Courrier des statistiques N5 - 2020

Le numéro N5 ne pouvait ignorer le caractère spécifique de 2020 : il commence donc par un article du directeur général de l’Insee sur l’adaptation de l’institut, de ses méthodes, au contexte exceptionnel de la crise sanitaire. Le Courrier s’intéresse ensuite à des sujets structurants de gouvernance, à travers l’Autorité de la statistique publique, qui tire un bilan de dix années d’existence, et l’expérience récente du Comité du label de la statistique publique.

Comment produire des données utiles à la décision publique ? Avec une représentation cartographique d’une grande souplesse, le carroyage permet de mieux appréhender la réalité des territoires. Avec une communication adaptée, les indicateurs de valeur ajoutée des lycées répondent au besoin d’évaluation et de pilotage interne, comme aux attentes des citoyens et des médias. Avec un modèle de microsimulation dynamique sur les retraites, Prisme accompagne le législateur qui veut faire évoluer la réglementation.

Enfin, le dernier article soulève une question simple : qu’est-ce qu’une donnée ? Exploiter ce matériau constitue le cœur de métier du statisticien, mais en mesure-t-il bien toutes les dimensions ?

Courrier des statistiques
Paru le :Paru le31/12/2020
Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)
Courrier des statistiques- Décembre 2020
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Fonctionnement de l’Insee dans la période de confinement

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)

(Note de l’éditeur) Il semblait difficile de produire un nouveau numéro du Courrier des statistiques sans évoquer l’impact de la pandémie sur les statistiques publiques : cette période a été riche en innovations, particulièrement lors du premier confinement, au printemps 2020. Le présent article trouve son origine dans un premier papier écrit par le directeur général de l’Insee pour le Journal of the IAOS, faisant le point sur les nouvelles sources, méthodes et organisations mises en place à cette occasion. Il s’est enrichi de nombreuses informations, notamment sur les publications qui en ont découlé : nowcasting publié bimensuellement de fin mars à mi-juillet, statistiques de décès, données de synthèse sur les mobilités. Par souci de clarté, le choix a été fait de se limiter aux développements de cette période et aux analyses qui en résultèrent, jusqu’à septembre 2020. La période qui a suivi a soulevé d’autres difficultés, non évoquées ici, par exemple les modalités de poursuite de la coopération avec les différents opérateurs et la question de la gratuité.
L’article est écrit à la première personne : il a paru important de présenter la démarche adoptée, les décisions prises, mais aussi de façon plus opérationnelle, les impacts sur l’organisation de l’activité statistique au quotidien.

Dès le début de la en France, l’Insee a réussi à réorganiser son travail pour assurer la continuité de ses missions : cela grâce à la généralisation du télétravail, et à l’adaptation de certaines enquêtes auprès des ménages, dont la collecte est passée du face-à-face aux entretiens téléphoniques.

L’Insee a également fourni de nouveaux résultats utiles aux décideurs et au public. En utilisant de nouvelles sources de données – telles que les transactions par carte de crédit ou les données des téléphones mobiles –, et de nouvelles méthodes – principalement le nowcasting –, l’institut a permis d’éclairer trois sujets d’intérêt : l’évolution de la situation économique française en temps réel, la répartition de la population présente sur l’ensemble du territoire national et l’évolution du taux de mortalité.

La continuité du service par temps de confinement

Dès l’apparition des premiers en France début mars 2020, l’Insee a pris la décision de suspendre la collecte sur le terrain dans ces zones, qu’il s’agisse des enquêtes en face-à-face auprès des ménages ou des relevés de prix dans les magasins. Dans le reste du pays, en accord avec les organisations syndicales de l’Insee, la collecte était maintenue, avec la consigne de ne pas insister si l’enquêté était réticent ou s’il présentait des symptômes de la maladie. Cependant, ces dispositions n’ont vécu que quelques jours car tout s’est accéléré brutalement à la mi-mars avec la perspective d’un confinement de plusieurs semaines.

Fort d’une expérience de quelques années dans le développement du télétravail, l’Insee a pu compléter rapidement l’équipement des agents en postes nomades : le lundi 16 mars, une majorité des agents en étaient équipés (de l’ordre de 4 000 portables pour 6 000 personnes, y compris enquêteurs).

