Insee PremièreL’espérance de vie s’accroît, les inégalités sociales face à la mort demeurent

Nathalie Blanpain, division Enquêtes et études démographiques, Insee

En un quart de siècle, les hommes de 35 ans ont gagné cinq années d’espérance de vie et les femmes quatre années et demie. Toutes les catégories sociales ont profité de ce progrès, même si les écarts entre les cadres et les ouvriers se sont maintenus. Les hommes cadres vivent en moyenne 6,3 ans de plus que les hommes ouvriers, dans les conditions de mortalité de 2000-2008. Chez les femmes, les inégalités sociales sont moins marquées, seuls 3,0 ans séparent les cadres et les ouvrières.

Quelle que soit leur catégorie sociale, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Même l’espérance de vie des ouvrières est supérieure d’un an et demi à celle des hommes cadres.

Nathalie Blanpain, division Enquêtes et études démographiques, Insee
Insee Première No 1372- Octobre 2011

Une progression constante de l'espérance de vie

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’ a progressé sans interruption. D’après l’Échantillon démographique permanent (sources), à 35 ans, une femme peut espérer vivre en moyenne encore 49 ans et un homme 43 ans, dans les conditions de mortalité observées en 2000-2008 en France métropolitaine (encadré 1).

En un quart de siècle, les femmes de 35 ans ont gagné 4,4 ans d’espérance de vie et les hommes 5,0 ans. La baisse de la mortalité a profité à peu près de la même façon à toutes les  : les femmes ont ainsi gagné entre 3,9 et 4,8 ans selon leur catégorie sociale et les hommes de 4,3 à 5,5 ans (tableau).

Tableau 1Espérance de vie à 35 ans par sexe et catégorie sociale

Espérance de vie à 35 ans par sexe et catégorie sociale - Lecture : en 2000-2008, l'espérance de vie des hommes cadres de 35 ans est de 47,2 ans, soit 6,3 ans de plus que celle des hommes ouvriers.
Cadres Professions intermédiaires Agriculteurs Artisans, commerçants, chefs d’entreprise Employés Ouvriers Inactifs non retraités Ensemble Écart cadres- ouvriers
Homme
1976-1984 41,7 40,5 40,3 39,6 37,2 35,7 27,7 37,8 6,0
1983-1991 43,7 41,6 41,7 41,0 38,6 37,3 27,5 39,2 6,4
1991-1999 45,8 43,0 43,6 43,1 40,1 38,8 28,4 40,8 7,0
2000-2008 47,2 45,1 44,6 44,8 42,3 40,9 30,4 42,8 6,3
Écart 2000-2008 et 1976-1984 5,5 4,6 4,3 5,2 5,1 5,2 2,7 5,0
Femme
1976-1984 47,5 46,4 45,7 46,0 45,6 44,4 44,3 45,0 3,1
1983-1991 49,7 48,1 46,8 47,4 47,4 46,3 45,4 46,4 3,4
1991-1999 49,8 49,5 48,8 48,8 48,7 47,2 47,1 48,0 2,6
2000-2008 51,7 51,2 49,6 50,3 49,9 48,7 47,0 49,4 3,0
Écart 2000-2008 et 1976-1984 4,2 4,8 3,9 4,3 4,3 4,3 2,7 4,4
  • Note : pour les hommes cadres, l'espérance de vie a 90 % de chance d'être comprise entre 46,9 ans et 47,5 ans en 2000-2008 (voir Document de travail n° F1108).
  • Lecture : en 2000-2008, l'espérance de vie des hommes cadres de 35 ans est de 47,2 ans, soit 6,3 ans de plus que celle des hommes ouvriers.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, Échantillon démographique permanent.

De fortes inégalités sociales face à la mort

Différente selon le sexe, l’espérance de vie l’est aussi selon la catégorie sociale. Ainsi, l’espérance de vie d’une femme cadre de 35 ans est de 52 ans tandis que celle d’une ouvrière n’est que de 49 ans. L’espérance de vie des ouvrières d’aujourd’hui correspond à celle des femmes cadres au milieu des années quatre-vingt. De leur côté, les hommes cadres de 35 ans peuvent espérer vivre encore 47 ans et les hommes ouvriers 41 ans. Par ailleurs, les cadres, hommes ou femmes, ont également une plus longue que les ouvriers, d’après une étude basée sur l’Échantillon démographique permanent et l’enquête sur la Santé et les soins médicaux de 2003.

