Un ménage picard sur trois est exposé à la vulnérabilité énergétique
Les dépenses énergétiques pèsent sur les revenus de 260 000 ménages picards. La longueur des trajets domicile-travail affecte notamment les dépenses en carburant des moins de 30 ans et des populations éloignées des pôles urbains, tandis que l'ancienneté du bâti influe fortement sur les frais de chauffage des ménages modestes et des personnes isolées ou âgées.
Plus de 4% des ménages cumulent les difficultés liées aux déplacements et au logement, principalement lorsqu'ils résident à l'écart des pôles urbains.
Sensible aux évolutions des prix de l'énergie, la progression de la vulnérabilité énergétique peut néanmoins être contenue par l'effort de rénovation du parc de logements anciens.
- Les navettes domicile-travail accentuent la vulnérabilité liée aux déplacements
- La vulnérabilité aux déplacements affecte surtout les jeunes
- Le logement : une vulnérabilité accrue en raison de l'ancienneté du parc immobilier
- Les dépenses de chauffage impactent surtout les personnes seules et les ménages âgés
- 34 000 ménages picards cumulent les deux types de vulnérabilité
- Des ménages sensibles aux variations des prix de l'énergie
- Le parc locatif social est moins énergivore que l'ensemble du parc immobilier
De nombreuses collectivités publiques sont engagées dans des politiques "énergie-climat", formalisées par un Schéma Régional du Climat, de l'Air et de l'Énergie (SRCAE), des Plans Climat Énergie Territoriaux (PCET), Agendas 21 et Schémas de Cohérence Territoriale (ScoT).
La vulnérabilité énergétique des ménages (définitions) compte parmi les multiples thématiques évoquées dans le cadre de ces programmes. En effet, des logements énergivores et un mode de vie de plus en plus régi par la mobilité sont autant de facteurs qui, en plus de contribuer à l'émission de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, confèrent à la hausse des coûts de l'énergie un poids de plus en plus lourd dans le budget des ménages.
La connaissance territoriale de la vulnérabilité énergétique recoupe ainsi des enjeux transversaux. En contribuant à optimiser la réhabilitation des logements, l'aménagement du territoire ainsi que la desserte en transports collectifs reliant zones résidentielles et zones d'emploi, elle complète les objectifs environnementaux consignés dans les lois Grenelle I et II, tout en facilitant l'accompagnement social et la prévention auprès des populations.
En Picardie, 260 000 ménages sont en situation de vulnérabilité énergétique, soit le tiers des foyers, contre un quart en province. La région est la 6ème la plus exposée, affichant des caractéristiques similaires à la Bourgogne ou à la Champagne-Ardennes. Très variable d'une région à l'autre, la vulnérabilité énergétique l'est également au sein de la Picardie, où elle concerne 28 % des ménages isariens, 35 % des samariens et 41 % des axonais.
graphiquefigure 1 – 260 000 ménages en situation de vulnérabilité énergétique en Picardie
Cependant, la vulnérabilité énergétique ne doit pas être perçue comme un reflet des difficultés rencontrées par les territoires en termes de pauvreté et de précarité. Différents facteurs, qui touchent aussi bien à la composition des foyers qu'à la nature et la dispersion de l'habitat, concourent à accroître ou modérer la fragilité des ménages aux coûts engendrés par leurs dépenses en chauffage et en carburants.
Les navettes domicile-travail accentuent la vulnérabilité liée aux déplacements
Parmi les deux formes que prend la vulnérabilité énergétique (logement et déplacement), la Picardie se caractérise surtout par la seconde. En effet, le coût des déplacements contraints fragilise le budget de 123 000 ménages, dont la plupart résident loin des pôles urbains. Avec 16 % du total des foyers touchés, contre moins de 12 % en province, la région est la 3e la plus impactée de métropole, seulement précédée par la Corse et le Limousin.
graphiquefigure 2 – 80 % des ménages vulnérables résident hors des pôles ubains
Le budget moyen qu'un ménage picard consacre à ses déplacements est le deuxième plus élevé du pays, alourdi notamment par les dépenses effectuées afin de rejoindre le lieu d'emploi. En effet, la distance domicile-travail est la plus longue de France, avec près de vingt kilomètres parcourus pour une moyenne de seize en province. Pour l'effectuer, 53 % des ménages utilisent la voiture, soit six points de plus qu'au niveau national. Alors que les navettes journalières coûtent 350 euros par an en moyenne à un ménage de province, cette charge s'élève à 440 euros dans la région, où 122 000 personnes effectuent quotidiennement la navette vers l'Île-de-France. Les travailleurs isariens, particulièrement concernés par ces flux, détiennent les dépenses les plus élevées de la région (520 euros).
