990, profite aux zones du nord de la Lorraine : les zones de Longwy et de Thionville s'inscrivent depuis 1999 dans un développement de type résidentiel, succédant à une période de déclin démographique et de recul généralisé de l'emploi. Les pôles allemands, notamment Karlsruhe et Freiburg, influent sur le développement des zones d'emploi du Grand Est qui leur sont proches. La diffusion de la croissance allemande sur la région s'atténue sur la période récente, avec une baisse du nombre de travailleurs frontaliers.

Figure 4Régimes de croissance et principales attractionsProfils de développement des zones d'emploi entre 1982 et 2013

  • Lecture : les zones d'emploi ayant un profil « cercle vertueux de croissance » ont en moyenne un taux d'évolution annuel de l'emploi nul dans la sphère productive sur l'ensemble de la période 1982-2013. Celle qui a l'évolution la moins favorable connaît une baisse annuelle de 0,3 % par an ; celle qui présente l'évolution la plus favorable enregistre une progression de 0,9 % par an.
  • Source : Insee, recensements de la population.

Une économie résidentielle se développe autour des autres grandes agglomérations

À l'exception de Strasbourg, les activités de la sphère productive sont en recul dans les plus grandes agglomérations de la région : Metz, Mulhouse, Nancy, Reims et Troyes. La population continue cependant de croître comme les emplois de la sphère présentielle marchande. Ce profil de développement de type résidentiel est lié au phénomène de métropolisation, c'est-à-dire de concentration des richesses matérielles et immatérielles dans certaines parties du territoire régional. Les zones d'emploi de Metz, Mulhouse et Troyes bénéficient également de la propagation de la croissance, venant respectivement du Luxembourg, de la Suisse et de la région parisienne. L'essor de la zone d'emploi de Nancy, plus isolée au centre du Grand Est, profite à ses zones limitrophes Lunéville et Commercy, qui suivent depuis 1999 un développement de type résidentiel alors que la population et l'emploi présentiel y reculaient pendant la période précédente. À l'ouest, Reims se distingue par un maintien de ses activités productives : la baisse de l'emploi de la sphère productive y est faible. Comme pour la zone d'emploi d'Épernay, la présence de l'économie du Champagne, à forte valeur ajoutée et non délocalisable, constitue un atout indéniable au maintien des fonctions productives. Dans une moindre mesure, la zone d'emploi de Châlons-en-Champagne présente des caractéristiques similaires aux autres grandes agglomérations du Grand Est : la population y est relativement stable ces trente dernières années, tout comme l'emploi présentiel marchand.

Des territoires isolés de la croissance des grands pôles, qui bénéficient de l'emploi touristique

Dans l’espace en « écharpe » partant de la pointe des Ardennes, descendant jusqu'à la Haute-Marne et remontant des Vosges jusqu'à Forbach-Sarreguemines, les zones d'emploi profitent peu des effets de la croissance des grands pôles. Généralement caractérisées par un appareil productif peu tertiarisé, elles cumulent pertes de population et d'emplois dans les sphères productive et présentielle marchande durant ces trente dernières années. Certains territoires pourtant isolés se démarquent. Avec ses attraits touristiques, la zone d'emploi de Remiremont dans les Vosges fait apparaître un accroissement de l'emploi présentiel marchand quand bien même son nombre d'habitants décroît. Les autres zones vosgiennes d'Épinal, Neufchâteau et Saint-Dié-des-Vosges, tirent également parti du tourisme de manière plus diffuse, mais aussi d'un certain attrait résidentiel lié à leurs aménités. La zone d'emploi de Sarreguemines présente globalement un profil de développement vertueux sur trente ans : elle a bénéficié de l'implantation de l’usine de montage automobile Smart dans les années 1990, mais suit la même tendance que les autres territoires isolés de la croissance des grands pôles sur les périodes récentes.