Lors du dernier comité de direction qui s’est tenu au siège de la Direction générale, ce même 16 mars, les principes généraux suivants sont établis :

  • jusqu’à la suspension de l’urgence sanitaire, le télétravail devient la règle absolue, et seuls des cas de force majeure justifient encore une présence physique dans les bâtiments. De fait, les locaux de l’Insee, à Paris-Montrouge et en région, seront vides à compter du 18 mars, avec seulement quelques visites épisodiques pour vérifier l’état du bâtiment ou récupérer du courrier ;
  • pour le bon fonctionnement du travail à distance et la répartition des connexions aux serveurs, il est décidé d’en restreindre l’accès au départ. La direction du Système d’information estime que les serveurs peuvent supporter 2 800 accès simultanés, je décide de les limiter à 2 000, limite qui sera élargie au fil des semaines, grâce à l’installation de nouveaux serveurs et à un pilotage rigoureux des infrastructures et des réseaux. Au début de la période de confinement, la plupart des agents devront respecter des plages de connexion (le matin ou l’après-midi selon les cas). Celles-ci sont interrompues chaque jour, entre 12h30 et 13h30, pour permettre aux informaticiens de pratiquer en toute quiétude les maintenances et les montées en régime nécessaires ;
  • il est demandé aux managers de proximité de garder un contact avec tous les agents, même ceux qui ne sont pas équipés en poste nomade et qui sont invités à consulter leur messagerie sur leur ordinateur personnel ;
  • le comité de direction se réunira en audioconférence (que nous avons jugée aussi efficace et moins gourmande en bande passante que la visioconférence) deux à trois fois par semaine. La secrétaire générale rencontrera les organisations syndicales en audioconférence au moins une fois par semaine. Le directeur en charge de l’animation du réseau des établissements régionaux assurera l’échange d’informations avec les directeurs régionaux, à raison d’une courte audioconférence quotidienne ;
  • les enquêtes en face-à-face sont suspendues, et basculées lorsque c’est possible en enquêtes par téléphone.

Au 16 mars, la poursuite des relevés de prix dans certains magasins restait en débat. En effet, depuis janvier 2020, l’Insee produit une partie de l’indice des prix à la consommation avec des . Les équipes en charge de la mesure des prix de détail souhaitaient le maintien de collecte en magasin pour compléter les données recueillies par les enseignes de la grande distribution.

 

Communiquer en temps de crise, en externe...

Un communiqué de presse est diffusé le 16 mars, pour présenter la manière dont l’Insee prévoit d’assurer ses missions (Insee, 2020d). Il affiche une ambition : que l’essentiel des productions et publications de l’Insee soient maintenues. Il signale cependant que certaines activités seront prioritaires : la tenue des registres (des personnes physiques et des entreprises), la production des enquêtes de conjoncture, des indicateurs de court terme et des comptes nationaux, l’exploitation de l’enquête Emploi qui sera entièrement collectée par téléphone. Le communiqué annonce également que la Note de conjoncture prévue fin mars est ajournée (cf. infra) et que l’Insee se donne pour objectif de publier un état simplifié de la situation économique française deux fois par mois. Enfin, il alerte sur le risque d’une qualité dégradée des statistiques qui sera donc systématiquement commentée.

Ce communiqué a été transmis, une heure avant sa publication, à la Directrice générale d’Eurostat, au directeur du cabinet du ministre français de l’économie, aux présidents de l’Autorité de la statistique publique et du Conseil national de l’information statistique. Il sera envoyé aux chefs des services statistiques ministériels. Une version en anglais est envoyée aux homologues des autres instituts nationaux de statistique.

Une mise à jour le 25 mars annonce la suppression de certaines productions : l’enquête auprès des ménages sur le recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) n’aura pas lieu en 2020, la publication d’indices de prix propres à Mayotte est suspendue.

Le signale aussi que les entreprises non répondantes ne seront pas relancées systématiquement ni poursuivies, que les relevés de prix dans les magasins sont provisoirement interrompus. Enfin, il présente des productions statistiques spécifiques faites pendant la crise, et qui feront l’objet de la seconde partie de cet article.

 

... et en interne

Le premier communiqué de presse et les suivants seront également utilisés pour informer les organisations syndicales de l’Insee, et plus généralement, pour communiquer à tous les agents les dispositions prises par l’Insee pour assurer la continuité du service.

En complément, j’adresse un message à tous les agents deux jours après le début du confinement. Je relaie une lettre du ministre de l’Économie et des Finances, auquel l’Insee est rattaché, lettre qui, deux semaines après le début du confinement, nous remercie des dispositions prises et du travail accompli. Et, les agents reçoivent régulièrement des informations de la part de la secrétaire générale et du responsable des Ressources humaines.

