Insee PremièreLes conséquences de la crise sur l’emploi dans les régions

Stève Lacroix, division Statistiques régionales, locales et urbaines, Insee

La crise économique a davantage touché les régions du Nord-Est en termes d’emploi, et principalement les régions industrielles. Les régions du Sud, dont l’activité est orientée vers le tertiaire, ont été les plus préservées. Le Poitou-Charentes, Rhône-Alpes, la Bretagne et les Pays de la Loire, jusque-là dans une dynamique positive, n’ont pas pour autant été épargnés par la crise. A contrario, l’emploi en Île-de-France a mieux résisté que ce que l’on aurait pu envisager.

À la suite de la crise, le chômage a augmenté dans l’ensemble des départements. Les plus touchés sont ceux pour lesquels le taux de chômage était déjà très élevé sur la période précédente. Cependant d’autres départements épargnés jusqu’alors ont également subi une augmentation élevée.

Stève Lacroix, division Statistiques régionales, locales et urbaines, Insee
Insee Première No 1295- Mai 2010

Davantage d’emplois perdus dans le Nord-Est que dans le Sud

Les régions du Nord-Est, comme la Franche-Comté, la Lorraine, la Picardie, la Champagne-Ardenne et la Bourgogne sont celles qui ont le plus perdu d’emplois avec la crise : la perte d’emplois a été supérieure à 5 % entre le début 2008 et la fin 2009, contre 3,6 % au niveau national (tableau). Pendant les années précédant la crise, ces régions perdaient déjà des emplois (cartes 1 et 2).

À l’opposé, les régions du Sud comme le Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Provence- Alpes - Côte d’Azur (Paca) et l’Aquitaine ont moins souffert de la crise que les autres régions : 2 % à 3 % d’emplois ont été perdus. Ces régions étaient auparavant dans une dynamique très positive, avec une croissance de 6 % des emplois sur l’ensemble de la période 2002 à 2006.

Tableau 1Évolution totale de l’emploi salarié marchand par grands secteurs en France métropolitaine

Évolution totale de l’emploi salarié marchand par grands secteurs en France métropolitaine
en %
De 2002 à 2006 Entre début 2008 et fin 2009
Commerce 2,0 − 2,0
Construction 10,5 − 3,4
Industrie − 8,5 − 6,8
Services marchands 4,4 − 0,8
Emploi salarié marchand hors intérim 1,1 − 2,6
Intérim 12,0 − 26,8
Emploi salarié marchand 1,5 − 3,6
  • Champ : salariés hors secteurs agricole et services non marchands.
  • Source : Insee, estimations d’emploi.

carte 1Évolution de l’emploi salarié marchand entre 2002 et 2006*

  • * Évolution totale de l’emploi salarié entre le 3e trimestre 2002 et le 3e trimestre 2006.
  • Champ : salariés hors secteurs agricole et services non marchands.
  • Source : Insee, estimations d’emploi.

carte 2Évolution de l’emploi salarié marchand entre début 2008 et fin 2009*

  • * Évolution totale de l’emploi salarié entre le 1er trimestre 2008 et le 4e trimestre 2009.
  • Champ : salariés hors secteurs agricole et services non marchands.
  • Source : Insee, estimations d’emploi.

Des signes de fragilité dans certaines régions jusque-là en croissance

Entre début 2008 et fin 2009, le Poitou-Charentes, Rhône-Alpes, la Bretagne et les Pays de la Loire ont perdu entre 3,4 % et 5 % de leurs emplois. Ces régions avaient pourtant connu entre 2002 et 2006 une croissance de l’emploi plus rapide (+ 2,6 %) que la moyenne nationale (+ 1,5 %), et plus rapide également que ce que leur structure économique aurait pu laisser envisager : si l’emploi dans ces régions avait suivi entre 2002 et 2006 l’évolution moyenne des secteurs sur le plan national, il aurait augmenté, en Bretagne, de 1,6 %, soit l’équivalent de la croissance nationale, et, dans les trois autres régions, de 0,3 % à 1 % de moins que la croissance nationale. Mais cette performance observée sur la période 2002-2006 n’a pas permis ensuite à ces régions d’amortir la crise.