La concentration des emplois métropolitains s'accentue en trente ans

Les effets de la métropolisation se traduisent non seulement par une concentration des habitants dans certains espaces du territoire régional, mais également par celle des fonctions stratégiques ou de commandement, appelées fonctions métropolitaines (). Le poids de ces fonctions métropolitaines est le plus important dans les zones d'emploi des grandes agglomérations de la région (figure 5). La plus grande d'entre elles, Strasbourg, se détache avec 30,6 % de ses emplois liés à des fonctions métropolitaines, presque 7 points de plus que la deuxième zone, Nancy. Les trois autres plus grands pôles du Grand Est (Metz, Mulhouse, Reims) sont les autres territoires ayant les plus forts taux d'emploi des fonctions métropolitaines, avec des valeurs au-dessus de la moyenne régionale (21,0 %). Dans une moindre mesure, des agglomérations de second rang (Épinal, Troyes) bénéficient également de la métropolisation, se situant dans le tiers des zones d'emploi ayant les taux les plus élevés. Avec seulement 16,4 % d'emplois des fonctions métropolitaines, Châlons-en-Champagne se distingue par son statut d'ancienne capitale régionale. Elle compte de loin la plus forte proportion d'emplois dans la fonction Administration publique, sans que ces emplois ne relèvent de fonctions métropolitaines.

Les autres territoires les plus pourvus en fonctions métropolitaines sont ceux qui tirent profit de la diffusion de croissance des grands pôles, en provenance de Strasbourg et de Bâle. Les zones d'emploi de Colmar, Haguenau, Molsheim - Obernai, Saverne, Sélestat et Saint-Louis comptent entre 19,2 % et 21,1 % de leur emploi dans des fonctions métropolitaines. L'effet de la diffusion de croissance est particulièrement marqué pour la sphère productive. Molsheim - Obernai et Saverne se classent respectivement au deuxième et troisième rang des zones d'emploi de la région ayant la plus forte proportion d'emplois des fonctions métropolitaines de la sphère productive. Le reste du territoire régional regroupe beaucoup moins de fonctions métropolitaines : moins de 18,0 % des emplois quelle que soit la zone.

Cette spécialisation de l'emploi induite par la métropolisation s'associe à une concentration encore plus forte des emplois les plus qualifiés, les cadres des fonctions métropolitaines (CFM), qui permettent d'approcher de manière plus précise les emplois stratégiques dans le rayonnement des métropoles. L'écart sur le champ spécifique des CFM se creuse entre la zone d'emploi strasbourgeoise et le reste de la région. La proportion de CFM dans l'emploi y est d'un tiers supérieure à celle de Nancy, contre un quart pour l'ensemble des emplois des fonctions métropolitaines. Les zones d'emploi bénéficiant du rayonnement de Strasbourg, ainsi que celle de Saint-Louis avec Bâle, ont des parts de CFM élevées, similaires à celles des grandes agglomérations du Grand Est. Cette forte concentration des emplois des fonctions métropolitaines les plus qualifiées autour de l'Eurométropole s'est renforcée ces trente dernières années. En 2013, Strasbourg et les zones d'emploi alentours rassemblent un tiers des CFM du Grand Est. Elles en regroupaient un quart en 1982.

Figure 5Les fonctions métropolitaines sont localisées dans les grandes agglomérations et autour des pôles de croissancePart des emplois et des cadres des fonctions métropolitaines dans l'emploi total dans les zones d'emploi du Grand Est en 2013