Les écarts d’espérance de vie illustrent bien les inégalités sociales face à la mort, mais il s’agit d’une moyenne qui ne met pas en évidence le risque de mourir précocement par exemple. Pour les hommes comme pour les femmes, ce risque est plus élevé pour les ouvriers que pour les cadres. Un homme de 35 ans, soumis toute sa vie aux conditions de mortalité de 2000-2008, a 13 % de risque de mourir avant 60 ans s’il est ouvrier, contre 6 % s’il est cadre (respectivement 5 % et 3 % pour une femme). De même, il a 27 % de risque de mourir avant 70 ans s’il est ouvrier et 13 % s’il est cadre (respectivement 11 % et 7 % pour une femme). Enfin, parmi les hommes, un ouvrier sur deux n’atteindrait pas 80 ans, contre un cadre sur trois.

Les natures-mêmes des professions exercées expliquent en partie ces écarts. En effet, les cadres ont moins d’accidents, de maladies ou d’expositions professionnels que les ouvriers. Par ailleurs, ils appartiennent à un groupe social dont les modes de vie sont favorables à une bonne santé : les comportements de santé à risque, le moindre recours et accès aux soins, ou encore l’obésité sont plus fréquents chez les ouvriers que chez les cadres. Enfin, l’état de santé peut lui-même influer sur l’appartenance à une catégorie sociale : une santé défaillante peut empêcher la poursuite d’études, le maintien en emploi, ou rendre plus difficile les promotions et l’accès aux emplois les plus qualifiés en cours de carrière.

Les ouvrières vivent plus longtemps que les hommes cadres

Les femmes vivent plus longtemps que les hommes quelle que soit leur catégorie sociale. Et même les ouvrières, les femmes les moins favorisées en termes d’espérance de vie (hormis les inactifs non retraités), vivent en moyenne 1,5 année de plus que les hommes cadres, les plus favorisés à cet égard (tableau et graphique 1).

Pourtant, les ouvrières cumulent plusieurs facteurs défavorables pour la santé : leurs revenus sont inférieurs à ceux des hommes cadres et certaines de leurs conditions de travail sont plus pénibles (exposition à des produits toxiques, effort physique, …). Elles ont en revanche certains comportements de santé plus favorables que les hommes cadres. D’après l’enquête Handicap-Santé de 2008, les femmes consomment moins d’alcool que les hommes à tout âge. Après 60 ans, elles fument également moins. Avant 60 ans, elles bénéficient d’un meilleur suivi médical en particulier pendant la vie féconde, ce qui pourrait contribuer à améliorer leur espérance de vie. Enfin, les femmes disposeraient aussi d’avantages biologiques expliquant en partie leur espérance de vie plus longue (moins de maladies génétiques, …), selon certaines études (bibliographie). Les ouvrières vivent certes plus longtemps que les hommes cadres, mais leur espérance de vie sans incapacité est en revanche plus faible, selon une étude basée sur des données de 2003.

L’écart d’espérance de vie hommes-femmes varie selon les groupes sociaux : de 4,5 ans pour les cadres, il passe à 7,8 ans pour les ouvriers. En France, comme dans les autres pays européens, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre les hommes et les femmes est donc le plus faible en haut de l’échelle sociale.

Graphique 1Espérance de vie à 35 ans par sexe pour les cadres et les ouvriers

  • Lecture : en 2000-2008, l'espérance de vie des femmes cadres de 35 ans est de 51,7 ans.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, Échantillon démographique permanent.

Des inégalités sociales plus fortes chez les hommes que chez les femmes

6,3 années, c’est l’écart d’espérance de vie entre les hommes cadres et ouvriers, il n’est que de 3,0 ans chez les femmes (tableau et graphique 1). En France, les inégalités sociales face à la mort sont plus fortes chez les hommes que chez les femmes, tout comme dans le reste de l’Europe (selon le diplôme). Le suivi médical régulier des femmes pourrait réduire les inégalités sociales face à la mort parmi les femmes.

Par ailleurs, les différences entre cadre et ouvrier concernant l’environnement de travail et les conditions d’hygiène (exposition à la saleté, l’humidité, aux températures élevées ou basses, ...) sont plus grandes parmi les hommes que parmi les femmes, d’après l’enquête Conditions de travail de 2005. Pour 55 % des hommes ouvriers, la saleté fait partie des inconvénients de leur travail, soit 7 fois plus que pour les hommes cadres, alors que les femmes ouvrières ne le déclarent que 4 fois plus souvent que les femmes cadres. De même, les inégalités sociales dues aux efforts physiques et aux risques professionnels sont en général plus fortes chez les hommes que chez les femmes. Enfin, la durée de travail (hebdomadaire ou tout au long de la vie) est plus faible pour les femmes, réduisant ainsi leur exposition à des risques professionnels.