Un quart des emplois créés entre 2002 et 2006 étaient des emplois intérimaires. Ces mêmes emplois représentent 30 % de ceux supprimés en 2008 et 2009. La structure des emplois des entreprises, en devenant plus flexible du fait du recours à l’intérim, leur a permis d’ajuster plus facilement leur activité économique, mais en faisant diminuer l’emploi.

Le tissu industriel de la région Rhône-Alpes l’a davantage exposée : 80 % des pertes nettes d’emploi en 2008-2009 concernent l’industrie ou bien l’intérim (graphique).

GraphiqueRépartition des baisses d’emplois par grands secteurs¹ et par région

  • 1. Uniquement au sein des grands secteurs qui ont connu une baisse nette d’emplois sur la période.
  • Champ : salariés hors secteurs agricole et services non marchands ; régions de métropole hors Corse.
  • Source : Insee, estimations d’emploi.

Un impact modéré de la crise en Île-de-France

Avec une baisse de l’emploi de 2,7 % entre le début 2008 et la fin 2009, soit un point de moins que la moyenne nationale, l’Île-de-France a mieux résisté à la crise que ce que l’on aurait pu anticiper. En effet, entre 2002 et 2006, la progression de l’emploi en Île-de-France était inférieure d’un point à l’évolution nationale.

Entre 2008 et 2009, 115 000 emplois ont été perdus dans cette région, soit 20 % des pertes nettes d’emplois sur la période en France, alors que l’Île-de-France représente 25 % des emplois salariés marchands fin 2009. Le commerce et les services marchands ont été plus touchés en Île-de-France que dans les autres régions : respectivement 16 % et 37 % des pertes d’emplois concernent ces secteurs. Un quart des emplois perdus en Île-de-France se situent quant à eux dans l’industrie, dont deux tiers ont été supprimés en 2009, en décalage d’un an par rapport aux autres régions.

Si l’emploi a mieux résisté dans la région capitale, c’est principalement parce que 63 % de ses emplois salariés marchands sont concentrés dans les services marchands, avec une part plus importante de services aux entreprises à haute valeur ajoutée et d’emplois qualifiés dans des secteurs innovants.

Les régions industrielles restent les plus exposées

Entre le 1er trimestre 2008 et le 4e trimestre 2009, 600 000 emplois du secteur marchand ont été perdus en France, dont 240 000 emplois dans l’industrie (hors intérim) et 180 000 emplois intérimaires. Parmi ces emplois intérimaires perdus, 63 % se situaient dans l’industrie.

Les régions industrielles ont été parmi les plus touchées par la crise. La Franche-Comté, la Champagne- Ardenne, la Picardie, l’Auvergne, l’Alsace, la Haute-Normandie, la Lorraine, les Pays de la Loire, la Bourgogne, la Basse-Normandie et le Centre ont perdu 340 000 emplois industriels depuis 2002, dont un tiers pendant la seule période 2008-2009. La baisse de l’emploi industriel s’est donc accélérée dans ces régions, passant d’un rythme de 2 % à 3 % par an à une baisse de 5,3 % en 2009.

Les entreprises ont notamment utilisé deux modes de flexibilité pour réduire leur activité : l’emploi intérimaire et le chômage partiel. Ainsi, dans ces régions, en 2008 et 2009, la baisse de l’emploi industriel (hors intérim) et celle des emplois intérimaires ont représenté 80 % des emplois perdus. Depuis décembre 2008, le nombre d’heures de chômage partiel acceptées par les directions régionales ou départementales du travail de ces régions a été chaque mois de 30 à 70 fois plus élevé que le nombre d’heures autorisées en janvier 2008. Il est encore 54 fois plus élevé en décembre 2009, avec 11 millions d’heures acceptées au total, dans les onze régions industrielles.