Les fonctions métropolitaines sont localisées dans les grandes agglomérations et autour des pôles de croissance - Lecture : dans la zone d'emploi de Strasbourg, 30,6 % des emplois sont liés aux fonctions métropolitaines dont 15,9 % dans la sphère productive et 14,7 % dans la sphère présentielle ; la part des cadres des fonctions métropolitaines dans l'emploi total s'y élève à 11,8 %.
Sphère présentielle Sphère productive Cadres des fonctions métropolitaines
Strasbourg 14,69 15,89 11,80
Nancy 12,30 11,37 8,03
Reims 11,59 11,73 7,21
Mulhouse 9,94 12,12 6,67
Metz 11,80 9,98 6,75
Colmar 9,32 11,79 6,38
Molsheim – Obernai 6,44 14,52 6,79
Saint-Louis 8,64 11,53 6,66
Sélestat 8,31 11,72 6,06
Saverne 6,49 13,25 6,08
Troyes 8,96 10,54 5,21
Haguenau 7,21 11,97 5,72
Épinal 9,93 9,14 5,46
Thionville 8,75 9,08 4,80
Épernay 6,57 11,08 4,96
Remiremont 8,08 9,21 4,48
Bar-le-Duc 9,30 7,86 4,37
Forbach 8,07 9,03 4,08
Châlons-en-Champagne 9,11 7,33 4,55
Sarreguemines 6,86 9,38 4,21
Saint-Dié-des-Vosges 6,91 8,91 4,37
Chaumont-Langres 8,55 7,21 3,89
Charleville-Mézières 8,00 7,48 3,87
Wissembourg 5,88 9,20 4,41
Lunéville 8,81 6,04 3,40
Vitry-le-François – Saint-Dizier 6,84 7,58 3,40
Sarrebourg 6,52 7,72 4,34
Verdun 7,55 6,11 3,25
Neufchâteau 6,14 7,33 3,63
Longwy 8,47 4,76 2,71
Commercy 5,66 6,87 3,12
  • Lecture : dans la zone d'emploi de Strasbourg, 30,6 % des emplois sont liés aux fonctions métropolitaines dont 15,9 % dans la sphère productive et 14,7 % dans la sphère présentielle ; la part des cadres des fonctions métropolitaines dans l'emploi total s'y élève à 11,8 %.
  • Source : Insee, recensement de la population 2013.

Figure 5Les fonctions métropolitaines sont localisées dans les grandes agglomérations et autour des pôles de croissancePart des emplois et des cadres des fonctions métropolitaines dans l'emploi total dans les zones d'emploi du Grand Est en 2013

  • Lecture : dans la zone d'emploi de Strasbourg, 30,6 % des emplois sont liés aux fonctions métropolitaines dont 15,9 % dans la sphère productive et 14,7 % dans la sphère présentielle ; la part des cadres des fonctions métropolitaines dans l'emploi total s'y élève à 11,8 %.
  • Source : Insee, recensement de la population 2013.

Partenariat

L’étude a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l'Agence de développement et d'urbanisme de l'agglomération strasbourgeoise et la Direction régionale de l’Insee du Grand Est.

Définitions

La sphère productive réunit les activités qui produisent des biens majoritairement consommés hors de la zone et des activités de services tournées principalement vers les entreprises de cette sphère. Ce sont les activités les plus concurrencées.

La sphère présentielle regroupe les activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins des personnes présentes dans la zone, qu'elles soient résidentes ou touristes. Les activités présentielles se scindent entre activités marchandes, qui produisent des biens et des services vendus sur le marché et activités non marchandes, qui regroupent les secteurs de l'administration publique, l'enseignement, la santé humaine et l'action sociale, financées par des prélèvements.

L'analyse fonctionnelle permet une approche transversale aux secteurs d'activité traditionnellement utilisés. Les actifs sont ainsi répartis en 15 fonctions définies à partir de la profession exercée. En cohérence avec cette analyse transversale, cinq fonctions métropolitaines ont été dégagées, du fait de leur présence spécifique au sein des grandes aires urbaines. Ces fonctions sont la conception-recherche, les prestations intellectuelles, le commerce inter-entreprises, la gestion et la culture-loisirs. Le concept de cadres des fonctions métropolitaines (CFM) vise à offrir une notion proche des emplois stratégiques, en assurant la cohérence avec les fonctions. La présence d'emplois stratégiques est utilisée dans l'approche du rayonnement ou de l'attractivité d'un territoire.

Une zone d'emploi est un espace à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent. Ce zonage constitue une partition du territoire adaptée pour l'analyse du fonctionnement des marchés locaux du travail.

Pour en savoir plus

Cacheux L., Creusat J., Eichwald-Isel A., « Les dynamiques socio-économiques du Grand Est dans son environnement régional et transfrontalier », Insee Dossier Grand Est n° 4, décembre 2016.

Isel A., Kuhn C., « Une croissance de l'emploi localisée en périphérie des plus grands pôles urbains », Insee Analyses Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine n° 19, août 2016.

Hecquet V., « Emploi et territoires de 1975 à 2009 : tertiarisation et rétrécissement de la sphère productive », Économie et statistique n° 462-463, 2013.