Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes · Juin 2023 · n° 162

Un habitant sur dix est pauvre dans les territoires ruraux Pauvreté monétaire en Auvergne-Rhône-Alpes

La pauvreté a souvent un caractère urbain. Les villes, et en particulier celles des grandes agglomérations, comprennent sur leur territoire des quartiers de la politique de la ville définis par la concentration de pauvreté de leurs habitants. Elles sont aussi le lieu d’accueil de publics plus fragiles tels que des jeunes en poursuite d’études ou à la recherche d’un premier emploi, des familles monoparentales qui peuvent y occuper un logement social plus présent dans ces territoires. Pour autant, la pauvreté existe également en milieu rural. Cette étude vise à quantifier et à dresser le profil des personnes pauvres vivant en zone rurale pour que les politiques publiques puissent être conduites de manière plus ciblées dans ces territoires.

En 2019, une personne est pauvre si son niveau de vie est inférieur ou égal à environ 1 100 euros par mois, soit 60 % du niveau de vie médian national. Cela correspond, par exemple, à un revenu disponible de 1 650 euros par mois pour un couple sans enfants. Cette pauvreté monétaire ne tient en revanche pas compte de la pauvreté en conditions de vie qui couvre l’incapacité à honorer des dépenses telles que chauffer son logement ou acheter des vêtements neufs en remplacement de vêtements abîmés. Par ailleurs, cette étude n’intègre pas les effets de la crise du Covid survenue a posteriori (éventuels départs vers les territoires ruraux ou chutes dans la pauvreté, etc.). ni ceux de la poussée de l’inflation qui ne permet plus, à niveau de vie constant, d’utiliser son budget de la même façon.

En 2019, près d’un million de personnes vit sous le seuil de pauvreté en Auvergne-Rhône-Alpes, soit plus d’un habitant sur huit. Avec un taux de pauvreté de 12,8 %, Auvergne-Rhône-Alpes est proportionnellement la 3^e région la moins pauvre de France (à égalité avec Bourgogne-Franche-Comté), derrière les Pays de la Loire ex æquo avec la Bretagne (10,7 %). Sa population est aussi relativement aisée, la moitié vivant avec un niveau de vie supérieur à 1 885 euros par mois, soit le 2^e plus élevé derrière l’Île-de-France (2 005 euros).

La pauvreté n’est pas répartie de façon homogène dans la région. Elle concerne davantage de personnes dans les quatre métropoles et les grandes agglomérations. Elle est aussi plus prégnante à l’ouest et au sud de la région (figure 1). Plus spécifiquement, les territoires ruraux d’Auvergne-Rhône-Alpes concentrent seulement un quart des personnes pauvres alors que plus d’un tiers de la population régionale vit dans ce type d’espace.

Sur les 987 500 personnes pauvres que compte la région, seules 261 300 habitent dans le rural. La pauvreté y est moins fréquente. En effet, une personne sur dix y est pauvre (9,6 %), tandis que dans l’urbain, une sur sept est touchée (14,5 %). Bien que moins nombreuses à l’échelle régionale et alors que le phénomène est moins prégnant et plus dispersé sur le territoire, la pauvreté est réelle et les politiques publiques à destination des plus précaires ne peuvent être uniquement orientées vers les habitants des espaces urbains et se doivent d’inclure les populations rurales.

Les personnes pauvres dans le rural disposent d’un niveau de vie un peu moins modeste. Il est supérieur, pour la moitié d’entre elles, à 900 euros mensuels contre 875 euros pour les personnes pauvres vivant en zone urbaine, soit un écart de +3 %. Ces 25 euros de différence sont conséquents pour ces faibles niveaux de vie, d’autant que les habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes ont un niveau de vie médian important et équivalent dans les deux types de territoires (1 880 euros mensuels dans l’urbain, 1 890 dans le rural, soit seulement +0,4 % d’écart). Celui des personnes pauvres vivant dans l’espace rural est ainsi un peu plus proche du seuil de pauvreté : l’intensité de la pauvreté y est donc inférieure de deux points à celle de l’urbain. Moins de la moitié d’entre elles dispose d’un niveau de vie mensuel compris entre 50 et 60 % du niveau de vie médian métropolitain, près d'une sur trois entre 40 et 50 % du niveau de vie médian métropolitain et un quart inférieur à 40 % de ce même niveau de vie, alors que les dépenses liées à la mobilité ou au chauffage du logement sont souvent plus élevées en zone rurale.

Les paramètres de la pauvreté varient selon le type d’espace rural. Ces territoires présentent de multiples visages selon leurs caractéristiques morphologiques et fonctionnelles (encadré 2). Les habitants du rural hors de l’influence des villes (dit « rural non périurbain ») sont davantage confrontés à la pauvreté et rassemblent au total plus de personnes précaires (figure 2). Ainsi, près d’un habitant sur huit est pauvre dans les territoires ruraux non périurbains (12,3 %, soit 137 400). Les espaces ruraux périurbains comptent, a contrario, une personne pauvre sur treize (7,7 %, soit 123 900), une proportion moindre que dans l'ensemble du rural (figure 3). Les populations qui vivent dans ces deux types de territoires ne sont en effet pas les mêmes. Les habitants du rural périurbain travaillent principalement dans les espaces urbains, là où les emplois sont les plus nombreux et les plus rémunérateurs, au contraire de la population du rural non périurbain. Cela contribue à diminuer la proportion de personnes pauvres dans le rural sous influence urbaine. Par ailleurs, pour échapper à la pression foncière, les plus modestes ont tendance à s’installer toujours plus loin, en particulier dans des zones rurales isolées.