Les écarts entre cadres et ouvriers s’atténuent avec l’âge

Les différences de mortalité entre les cadres et les ouvriers s’atténuent avec l’avancée en âge : à 45 ans, le risque de mourir dans l’année est 2,5 fois plus fort pour un homme ouvrier que pour un cadre ; à 90 ans, ce risque n’est plus que 1,4 fois plus important. Il en va de même chez les femmes : à 45 ans, le risque est 2,0 fois plus grand ; à 90 ans, il l’est 1,3 fois plus. Les inégalités sociales sont donc plus marquées chez les plus jeunes. En effet, 90 ans après la naissance, les personnes les plus fragiles et les plus exposées sont décédées. De plus, il n’y a plus d’accidents du travail passé l’âge de la retraite.

Depuis 25 ans, les inégalités sociales face à la mort se maintiennent

Les écarts d’espérance de vie entre catégories sociales sont stables depuis 25 ans. Ainsi en 2000-2008, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier de 35 ans et un cadre du même âge est de 6,3 années et de 3,0 années chez les femmes. Depuis le début des années quatre-vingt, cet écart est proche de 6,5 ans pour les hommes et de 3,0 ans pour les femmes (graphique 1). De même, celui entre cadres et employés se maintient depuis cette époque, proche de 5 ans pour les hommes et de 1,8 an pour les femmes. Seuls les écarts entre les inactifs non retraités et l’ensemble de la population se sont accrus pour les hommes comme pour les femmes (encadré 2).

L’ illustre ce maintien des inégalités sociales sur longue période. Aujourd’hui, la probabilité de mourir entre 35 et 80 ans serait ainsi 1,21 fois plus élevée pour les hommes ouvriers que pour l’ensemble des hommes, à structure par âge identique (graphique 2). Depuis le début des années quatre-vingt, cet indice est proche de 1,2 pour les hommes ouvriers et de 0,6 pour les hommes cadres. Pour les femmes, il est proche de 1,1 pour les ouvrières et de 0,7 pour les cadres quelle que soit la période observée (graphique 3).

Graphique 2Indice standardisé de mortalité des hommes entre 35 et 80 ans par période et catégorie sociale

  • Note : pour les ouvriers, l'ISM a 90 % de chance d'être compris entre 1,19 et 1,23 en 2000-2008.
  • Lecture : en 2000-2008, 121 décès d'ouvriers sont observés entre 35 et 80 ans, contre 100 décès s’ils avaient le même niveau de mortalité que l’ensemble de la population masculine. Le rapport 121/100 constitue l'indice standardisé de mortalité.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, Échantillon démographique permanent.

Graphique 3Indice standardisé de mortalité des femmes entre 35 et 80 ans par période et catégorie sociale

  • Note : pour les ouvrières, l'ISM a 90 % de chance d'être compris entre 1,08 et 1,18 en 2000-2008.
  • Lecture : en 2000-2008, 113 décès d'ouvrières sont observés entre 35 et 80 ans, contre 100 décès si elles avaient le même niveau de mortalité que l’ensemble de la population féminine. Le rapport 113/100 constitue l'indice standardisé de mortalité.
  • Champ : France métropolitaine.
  • Source : Insee, Échantillon démographique permanent.

1. L’espérance de vie par catégorie sociale

L’espérance de vie est l’âge moyen au décès pour une génération fictive qui serait soumise toute sa vie aux conditions de mortalité actuelles. C’est un bon indicateur synthétique des conditions de mortalité du moment. Toutefois, aucune génération ne connaît tout au long de sa vie les conditions de mortalité actuelles. Les générations les plus anciennes ont été soumises à des conditions de mortalité plus défavorables que les jeunes. Et si les tendances se poursuivent, ces dernières connaîtront de meilleures conditions de mortalité.

L’étude de la mortalité d’une génération n’est évidemment possible que pour des générations anciennes. Leur étude confirme les tendances observées sur les espérances de vie : par exemple, 13 % des ouvrières âgées de 40 à 49 ans en 1968 sont mortes avant 70 ans, alors que c’était le cas de 19 % des hommes cadres du même âge.

L’étude de l’espérance de vie par catégorie sociale ne prend pas en compte la mobilité sociale. On calcule l’âge moyen au décès d’une personne qui aurait tout au long de sa vie les conditions de mortalité actuelles d’une catégorie sociale donnée. Les personnes ayant connu une ascension sociale ont en général une mortalité comprise entre celle de leur catégorie sociale de départ et celle de leur catégorie d’arrivée, même si les écarts sont parfois faibles et que cette relation est moins claire pour les femmes (bibliographie).