Aux frais inhérents aux déplacements professionnels s'ajoutent les dépenses occasionnées par l'accès aux équipements et services. De la même façon que pour les navettes domicile-travail, les ménages picards consacrent une part de leurs revenus plus importante que la moyenne à la satisfaction de ces besoins de la vie courante. Par ménage et par an, ces frais s'élèvent à 380 euros en Picardie, et jusqu'à 430 euros dans le département de l'Aisne, contre 320 euros en province.
La vulnérabilité aux déplacements affecte surtout les jeunes
Plus les ménages sont jeunes, plus le risque de vulnérabilité énergétique liée aux déplacements est élevé. Jusqu'à 30 % des foyers dont la personne de référence a moins de trente ans sont exposés. Cette part diminue ensuite en avançant dans la vie active. Néanmoins, jusqu'à l'âge de la retraite, la Picardie se caractérise par une part de ménages concernés nettement supérieure à la moyenne nationale.
graphiquefigure 3 – Les ménages jeunes en première ligne pour la vulnérabilité liée aux déplacements
La vulnérabilité énergétique liée aux déplacements s'étend des ménages les plus modestes jusqu'aux classes moyennes. Les foyers dont la personne de référence exerce l'activité d'agriculteur ou d'ouvrier sont les plus exposés, avec respectivement 29 % et 28 % d'entre eux, mais ni les professions intermédiaires ni les employés ne sont épargnés, concernés respectivement à hauteur de 24 % et 20 % d'entre eux.
Au-delà d'un certain niveau de revenus, un ménage qui consacre une part significative de ses ressources à des dépenses en déplacements ne peut plus être considéré comme vulnérable. En effet, parmi les foyers aisés, une part plus importante des revenus peut être consacrée à ce type de dépenses sans que les conditions de vie en soient dégradées.
Le logement : une vulnérabilité accrue en raison de l'ancienneté du parc immobilier
Les difficultés liées au chauffage du logement représentent la seconde composante de la vulnérabilité énergétique et impactent 170 000 ménages en Picardie, soit 22 % du total, près de six points de plus qu'en province. Selon leur exposition climatique, les régions sont touchées de manière très différente, la Lorraine (27,4 %) étant par exemple cinq fois plus impactée que Provence-Alpes-Côte d'Azur (5,5 %).
graphiquefigure 4 – Dans l'est de la région, la vulnérabilité au logement expose jusqu'à la moitié des ménages
En Picardie, la situation géographique se conjugue à une forte ancienneté du parc immobilier, ce qui entraîne une part importante de ménages fragilisés par le coût du chauffage. En effet, 38 % des logements actuels ont été bâtis avant 1949 contre 30 % dans l'ensemble du pays. Au total, 65 % des logements ont été construits avant la toute première réglementation thermique, en 1974, contre 59 % en métropole.
Ces foyers sont, par ricochet, plus souvent alimentés au moyen de systèmes de chauffage sensibles aux aléas économiques. Ainsi, le fioul demeure un combustible plus répandu qu'en moyenne dans le pays (22 % contre 16 %) et les logements qui l'utilisent représentent 54 % des ménages vulnérables.
De plus, les maisons individuelles composent 73 % de l'habitat picard, contre 56 % au national. Les logements spacieux sont ainsi surreprésentés dans la région, au détriment d'habitations plus petites mais plus faciles à chauffer.
Les dépenses de chauffage impactent surtout les personnes seules et les ménages âgés
Peu compressibles par nature, les dépenses de chauffage atteignent une part élevée du budget des ménages les plus modestes. Parmi les 10 % de foyers aux ressources les plus faibles, la moitié est concernée par la vulnérabilité énergétique liée au logement. Plus généralement, les ménages dont les revenus sont inférieurs à 1 500 euros par mois, soit la moitié des familles picardes, représentent 70 % des ménages soumis à ces difficultés.
Les personnes seules, auxquelles échappent les économies d'échelle dont un couple peut tirer parti, sont particulièrement concernées. Plus de 40 % d'entre elles sont touchées, alors que cette proportion chute à moins de 20 % dès que le foyer atteint deux personnes.
En France, un quart des ménages dont la personne de référence a moins de 30 ans ou plus de 75 ans est impacté. En Picardie, si cette part se vérifie auprès des jeunes ménages, elle s'avère nettement plus importante parmi les personnes âgées (40 %).
34 000 ménages picards cumulent les deux types de vulnérabilité
En Picardie, 34 000 ménages sont confrontés simultanément aux deux formes de vulnérabilité énergétique, soit 4,4 % de l'ensemble des foyers (3,1 % en province). La région se situe au 7e rang des plus touchées.