En revanche, la densité de population d’un territoire rural n’influe pas directement sur la proportion de personnes pauvres qui y vivent. La part de ces dernières est équivalente dans les bourgs ruraux ou dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, qu’ils soient périurbains ou non. Ce n’est pas le cas dans les zones urbaines où le taux de pauvreté culmine dans les grands centres urbains, donc les plus denses.

Si les différents territoires ruraux ne concentrent pas les personnes pauvres dans les mêmes proportions, leur profil est pourtant identique. La sévérité de la pauvreté est d’ailleurs similaire dans les quatre types de ruralité : la majorité des personnes pauvres a un niveau de vie situé entre 50 % et 60 % du niveau de vie médian national, soit entre 915 et 1 100 euros par mois.

Être propriétaire dans le rural est plus fréquent, en lien avec la disponibilité et les prix des biens et du foncier. L’offre locative y est par ailleurs plus limitée. Être propriétaire n’empêche toutefois pas d’être pauvre. Si l’exposition est moindre (6 % des propriétaires de leur logement sont pauvres contre 21 % des locataires), plus de la moitié des personnes pauvres dans les territoires ruraux est propriétaire. Ces dernières sont toutefois d’autant plus pauvres qu’elles résident loin des villes : la proportion de personnes pauvres augmente de trois points entre les espaces périurbains et non-périurbains. Ce constat, lié au statut d'occupation du logement, est également vrai entre ceux qui vivent dans les bourgs et ceux qui en sont éloignés. Dès lors, construire davantage de logements sociaux et informer les populations des dispositifs de rénovation des logements est un enjeu des politiques publiques dans ces territoires ruraux.

Les personnes pauvres ont les mêmes caractéristiques socio-démographiques dans le rural et dans l’urbain. Les membres des familles monoparentales, les personnes seules ou celles des ménages dont le référent fiscal est jeune, sont le plus confrontés à la pauvreté.

Les personnes d’une famille monoparentale, ainsi que celles qui vivent seules, présentent la plus forte proportion de pauvres. En effet, 23 % des membres des familles monoparentales le sont dans le rural. C’est le type de ménage le plus touché, même si la proportion de personnes pauvres est inférieure, de cinq points, à celle de l’urbain. Les ménages composés d’une seule personne vivent eux aussi plus souvent sous le seuil de pauvreté : cela concerne 18 % des hommes (même proportion que dans l’urbain) et 17 % des femmes (un point de plus que dans l’urbain). Enfin, les couples avec ou sans enfants sont relativement épargnés, respectivement 8 % et 5 % dans le rural (contre 14 % et 6 % dans l’urbain). Comme en zone urbaine, les membres des ménages dont le référent a moins de 30 ans sont également plus souvent pauvres. Parmi ces derniers, 14 % sont touchés, soit près de quatre points de plus que leur part dans la population rurale. Pour autant, la part de ces personnes est nettement plus importante dans l’urbain et l’écart à la population totale plus fort : 23 % d’entre eux sont pauvres dans les zones urbaines, soit neuf points de plus que la moyenne de la population urbaine. A contrario, les membres des ménages dont les référents fiscaux ont 60 ans ou plus ont un taux de pauvreté plus faible que la moyenne. Il s’établit à 8 % (9 % dans l’urbain), soit le plus faible de l’ensemble des tranches d’âge.

Comme pour l’ensemble de la population du rural, habiter hors de l’influence d’une ville confronte davantage l’ensemble de ces profils (familles monoparentales, personnes seules, jeunes) à la pauvreté.

Par exemple, 17 % des membres des ménages dont le référent fiscal a moins de 30 ans sont pauvres dans le rural non périurbain, contre 12 % dans le rural périurbain. Une insertion plus difficile sur le marché du travail peut en partie l’expliquer. Les jeunes inactifs ou au chômage âgés de 16 à 25 ans y sont également très présents (16 %, soit trois points de plus que dans le rural périurbain). De même, les territoires ruraux non périurbains concentrent les situations de pauvreté des familles monoparentales : 27 % de leurs membres vivent sous le seuil de pauvreté, soit un niveau proche de celui de l’urbain (28 %), mais nettement plus élevé que dans le périurbain (20 %).

Avec une population en moyenne plus âgée, le visage de la pauvreté est toutefois particulier dans les territoires ruraux. Moins exposés que les jeunes, les seniors sont pourtant les plus nombreux à être pauvres dans ces territoires. Les membres de ménages dont le référent fiscal est âgé de 60 ans ou plus rassemblent ainsi 27 % des personnes pauvres du rural (soit 70 400) – contre 18 % des personnes pauvres de l’urbain – loin devant ceux pour lesquels il est âgé de moins de 30 ans (7 % des personnes pauvres) – contre 12 % des personnes pauvres urbaines.

