Une actualisation des projections de population active tenant compte de la réforme des retraites de 2023

La réforme des retraites promulguée en avril 2023 conduit à modifier les comportements d’activité à l’horizon 2070 tels qu’ils avaient été projetés par l’Insee en 2022 [Bechichi et al., 2022]. En effet, la mesure phare de cette réforme consiste à reculer l’âge d’ouverture des droits de 62 à 64 ans, avec une montée en charge progressive dès septembre 2023 pour atteindre 64 ans en 2030. Elle s’accompagne notamment d’un allongement de la durée minimale des carrières longues, ainsi que d’une accélération de la réforme Touraine (2014) visant à augmenter la durée de cotisation de 42 à 43 ans pour une retraite à taux plein d’ici 2027 au lieu de 2035. L’ensemble de ces changements conduiront à modifier les comportements d’activité des femmes et hommes de plus de 55 ans, dont les taux d’activité seront augmentés dès 2023, influençant directement la taille de la population active projetée.

Un exercice de projection de taux d’activité et donc de population active, appelé ici « exercice variantiel 2023 », a été réalisé afin d’intégrer les principaux effets de la réforme des retraites de 2023 à la projection réalisée un an plus tôt, à population totale projetée inchangée (encadré). Cette variante a également été l’occasion de rehausser la part d’alternants projetée pour les 15-24 ans, cette part étant conventionnellement fixée à sa dernière observation.

Avec le nouvel exercice variantiel, le taux d’activité projeté de l’ensemble de la population est plus élevé que dans l’exercice de 2022. À l’horizon de 2070, la population active atteindrait 29,8 millions d’actifs, soit 600 000 de plus que la projection de 2022 (figure 1). L’essentiel de cette révision serait effectif dès 2030. L’écart de population active entre les deux exercices atteint son maximum en 2033, année où le nombre d’actifs serait rehaussé de 800 000 avec la variante, principalement du fait de la réforme des retraites, avant de se réduire un peu. Ce pic correspond à la période où l’âge légal de départ atteint sa cible de 64 ans et où la durée de cotisation requise est également à 43 ans ; dans la projection de l’exercice 2022, celle-ci continuait de croître jusqu’en 2035. Cet écart entre les projections se réduit ensuite et se stabilise pour deux raisons. D’une part, la réforme ne modifie pas la durée de cotisation requise à long terme. D’autre part, les mesures liées à l’âge d’ouverture des droits ont moins d’effets à long terme en raison de l’augmentation de la durée de cotisation requise prévue par la réforme de 2014. Le pic de population active, qui atteignait un maximum de 30,5 millions en 2039 dans l’exercice de 2022, est ainsi avancé dans le scénario variantiel à 2036, et il s’élèverait alors à 31,2 millions d’actifs.

Pour les jeunes de 15 à 24 ans, la variante de projection de population active rehausse le nombre d’actifs de 40 000 personnes et le taux d’activité de 0,6 point sur l’ensemble de la période de projection (figure 2a), en retenant l’hypothèse conventionnelle d’un recours constant à l’alternance à son dernier niveau connu (fin 2022), supérieure à l’hypothèse de l’exercice un an plus tôt.

La prise en compte de la réforme des retraites a quant à elle des effets bien plus marqués sur les taux d’activité des seniors (figure 2b, figure 2c, figure 2d). Cela résulte principalement du relèvement de l’âge légal de départ en retraite, qui retarde mécaniquement le moment où certaines personnes peuvent liquider leur retraite, ainsi que de l’allongement de la durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein. Par ailleurs, la prise en compte de l’« effet horizon » conduit à prolonger mécaniquement la durée en emploi des individus proches de la retraite (encadré).

Pour les 55-69 ans, la hausse du taux d’activité, déjà marquée dans les projections de 2022 (+9,8 points entre 2022 et 2070), serait amplifiée de 4,5 points supplémentaires.

C’est pour les 60-64 ans que ces effets sont les plus marqués, le taux d’activité projeté à l’horizon de 2070 étant rehaussé entre l’exercice 2022 et sa variante de 2023 de 14,3 points pour les femmes et de 7,3 points pour les hommes. L’essentiel de ces révisions serait effectif dès 2030. Le taux d’activité des hommes resterait significativement supérieur à celui des femmes dans cette classe d’âge, mais l’écart se réduirait nettement : l’effet de la réforme serait bien supérieur sur l’activité féminine, du fait d’une plus forte proportion de départs dès l’âge d’ouverture des droits pour les femmes.

De façon moins marquée, la réforme des retraites de 2023 rehausserait le taux d’activité des hommes et des femmes dès la classe d’âge des 55-59 ans (notamment du fait de l’allongement des carrières longues) de 1,7 point à l’horizon de 2070, pour s’établir à 82,6 %.

Le surcroît de taux d’activité serait deux fois moindre pour les hommes et les femmes de 65-69 ans (+0,8 point), dont le taux d’activité s’établirait en 2070 à 17,8 %.

Par construction, le taux d’activité des personnes entre 25 et 54 ans n’est pas modifié entre les deux exercices. Au total, le taux d’activité des 15-64 ans serait rehaussé de 1,5 point pour atteindre 76,8 % à l’horizon de 2070 dans l’exercice variantiel.

Ces hausses du taux d’activité des seniors conduisent mécaniquement à une augmentation de la part des seniors dans la population active. Ainsi, à l’horizon de 2070, la part des 55 ans ou plus parmi les actifs, qui était de 23,4 % dans l’exercice de 2022, atteindrait 24,8 % avec la variante de 2023. Au total, le rapport entre le nombre d’actifs et celui des inactifs de 60 ans ou plus atteindrait 1,6 à l’horizon de 2070 dans la variante de 2023, au lieu de 1,5 dans l’exercice de 2022.

L’exercice de projection variantiel de 2023 reprenant à l’identique les hypothèses et projections démographiques utilisées en 2022, le rôle défavorable de l’évolution démographique (vieillissement de la population notamment) sur le niveau de la population active est inchangé entre les deux exercices (figure 3).

En revanche, la variation annuelle de population active imputable aux changements dans les comportements d’activité est très nettement rehaussée dès 2024 : entre 2024 et 2029, elle est multipliée par plus de deux, à +150 000 en moyenne chaque année. Le taux d’activité projeté atteindrait un plateau autour de 2035 et les variations de population active deviennent ensuite relativement similaires dans les deux exercices.