 

Un fonctionnement stabilisé après deux semaines

Je crois pouvoir dire que tout cela a permis de maintenir un fonctionnement de qualité, quand bien même nous n’avons plus tenu de réunion physique pendant plus de deux mois. Le système d’information ne nous a jamais fait défaut, les collectifs de travail sont restés en contact. Tous les objectifs affichés ont été respectés.

Les premiers comités de direction de la période de confinement ont été dédiés, naturellement, à la gestion de crise. Et, après deux semaines, nous avons réussi à retrouver le temps et la disponibilité pour traiter les sujets usuels, comme les recrutements et nominations.

Il faut aussi souligner que le bureau de presse n’a jamais cessé de fonctionner et qu’il n’y a eu aucune rupture dans la diffusion des communiqués, leur relais sur les réseaux sociaux – j’ai moi-même eu plus de retours que jamais sur LinkedIn – et la réponse aux journalistes et aux fact checkers.

Plus d’un mois après le début du confinement, la qualité des informations collectées (tant des enquêtes que des fichiers administratifs) pose davantage de problème que la capacité de l’institut à les traiter. En effet, le taux de réponse de plusieurs enquêtes auprès des entreprises s’est très fortement dégradé, et un certain nombre de déclarations administratives, notamment fiscales, vont sans doute être perturbées. La collecte des prix est loin d’être stabilisée. Côté ménages, le basculement du face-à-face sur le téléphone entraîne des difficultés, notamment pour les enquêtes complexes que sont la première interrogation à l’enquête Emploi et l’enquête sur les conditions de vie ; les taux de réponse sont aussi affectés pour les enquêtes ménages, de façon toutefois moins prononcée et moins générale que pour les enquêtes auprès des entreprises.

La pertinence de certaines statistiques risque aussi d’être mise à l’épreuve. Dès la mi-mars, j’ai signalé à mes homologues que les critères du chômage au sens du BIT allaient poser problème. Autre exemple, la pondération utilisée pour calculer les prix à la consommation va également s’écarter de la structure de la consommation pendant la période de confinement.

 

Les productions statistiques en réponse à la crise : nowcasting...

Parmi les instituts statistiques, l’Insee présente la particularité de réaliser des prévisions à court terme, c’est-à-dire d’utiliser les enquêtes de conjoncture et des outils de modélisation macroéconomique pour prévoir les agrégats des comptes nationaux pour le trimestre en cours et le trimestre suivant. C’est l’objet des Notes de conjoncture, publiées quatre fois l’an.

La Note annoncée pour le 24 mars 2020 devait porter sur les prévisions de croissance pour les deux premiers trimestres de 2020. L’exercice, déjà rendu difficile par le développement de l’épidémie en Chine, apparaît impossible avec l’émergence des premiers clusters en Europe.

Le 12 mars, la décision est prise de surseoir à la Note prévue et de réorienter le travail des conjoncturistes de l’Insee aux fins de pur nowcasting : mesurer au mieux, à chaque instant, la chute de l’activité économique.

Le 16 mars, le communiqué de presse signale que les premiers dépouillements des enquêtes de conjoncture de mars montrent que la chute du climat conjoncturel est plus rapide encore qu’à l’automne 2008. Il indique que la Note de conjoncture du 24 mars est ajournée, et que l’Insee se donne pour objectif de présenter son appréciation de l’économie toutes les deux semaines. Plus précisément, je demande aux équipes d’estimer la chute du PIB et la chute de la consommation.

La première estimation de ce type paraît le 26 mars, en même temps que les résultats des enquêtes de conjoncture auprès des entreprises. Comme la plupart des réponses des entreprises ont été reçues au début du mois de mars, les données collectées ne reflètent pas encore l’effet des décisions de fermeture des écoles, puis de fermeture des hôtels, cafés, restaurants, enfin de confinement généralisé. De ce fait, la méthode habituelle d’ sur les enquêtes aurait minoré de beaucoup la chute de l’activité. Il a donc fallu recourir à des méthodes très différentes.

La méthode la plus naturelle a consisté à recueillir de l’information de la part d’entreprises ou de branches professionnelles, directement ou par le truchement de partenaires, par exemple la Banque de France ou un institut de conjoncture proche des milieux patronaux. Cette information a été traitée, secteur par secteur, à un niveau de désagrégation très fin (138 postes). Une première compilation donnait un ordre de grandeur de perte d’activité à hauteur d’un tiers du PIB.