2. Les effets de structure : le cas des inactifs non retraités

Comparer l’espérance de vie des cadres en 1976-1984 à celle des cadres en 2000-2008 nécessite de rapprocher des groupes sociaux dont la part dans la population n’est plus la même. Ainsi, sur cette période, la proportion de cadres de plus de 30 ans augmente de 10 % à 14 % pour les hommes et de 2 % à 6 % pour les femmes. Cette progression et l’évolution de la société ont modifié les caractéristiques des groupes sociaux en termes de diplômes, de revenus, de modes de vie ou de conditions de travail. Ces modifications de structure peuvent avoir des répercussions sur les évolutions de l’espérance de vie. C’est le cas notamment pour les , dont la part a fortement baissé parmi les femmes. L’espérance de vie à 35 ans des inactifs non retraités a beaucoup moins progressé que celle des actifs ou retraités depuis le début des années quatre-vingt : 2,7 ans en plus pour les hommes comme pour les femmes. L’écart entre les inactifs non retraités et l’ensemble de la population s’est donc accru. Il passe de 10,1 ans au début des années quatre-vingt à 12,4 ans dans les années 2000 pour les hommes et de 0,7 ans à 2,4 ans pour les femmes. De même, depuis le début des années quatre-vingt, l’indice standardisé de mortalité entre 35 et 80 ans des inactifs non retraités augmente : de 2,1 à 2,8 pour les hommes et de 1,1 à 1,3 pour les femmes, alors qu’il reste stable pour les actifs ou retraités, à des niveaux inférieurs. En vingt-cinq ans, la population des inactifs a changé. Chez les femmes, la proportion d’inactives a beaucoup baissé : 45 % des femmes de plus de 30 ans étaient inactives en 1975 et 21 % seulement en 1999. Les caractéristiques de ces femmes ne sont plus les mêmes. Par exemple, la part de l’inactivité liée à des problèmes de santé a pu augmenter relativement. En 1999, seuls 3,6 % des hommes sont inactifs (2,4 % en 1975). Les tensions sur le marché du travail ont pu aggraver les difficultés d’emploi des personnes en mauvaise santé et donc leur part relative dans l’inactivité, ce qui pourrait expliquer que l’espérance de vie des hommes inactifs augmente moins vite que celle des hommes actifs ou retraités.

Sources

L’Échantillon démographique permanent (EDP) regroupe des données d’état civil (dont les décès) et de recensements et ce pour 1/100e de la population. Il permet de suivre la mortalité des personnes au fil du temps en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques observées aux recensements.

La mortalité par catégorie sociale est analysée sur quatre périodes de neuf années, cette amplitude a été retenue pour disposer d’effectifs suffisants de décès et de population. La mortalité des années 2000-2008 est étudiée selon la catégorie sociale en 1999.

Le champ de cette étude se limite à la France métropolitaine, l’EDP n’a intégré les personnes domiciliées dans les départements d’outre-mer que depuis 2008.

Définitions

L’espérance de vie à 35 ans d’une catégorie sociale est le nombre moyen d’années restant à vivre à cet âge (pour une génération fictive de personnes survivantes à 35 ans soumises à chaque âge aux probabilités de décès de cette catégorie sur la période étudiée). Elle caractérise la mortalité du groupe social selon les conditions de mortalité en vigueur sur une période donnée et indépendamment de la structure par âge du groupe.

Dans cette étude, sept catégories sociales ont été retenues : agriculteurs ; artisans, commerçants, chefs d’entreprise ; cadres et professions intellectuelles supérieures ; professions intermédiaires ; employés ; ouvriers ; inactifs non retraités.

L’espérance de vie sans incapacité est le nombre d’années sans incapacité qu’il resterait à vivre en moyenne aux individus d’un groupe dans les conditions de mortalité d’une période donnée. L’enquête sur la Santé et les soins médicaux de 2003 permet de distinguer trois situations d’incapacité selon leurs besoins de soins, d’assistance ou d’aides techniques particulières (bibliographie).

L’indice standardisé de mortalité (ISM) est le rapport, pour un groupe donné, entre le nombre de décès observés sur une période donnée et le nombre de décès qui seraient survenus au cours de cette période si ce groupe avait été soumis aux conditions de mortalité de l’ensemble de la population. Pour les hommes ouvriers entre 35 et 80 ans, cet indice vaut 1,21 pour la période 2000-2008. Cela signifie que 121 décès chez les hommes ouvriers sont observés entre 35 et 80 ans, contre 100 décès s’ils avaient le même niveau de mortalité que l’ensemble de la population masculine.

Les retraités sont reclassés selon leur ancienne profession et les chômeurs ayant déjà travaillé selon la catégorie sociale du dernier emploi qu’ils ont occupé. Les personnes au foyer non retraitées sont classées dans la catégorie des inactifs non retraités. Les inactifs non retraités regroupent donc les personnes au foyer, les autres personnes sans emploi (hors retraités), ainsi que les chômeurs n’ayant jamais travaillé.