Le Nord - Pas-de-Calais constitue toutefois une exception parmi les régions de tradition industrielle. Cette région se révèle en effet moins exposée car elle a débuté sa mutation économique plus tôt et n’est plus désormais que la 14e région industrielle française, avec un quart de ses emplois salariés marchands dans ce secteur.

La spécialisation dans le tertiaire protège

Les régions dans lesquelles l’emploi a été le plus préservé sont toutes spécialisées dans les activités tertiaires. Ainsi, entre début 2008 et fin 2009, l’emploi a relativement peu baissé (entre 2 % et 3 %) dans les régions où la part des emplois salariés dans les services marchands est la plus élevée : Île-de-France, Paca, Languedoc Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine. Les emplois industriels ont également mieux résisté dans ces régions que dans les autres. C’est le cas notamment en Paca et Midi-Pyrénées (baisse de 3,5 % à 4,5 %) et dans une moindre mesure en Aquitaine, Languedoc-Roussillon et Île-de-France (baisse de 4,9 % à 5,7 %).

Pertes d’emplois dans le commerce et la construction : les régions du Sud et le Poitou-Charentes, les plus touchés

Dans les régions du Sud et en Poitou-Charentes, où l’ est importante, 30 % à 40 % des pertes d’emplois ont touché les secteurs de la construction et du commerce, contre 18 % au niveau national.

En Paca, Aquitaine et Poitou-Charentes, les pertes d’emplois dans le secteur du commerce ont représenté 15 % du recul de l’emploi salarié marchand. Dans le secteur de la construction, cette part a été de 20 % en Midi-Pyrénées et de 30 % en Languedoc-Roussillon.

L’emploi dans la construction en Languedoc-Roussillon, région la plus touchée pour ce secteur, a baissé de 6,8 % entre début 2008 et fin 2009. Le Poitou-Charentes, 2e région la plus touchée dans la construction (− 6,7 %), est aussi la région dans laquelle la baisse de l’emploi dans le commerce est la plus élevée (− 3,5 %).

Le chômage a augmenté dans certains départements jusqu’à présent peu touchés

Entre début 2008 et fin 2009, le taux de chômage en France a augmenté de 2,4 points, passant de 7,2 % à 9,6 %. Cette progression a touché l’ensemble des départements, mais de manière différenciée (cartes 3 et 4), creusant ainsi de 1,5 point l’écart entre le taux de chômage le plus faible et le plus élevé. Parmi les départements dans lesquels l’augmentation a été la plus forte se trouvent des départements peu touchés avant la crise : trois départements spécialisés dans l’industrie (l’Ain, la Vendée et le Jura), ainsi que la Haute-Savoie, qui a perdu 12 % de ses emplois industriels au cours de la période 2008-2009.

L’augmentation du chômage a également été importante dans des départements déjà fortement touchés. C’est le cas de certains départements dans lesquels les services non marchands et l’économie présentielle sont assez développés comme le Gard, l’Aude et les Pyrénées-Orientales. Dans ces trois départements de la région Languedoc-Roussillon, l’emploi a baissé dans la construction et dans l’industrie, ainsi que dans l’intérim. Deux autres départements sont dans la même situation, avec un taux de chômage parmi les plus élevés et qui se détériore encore : le Nord et l’Aisne, dans lesquels l’emploi industriel et l’intérim ont été fortement touchés.

Carte 3Taux de chômage au 4e trimestre 2009 par département

  • Source : Insee, taux de chômage localisés.

Carte 4Écart de taux de chômage entre le 1er trimestre 2008 et le 4e trimestre 2009

  • Lecture : en Vendée, le taux de chômage a augmenté de 3,2 points entre le 1er trimestre 2008 et le 4e trimestre 2009, passant de 5,2 % à 8,4 %.
  • Source : Insee, taux de chômage localisés.