Mais j’ai souhaité qu’on ne se repose pas sur cette seule méthode et qu’on corrobore ce résultat avec des sources de données effectives, disponibles à haute fréquence. En la matière, les conjoncturistes pensent en premier lieu à la consommation d’électricité, mais d’autres pistes ont été testées et rapidement écartées (indicateurs de pollution, Google Trends, vocabulaire utilisé dans la presse, etc.). Nous avons privilégié les statistiques issues des transactions de cartes bancaires, auxquelles le Groupement des Cartes Bancaires CB qui rassemble les principaux réseaux bancaires nous a donné exceptionnellement accès.

 

... facilité par les contacts noués auparavant...

À vrai dire, nous avions engagé des discussions avec le Groupement des Cartes Bancaires CB depuis quelque temps, et nous étions sur le point de lancer deux ou trois projets pour tester l’intérêt des données de cartes de crédit. Cela était venu dans l’actualité de notre réflexion statistique des derniers mois dans le contexte d’une grande grève prolongée des transports en commun en décembre 2019, pour mesurer de façon rétrospective la chute de l’activité des commerces parisiens.

À la mi-mars, l’intervention de la fédération professionnelle des banques mais aussi celle, à mon initiative, du Président d’une grande banque française permettront d’accélérer la coopération. Le 18 mars, l’Insee signe ainsi une convention avec le Groupement des Cartes Bancaires CB pour disposer, pendant la durée de la crise, des données quotidiennes de transactions, désagrégées par produit. Nous avons aussi obtenu les données qui nous permettent d’avoir un recul historique de deux années. En quelques jours, l’exploitation de cette nouvelle source a permis de confirmer l’ordre de grandeur d’une chute d’un tiers pour la consommation – après des « hoquets » liés au comportement de stockage des ménages, consécutif aux annonces de confinement. Nous avons pu obtenir par ailleurs des résultats directement utilisables en matière de valeur ajoutée dans certains secteurs de services aux ménages pour lesquels les remontées microéconomiques s’avéraient lacunaires.

Le 26 mars, l’Insee publie donc une estimation de chute de PIB (en instantané par rapport à un régime normal) de 35 % et de chute de la consommation des ménages du même ordre de grandeur (Insee, 2020e). La publication (figure 1) est précédée d’un avant-propos dans lequel je signale, d’une part qu’il peut paraître incongru de parler économie alors que le paroxysme de la crise sanitaire n’est pas encore atteint, d’autre part que l’ordre de grandeur est nécessairement fragile ; mais j’ajoute que j’estime, grâce notamment à l’exploitation des données de transactions électroniques, que cet ordre de grandeur paraît suffisamment robuste pour qu’il puisse être publié.

Je pense que c’est la première estimation de ce type qui ait été réalisée et publiée par un institut statistique depuis le début de la crise sanitaire, sans doute aussi précurseur de l’exploitation de « hard data ».

Il me semble important de signaler que cette publication a suivi le processus usuel, à savoir une diffusion sous embargo au seul directeur du cabinet du ministre de l’Économie et des Finances, quelques heures avant la publication le 26 mars à 7h30 (l’application au cas français des règles de bonnes pratiques de la statistique publique). La publication du 26 mars a été mise à disposition en anglais (Insee, 2020c), et diffusée à mes homologues.

Depuis, l’ordre de grandeur s’est révélé assez fiable : il a été confirmé par deux mises à jour bimensuelles : le 9 avril, jour où je l’ai présenté à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, et le 23 avril. La Banque de France et des instituts de conjoncture nationaux ont diffusé, depuis le 26 mars, des .

 

Figure 1. Première estimation de la chute du PIB

 

 

... population présente sur les territoires...

Depuis plusieurs années, l’Insee cherche à travailler avec des opérateurs de téléphonie mobile, notamment pour mesurer quelle est la population présente, dans un territoire donné, à un moment donné. Comme dans le cas des données de cartes de crédit, les discussions étaient rendues longues du fait de considérations juridiques et financières.

Quelques jours après le confinement, il est apparu qu’il y avait eu un départ significatif des résidents des grandes métropoles, notamment de Paris, pour rejoindre leur résidence secondaire. Il m’a semblé que la répartition des Français sur le territoire national ayant été affectée, une information chiffrée devait être d’un certain intérêt pour les services de santé, d’approvisionnement, de police. En discutant avec un Préfet, j’avais d’ailleurs eu confirmation de cet intérêt.