Ce sont, là encore, dans les territoires ruraux hors de l’influence des villes que les membres des ménages dont le référent fiscal a 60 ans ou plus sont les plus touchés par la pauvreté et où leur nombre est le plus élevé. Le rural non périurbain en rassemble près de 39 000 (contre 31 400 dans le périurbain). Près des deux tiers habitent d’ailleurs en dehors des bourgs ruraux, ce qui pose la question du repérage et de l’accompagnement de ces publics fragiles par les travailleurs sociaux sur des territoires dispersés.

En 2019, les zones rurales d’Auvergne-Rhône-Alpes comptent 61 200 personnes pauvres qui vivent seules, soit près du quart de l’ensemble des personnes pauvres de l’espace rural. Plus de la moitié réside dans des territoires hors de l’influence des villes, et parmi ces derniers, principalement hors des bourgs (21 000). Hommes et femmes sont concernés de la même manière.

En premier lieu, les femmes seules pauvres dans le rural sont très souvent des retraitées. Au nombre de 21 300, elles rassemblent les deux tiers des femmes seules pauvres ; plus précisément, 31 % d’entre elles ont de 60 à 74 ans et 36 % ont 75 ans ou plus, des proportions similaires à l’échelle de l’ensemble des femmes seules du rural. Les pensions et retraites représentent la majorité de leurs revenus. En outre, elles perçoivent le plus souvent le minimum vieillesse.

Dans le rural, les hommes seuls pauvres ne sont, au contraire, pas tous retraités. Ils sont le plus souvent âgés entre 50 et 74 ans (soit 16 100 personnes). Ils sont particulièrement confrontés à la pauvreté, constituant 55 % des hommes seuls pauvres, contre 49 % de ceux de l’ensemble de la population rurale (particulièrement parmi les quinquagénaires). Ils occupent plus souvent une activité non salariée (agriculteurs exploitants, artisans, commerçants ou chefs d’entreprise), particulièrement dans le rural hors des bourgs. Elle représente en moyenne 11 % de leurs revenus, contre 8 % pour ceux habitant dans les bourgs et 6 % dans l’ensemble de la population rurale, pauvre ou non. D’autres ne sont plus en activité : les pensions et retraites comptent alors, en moyenne pour l’ensemble des hommes seuls en situation de pauvreté, pour 36 % de leurs revenus, soit sept points de plus que ceux de la population rurale pauvre et neuf points de plus que ceux de l’ensemble des hommes seuls du rural. Ils disposent, en outre, plus souvent de revenus du patrimoine.

Bien que moins nombreux que leurs aînés (2 800), les hommes seuls de moins de 30 ans sont également confrontés à la pauvreté. Ces derniers ne présentent pas le même profil. Ils vivent, par exemple, préférentiellement dans les bourgs périurbains ou non. Ils sont aussi plus souvent en emploi ou au chômage que leurs aînés. 57 % de leurs revenus provient des salaires et traitements (le triple de ceux des hommes seuls pauvres du rural), et 21 % provient d’indemnités chômage (le double de ceux des hommes seuls pauvres du rural).

Les familles monoparentales pauvres ne vivent pas seulement dans les zones urbaines où le logement social est particulièrement présent ; elles habitent aussi dans les territoires ruraux. Elles rassemblent même 22 % des personnes pauvres du rural (58 200 personnes), soit 13 points de plus que leur poids dans la population totale du rural. Cette surexposition à la précarité est toutefois équivalente à celle qui existe dans l’espace urbain (23 % des personnes pauvres appartiennent à une famille monoparentale, soit 11 points de plus que leur poids dans la population totale de l’urbain).

Les membres des familles monoparentales habitent un peu plus souvent dans les bourgs (10 %, contre 9 % dans le rural à habitat dispersé et très dispersé) et beaucoup plus fréquemment lorsqu’ils sont pauvres (25 %, contre 20 % dans le rural à habitat dispersé et très dispersé). Ces choix s’expliquent par la proximité des services, tels que les écoles, dans ces territoires. Toutefois, vivre dans ce type de centralité ne résout pas nécessairement l’inadéquation potentielle entre l’emploi du temps du parent et celui de ses enfants scolarisés. Si l’activité professionnelle du parent est exercée dans les métiers du soin et de l’aide à domicile, davantage répandus dans ces zones, elle peut renforcer cette inadéquation en raison d’éventuelles difficultés de transport. Quel que soit l’espace rural dans lequel elles vivent, les familles monoparentales pauvres perçoivent davantage de prestations sociales (39 % de leurs revenus) que l’ensemble des personnes pauvres du rural (25 % de leurs revenus). Ces dernières se déclinent en prestations familiales (13 % de leurs revenus), minima sociaux (15 %) et prestations logement (11 %). Dans les espaces périurbains, ces prestations sociales pèsent encore plus fortement dans leurs revenus au détriment des salaires.