Les habitants des grandes communes, qui bénéficient de la proximité de transports collectifs ainsi que d'un parc plus important de logements sociaux, sont moins affectés par la vulnérabilité énergétique qu'en milieu rural. Alors que, dans la région, la pauvreté est plus élevée en ville qu'à la campagne, cette situation confirme que vulnérabilitité énergétique et pauvreté ne sont pas mécaniquement liées.
Autour des pôles urbains, des spécificités apparaissent entre les territoires. Le Nord-Est de la région se distingue surtout par la fragilité du logement, tandis que les difficultés liées aux déplacements y sont atténuées par la présence de petits pôles urbains, proches les uns des autres.
Les ménages qui résident dans les autres couronnes périurbaines de l'Aisne ne bénéficient pas de ce maillage. Leurs flux domicile-travail s'en trouvent allongés, si bien que ces territoires présentent une situation de double vulnérabilité plus élevée que la moyenne. Dans une moindre mesure, l'ouest de la Picardie se révèle également fragile aux deux approches. Jouxtant ces deux espaces, le sud de l'Oise se caractérise par une propension plus élevée à la vulnérabilité liée aux déplacements.
graphiquefigure 5 – Autour des grandes villes, des territoires marqués par des fragilités spécifiques
Des ménages sensibles aux variations des prix de l'énergie
Si le cours des carburants devait retrouver ses niveaux historiques de 2008 et s'y maintenir durablement, la vulnérabilité énergétique liée aux déplacements concernerait 23 % des foyers picards. Une augmentation similaire, de l'ordre de 20 %, sur le prix des différents modes de chauffage, exposerait pour sa part 29 % des ménages à la vulnérabilité énergétique au logement.
Tandis que la hausse régulière du prix des différents combustibles (électricité, gaz, fioul…) ainsi que la raréfaction des ressources, notamment en hydrocarbures, laissent peu d'espoir à l'hypothèse d'un simple maintien des coûts actuels de l'énergie, les leviers d'actions dont disposent les ménages et les pouvoirs publics s'orientent vers une réduction significative de la consommation énergétique.
Depuis l'inscription dans la loi d'une définition de la précarité énergétique (Loi "Grenelle 2" du 12 juillet 2010), la lutte contre ce phénomène est un axe fort du Plan de Rénovation Énergétique de
l'Habitat (PREH) mis en œuvre en 2013 (encadré). Ainsi, des aides financières publiques encouragent la rénovation thermique, ces efforts se concrétisant en France par une réduction moyenne de 38 % de la consommation énergétique dans les logements soutenus par ces dispositifs.
Le gain est d'autant plus important que le logement est énergivore, si bien qu'en Picardie, où 61 % des logements possèdent au mieux l'étiquette E contre 46 % en France, des travaux efficients seraient porteurs d'économies non négligeables. Étendue aux 500 000 ménages vivant dans des logements construits avant 1974, une baisse de l'ordre de 40 % de la consommation permettrait d'abaisser à moins de 10 % la part totale de ménages en situation de vulnérabilité énergétique liée à l'habitat.
encadré 1
Le diagnostic de performance énergétique (DPE) renseigne sur la performance énergétique d'un logement ou d'un bâtiment, en évaluant notamment sa consommation d'énergie.
La lecture de la consommation d'énergie primaire d'un logement est facilitée par une étiquette à 7 classes de A à G (A correspondant à la meilleure performance, G à la plus mauvaise) :
Le parc locatif social est moins énergivore que l'ensemble du parc immobilier
Le parc locatif social représente 17 % du parc des résidences principales. Près de 60 % de ces logements sociaux ont fait l'objet d'un diagnostic de performance énergétique. Ils sont 36,5 % avec un classement de consommation d'énergie primaire en E, F ou G, soit 29 000 logements identifiés énergivores, contre 61 % dans l'ensemble des résidences principales. Ces résultats sont très variables au sein de la région puisqu'ils concernent 41 % des logements sociaux dans l'Aisne, 35 % dans l'Oise et 28 % dans la Somme.
Ces dernières années, les bailleurs sociaux se sont engagés dans une démarche de réhabilitation thermique de leur patrimoine. Ainsi, 4 300 logements ont bénéficié d'un éco-PLS depuis 2011, et 1 775 logements de crédits européens entre 2011 et 2013. En matière de construction neuve, 26 % des logements sociaux picards financés en 2013 sont labellisés Bâtiment Basse Consommation (BBC).
Ces résultats, relativement faibles comparés aux moyennes nationales, devraient néanmoins s'améliorer dans les prochaines années au regard des politiques publiques mises en œuvre localement.