Je m’en suis ouvert à un cadre dirigeant d’Orange, principal opérateur de téléphonie en France, en lui proposant une coopération entre nos data scientists. Ayant évidemment reçu d’autres sollicitations, Orange a décidé de partager gratuitement l’exploitation de ses données qui pouvaient intéresser les pouvoirs publics en lien avec la gestion de la crise. Il s’agit bien évidemment d’une exploitation statistique, qui ne pose aucun problème au regard du règlement européen de protection en matière de . La collaboration des data scientists de l’Insee et d’Orange s’avérera utile, elle aidera notamment Orange à affiner ses estimations et l’Insee à mieux appréhender sa connaissance des données de téléphonie mobile et leur traduction en concepts utiles à la statistique publique.

Au final, une publication de l’Insee parue le 8 avril permet de visualiser les départements dont la population avait diminué ou au contraire s’était accrue suite aux migrations ayant précédé le début du confinement (Insee, 2020f et 2020g). Ce sont ainsi environ 10 % des Parisiens (hors étudiants) qui ont quitté leur domicile pour se « relocaliser » le plus souvent à la campagne (figure 2).

Du point de vue des politiques publiques, une marge de progrès est encore possible : la maille départementale est trop large pour bien dimensionner les services publics ; et peut-être sera-t-il possible de produire des chiffres à un niveau géographique plus désagrégé, et de poursuivre des coopérations similaires avec d’autres opérateurs de téléphonie mobile. D’un point de vue médiatique, la visibilité d’une telle publication est très importante, et illustre assez bien le potentiel statistique pour des informations d’intérêt commun que présentent les données de téléphonie mobile.

 

Figure 2. Statistiques sur la mobilité des personnes parues en juillet 2020

 

 

... et statistiques de surmortalité

Le troisième effort exceptionnel réalisé par l’Insee est, hélas, moins original puisqu’il a trait à une statistique sur laquelle la plupart des instituts statistiques font actuellement porter leurs efforts : le recensement des décès.

Usuellement, l’Insee publie, vers le 20 du mois, le nombre de naissances et de décès, tels qu’ils sont enregistrés le mois précédent par l’état civil de toutes les communes de France. En temps normal, ces statistiques retiennent assez peu l’attention. Mais il est apparu assez vite, dès la mi-mars, que le décompte des décès à l’hôpital imputés à la Covid-19 ne suffirait pas à rendre compte de la surmortalité.

Depuis le 27 mars, l’Insee publie chaque vendredi les statistiques de décès survenus la semaine antérieure (les communes ont une semaine pour transmettre les données d’état civil à l’Insee). La surmortalité peut être estimée, en comparant le cumul des décès depuis le début du mois de mars au cumul des décès sur les périodes analogues des années précédentes. Dès le 27 mars, les statistiques étaient données au niveau national, régional et départemental.

La publication s’est enrichie de nouveaux tableaux au fil des semaines. On trouve aujourd’hui des désagrégations, par genre, tranche d’âge et . L’intérêt pour ces chiffres est évidemment immense, tant au niveau national que local. Ils sont régulièrement présentés dans les conférences de presse des autorités sanitaires.

Conformément à la pratique de l’Insee, ces tableaux sont accompagnés de commentaires, qui permettent notamment de bien interpréter la comparaison avec les années précédentes. À titre d’exemple, la grippe hivernale avait été assez virulente en mars 2018, si bien que jusqu’à quasiment la fin mars, au niveau national, on ne constatait pas de surmortalité sensible par rapport à cette année-là. L’approche statistique de la surmortalité a également été présentée dans un article publié sur le tout nouveau blog de l’Insee (Bayet, Le Minez et Roux, 2020a et 2020b).

Je constate, avec une certaine amertume, que ceux qui mettent à disposition actuellement des statistiques de décès par pays, à l’heure où j’écris, ne présentent pas systématiquement des chiffres qui sont comparables d’un pays à l’autre. Il me semble qu’il y a ici un effort important à faire pour l’ensemble de la statistique publique afin de fournir, au niveau international, les statistiques les plus comparables possible, et en tout cas, en explicitant les limites de la comparabilité (figure 3).

