Les hameaux : de « nouveaux villages » ou quand le développement démographique se fait hors du chef-lieu
Localiser les zones de peuplement en milieu rural est essentiel pour les politiques territoriales, notamment quand elles se situent hors des chefs-lieux communaux. La Corse compte ainsi 42 « communes éclatées », c’est à dire des communes où la majeure partie de la population réside dans les hameaux. De par leur équipement important en commerces et services, ces hameaux sont de véritables pôles de développement. Leur accroissement au fil des années est la conséquence de l’expansion de la population le long du littoral et des routes principales. Localisés pour la plupart sur la rive sud du golfe d’Ajaccio, autour des golfes de Sagone et de Porto, sur l’axe Ajaccio-Bastia, dans la plaine orientale et le sud-est de l’île, ces « nouveaux villages » et leurs zones d’influence redessinent le paysage économique et social du territoire.
La nécessité de situer les zones de peuplement
La question de l’accès aux équipements de proximité en milieu rural est essentielle pour les politiques territoriales. En effet, la présence de commerces et de services est indispensable pour améliorer la qualité de vie des résidents, en attirer de nouveaux et favoriser l’émergence de nouvelles activités économiques.
L’accessibilité à un équipement est mesurée en référence à son temps d’accès pour la population. Cette mesure est effectuée à partir du chef-lieu des communes car il concentre généralement une majeure partie des habitants. Or, dans certaines communes insulaires, ce calcul ne correspond pas à la réalité car le chef-lieu ne regroupe plus la majorité des résidents.
42 « communes éclatées »
Les communes qui sont dans ce cas sont appelées « communes éclatées ». Leur zone de peuplement est scindée en chef-lieu et hameaux et se caractérise par des hameaux plus peuplés que le chef-lieu historique.
Aujourd’hui, la Corse compte 42 « communes éclatées » (figure 1). Lors de l’Inventaire communal de 1998, elle en avait le même nombre mais depuis, 11 communes ne correspondent plus au critère actuel de « commune éclatée », soit parce qu’elles ne présentent plus de scissions nettes entre chef-lieu et hameaux (Santa-Lucia-di-Moriani, Santa-Maria-Poggio et San-Nicolao) soit parce que le chef-lieu concentre la majorité de la population et des services (Calcatoggio, Conca, Lecci, Olmeto, Sari-Solenzara, Cervione, Ventiseri, Vico). Parallèlement, 11 nouvelles communes se sont « éclatées » : Canale-di-verde, Castillo-di-Rostino, Chiatra, Foce, Monte, Omessa, Pancheraccia, Serra-di-Fiumorbo, Sisco, Vigianello et Volpajola.
En Corse, 53 000 personnes vivent dans les « communes éclatées », soit un cinquième de la population insulaire.
graphiqueFigure 1 – Des communes ayant pour la plupart une façade maritimeLes 42 « communes éclatées » de Corse
Un chef-lieu et un ou plusieurs hameaux
On distingue deux types de « communes éclatées », les bipolarisées et les multipolarisées. Les communes bipolarisées, au nombre de 33, comptent chacune un seul hameau qui regroupe la majeure partie de la population. Les 9 communes multipolarisées se caractérisent par plusieurs hameaux de taille significative. Il s’agit d’Albitreccia, Coti-Chiavari, Borgo, Lucciana, Prunelli-di-Fiumorbo, San-Giuliano, Serra-di-Ferro, Taglio-Isolaccio et Zonza.