Reprise de l’emploi intérimaire en 2009, plus marquée en Franche-Comté, Champagne-Ardenne et Lorraine

L’emploi intérimaire peut être considéré comme un indicateur avancé de la reprise économique. Il repart à la hausse dès le 2e trimestre 2009 dans la majorité des régions. En un trimestre, il augmente de 1,5 % en France et cette hausse a même atteint 15 % en Franche-Comté. Entre le 1er et le 4e trimestre 2009, l’emploi intérimaire progresse dans l’ensemble des régions, sauf en Bretagne, où il se stabilise.

Au sein des régions les plus touchées par la baisse de l’intérim, la reprise de cette forme d’emploi en 2009 est contrastée. Elle est plus importante en Franche-Comté, en Champagne-Ardenne, et, dans une moindre mesure, en Rhône-Alpes, Lorraine et dans le Centre. Elle apparaît plus faible dans d’autres régions comme la Bourgogne, la Picardie, la Basse-Normandie, ainsi que dans les Pays de la Loire, la Haute-Normandie et l’Auvergne. La reprise de l’activité tarde à se propager au niveau des emplois plus « stables » : l’emploi salarié marchand reprend timidement au 4e trimestre dans la majorité des régions, mais il baisse encore dans huit d’entre elles. Parmi celles-ci se trouvent des régions de tradition industrielle déjà fortement touchées depuis le début 2008 : la Haute-Normandie, la Picardie, la Champagne-Ardenne, la Basse-Normandie, la Bourgogne et l’Auvergne.

Le calendrier de la crise économique en France

En France, le produit intérieur brut (PIB) recule à compter du 2e trimestre 2008. Dans un premier temps, les entreprises ralentissent leur activité en réduisant le nombre d’emplois intérimaires : 130 000 emplois intérimaires ont ainsi été supprimés en 2008. Dans un second temps, elles recourent davantage au chômage partiel : le nombre d’heures de chômage partiel demandées par les entreprises et acceptées par les directions régionales ou départementales du travail a été multiplié par 45 en un an.

L’emploi hors intérim commence également à baisser au 2e trimestre 2008, mais plus faiblement : − 40 000 emplois en 2008. Le premier et principal secteur touché par la baisse des emplois hors intérim a été l’industrie, suivi du commerce et, en fin d’année, de la construction. La baisse des emplois dans le tertiaire n’a débuté qu’au 1er trimestre 2009.

Après une année de baisse, le PIB repart à la hausse, ce qui se traduit par une augmentation du nombre d’emplois intérimaires dès le 2e trimestre 2009. Mais au 4e trimestre, si l’emploi se stabilise dans les secteurs du commerce et des services, il continue de baisser dans l’industrie et la construction.

Pour mesurer les effets de la crise sur l’emploi, les évolutions des périodes 2002-2006 (plus proches des évolutions tendancielles que celles de la période 2002-2007) et 2008-2009 ont été retenues.

Sources

Les estimations d’emploi sont une synthèse des sources administratives sur l’emploi. Elles permettent une couverture exhaustive de l’emploi total (salarié et non salarié). Elles sont exprimées en nombre de personnes physiques (et non en nombre de postes de travail). Elles sont ventilées à un niveau sectoriel et géographique fin.

Les estimations trimestrielles localisées portent sur l’emploi salarié des secteurs marchands. Elles sont issues de l’exploitation des données des Unions pour le recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales (Urssaf). Ces données sont les plus sensibles aux variations conjoncturelles.

Définitions

L’économie présentielle regroupe les activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu’elles soient résidentes ou touristes.

Pour en savoir plus

Marchand O., « Une cartographie de l’emploi régional d’après le recensement de la population de 2006 », Insee Première n° 1280, février 2010.

« Une demande sans tonus en Europe », Note de conjoncture, Insee, mars 2010.

Chevalier F., Mansuy A., « Une photographie du marché du travail en 2008 - Résultats de l’enquête Emploi », Insee Première n° 1272, décembre 2009.