Je n’ai pas évoqué les statistiques de causes de décès. L’information élémentaire, telle qu’elle est enregistrée par les médecins dans les certificats de décès, n’est pas traitée par l’Insee, mais par un organisme de recherche en matière de santé, l’. Dans ce domaine, en période de crise sanitaire, il faut se poser la question de la fréquence de publication (le règlement européen prévoit une ). Il faut aussi se poser la question de la comparabilité de l’information collectée selon les pays et les pratiques d’établissement des certificats de décès.

 

Figure 3. Statistiques comparatives des décès publiées le 29 juillet 2020

 

 

Les enquêtes lancées de façon exceptionnelle

L’Insee a ajouté des questions spécifiques dans l’enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages (enquête Camme par téléphone auprès de 2 000 personnes), afin d’apprécier les effets du confinement sur la vie des ménages ; .

L’Insee a aussi exploité les réponses ouvertes des entreprises dans les enquêtes de conjoncture pour prendre la mesure, par une analyse textuelle, de l’inquiétude générale suscitée par l’épidémie (Insee, 2020i et 2020j).

Avec l’aide de l’Insee, la , service statistique du ministère du Travail, a adapté l’enquête trimestrielle Acemo (Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre) menée auprès des entreprises en avril pour avoir des données sur le recours au télétravail, au chômage partiel, etc. L’exploitation de cette enquête a été publiée le vendredi 17 avril (Ouvrir dans un nouvel ongletDares, 2020).

L’Insee prévoit d’adapter une prévue en septembre sur la sous-traitance pour évaluer l’impact de la crise sur l’organisation et l’activité des entreprises, sur l’approvisionnement et les chaînes de valeur, etc.

Enfin, l’Insee a été sollicité par différents services et organismes de recherche en matière de santé pour délivrer des échantillons représentatifs. La coopération la plus significative concerne l’Inserm et la , service statistique du ministère de la Santé, pour prendre la mesure de la prévalence du virus et de ses symptômes, par une énorme enquête par internet, suivie de tests sur des sous-échantillons. La première vague de cette enquête appelée , doit démarrer au cours de la dernière semaine d’.

 

En guise de conclusion provisoire

Évidemment, toutes ces productions statistiques faites par l’Insee et l’ensemble du système statistique public français, sont très visibles sur le site web, elles sont du reste largement commentées. Depuis le 22 avril, elles sont rassemblées, pour plus de visibilité encore, dans une page du site de l’Insee dédiée aux statistiques liées à la Covid-19 (Insee, 2020a).

Pour finir, je ne sais pas si la statistique publique sortira renforcée ou pas de cette épreuve, mais je crois pouvoir dire que l’Insee a fait ses meilleurs efforts, et a tiré parti des circonstances exceptionnelles pour catalyser des coopérations avec les producteurs de données qui étaient en germe depuis longtemps. Je ne saurais trop rendre hommage à l’engagement et à la réactivité des nombreux collègues de l’Insee dans les semaines qui viennent de s’écouler.

Le confinement, le télétravail sont contraignants. Nous craignons tous pour nos proches, nos aînés, nos collègues. C’est sans doute un réconfort malgré tout, dans cette épreuve, que d’exercer une mission qui peut témoigner en temps réel de son utilité. Et pour l’Insee de montrer qu’il est capable de réaliser des productions qu’il n’aurait pas faites sans la crise. Le fait de parler là, dans cet article, de la vie de l’Institut au cours des derniers mois fait sans doute partie de ces choses qu’on n’aurait jamais imaginé faire en temps normal.

 

Références juridiques

Ouvrir dans un nouvel ongletRèglement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données). In : Journal officiel de l’Union européenne. [en ligne]. [Consulté le 15 décembre 2020].

L’article est tiré d’un papier écrit pour le Statistical Journal of the IAOS à la sortie de la première période de confinement (17 mars-11 mai 2020) (Ouvrir dans un nouvel ongletTavernier, 2020b). Depuis la France est entrée dans un deuxième confinement, le 30 octobre 2020, et y était encore à la date de publication de ce numéro du Courrier des statistiques.

Les « clusters ».

[N.D.L.R.] Voir à ce sujet l’article de Marie Leclair « Utiliser les données de caisses pour le calcul de l’indice des prix à la consommation » paru dans le numéro N3 du Courrier des statistiques (Leclair, 2019).

[N.D.L.R.] Toutes les mentions de références bibliographiques ont été ajoutées à l’article original.