Au sein des « communes éclatées », en moyenne 18,6 % de la population réside dans le chef-lieu, le reste se situant dans le ou les hameaux (figure 2). La part des habitants vivant dans le chef-lieu varie fortement selon les communes : elle passe de seulement 2,5 % à Prunelli-di-Fiumorbo à 49,2 % à Borgo. Parallèlement, le temps d’accès moyen entre le chef-lieu d’une « commune éclatée » et son hameau le plus peuplé est de 17 minutes. Il est également très disparate, passant de moins de 10 minutes pour neuf communes à plus de 25 minutes dans six communes (figure 8).
tableauFigure 2 – Dans neuf communes, plus de 90 % de la population réside hors chef-lieuRépartition des "communes éclatées" par tranche de pourcentage de la population hors chef-lieu
"Communes éclatées" | ||
---|---|---|
Nombre | Nom | |
De 50 à moins de 70 % | 6 | Borgo, Chiatra, Ota, Pancheraccia, Rogliano, Volpajola |
De 70 à moins de 80 % | 13 | Casaglione, Cauro, Cognocoli-Monticchi, Cuttoli-Corticchiato, Foce, Omessa, Pietroso, Sarrola-Carcopino, Serra-di-Ferro, Sisco, Sorbo-Ocagnano, Taglio-Isolaccio, Vigianello |
De 80 à moins de 90 % | 14 | Canale-di-Verde, Castello-di-Rostino, Coggia, Coti-Chiavari, Grosseto-Prugna, Linguizzetta, Morosaglia, San-Gavino-di-Carbini, San-Giulano, Serra-di-Fiumorbo, Solaro, Talasani, Vescovato, Venzolasca |
90 % ou plus | 9 | Albitreccia, Lucciana, Monte, Penta-di-Casinca, Peri, Pietrosella, Poggio-Mezzana, Prunelli-di-Fiumorbo, Zonza |
- Source: Insee, Filosofi 2012
Les hameaux, pôles de développement
Dans les « communes éclatées », les hameaux sont en général mieux équipés que le chef-lieu car les commerces et les services s’agglomèrent là où la population est la plus importante, ce qui amène en retour l’installation de nouveaux habitants.
De par leurs nombreux commerces et services, les hameaux attirent également les résidents de leur chef-lieu et souvent même ceux des communes contiguës quand elles sont sous-équipées. Globalement, ils sont deux fois plus fréquemment équipés en commerces d’alimentation générale et en écoles que les chefs-lieux et quatre fois plus en médecins (figure 3). De même, ils sont mieux dotés dans le domaine des services postaux : six hameaux sur dix possèdent une agence postale contre cinq chefs-lieux sur dix. Ceci n’était pas le cas en 1998.
tableauFigure 3 – Les hameaux mieux équipés en services de proximitéTaux d‘équipement des chef-lieux et hameaux des « communes éclatées »
Equipements et services | Part des chefs-lieux équipés | Part des hameaux équipés |
---|---|---|
Alimentation générale | 31 | 79 |
Poste et agence postale | 45 | 60 |
Médecins | 10 | 43 |
Ecoles | 36 | 67 |
- Source: Insee, BPE 2014
L’attraction du littoral
Pour 34 communes, c’est le développement du littoral qui a favorisé la scission avec le chef-lieu situé sur le relief. Seules 8 n’ont pas de façade maritime. La forte attractivité du littoral en période estivale entraîne le développement d’infrastructures touristiques, de services et de commerces pour répondre à l’augmentation temporaire de la population présente. En effet, au pic de la saison, la population de l'île est multipliée par deux.
Dans le Cap Corse, les communes de Rogliano et Sisco concentrent population et équipements sur leurs façades maritimes, notamment au niveau du port de Rogliano (Macinaggio). Il en est de même au nord de la région ajaccienne, autour des golfes de Sagone et de Porto, avec les communes de Coggia, Casaglione et Ota. Sur la rive Sud du golfe d’Ajaccio, les trois communes principales que sont Grosseto-Prugna, Albitreccia et Pietrosella regroupent 85 % de leur population le long de leur littoral (figure 4). Pour ces communes, il faut en moyenne 27 minutes pour relier le hameau le plus peuplé au chef-lieu.