En Picardie, la réussite du Plan de rénovation énergétique de l'habitat (PREH) constitue un enjeu majeur partagé par l'ensemble des partenaires locaux.
Le Schéma Régional Climat Air Energie (SRCAE), signé par le Préfet de région et le Président du Conseil régional de Picardie en 2012 en fait une priorité en préconisant un programme d'envergure devant permettre la réhabilitation énergétique de 13 000 logements/an dont 10 000 du parc privé et 3 000 du parc social.
Le conseil régional de Picardie est impliqué dans la rénovation thermique via un service public de l'efficacité énergétique (Picardie Pass Rénovation) et différents dispositifs (soutien au développement d'éco-matériaux, formation professionnelle, économie sociale et solidaire…).
Les 3 départements sont couverts par des dispositifs programmés de lutte contre la précarité énergétique (Programmes d'intérêt général ou Opération Programmée d'Amélioration de l'Habitat (OPAH) mobilisant des aides de l'Agence Nationale de l'Habitat (ANAH)) qui connaissent un vif succès auprès des ménages modestes. D'autant que nombre de collectivités ont mis en place des dispositifs permettant de répondre aux difficultés de trésorerie des ménages disposant de faibles ressources (caisses d'avance, ingénierie financière pour boucler entièrement les plans de financement...). Les premières plate-formes de la rénovation énergétique se mettent en place et la mobilisation des professionnels du bâtiment se renforce.
graphiquefigure 6 – Consommation d'énergie primaire dans le parc locatif social
Pour comprendre
Les ménages sont considérés comme vulnérables si leur taux d'effort énergétique, c'est-à-dire la part de leurs dépenses dans leur revenu disponible (leur revenu y compris les prestations sociales, et net des impôts directs) dépasse un certain seuil. Ce seuil correspond au double du taux d'effort médian de l'ensemble de la population, soit 8 % pour le logement et 4,5 % pour les déplacements.
L'étude s'appuie sur le recensement de la population de 2008 qui fournit les principales caractéristiques des ménages et de leurs logements. Les revenus disponibles sont issus d'une modélisation économétrique à partir des caractéristiques des ménages. Les dépenses énergétiques liées au logement (chauffage, eau chaude, ventilation) sont estimées à partir des caractéristiques des logements à l'aide d'un modèle développé par l'Anah. Ces dépenses estimées sont conventionnelles car elles ne prennent pas en compte les comportements des ménages (le fait de chauffer peu pour faire des économies par exemple). Les dépenses énergétiques liées aux déplacements correspondent aux dépenses de carburant pour les déplacements contraints : déplacements domicile-travail, achats, soins médicaux ou personnels (médecin, coiffeur…), démarches administratives. Seuls les déplacements effectués en voiture sont pris en compte. Les distances sont mesurées avec le distancier Loxane et le modèle Copert 4 pour les trajets domicile-travail. Pour les autres déplacements, la source est l'Enquête nationale transport et déplacements (ENTD 2008).
Ces estimations s'appuient sur des données de 2008, seule année pour laquelle on dispose de toutes les informations nécessaires. Elles fournissent une base essentielle pour analyser de manière détaillée, notamment sur le plan géographique, le phénomène de la vulnérabilité énergétique, en attendant de pouvoir mobiliser des données plus récentes.
Définitions
Un ménage est en situation de vulnérabilité énergétique si son taux d'effort énergétique (part des dépenses en énergie dans le revenu du ménage) est supérieur à un certain seuil. Celui-ci correspond au double de la médiane des taux d'effort observés en France métropolitaine, soit 8 % pour les dépenses en chauffage et 4,5 % pour les dépenses en carburant.
Cette situation est à distinguer de la précarité énergétique, qualifiant une personne "qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d'énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'habitat".
Ces principes ne doivent pas être confondus avec la pauvreté, qui caractérise les ménages dont le niveau de vie est inférieur à un seuil, en général fixé à 60 % du niveau de vie médian.
La Dreal a élaboré pour cette étude un zonage spécifique qui couvre la région Picardie, et basé sur les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI). Afin que chaque zone compte au minimum 30 000 habitants, les petits EPCI se jouxtant ont été regroupés.
Pour en savoir plus
Cochez N., Durieux É., Levy D., Insee « Vulnérabilité énergétique - Loin des pôles urbains, chauffage et carburant pèsent fortement dans le budget », Insee première n° 1530, janvier 2015
Coordination Chérel D., Ademe, « Ouvrir dans un nouvel ongletPremier rapport de l'Observatoire national de la précarité énergétique », septembre 2014.