[N.D.L.R.] Les étalonnages à l’aide d’enquêtes de conjoncture constituent un outil essentiel de prévision à court terme pour la production manufacturière et le PIB (Ouvrir dans un nouvel ongletDubois et Michaux, 2006).

[N.D.L.R.] Voir également les trois articles du blog de l’Insee (Blanchet, 2020 ; Pouget, 2020 ; Tavernier, 2020a) sur les enseignements pour l’institut du traitement opéré en temps de crise sur la mesure de l’activité économique.

[N.D.L.R.] Voir référence juridique en fin d’article.

[N.D.L.R.] Tels que renseignés par les officiers d’état civil qui enregistrent les actes de décès : établissement hospitalier, maison de retraite, domicile, autre ou non renseigné.

[N.D.L.R.] Institut national de la santé et de la recherche médicale.

[N.D.L.R.] Avec des délais pouvant aller jusqu’à 18 mois après la fin de l’année de référence.

[N.D.L.R.] En fait la première (et seule à ce jour) exploitation est sortie en juin, sur la base du module ajouté à l’enquête Camme de mai (Albouy et Legleye, 2020).

[N.D.L.R.] Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.

[N.D.L.R.] Les résultats de l’enquête ont fait l’objet d’un Insee Première (Duc et Souquet, 2020) en décembre 2020.

[N.D.L.R.] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

[N.D.L.R.] Étude ÉPIdémiologique de la diffusion du SARS COV2 (Ouvrir dans un nouvel ongletCnis, 2020 ; Ouvrir dans un nouvel ongletDrees, Insee, Inserm et Santé Publique France, 2020a). La première vague a débuté en avril, la deuxième en octobre

[N.D.L.R.] Les résultats de la première vague ont fait l’objet d’une série de publications (Givord, Silhol et alii, 2020 ; Ouvrir dans un nouvel ongletIRESP, 2020 ; Ouvrir dans un nouvel ongletDrees, Insee, Inserm et Santé publique France, 2020b).

Pour en savoir plus

ALBOUY, Valérie et LEGLEYE, Stéphane, 2020. Conditions de vie pendant le confinement : des écarts selon le niveau de vie et la catégorie socioprofessionnelle. [en ligne]. 19 juin 2020. Insee Focus, n°197. [Consulté le 15 décembre 2020].

BAYET, Alain, LE MINEZ, Sylvie et ROUX, Valérie, 2020a. Mourir de la grippe ou du coronavirus : faire parler les chiffres de décès publiés par l’Insee... avec discernement In : Le blog de l’Insee. [en ligne]. 7 avril 2020. [Consulté le 15 décembre 2020].

BAYET, Alain, LE MINEZ, Sylvie et ROUX, Valérie, 2020b. Statistiques sur les décès : le mode d’emploi des données de l’Insee en 7 questions/réponses. In : Le blog de l’Insee. [en ligne]. 14 mai 2020. [Consulté le 15 décembre 2020].

BLANCHET, Didier, 2020. X % de quoi ? Quelle mesure de l’activité pendant la crise, quelle(s) mesure(s) pour l’après-crise. In : Le blog de l’Insee. [en ligne]. 17 juillet 2020. [Consulté le 15 décembre 2020].

CNIS, 2020. Ouvrir dans un nouvel ongletEpiCov : Étude EPIdémiologique de la diffusion du SARS-CoV2 – 2020X711SA. In : site du Cnis. [en ligne]. [Consulté le 15 décembre 2020].

COUDIN, Élise, DE BELLEFON, Marie-Pierre, GALIANA, Lino, SUARES CASTILLO, Milena et SÉMÉCURBE, François, 2020. Retour partiel des mouvements de population avec le déconfinement. [en ligne]. 22 juillet 2020. Insee Analyses, n°54. [Consulté le 15 décembre 2020].

DAHOO, Umar et GAUDY, Lisa, 2020. En France, comme en Europe, un pic de surmortalité lié à la Covid-19 fin mars-début avril. [en ligne]. 29 juillet 2020. Insee Focus, n°200. [Consulté le 15 décembre 2020].

DARES, 2020. Ouvrir dans un nouvel ongletActivité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19. [en ligne]. 17 avril 2020. [Consulté le 15 décembre 2020].

DREES, INSEE, INSERM et SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, 2020a. Ouvrir dans un nouvel ongletSite de l’enquête EpiCov. [Consulté le 15 décembre 2020].

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