graphiqueFigure 4 – Un développement le long du littoralRive Sud d'Ajaccio
L’importance des routes territoriales
Les routes principales de l'île peuvent être aussi un facteur d'attraction de la population. Des hameaux se sont en effet développés et étendus le long des routes territoriales (anciennement routes nationales). On rencontre cette situation à proximité immédiate d’Ajaccio, le long de la route territoriale 20 dans la vallée de la Gravona avec les communes de Sarrola-Carcopino, Peri et Cuttoli-Corticchiato. Après Corte, toujours longeant la RT 20, ce sont les communes d'Omessa, Morosaglia, Castello-di-Rostino et Volpajola qui enregistrent une part importante de leur population dans les hameaux bordant la route.
En Particulier, Ponte-Leccia, hameau de Morosoglia, regoupe 87 % de la population communale. Situé en plaine à l’intersection des routes territoriales 20 (reliant Ajaccio à Bastia) et 30 (vers la Balagne), sa desserte routière mais aussi ferroviaire, ainsi que l’importance de ses équipements en font un pôle d’attraction pour les communes environnantes (figure 5).
graphiqueFigure 5 – Ponte-Leccia, à la croisée des cheminsCommune de Morosaglia
Sur la côte Est de l’île, la présence du réseau routier influence la plupart du temps le développement de zones de peuplement.
Toutes les « communes éclatées » du Sud de Bastia, de Borgo à Linguizzetta, voient leurs hameaux s’accroître le long des routes territoriales 10 ou 20 qui les traversent (figure 6).
graphiqueFigure 6 – Des zones de peuplement contiguësSud de Bastia, de Borgo à Sorbo-Ocagnano
Jusqu’au Nord de Porto-Vecchio, le même phénomène se produit à l’exception des communes de Pietroso et de Serra-di-Fiumorbo. Peu équipés, leurs hameaux se développent non pas par rapport au réseau routier, mais grâce au voisinage des communes de Ghisonaccia et de Prunelli-di-Fiumorbo, particulièrement bien loties en commerces et services.
Un développement mixte entre route territoriale et littoral
Dans les communes de Solaro et de Zonza, le développement des hameaux est dû à la fois à la desserte routière et à la proximité de la mer.
A Zonza, la population se concentre pour 40 % le long de la route territoriale et à 30 % sur le littoral (figure 7). Son chef-lieu, situé au cœur de l'Alta-Rocca, représente moins de 10 % de la population communale. Le relief montagneux et l’étroitesse des voies de communication rendent les échanges entre chef-lieu et hameaux difficiles. Zonza est en effet la commune où les hameaux sont les plus éloignés du chef-lieu, à plus de 70 minutes (figure 8). Plus qu’ailleurs, les mesures des temps d’accès aux équipements sont très différentes selon que l’on part du chef-lieu historique ou des hameaux. Par exemple, pour rejoindre l’hôpital de Porto-Vecchio un habitant de l’Alta-Rocca met en moyenne 53 minutes contre 26 minutes pour un résident du bord de mer.
graphiqueFigure 7 – Deux réalités distinctes pour une même communeCommune de Zonza
Le développement des hameaux et leurs zones d’influence mettent ainsi en évidence des relations étroites entre communes, relations qui sont le reflet de rapports économiques et sociaux et font souvent abstraction des découpages administratifs.
tableauFigure 8 – Des temps d'accès chef-lieu hameaux variant de 5 minutes à plus d'une heurePart de la population hors chef-lieu et temps d'accès chef-lieu hameau des 42 "communes éclatées" de Corse
"Commune éclatée" | Part de la population hors chef-lieu | Temps d'accès chef-lieu hameau le plus peuplé | |
---|---|---|---|
Code | Nom | % | minutes |
2A362 | Zonza | 90,2 | 73 |
2A300 | San Gavino di-Carbini | 82,4 | 59 |
2A008 | Albitreccia | 92,4 | 28 |
2A228 | Pietrosella | 95,6 | 27 |
2A130 | Grosseto-Prugna | 89,6 | 25 |
2B229 | Pietroso | 77,0 | 25 |
2A098 | Coti-Chiavari | 83,3 | 24 |
2B166 | Monte | 91,7 | 24 |
2A271 | Sarrola-Carcopino | 74,4 | 23 |
2B169 | Morosaglia | 87,0 | 23 |
2B207 | Penta-di-Casinca | 92,0 | 23 |
2B251 | Prunelli-di-Fiumorbo | 97,5 | 23 |
2B143 | Linguizzetta | 87,4 | 19 |
2B277 | Serra-di-Fiumorbo | 87,5 | 18 |
2A091 | Cognocoli-Monticchi | 75,6 | 16 |
2B283 | Solaro | 89,6 | 16 |
2A103 | Cuttoli-Corticchiato | 78,2 | 15 |
2A209 | Peri | 92,7 | 15 |
2B057 | Canale-di-Verde | 85,5 | 15 |
2B201 | Pancheraccia | 65,9 | 15 |
2B079 | Castello-di-Rostino | 84,9 | 14 |
2B318 | Taglio-Isolaccio | 77,8 | 14 |
2A070 | Casaglione | 74,0 | 12 |
2A198 | Ota | 54,6 | 12 |
2B088 | Chiatra | 67,1 | 12 |
2B242 | Poggio-Mezzana | 90,2 | 12 |
2B319 | Talasani | 84,1 | 12 |
2A085 | Cauro | 77,4 | 11 |
2B193 | Omessa | 73,7 | 11 |
2A090 | Coggia | 88,7 | 10 |
2B042 | Borgo | 50,8 | 10 |
2B261 | Rogliano | 64,3 | 10 |
2B355 | Volpajola | 60,0 | 10 |
2A276 | Serra-di-Ferro | 79,7 | 9 |
2B303 | San-Giuliano | 88,1 | 9 |
2B343 | Venzolasca | 86,1 | 9 |
2A115 | Foce | 75,5 | 8 |
2A349 | Vigianello | 78,9 | 8 |
2B148 | Lucciana | 96,1 | 8 |
2B286 | Sorbo-Ocagnano | 77,8 | 8 |
2B346 | Vescovato | 86,0 | 7 |
2B281 | Sisco | 77,3 | 5 |
- Souce: Insee, Filosofi 2012, distancier Metric
Pour comprendre
Formation des hameaux et « communes éclatées » : les données carroyées découpent la Corse et donc ses communes en carreaux de 200 m de côté. Par agrégation de carreaux, on obtient la population des divers hameaux de la commune que l’on compare à la population du chef-lieu afin de déterminer si la commune est « éclatée ». Une commune est dite « éclatée » si moins de 50 % de sa population est localisée dans le chef-lieu.
La population de chaque carreau est issue du fichier localisé social et fiscal (Filosofi).
Définitions
Fichier localisé social et fiscal (Filosofi) : issu du rapprochement des données fiscales exhaustives (déclaration de revenus des personnes physiques, taxe d’habitation et fichier d’imposition des personnes physiques) et des données sur les prestations sociales.
Base permanente des équipements (BPE) : élaborée à partir de différentes sources administratives actualisées chaque année, cette base répertorie un large éventail d'équipements et de services rendus à la population. La BPE couvre les domaines des services, marchands ou non, des commerces, de la santé et de l'action sociale, de l'enseignement, du tourisme, du sport et des loisirs.
La localisation fine des équipements et de la population, au niveau de la commune et des îlots regroupés pour l'information statistique (IRIS), permet de calculer des distances (entre communes équipées et non équipées par exemple), d'étudier la concentration spatiale des équipements, de mettre en rapport les équipements et leurs utilisateurs potentiels.
Metric : Le distancier Metric (Mesure des trajets inter-communes / carreaux), développé par l’Insee, calcule la distance et le temps d’accès en voiture. Dans l’étude, les temps d’accès sont calculés au cours des heures creuses.